Pierre Félan

indicibles vides


Avant-Propos
Pierre Félan est un artiste aux multiples facettes que la guerre a aiguisé. Innovateur sans bornes, il a participé à la révolution littéraire du vingtième siècle ainsi qu’à la conceptualisation de l’art. Habile dans le maniement des concepts et acide dans la contemplation du passé, telles sont les caractéristiques que l’on gardera de cet artiste.
Félan n’a pourtant jamais cherché à provoquer. Il cherchait au début de nouvelles ouvertures pour lui-même à la quête d’une nouvelle manière de représenter l’indicible artistique. La guerre a modifié l’homme qui a alors usé de son talent pour exprimer l’indicible humain : l’Holocauste. En créant les lignes vides, Félan recherche là encore la manière de représenté l’indicible théorique.
Félan montre par son travail que la vie, avec tous les hasards qu’elle comporte est toujours riche pour un esprit curieux et assoiffé de vérité, si troublante qu’elle puisse paraître.
Dans cet ouvrage, nous avons choisis de vous présenter les différentes étapes de la vie de Félan ainsi que des dessins et textes qui permettent, nous l’espérons, de saisir l’innovation dont a du faire preuve l’artiste pour défendre d’une part sa curiosité et d’autre part sa vie.
Jérome Fraissinet
Les lignes vides
Quand je regarde le ciel,
Je vois à travers le noir interstellaire,
Les lignes vides qui tissent l’espace d’une lumière infinie.
Pierre Félan (1963)

Sommaire
Avant-Propos
Sommaire
Paris, son enfance
Vers la poésie surréaliste
Le groupe Aléations 
La seconde guerre mondiale
L’après-guerre
Touraine
La Guadeloupe
Biographie

Paris, son enfance

1910-1929
Pierre Félan est né à Paris le 12 juillet 1910. Il vit son enfance dans le quartier de Montmartre. Il est fils unique, ses parents, instituteurs tous les deux à l’école communale de l’arrondissement, habitent un petit appartement rue Caulaincourt. Il s’amuse beaucoup dans les rues avec ses camarades de classe et est souvent devant les cabarets aux alentours. Il est déjà fasciné par le dessin lorsqu’il observe les caricaturistes de la place du Tertre. Il dessine sur ses cahiers, de nombreux dessins caricaturant avec talent ses professeurs. Malgré ses impertinences réprimandées par son père, Pierre Félan est un très bon élève et reçoit le prix d’excellence à son certificat d’étude. Ses parents sont très heureux et l’inscrivent au Lycée Louis-le-Grand. Il prend également des cours de dessin aux ateliers de Montparnasse sous la direction de Jean Ducret.
Il réussit des études brillantes en philosophie et rentre, en 1929, en classe d’hypokhâgne au Lycée Henri IV à la grande satisfaction de ses parents. Il pense alors devenir professeur de philosophie. Mais, son intérêt pour le dessin est très grand ; il obtient un premier prix des ateliers Montparnasse pour son travail sur l’architecture moderne.
Il rédige, en 1929, un carnet de textes et de dessins d’une cinquantaine de pages qu’il intitule " Les monuments morts ". Ce carnet contient de virulents poèmes sur les monuments de Paris, des sujets de thèse et se termine par le texte Obscur Support, le premier texte surréaliste de Félan, sa future spécialité. Les dessins au fusain illustrant le carnet sont un travail sur les lignes droites. A cette époque, Félan est très intéressé par le travail de Kandinsky et met au point une grammaire de la ligne. Il la veut moins globale que celle de Kandinsky mais plus efficace.
La Maison du Corbusier, (1929)
Encre de Chine, (57x24 cm)
Musée de Grenoble
Temple, (1929)
Pastel sec et mine de plomb, (36x27 cm)
Musée de Grenoble
Les Monuments Morts
Les monumentales oeuvres de l’homme gisent ci et là,
A travers le monde, construites et immobiles,
Comme laissées-là par oubli, sans mode d’emploi,
Statiques, dans notre grand asile.
Tas de pierres ou agencements méticuleux,
D’un autre temps et d’une autre culture,
Ils sont une vielle mémoire un peu trop dure
qui soumet aux vivants un vieil esprit frileux.
Les grandes cathédrales, ces vieux tombeaux.
Les monuments aux morts, ces vils caveaux.
Les vieux châteaux, demeures de vieux tyrans.
Les cimetières, des milliers de morts monuments.
Je devine à travers les oeuvres des hommes,
Le respect du passé, la peur de l’avenir.
Je redoute à travers ces oeuvres énormes,
Un fanatisme qui vient nous occire.
Obscur Support
Vibrant sur une corde raide,
Ondulant dans un noeud de fer,
Vaguement sur un champ de blé,
Horizontalement sur les cimes des bateaux.
Une longue ficelle joint les deux bouts.
Bleuâtre correspondance
Entre les phares d’Alexandrie et la pyramide d’Egypte.
Entre deux ou trois eaux, dans un complexe nid de poules.
Un discours chaotique argumente selon rhétorique.
Un vibrant hommage aux peuples inconnus.
Genèse immuable, jeunesse innommable.
Cinq droites traversent le corridor du temps,
Les vents percutent la terre et coulent dans l’eau.
Immanquable noir. Blanc oublié.
Obscur Support.
Pagode, (1929)
Fusain et mine de plomb, (39x26 cm)
Musée de Grenoble
Les Monuments Morts, (1929)
Pastel sec et mine de plomb, (35x27 cm)
M.O.M.A., New York
La Tour Eiffel
Elle, si haute, percute mon ciel,
Elle transperce l’éther de bruits de fer.
Comme une équilibriste couturière,
Elle tisse dans l’espace de lourdes fibres qui m’indisposent.
L’Arc de Triomphe
Fallait-il que cet homme si grand est tant tué,
Faut-il avoir tant combattu,
Faut-il avoir tant assassiné,
Pour triompher.
Le Panthéon
Les Grands Hommes dit-on ?
Sont-ils géants, sont-ils si imposants ?
Le boulanger le matin, est-il si petit, si inutile ?
Que devrais-je dire de mon père, alors ?
Le Sacré-Cœur
Perché sur sa montagne,
Telle une pâle copie de ces peuples disparus.
Faut-il encore tuer pour s’approprier ...
Enfant, je ne te connaissais pas.
L’autre Maison, (1929)
Pastel sec, (39x31 cm)
Musée de Grenoble
Chapelle, (1929)
Pastel sec et mine de plomb, (20x30 cm)
Musée de Grenoble
Sujet de Thèse : Art ou Talent.
Qui a réalisé cette œuvre mastodonte qu’est Notre-Dame ? Un homme seul, une foule opprimée ou une idée humaine de la civilisation. L’Artiste ne se pose pas de questions sur son rôle dans la société. Il laisse celle-ci aux historiens et autres hommes politiques. Ces derniers nous affirment que l’art est une nécessité pour la civilisation et le progrès. Mais pour la démocratie ?
Il y a trente ans, l’homme découvrait l’art gratuit. A-t-on depuis remis en question l’art du passé ? A-t-on regardé avec objectivité les oeuvres de ceux qu’on appelle les maîtres ? Est-ce de l’art ou du talent ? Tout est là me répond-on. Oui, tout est là, mais qu’en faire ?
Sujet de Thèse : Les mots, une communauté parfaite.
On est souvent assourdi dans le vacarme des rues par le silence de l’homme. On est souvent muet dans le silence de l’homme par le bruit de sa mémoire. Les mots sont-ils si faibles qu’ils peuvent être leur sens et leur contraire. Les mots sont-ils si beaux, qu’ils ne vont qu’ensemble. Mêle-t-on une carotte (une vraie) avec le mot Théorème. On mêle pourtant une casserole et une carotte !
Les mots parlent d’eux même. Mais s’entendent-ils bien entre eux, qu’un mot de travers n’en fasse une guerre ? La grammaire et la sémantique des mots est-elle comprise par ceux qui les ont créées ? A voir dans les déclarations de guerre et d’amour, à voir dans les poésies et dans la philosophie.
Extrait du Carnet " Les Monuments Morts ", (1929)
Fusain et pastel sec, (15x20 cm)
Musée national d’art moderne, Centre Georges Pompidou, Paris

