Vers la poésie surréaliste

1930-1935
En 1930, Pierre Félan rentre en khâgne au Lycée Henri IV. Il réussit brillamment son année conciliant écriture surréaliste et dessin. Il met au point sa grammaire des lignes et réalise plusieurs dessins d’après des textes. Il va souvent dans les bars dans le quartier latin. Là, il rencontre Robert Desnos avec qui il s’entretient sur l’avenir du courant surréaliste. Ils désapprouveront ce courant, le jugeant trop simpliste. Il met au point, avec Desnos, une correspondance entre les lignes et les mots. Il met en pratique sa grammaire donnant naissance ainsi à la série Prépositions. Il rentre à l’école normale supérieure de Paris en 1932 dans la section philosophie. Dès lors, il peut s’adonner pleinement à son travail de poète-dessinateur : il réalise la série Postpositions, composée de textes et de dessins.
En Septembre 1933, sa première exposition dans la petite galerie des Halles  Le petit peintre est un succès. Des vendeurs de tableaux lui achètent ses grands dessins. Cet argent lui permet de s’acheter un atelier place d’Italie dans lequel il s’installe début 1934. C’est là qu’il réalise la série Appositions.
Durant cette période, Félan donne des cours de critique artistique à des élèves en journalisme. Il écrit dans le journal l’Aurore des comptes-rendus d’exposition. Il explique a ses élèves son point de vue : " Ecrire sur la peinture est un art difficile. Une manière de bien en parler est de décrire le tableau par les mots et de critiquer ensuite le texte en résultant. On ne touche pas ainsi à la volonté du peintre mais on fait sa propre autocritique, la seule objective. "
Grille, (1930)
Fusain, (60x80 cm)
Moderna Museet, Stockholm
Lignes et dôme, (1930)
Fusain, (60x80 cm)
Moderna Museet, Stockholm

Prépositions
Les directions
Horizontale : la description
  • Haute : universelle
  • Moyenne : du temps présent
  • Basse : locale
Verticale : l’action
  • Droite : ordinaire
  • Moyenne : habituelle
  • Gauche : exceptionnelle
Oblique : l’analyse
  • NO-SE : Du concept au concret
  • SO-NO : Du concret au concept
Les tailles
Petite : détail
Moyenne : quotidien
Grande : philosophique
préface de la série Prépositions
" C’est en jouant sur les mots que l’on joue sur le sens.
C’est en jouant sur les formes que l’on joue sur le fond.
Décrire un tableau ou dessiner un texte ne sont pas choses aisées si l’on veut en tirer la substance artistique. Une manière possible est de réaliser conjointement le dessin et le texte en utilisant une grammaire de correspondance. Mais, cette grammaire n’est pas une bijection entre les deux mondes... Celui qui sait écrire ne sait pas forcément raconter ! "
VerGauGra(s)-HorHauGra-HorBasMoy(s)-HorMoyMoy
Le long de ma peau, un frisson me parcourt, il rentre par les pores, hérisse mes poils et me fait fredonner un vieil air de comptine. L’onde gagne mon cœur et des palpitations se font sentir. Plus rien, tout à coup. En bas, sous mes pieds, le sol est trempé. Je les vois fripés par la solution aqueuse. Le ciel est noir, il pleut. Dans mon logis, tout est en gris et noir. Un grondement lointain se fait entendre. La comptine me revient, le frisson s’en est allé. Le tonnerre tout à coup, et une violente lumière vient embrasée les cheminées enfumées des toits voisins. L’eau ruisselle à gros bouillon dans les gouttières. Je ferme la fenêtre mais le vent a le temps de m’enlever au passage l’air de ma comptine qui allait revenir. Cette après-midi de mars, j’ai perdu une chanson. Un jour je perdrais la vie, en un coup d’éclair, comme tout le monde, comme pour tout le monde.(1931)
VerDroGra-HorHauGra-HorBasPet(s)(Alternés)
Le bois est frappé, lentement. Les hommes s’élancent tranquillement autour du carré d’herbe. Il crient de temps en temps des mots, des chocs énormes. Ils fredonnent aussi de longues basses, monocordes mais ondulant autour d’une note que l’on dit ici juste. Ils s’arrêtent, se retournent. Le sol est fait de longues pierres lourdes et plates. L’herbe est rase, d’un vert éclatant. Autour, des colonnes et des drapeaux unis de deux couleurs : rouge et noir. Un homme approche, dans une cuirasse de bois et de cuir. Il soulève son bâton et le frappe contre la pierre violemment. Les autres se jettent à terre vociférant des mots sans voyelles.