Vers la poésie surréaliste

1930-1935
En 1930, Pierre Félan rentre en khâgne au Lycée Henri IV. Il réussit brillamment son année conciliant écriture surréaliste et dessin. Il met au point sa grammaire des lignes et réalise plusieurs dessins d’après des textes. Il va souvent dans les bars dans le quartier latin. Là, il rencontre Robert Desnos avec qui il s’entretient sur l’avenir du courant surréaliste. Ils désapprouveront ce courant, le jugeant trop simpliste. Il met au point, avec Desnos, une correspondance entre les lignes et les mots. Il met en pratique sa grammaire donnant naissance ainsi à la série Prépositions. Il rentre à l’école normale supérieure de Paris en 1932 dans la section philosophie. Dès lors, il peut s’adonner pleinement à son travail de poète-dessinateur : il réalise la série Postpositions, composée de textes et de dessins.
En Septembre 1933, sa première exposition dans la petite galerie des Halles Le petit peintre est un succès. Des vendeurs de tableaux lui achètent ses grands dessins. Cet argent lui permet de s’acheter un atelier place d’Italie dans lequel il s’installe début 1934. C’est là qu’il réalise la série Appositions.
Durant cette période, Félan donne des cours de critique artistique à des élèves en journalisme. Il écrit dans le journal l’Aurore des comptes-rendus d’exposition. Il explique a ses élèves son point de vue : " Ecrire sur la peinture est un art difficile. Une manière de bien en parler est de décrire le tableau par les mots et de critiquer ensuite le texte en résultant. On ne touche pas ainsi à la volonté du peintre mais on fait sa propre autocritique, la seule objective. "
Grille, (1930)
Fusain, (60x80 cm)
Moderna Museet, Stockholm
Lignes et dôme, (1930)
Fusain, (60x80 cm)
Moderna Museet, Stockholm

Prépositions
Les directions
Horizontale : la description
  • Haute : universelle
  • Moyenne : du temps présent
  • Basse : locale
Verticale : l’action
  • Droite : ordinaire
  • Moyenne : habituelle
  • Gauche : exceptionnelle
Oblique : l’analyse
  • NO-SE : Du concept au concret
  • SO-NO : Du concret au concept
Les tailles
Petite : détail
Moyenne : quotidien
Grande : philosophique
préface de la série Prépositions
" C’est en jouant sur les mots que l’on joue sur le sens.
C’est en jouant sur les formes que l’on joue sur le fond.
Décrire un tableau ou dessiner un texte ne sont pas choses aisées si l’on veut en tirer la substance artistique. Une manière possible est de réaliser conjointement le dessin et le texte en utilisant une grammaire de correspondance. Mais, cette grammaire n’est pas une bijection entre les deux mondes... Celui qui sait écrire ne sait pas forcément raconter ! "
VerGauGra(s)-HorHauGra-HorBasMoy(s)-HorMoyMoy
Le long de ma peau, un frisson me parcourt, il rentre par les pores, hérisse mes poils et me fait fredonner un vieil air de comptine. L’onde gagne mon cœur et des palpitations se font sentir. Plus rien, tout à coup. En bas, sous mes pieds, le sol est trempé. Je les vois fripés par la solution aqueuse. Le ciel est noir, il pleut. Dans mon logis, tout est en gris et noir. Un grondement lointain se fait entendre. La comptine me revient, le frisson s’en est allé. Le tonnerre tout à coup, et une violente lumière vient embrasée les cheminées enfumées des toits voisins. L’eau ruisselle à gros bouillon dans les gouttières. Je ferme la fenêtre mais le vent a le temps de m’enlever au passage l’air de ma comptine qui allait revenir. Cette après-midi de mars, j’ai perdu une chanson. Un jour je perdrais la vie, en un coup d’éclair, comme tout le monde, comme pour tout le monde.(1931)
VerDroGra-HorHauGra-HorBasPet(s)(Alternés)
Le bois est frappé, lentement. Les hommes s’élancent tranquillement autour du carré d’herbe. Il crient de temps en temps des mots, des chocs énormes. Ils fredonnent aussi de longues basses, monocordes mais ondulant autour d’une note que l’on dit ici juste. Ils s’arrêtent, se retournent. Le sol est fait de longues pierres lourdes et plates. L’herbe est rase, d’un vert éclatant. Autour, des colonnes et des drapeaux unis de deux couleurs : rouge et noir. Un homme approche, dans une cuirasse de bois et de cuir. Il soulève son bâton et le frappe contre la pierre violemment. Les autres se jettent à terre vociférant des mots sans voyelles.


Le silence s’installe. L’immobilité prend place. Un long et froid vent vient friser les ficelles de ces guerriers. Calme et violence sont parfois les sources de la vie.(1931)
VerGauGra-HorBasGra-OblNSMoy-HorMoyMoy-VerDroMoy
Dans son petit meublé parisien, Siegfried était malade ce matin-là. Il avait trop bu hier soir. Du vin. Il voulait manger. " Manger, cette action humaine indispensable ! ", disait-il en maugréant. Dehors, une légère brume couvrait la capitale. Il sortit du sac à pain un vieux croûton moisi. Il le mit sous l’eau froide. Il s’essuya les dents avec ces doigts sales d’hier. En croquant dans le morceau de pain, il perdit deux dents. Il les ramassa et les glissa sous son oreiller. " L’argent des enfants est-il pour les adultes ? Pour moi aussi ? "(1931)
HorHauGra-HorMoyGra-HorBasPet(s)-VerMoyMoy
Le bateau quittait Honfleur. Le ciel était bleu pâle, on voyait la lune transpercer le faible voile nuageux. A l’horizon, le port du Havre grouillait de chalutiers tous entourés d’oiseaux en grand nombre.(1931)
HorHauGra-OblNSGra-VerMoyGra-OblSNGra-VerDroGra-HorHauGra-HorBasPet(s)
En marchant sur les pavés de la place, un homme descendit du ciel. Il tenait une épée, une épée en fer forgé, portée au rouge. Il venait calciner les pavés de son glaive.
Je l’interrompis :
" Pourquoi faites-vous cela ? 
- Pour marquer d’un signe non tangible la vérité de mon existence. 
- Pourquoi faire cela maintenant ? "
- Parce qu’après, on ne sait plus si l’on existe ? "
Depuis je ne marche plus sur les bords des pavés, ils sont trop brûlants.(1931)
VerGauADro(s)-OblSN-HorMoyMoy
La fourmi s’approchait du réchaud. Elle allait brûler comme celle qui l’avait devancée. Une autre arrivait, elle allait brûler, elle aussi. Puis toute une cohorte avança. Plus nombreux, les insectes avaient peur. Une certaine odeur d’acide les tenaient à distance. Pourtant, elles voyaient leurs compagnes gisant là, entre le lait brûlé et les miettes de thon cramoisies. Plusieurs d’entre elles se lancèrent à leur secours : elles succombèrent. Les autres plus habiles faisaient des manières, elles tournaient gardant un périmètre de sécurité. Le danger était maintenant identifié. On voyait la trace de la mort : une ligne joignant les cadavres, la triste réalité du destin ; une seule forme.(1931)

Postpositions
Ma boue
Après moi le déluge,
Luge des forêts,
Raies de la mer,
Maire de la ville,
Vil citadin,
Daims des sous-bois,
Boa des tropiques,
Pics des Pyrénées,
Né de la femme,
Ame des humains,
Mains dans la poche,
Hoche le maréchal,
Châle de la mère-grand,
Rang de soldats,
Da russe,
Us et coutumes,
Hume les odeurs,
Heurts de la guerre,
Ere le pauvre inconnu,
Nu le pauvre homme.
Derrière
Derrière le square, un éléphant barrit,
Derrière l’arbre, un écureuil meugle,
Derrière le petit banc, une femme tombe,
Derrière moi, un enfant pleure.
Devant
Sur le devant de la Seine, des bateaux se battent,
Sur le devant de la scène, des dictateurs tic-tac,
Sur le devant de la cène, des prophètes fêtent,
Sur le devant de la haine, des écrivains vains.
Correspondance
Il voit souvent le noir dans le blanc,
Quand, sur le chemin ondulé, roulent les voitures.
Fille de la mer, et mère de la terre,
Il gémit. Incomparables gémissements.
Ailleurs, une lueur.
Entre deux bâtiments, gisent des forêts et des serpents.
Devant les temples anciens,
D’héraldiques manuscrits perdus,
Dans une cachette trop secrète.
La traduction des mots anciens en mots nouveaux.
Correspondance.
Spirales, (1933)
Fusain, (100x100 cm)
Collection Particulière
Viandes Noires, (1933)
Fusain, (150x150 cm)
Musée national d’art moderne, Centre Georges Pompidou, Paris
Viandes
Un nerf ou deux sur l’étal, un corps de bœuf écorché,
Son sang rouge coule sur la table en bois craquelé.
Les deux côtes écartelées, les cornes en croix.
Le mur noir de briques blanches pourrie la viande.
Timidité (Série Appositions), (1934)
Encre, Fusain et Pastel sec, (80x80 cm)
Tate Gallery, Londres
Appositions (Série Appositions), (1934)
Pastel sec, (80x40 cm)
Tate Gallery, Londres
Mots Croisés (Série Appositions), (1934)
Encre et Pastel sec , (80x80 cm)
M.O.M.A., New York
Fenêtre (Série Appositions), (1934)
Pastel sec, (80x40 cm)
Musée national d’art moderne, Centre Georges Pompidou, Paris

Le groupe Aléations 

1935-1938
En 1935, Pierre Félan crée avec son ami Robert Desnos le groupe " Aléations ", un groupe d’écrivains qui a pour but l’exploration de nouveaux chemins d’écriture. Ils se réunissent dans l’atelier de Félan place d’Italie. Ils ont pour ambition la création de nouvelles méthodes et de nouveaux genres littéraires : la textoforme (des mots aléatoires mis sous forme de textes), la dérivation synonymique (des poèmes composés de synonymes et de mots dérivés), l’écriture aléatoire simple (des mots juxtaposés), ... Ils publient aux N.R.F. sous le nom Aléations trois recueils de textes : Aléatatoires, Idiotimides, Synonymies & Troubkadours.
En 1936, Félan termine ses études à l’école normale et devient professeur de philosophie au Lycée Saint-Louis à Paris. Ce poste lui laisse suffisamment de temps pour continuer à écrire et dessiner.
De 1935 à 1938, Félan et André Masson, l’ami de Desnos, se livrent à des expériences picturales (Duos) mettant au point la technique du double tableau. Pendant que Félan dessine sur une toile, Masson en peint une autre. Ils se les échangent ensuite et les complètent. Ils exposent leurs tableaux dans de grandes galeries parisiennes. La vente de leurs oeuvres leur permet de travailler dans de très bonnes conditions et, déjà, au grand regret des parents de Félan, ce dernier arrête son métier de professeur.
Le groupe Aléations se dissout fin 1938 selon la volonté de tous afin de ne pas tomber dans le domaine public comme l’était tombé le courant surréaliste à leur grand regret.
Ces années sont très riches pour Félan qui les décrira, plus tard comme " les années faciles, les années où l’on créait en accord avec le présent, sans souvenir " par opposition avec les années cinquante qu’il décrit comme "les  années de la reconstruction existentielle ".