Le silence s’installe. L’immobilité prend place. Un long et froid vent vient friser les ficelles de ces guerriers. Calme et violence sont parfois les sources de la vie.(1931)
VerGauGra-HorBasGra-OblNSMoy-HorMoyMoy-VerDroMoy
Dans son petit meublé parisien, Siegfried était malade ce matin-là. Il avait trop bu hier soir. Du vin. Il voulait manger. " Manger, cette action humaine indispensable ! ", disait-il en maugréant. Dehors, une légère brume couvrait la capitale. Il sortit du sac à pain un vieux croûton moisi. Il le mit sous l’eau froide. Il s’essuya les dents avec ces doigts sales d’hier. En croquant dans le morceau de pain, il perdit deux dents. Il les ramassa et les glissa sous son oreiller. " L’argent des enfants est-il pour les adultes ? Pour moi aussi ? "(1931)
HorHauGra-HorMoyGra-HorBasPet(s)-VerMoyMoy
Le bateau quittait Honfleur. Le ciel était bleu pâle, on voyait la lune transpercer le faible voile nuageux. A l’horizon, le port du Havre grouillait de chalutiers tous entourés d’oiseaux en grand nombre.(1931)
HorHauGra-OblNSGra-VerMoyGra-OblSNGra-VerDroGra-HorHauGra-HorBasPet(s)
En marchant sur les pavés de la place, un homme descendit du ciel. Il tenait une épée, une épée en fer forgé, portée au rouge. Il venait calciner les pavés de son glaive.
Je l’interrompis :
" Pourquoi faites-vous cela ? 
- Pour marquer d’un signe non tangible la vérité de mon existence. 
- Pourquoi faire cela maintenant ? "
- Parce qu’après, on ne sait plus si l’on existe ? "
Depuis je ne marche plus sur les bords des pavés, ils sont trop brûlants.(1931)
VerGauADro(s)-OblSN-HorMoyMoy
La fourmi s’approchait du réchaud. Elle allait brûler comme celle qui l’avait devancée. Une autre arrivait, elle allait brûler, elle aussi. Puis toute une cohorte avança. Plus nombreux, les insectes avaient peur. Une certaine odeur d’acide les tenaient à distance. Pourtant, elles voyaient leurs compagnes gisant là, entre le lait brûlé et les miettes de thon cramoisies. Plusieurs d’entre elles se lancèrent à leur secours : elles succombèrent. Les autres plus habiles faisaient des manières, elles tournaient gardant un périmètre de sécurité. Le danger était maintenant identifié. On voyait la trace de la mort : une ligne joignant les cadavres, la triste réalité du destin ; une seule forme.(1931)

Postpositions
Ma boue
Après moi le déluge,
Luge des forêts,
Raies de la mer,
Maire de la ville,
Vil citadin,
Daims des sous-bois,
Boa des tropiques,
Pics des Pyrénées,
Né de la femme,
Ame des humains,
Mains dans la poche,
Hoche le maréchal,
Châle de la mère-grand,
Rang de soldats,
Da russe,
Us et coutumes,
Hume les odeurs,
Heurts de la guerre,
Ere le pauvre inconnu,
Nu le pauvre homme.
Derrière
Derrière le square, un éléphant barrit,
Derrière l’arbre, un écureuil meugle,
Derrière le petit banc, une femme tombe,
Derrière moi, un enfant pleure.
Devant
Sur le devant de la Seine, des bateaux se battent,
Sur le devant de la scène, des dictateurs tic-tac,
Sur le devant de la cène, des prophètes fêtent,
Sur le devant de la haine, des écrivains vains.
Vase Croisé, (1932)
Pastel sec, (60x80 cm)
The Art Institute of Chicago
Trait Gris, (1932)
Pastel sec, (60x80 cm)
The Art Institute of Chicago
Correspondance
Il voit souvent le noir dans le blanc,
Quand, sur le chemin ondulé, roulent les voitures.
Fille de la mer, et mère de la terre,
Il gémit. Incomparables gémissements.
Ailleurs, une lueur.
Entre deux bâtiments, gisent des forêts et des serpents.
Devant les temples anciens,
D’héraldiques manuscrits perdus,
Dans une cachette trop secrète.
La traduction des mots anciens en mots nouveaux.
Correspondance.
Spirales, (1933)
Fusain, (100x100 cm)
Collection Particulière
Viandes Noires, (1933)
Fusain, (150x150 cm)
Musée national d’art moderne, Centre Georges Pompidou, Paris
Viandes
Un nerf ou deux sur l’étal, un corps de bœuf écorché,
Son sang rouge coule sur la table en bois craquelé.
Les deux côtes écartelées, les cornes en croix.
Le mur noir de briques blanches pourrie la viande.
Timidité (Série Appositions), (1934)
Encre, Fusain et Pastel sec, (80x80 cm)
Tate Gallery, Londres
Appositions (Série Appositions), (1934)
Pastel sec, (80x40 cm)
Tate Gallery, Londres
Mots Croisés (Série Appositions), (1934)
Encre et Pastel sec , (80x80 cm)
M.O.M.A., New York
Fenêtre (Série Appositions), (1934)
Pastel sec, (80x40 cm)
Musée national d’art moderne, Centre Georges Pompidou, Paris