Aléatatoires
Commentaires
Les commentaires, bien logés, nous piquent au-dedans. Ils accablent, arrangeant les calculs et dissipant l’univers dans de désolantes transformations qui s'assoupissent aussi vite qu’une bougie. Pourtant, nous luttons contre les cultures en lambeaux, nous tripotons Paris, ce démodé qui porte un masque trop doré.
Mais, force est de constater, que les ensoleillements journaliers de la chaussée et ses clochards plein de douleur qui renoncent, nous font regretter la représentation idolâtrée que nous avons de nous même. Ce mirage admiré avec tant de réflexion.
Avec la clairvoyance d’une souris, notre boudin est à palper.
Phrases
Réservée, elle lâche le bûcher.
L'intérieur est gâté d’argile. Sans jour.
Les phares pleurent.
Les orifices de la réverbération longent le tunnel.
Le train princier peine aujourd'hui.
Textoforme
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Obéir, brailler. Victime richesse. Kaolin mutilé. Illumination. Pays turbiné, grignoté. Mistral logé. Gâchis local. Fantasmagorique va-et-vient. Créateur vulgaire. Emplacement vulgaire, sobre. Espace ruineux. Nouvel oléoduc ajouté aux louanges.
Lipogramme en abcdfghijkl
Vers une heure, vos ports se sont serrés.
Une œuvre vous pèse..
Une verte posture espère, en même temps que vous, serrer un sou.
Pour rêver, un pur trou.
Supposez que vous soyez pressés, tués ou usurpés sur un express pourpre. Vos restes sots vont vous user.
Des routes de restes pèsent vos oeuvres et vous éprouvent. Tout est reposé près de vous. Temps roux exposé, rêve.

Idiotimides
Bribes
Bribes sanguines,
Rouge, vert, bleu et noir.
Fidèle chevalier à la peau sanguine,
Agenouillé devant l’espace de la cathédrale,
Entre la cigarette consumée et les temps de l’eau.
Le corps éventré. La petite place. La grande bibliothèque.
Hasard, lévitation, peuple antique.
Les grecs et les romains en gare de Saint-Lazare.
Devant la basilique Saint-Denis, le roi Henri IV.
Les Grands Hommes
Hier, j’ai vu Louis XIV à la station Montparnasse, il prenait le métro pour l’Assemblée Nationale. Je l’ai perdu de vue, il s’est noyé parmi des spartiates en tourisme. Plus tard, j’ai vu Louis XVI, il attendait Henri IV, place de la bastille. Ils sont allés dans un bistrot manger des huîtres. Ensuite, ils avaient rendez-vous avec César, qui les a invités à dîner chez Cléopatre à la Tour d’Argent.
Réponse aux questions
Pourquoi le soleil est bleu ?
Parce que si il était jaune, le ciel serait bleu.
Pourquoi la terre est-elle carré ?
Parce que sinon les roues seraient rondes aussi.
Pourquoi les mots sont-ils fait de paragraphes ?
Parce que sinon, les livres seraient en papier.
Pourquoi les philosophes repeignent la tour Eiffel ?
Parce que sinon, ils débarqueraient les cargos au Havre.
Pourquoi les instruments de musique sont-ils silencieux ?
Parce que sinon, les pinceaux cracheraient de la couleur.
Pourquoi faites vous cela ?
Parce que sinon, je ferai autre chose.
Alphabetions
A : Ah ; B : Baie ; C : Ces, C’est ; D : Dé ; E : Eux ; F : Elfe ; G : Geai ;
H : Hache ; I : Ile ; J : Git ; K : Cas ; L : Elle ; M : Aime ; N : Haine ;
O: Eau ; P : Pet ; Q : Cul ; R : Air ; S : Esse ; T : Thé ; U : Hue ;
V : Vais ; W : Double Vais ; X : X ; Y : Ile grecque ; Z : Zède.
Duo n°6 (Avec André Masson), (1935)
Huile et Pastel sec , (100x100 cm)
Musée national d’art moderne, Centre Georges Pompidou, Paris
Duo n°17 (Avec André Masson) , (1936)
Bandes plâtrées, Huile, Pastel sec , (100x50 cm)
Musée national d’art moderne, Centre Georges Pompidou, Paris

Synonymies & Troukbadours
Les Fantômes
Ils broient le sol et font disparaître l’éclaircissement,
Ils visionnent une représentation trop vernie,
Ces amas de fausse et superficielle vie sont réfrigérants,
Toutes ces harmonies recherche l’agonie.
Disgracieuses notes complètement barges.
Paris inanimé, paradis de nouille.
Femmes coincées au bord de la marge.
Emanation qui souille.
Ecorche l'éternel bénin de la sereine ironie.
Accable la belle destinée des fleurs.
Le poète impuissant maudit son génie,
A travers un désert sucré dépouillé de douleurs.
Les Guerriers
En proie à de longues solitudes,
Quelques cris dispendieux dans la clairière.
Face à face entre guerriers en uniforme.
Horrible symétrie de l’extermination.
Le petit homme se lève et se couche
L’atomique unité s’installe et se blesse.
Le chétif bouffon vit et se trouve.
Le court masculin pointe et se détruit.
L’exigu énergique se réveille et s’anéantit.
Le faible loustic demeure.
Le fin et fort se couche.
L’impalpable jeune homme se prépare et se mutile.
L’imperceptible fils s’apprête et s’abîme.
L’infinitésimal échantillon dispose et se tient.
Le menu mâle se lève et se renverse.
Le mesquin farceur se lève et gîte.
Le misérable plaisantin naît et se niche.
Le nabot courageux commence et se dérobe.
Le nain vigoureux débute et se pique.
Le négligeable exemplaire s’exécute et se poste.
Le petit citoyen se dresse et se fauche.
Duo n°31 (Avec André Masson), (1937)
Huile et Pastel sec , (100x100 cm)
Musée de Grenoble
Duo n°72 (Avec André Masson) , (1938)
Huile, Ruban adhésif semi-transparent, Pastel sec (100x50 cm)
San Francisco Museum of Modern Art

La seconde guerre mondiale

1939-1945
En 1939, Félan est mobilisé. Il est fait prisonnier en Allemagne avec son ami Robert Desnos. Durant leur captivité, ils partagent ensemble l’idée selon laquelle la vie de l’auteur doit être aussi proche que possible de son œuvre. Ils sont tous les deux libérés en 1940. De retour à Paris, Félan entreprend une nouvelle série de dessins et de textes (Agglomérats) dans lesquels il met en pratique ce qu’il disait à ses élèves journalistes. Il réalise des œuvres duales dans lesquelles le texte décrit le dessin. Il écrit le recueil de poèmes Hiérarchies en 1942 qui ne sera publié qu’après la guerre. Dans ce recueil, dira-t-il, " j’essaie de détruire tout ce qui a attrait au pouvoir : ses ficelles, ses départs de course, tout ".
En 1943, Félan s’engage dans la résistance. Il participe à des commandos de sabotage dans l’est de la France, des missions de ravitaillement de résistants en Allemagne, et met à l’abri des dizaines de juifs au Chambon-sur-Lignon en Auvergne. Lors d’une de ses missions, en mars 1944, Pierre Félan est arrêté par la Gestapo. Il est alors envoyé à Buchenwald puis connaît, pendant plusieurs mois, l’exode misérable à travers les camps de concentration. Il se lie d’amitié avec le père du peintre Amarovich à Floßenburg, pendu un mois plus tard. Félan retrouve Desnos en février 1945 à Térézine (Tchécoslovaquie). Le 8 juin, lorsque les alliés libèrent le camp, ce dernier meurt d’épuisement à 45 ans malgré les soins qui lui sont donnés. Félan, plus chanceux, est rapatrié en France et guérit de ses nombreuses blessures aux côtés de ses parents.
Agglomérat n°3, (1940)
Ruban adhésif semi-transparent, Pastel sec (70x70 cm)
Collection Particulière
Agglomérat III
Aussi haut dans la hauteur que dans la largeur.
Des bandes bleues espacées et enfermées entres les nombreuses lignes noires.
Sur le fond jaune vieilli d’un mutisme trop profond.
A l’est, des pierres noires. Noires et grises.
En bas, du charbon, des couleurs sans lumière, des couleurs mortes, brûlées.
Pourtant un horizon apparaît entre deux eaux.
De l’eau.
De l’eau qui coule. Non, de l’eau qui stagne.
De l’eau qui bouge sans se mouvoir. Qui tourne sur elle même sans courant. De l’eau qui dort. De l’eau, de l’eau, de l’eau...
Mais, le papier lui est trop sec, le papier est trop chaud.
On dirait un désert immense, dans lequel les serpents affluent.
Dans lequel les orages sont invisibles.
Illusion d’un paysage, illusion d’un avenir.
Allusion ...
Alluvions ...
Agglomérat n°6, (1940)
Ruban adhésif semi-transparent, Pastel sec (100x50 cm)
Collection Particulière
Agglomérat IV
Noir, Noir, Noir, Noir, Noir.
Un cercle de vieux jaune.
Des lignes rouges.
Des lignes noires.
Comme des montagnes sur un ciel montagneux.
Comme des nuages parmi les nuages.
A l’ouest : un refuge.
Au sommet, des coulées de lave, ou de sang, ou tout simplement de couleur rouge.
Mais que fait-elle là, la boule jaune.
La boule jaune ?
Le soleil est tombé dans la vallée.
Les hommes sont brûlés vifs,
La terre est carbonisée.
Plus d’eau, plus rien.
Qu’un tas de cendres et de charbon.
Atomes.
Agglomérat n°8, (1941)
Ruban adhésif semi-transparent, Pastel sec (50x100 cm)
Collection Particulière
Agglomérat VIII
Sur un fond bleu de sable, des lignes stridentes noires cisaillent l’espace. Dessus, une croix de mutisme.
Elle cache quelque chose que l’on ne devrait pas savoir.
Chose que l’on ne devrait pas savoir.
On ne devrait pas savoir.
Pas savoir.
Savoir. Avoir. Voir.
Voir ?
Des lignes incisives pleine de violence, un ciel bleu brûlant ?
Mieux vaut tourner la tête.
Un bûcher au Sud.
Des traits, des croix encore, des croix de cris, de hurlements.
Cachez le haut, on voit toujours le bas !
Cachez le bas, on verra d’en haut !

Hiérarchies
Au dessus de tous
Au dessus des étoiles, des galaxies et par delà les confins de l’univers,
Certains hommes se postent.
Se faufilant à travers l’espace, ils luttent contre la triste relativité.
Maîtres, dictateurs, führers et autres empereurs,
Ne perçoivent que l’éclat de leur dogme, de leur faciès ridicule.
Lamentables solitaires, isolés dans une tour aveugle.
Des milliers d’hommes à leurs pieds,
Promis à une gloire certaine,
A une mort aussi.
Combattant les esprits clairs,
Semant le doute,
Sulfatant l’engrais de la discorde,
Bêchant les champs de batailles,
Arrosant de sang les cultures étrangères.
Agriculteurs farouches, hommes de dix mille ans.
La loi du plus fort est toujours la meilleure.
La foi du plus faible est toujours la pire.
Entre tous
Entassés dans des camions,
Agglomérés sous des tentes,
Les orteils gelés,
Les doigts frigorifiés par le métal de leur fusil,
Le corps enveloppé de boue.
Droits comme des i,
Cris de haine et d’extase,
Devant leur unique miroir,
Un homme, une bête de scène,
Les encouragent à mourir au champ d’horreur.
Les soldats, au garde à vous.
Les sous-chefs, les chefs, les gradés et autres colonels,
Tous derrière lui, ne voyant pas devant,
Préférant lui lorgner le cul,
Et s’engouffrer comme lui dans l’abîme profonde de la guerre.
Tous en bas
Les victimes, aveuglées par le feu de la rage,
Les otages, éblouis par la lumière du jour,
Les prisonniers, flambés par l’orgueil des vainqueurs.
Perdus dans des forêts, ensevelis sous la terre,
Cachés parmi des maisons de taule,
En exil permanent, en profonde retraite,
Apeurés par le jour et la nuit,
Sans sommeil,
Les rescapés se terrent dans les gouffres profonds de l’oubli.
Derrière des barreaux ou dans quelques camps,
D’autres reclus, séquestrés n’ont que l’horreur de la vie pour mourir.
Les cannibales
Dans une grande pièce dans un grand bâtiment,
Quatre hommes discutent.
Le ministre de la guerre.
Le ministre de la sécurité.
Le ministre de la propagande.
Le dictateur.
Ils échangent des chiffres : des gros et des petits.
Les gros sont les morts.
Les petits sont les batailles.
Des centimètres de frontières côtoient des milliers de cadavres.
Ils griffonnent sur un vieux papier desséché,
Des additions macabres,
Des plans malhabiles,
Des kilobombes,
Des stratégies morbides.
Un peintre entre et les peint tous, souriants.
Un serviteur entre et leur donne à boire.
Un scientifique entre et approuve leurs calculs.
Puis ils s’en vont tous dans leur appartements,
Caressent la tête de leur chérubins,
Embrassent leur femme,
Se mettent à table.
Ils dévorent de leurs propres mains
Les corps ensanglantés des hommes inférieurs.
Ecoeurants cannibales.

L’après-guerre

(1945-1952)
Ces années de guerre ont changé le Félan dynamique d’avant en sceptique convaincu. Il se repose chez ses parents à Paris durant deux ans dans un isolement profond. Il fait des rêves cauchemardesques et refuse " toutes ces manoeuvres psychologiques, machines à oublier".
Il attend donc 1947 pour publier Hiérarchies, l’ensemble des poèmes qu’il a écrit en 1940. Ce n’est qu’en 1948 qu’il se remet à écrire avec Le Captif, un poème qu’il publie en 1949, aux N.R.F. Ce texte est encensé par la critique. " Jamais, l’écriture n’a côtoyé de si près la mort. ", " Félan est étonnant de noirceur et de réalité. ", " Le génocide est écrit entre chaque blanc de ses mots. ".
En même temps qu’il écrit Le Captif, il recommence à dessiner et exposer. Ses oeuvres atteignent vite des prix très élevés. Il a arrêté les séries : " Elles présument sur le futur, sur la suite. Moi je ne peux plus ! ".
Durant l’année 1951, il expose au Musée d’Art Moderne de Paris, au M.O.M.A. à New York.
En 1952, on lui propose de regagner le gouvernement pour la reconstruction culturelle de la France. Il refuse catégoriquement déclarant : " la reconstruction culturelle, c’est l’affaire de chacun. Si l’état ou quelque forme de pouvoir que ce soit s’en charge, on reviendra dix ans plus tôt, mille kilomètres à l’Est. "
En 1953, il décide d’aller s’installer en Touraine à La Chapelle-sur-Loire près de Tours pour écrire et dessiner en toute tranquillité.
Noir de Fer, (1948)
Fusain (50x50 cm)
Musée de l’Ermitage, Saint-Pétersbourg
Le serpent pris au piège, (1949)
Fusain (50x50 cm)
National Gallery of Art, Washington

Le Captif
Extraits du texte le Captif (60 pages)
Je suis mort ce matin.
J’étais déjà mort hier.
[...]
Dans une casserole,
Un pauvre cafard nous fait un repas.
Maintenant, les rats s’enfuient, à notre vue.
[...]
Je ne supporte plus,
Les cris acides de la pluie sur les toits.
Je ne supporte plus,
Ce corps qui pourrit devant notre baraque.
[...]
Dix jours sans parler,
Dix jours sans manger,
Dix jours de fièvre.
Un mois est passé.
[...]
L’homme en noir est passé ce matin,
J’ai perdu toutes mes dents,
Ce soir, je ferai fondre ma glace.
[...]
Mardimanche :
On nous a offert pour le dîner d’après-hier,
L’enfant mort-né de ma sœur.
Vivement demain que l’on respire.
[...]
Les soldats nous ont redonné notre langue.
Ils n’ont pas pu l’avaler.
J’ai réussi à la recoller.
Mais je ne sais plus l’utiliser.
Main, (1950)
Fusain (60x60 cm)
Nationalgallerie, Berlin
Femme à l’écharpe rouge, (1951)
Fusain (60x60 cm)
Nationalgallerie, Berlin

Touraine

(1953-1968)
Pierre Félan s’installe dans une grande maison en Touraine, dans laquelle il s’aménage un grand atelier et un petit bureau sous les mansardes. Il préfère écrire dans des conditions minimales, car dit-il " elles permettent un transfert direct entre l’esprit et la main ". A l’inverse, " dans l’atelier, ce qui compte c’est que le bras puisse tourner sans rencontrer quelque obstacle ".
Il se promène dans la campagne avec un bloc de papier et quelques crayons croquant en dessin ou en poème les paysages qu’il rencontre. Il expose en juin 1954 l’ensemble de son travail à la Tate Gallery (Londres). L’ensemble de son œuvre est achetée par un grand collectionneur américain pour 1.200.000$. Félan est sidéré de voir comment quelques dessins peuvent atteindre des sommes aussi importantes. Il fait don de la moitié de ses ventes à l’association juive contre l’Holocauste en mémoire de son passé.
En novembre 1954, Félan se marie avec Juliette Frémont, la boulangère de La Chapelle-sur-Loire de 20 ans plus jeune que lui. Dès 1955, Juliette donne naissance à deux jumeaux : Jacques et Michel. Félan est alors très occupé par ses enfants et travaille moins. Il invite ses parents maintenant retraités à le rejoindre en Touraine. Il expose en 1959 son travail au Musée d’Art Moderne de Grenoble. Là encore, l’ensemble de ses dessins est acheté pour 1.000.000$ par un émir arabe qui vient de se faire construire un immense palais dans les Emirats.
En 1960, Félan se remet aux séries. Il travaille durant quatre ans sur le projet Les Lignes Vides. Il définit la ligne vide par : " Alors que la ligne mathématique est sans dimension, la ligne picturale a une dimension. Pour la rendre vide, une manière est de la représenter sans la dessiner. " Ainsi, il matérialise la ligne vide par l’espace qui sépare deux lignes. De 1965 à 1968, il réalise une exposition itinérante exposant son travail qui consacre Félan aux yeux du monde artistique.
 
Bosquet, (1953) La route de Bourgueil, (1953)
Fusain, (30x30 cm) Fusain, (30x30 cm)
 
Champ, (1953) L’église de La Chapelle-sur-Loire, (1954)
Fusain, (30x30 cm) Fusain, (30x30 cm)
Collection particulière
L’orage
L’orage point,
Le vent se lève.
L’horizon feuillu ondule.
Les oiseaux, par myriades,
s’éloignent,
Quelques feuilles virevoltent.
Les chevaux hennissent,
Les fourmis rentrent au chaud.
La cloche sonne sept heures.
Il est temps de s’abriter.(1954)

Les Lignes vides
Sans lignes vides, (1961) 4 Lignes Vides, (1961)
Fusain (80x80 cm) Fusain (60x80 cm)
M.O.M.A., New York M.O.M.A., New York
Lignes Vides mais musicales, (1963)
Fusain (120x40 cm)
Scottish National Gallery of Modern Art, Edimbourgh
Lignes consoeurs vides, (1962)
Fusain sur argile séché (80x40 cm)
Musée de l’Ermitage, Saint-Pétersbourg
 
Lignes et nombres vides, (1964)
Encre (80x80 cm)
Museum der Stadt, Cologne
Ligne Vide mais qui fait le plein, (1962)
Fusain, (100x100 cm)
Musée national d’art moderne, Centre Georges Pompidou, Paris
Lignes Vides multicolores, (1962)
Fusain, Encre (60x60 cm)
Palais des Beaux-Arts, Pékin
La Ligne Vide, (1960)
Fusain (120x40 cm)
Collection Particulière
Lignes vides courbes, (1964)
Fusain, Encre (40x120 cm)
Musée d’Art Moderne, Tokyo
Lors de ses expositions itinérantes, Félan vend de très nombreuses oeuvres à des musées. Il continue cependant à dessiner des lignes vides. Il essaie un nouveau support : le crépis. " La texture du pastel sec se révèle vraiment au contact de ce support très chaud. ". Il travaille l’encre, un matériau qui lui permet de délimiter parfaitement les lignes. En 1967, Félan commence à travailler la couleur. Mais, dit-il, " la force de la couleur n’est rien en comparaison de la symbolique du trait. "
De 1964 à 1968, de nombreux artistes viennent chez lui en Touraine : l’artiste minimaliste américain Mel Bochner avec qui il discute sur les poésies minimales, le peintre belge Luc Peire dont le travail sur les lignes verticales l’intéresse tout particulièrement mais aussi l’artiste algérien Mahdjoub Ben Bella avec qui il parle calligraphie.
En septembre 1968, la mère de Félan meurt à l’âge de 88 ans. Son père meurt de chagrin deux mois plus tard. Ces morts coup sur coup affectent beaucoup Félan qui décide alors d’aller s’installer en Guadeloupe avec toute sa famille.
Crépis III, (1966) Crépis IV, (1966)
Pastel sec sur planche crépie, (80x60 cm) Pastel sec sur planche crépie, (80x60 cm)
Collection particulière Stedelijk Museum, Amsterdam
Visage Humain, (1968) Etoile, (1968)
Fusain, Encre, (80x120 cm) Encre, (35x120 cm)
Galerie nationale du Canada, Montréal Collection Particulière
Idées minimales
bonne
fausse
fixe
mauvaise
que l’on se fait
- ale
E l s t e n, à c I.
Elles le sont toutes en nous, à chaque instant.

La Guadeloupe

(1969-1990)
La famille Félan s’installe en Guadeloupe dans la ville de Capesterre. Ils habitent une grande maison qui borde la mer. Les enfants vont au collège à Pointe-à-Pitre où ils suivent des études tout à fait médiocres au grand regret de leur père. Ce dernier pourtant ne les obligera en rien et les conseillera dans leur parcours jusqu'à sa mort.
Dans les années 70, Félan travaille aussi bien dans son atelier que dehors où il dessine les paysages de la région aux crayons de couleur. Il réalise deux grands projets des Bleus (82 dessins) et 3.1416 (34 dessins).
Dans des Bleus, Félan confronte l’encre bleue et le fusain noir. Dans une interview au journal Le Monde (15 avril 1975), il exprime sa volonté : " Dans cette série, j’ai voulu mettre en avant le contraste entre le travail de la matière brute (le fusain) et la matière travaillée (l’encre). Comme le papier met en valeur notre pensée, l’encre met en valeur l’instinct du charbon. L’idée d’utiliser l’encre est aussi une évolution de mon travail sur les lignes vides. Dans des Bleus, les lignes vides en bleu sont en arrière, elles laissent la place aux plans noirs. Une sorte de pied de nez à mon travail théorique d’avant. " En ce qui concerne les cercles de 3.1416, Félan est moins explicite et ne justifie pas précisément son travail : " Quand on a travaillé longtemps comme moi, sur les traits, arrive un moment ou la courbe pure a son importance. Je ne justifie pas cet acte à travers une théorie, je m’amuse ", Beaux-Arts, Février 1980.
Il se remet à écrire et publie en 1978, Carnet de Rêves. Dans ce livre, dédié à Robert Desnos, il décrit précisément ses rêves au cours de l’année 1977. Ce recueil recèle ainsi les marques de son passé (les camps de concentration) mais aussi les lieux où il a vécu. La précision de ses textes et surtout son manque d’analyse en font un livre hypnotique comme aimait à les écrire Desnos.
Baie Mahault, (1969) Cabane, (1970)
Crayon de couleurs, (30x22,5 cm) Crayon de couleurs, (30x22,5 cm)
Minami Gallery, Tokyo Musée de Grenoble
Vers Goyave, (1970) Marché de Pointe-à-Pitre, (1972)
Crayon de couleurs, (30x22,5 cm) Crayon de couleurs, (30x22,5 cm)
Curaçao Museum, Curaçao Collection particulière
des Bleus I, (1970) des Bleus XXII, (1972)
Fusain, Encre bleue, (75x50 cm) Fusain, Encre bleue, (75x50 cm)
Collection particulière Collection particulière
des Bleus XXXVIII, (1974) des Bleus XLII, (1976)
Fusain, Encre bleue, (75x50 cm) Fusain, Encre bleue, (75x50 cm)
Centre Georges Pompidou, Paris Musée d’Art et d’Histoire, Genève
des Bleus VXIV, (1978) des Bleus VXXXII, (1978)
Fusain, Encre bleue, (75x50 cm) Fusain, Encre bleue, (75x50 cm)
M.O.M.A., New York Musée d’Art et d’Histoire, Genève
3.1416 I, (1972) 3.1416 XI, (1975)
Pastel sec, (80x80 cm) Pastel sec, (80x80 cm)
Collection particulière Israël Museum, Jérusalem
3.1416 XXI, (1977) 3.1416 XXXI, (1978)
Pastel sec, (80x80 cm) Pastel sec, (80x80 cm)
Detroit Institute of Art, Detroit Collection particulière
En 1979, Félan vend la quasi totalité de ses dessins des Bleus à des Musées mais aussi à des particuliers. La série 3.1416 est, elle, vendue à un riche industriel américain pour la somme de 2.000.000$. Ce dernier en décorera toute une maison qu’il vient de s’acheter en Sicile.
Michel et Jacques ouvrent un garage à Pointe-à-Pitre financé entièrement par leur père qui croit en eux. Le garage fonctionne bien et les deux enfants se marient, à la joie de Juliette, en 1978 avec deux soeurs jumelles guadeloupéennes qui tiennent un étal au marché de Pointe-à-Pitre.
Durant les années 80, Félan dessine de moins en moins préférant voyager sur son voilier avec sa femme dans les caraïbes. Il part quelque fois aux Etats-Unis exposer ses derniers dessins. Il vend aux enchères un de ses plus beaux dessins Feu Follet pour 3.000.000$ au Musée d’Art Moderne de Tokyo qui l’install dans son hall d’entrée.
En 1984, le musée d’Art Moderne de Genève lui propose d’exposer pendant 9 mois toute la série des Bleus. Il s’occupe alors de retrouver tous les dessins qu’il a vendus à travers le monde. Il ne réussit à les rassembler qu’en 1986. Il prépare alors les plans de l’exposition qui aura lieu de janvier à septembre 1987.
Félan continue de peindre jusqu’en 1990, année où il meurt le 6 septembre à l’âge de 80 ans.
En 1992, le musée d’Art Moderne de Toronto réalise une rétrospective Félan rassemblant un grand nombre de ses dessins.
En 1995, l’ensemble des textes de Félan est publié dans la collection La Pléïade.
Plan de l’exposition de Genève 1987, (1986)
Encre, (40x40 cm)
Musée d’Art et d’Histoire, Genève
Affiche de l’exposition Genève 87, (1987)
Encre et Photo, 70x60 cm
Musée d’Art et d’Histoire, Genève
Feu follet, (1984)
Pastel sec, (150x150 cm)
Musée d’Art Moderne, Tokyo
Ligne Noire, (1986)
Pastel sec, (150x70 cm)
Musée d’Art Moderne, Tokyo

Carnet de rêves
Extraits du livre Carnet de Rêves (N.R.F.)
Lundi 3 janvier
Dans mon jardin. Il fait chaud. Dans l’appartement de la rue Caulaincourt, mon père remonte ses manches. Il s’apprête à faire cuire des œufs sur le plat. Je vois passer par dessus l’océan des myriades de mouettes criardes. Je descend les escaliers. Arrivé sur les bord de la Loire, je m’assoupis et rêve.
Des spirales orangées me font glisser sans fond vers l’avant. Je saute une marche et me réveille. Il pleut, je rentre dans mon atelier de La Chapelle. Une vache m’attend, elle avale tout mes dessins.
Mardi 14 mai
Une route sinueuse. Aux abords d’un virage je saute le précipice. Je me retrouve sur un plateau exigu. Je suis avec mes deux enfants. Tout autour de nous, des forêts du précambrien. Un dimétrodon est là devant nous. Nous allons nous cacher derrière un bosquet. J’ai peur que Jacques tombe. Mais c’est Michel qui s’élance dans le vide. Je prends alors Jacques par la main et nous sautons.
Nous voilà perchés dans un arbre, entourés de chiens féroces. Un homme s’approche avec sa carabine, il tire. Jacques et Michel tombent par terre.
Vendredi 21 septembre
Sur le quai de la gare de Tours, j’attend Juliette. Un inconnu s’approche de moi, une épée à la main. Il me demande à quelle heure je pars. Je lui répond que je ne pars pas. Au M.O.M.A., une femme s’approche et me demande un autographe, je lui répond que je n’ai pas de stylo.
A Térézine, Robert est malade. Il est jonché par terre. Il me demande à boire. Je ne peux pas lui répondre. Un SS entre, il me demande mon nom, je ne peut pas lui répondre. Il me tire dessus.
Un couloir noir, une lumière au bout, blanche, qui s’approche lentement. Je saute une marche.
Jeudi 12 novembre
Dans une calèche, en route vers Marseille. Les forêts sont sombres et la route chaotique. En face de moi, Juliette parcoure Elle. Elle me parle de la table de la cuisine. Elle la trouve trop vétuste et me demande si on ne devrait pas en racheter une. Je suis dans mon atelier, la table de la cuisine devant moi. Je dessine dessus des tas de lignes bleues et noires. Je regarde à droite, un liquide rouge s’épand sur mon dessin. Je crie.

Biographie
1910
Naissance de Pierre Félan à Paris le 12 juillet. Il est le fils unique d’instituteurs et vit dans le quartier de Montmartre.
1922
Pierre Félan entre au Lycée Louis-le-Grand. Il prend des cours de dessins aux ateliers Montparnasse sous la direction de Jean Ducret.
1929
Classe d’hypokhâgne au Lycée Henri IV. Premier Prix des ateliers Montparnasse pour son travail sur l’architecture.
Carnet Les monuments morts.
1930
Classe de khâgne. Rencontre de Robert Desnos.
Travail sur la grammaire des lignes droites. Série Prépositions
1932
Normale Supérieur, section philosophie. Série Postpositions.
1933
Première exposition-vente à la galerie Le petit peintre, Paris (21 janvier - 25 février)
1934
Série Appositions.
1935
Création du groupe littéraire Aléations avec R.Desnos.
Début du travail avec André Masson sur la série Duos.
Publication de Aléatatoires.
1936
Professeur de philosophie au lycée Saint-Louis à Paris.
Exposition de la série Duos à La galerie moderne, Paris (16 mars - 12 avril)
Publication de Idiotimides.
1937
Publication de Synonymies & Troubkadours.
1938
Dissolution du groupe Aléations.
1939
Félan est mobilisé et fait prisonnier avec Robert Desnos en Allemagne.
1940
Retour à Paris.
Série Agglomérats.
1942
Ecriture du recueil Hiérarchies.
1943
Félan s’engage dans la résistance.
1944
Félan est arrêté par la gestapo. Il est alors envoyé à Buchenwald puis connaît, pendant plusieurs mois, l’exode misérable à travers les camps de concentrations : Floßenburg, puis Térézine.
1945
Libération de Félan, mort de Robert Desnos. Retour chez ses parents à Paris.
1947
Publication de Hiérarchies, (N.R.F.)
1948
Ecriture du recueil Le Captif.
Galerie Bernheim-Jeune, Paris, (12 mai - 14 juin)
Galerie Etienne Bignou, Paris, (20 septembre - 21 octobre)
1949
Publication du recueil Le Captif.(N.R.F.)
1951
Musée d’Art Moderne de Paris, M.O.M.A., New York (5 juin - 25 juillet)
1953
Félan s’installe à La Chapelle-sur-Loire en Touraine.
Croquis textuels et picturaux.
1954
Tate Gallery, Londres (13 août - 2 septembre)
L’ensemble de son travail est acheté pour 1.200.000$ par un riche industriel américain.
Mariage de Pierre Félan avec Juliette Frémont le 15 novembre.
1955
Naissance de Michel et Jacques Félan. Les parents de Félan arrivent en Touraine.
1959
Musée d’art moderne de Grenoble, (5 février - 23 mars)
Achat de son travail par un émir pour 1.000.000$.
1960
Début de la série Les Lignes Vides.
1965
Exposition itinérante Les Lignes Vides.
M.O.M.A., New York (4 juillet- 12 août)
San Francisco Museum of Art (12 septembre - 14 octobre)
1966
La Medusa, Rome (5 février - 23 mars)
Moderna Museet, Stockholm (20 août - 23 septembre)
1967
Musée d’Art Moderne de Paris (12 janvier - 15 février)
Minami Gallery, Tokyo (28 juillet - 2 septembre)
Palazzo della Permanente, Milan (1er octobre - 20 octobre)
1968
Fundacion Juan March, Madrid (3 août - 19 septembre)
Mort de Marie Félan le 18 septembre et de Henri Félan le 24 novembre.
1969
Félan et sa famille s’installe à Capestere en Guadeloupe.
1970
Réalisation de la série des Bleus et de la série 3.1416
1972
Kunstmuseum, Berne (12 avril - 14 mai)
1974
Scottish National Gallery of Modern Art, Edimbourg (12 juin - 18 juillet)
1976
The Solomon R . Guggenheim Musem, New York (12 janvier - 14 février)
1978
Publication de Carnet de Rêves (N.R.F.).
Mariage de Jacques et Michel Félan à Pointe-à-Pitre.
1979
Vente des Bleus et de 3.1416
1981
Minami Gallery, Tokyo (3 janvier - 14 février)
1985
Vente de Feu Follet pour 3.000.000$ au Musée d’Art Moderne de Tokyo.
1986
Musée d’Art Moderne de Tokyo (12 avril - 12 juin)
1987
Exposition des Bleus au Musée d’Art Moderne de Genève. (3 janvier - 4 septembre)
1990
Mort de Pierre Félan à l’âge de 80 ans.
1992
Rétrospective Félan au Musée d’Art moderne de Toronto.
1995
Publication des textes de Félan dans la collection La Pléïade.

2ème Trimestre 1997
© Jérome Fraissinet, Louveciennes, 1997