Maria Santarès

Impulsions


Avant-Propos
Maria Santarès est une artiste peu connue. Aucun ouvrage n’a été écrit sur elle. Pourtant, elle est un personnage charismatique de la peinture moderne : son travail est riche (écriture et peinture) et sa vie un vrai roman noir. Droguée invétérée, elle a croqué la vie à pleine dent dès sa majorité. Elle a tout le temps cherché qui elle était mais la mort l’a rattrapée alors qu’elle allait enfin jouir de l’existence.
Les textes de Maria Santarès sont le reflet des épreuves qu’elle a affrontées. Ils s’alourdissent de sens et d’intemporalité au fur et à mesure que l’artiste mûrit. Ses peintures suivent le même chemin : l’évolution vers la simplification est naturelle. L’ensemble de ses créations est l’expression même de l’intellectualisation de la douleur.
Dans cet ouvrage, nous avons choisi de vous présenter les différentes périodes de la vie de Santarès ainsi qu’une sélection de ses oeuvres les plus caractéristiques. Elles permettent, nous l’espérons, de saisir l’interaction quasi-permanente entre les épreuves violentes et l’art de cette artiste hors du commun.
Jérome Fraissinet

Sommaire
Avant-Propos
Sommaire
Son Enfance
Carlos, Madrid
Martin Boonwerk
Stephen Aston
La folie
Monochromus
Biographie

Son Enfance

1954-1974
Fille unique, Maria Santarès est élevée dans l’amour parental et dans la dureté du travail agricole. Ses études se déroulent bien, elle arrive à concilier travail dans les vignes et travail scolaire sans problème. Elle arrête pourtant ses études à seize ans (1970) afin de travailler la vigne comme cela se fait dans la région. Rien ne la prédestine à cette période à la peinture et à l’écriture.
Dès sa majorité, Maria Santarès sort souvent à Biarritz dans les bars où elle rencontre de jeunes artistes espagnols underground. Très séduisante, elle est souvent accostée et répond aux avances des peintres. Elle sent là l’occasion de mettre un peu de piment dans sa vie. Ses parents ne s’en inquiètent pas, c’est monnaie courante au pays basque que de faire la fête le week-end.
Lors de son vingtième anniversaire, elle découche et son père ne le supporte pas. Maria, ivre ce soir-là, se fâche très durement avec ses parents : elle ne les reverra plus jusqu'à sa mort. En 1974, elle quitte le foyer parental et va habiter chez Carlos Bodega, un jeune peintre de 24 ans qu’elle a rencontré à Biarritz.
Bayonnage (1974),
Huile, 150x90 cm
Collection particulière
Thermolactile (1974),
Huile, 150x90 cm
M.O.M.A., New York

Carlos, Madrid

1974-1977
Elle commence à peindre dans l’atelier de Carlos. C’est l’action painting (peinture directe) qui l’intéresse. Bodega est lui plus orienté vers la peinture classique. Les tableaux de Maria révèle déjà une importante énergie. Elle peindra durant cette période une dizaine de tableaux dont les célèbres Le Saut du Lit et Mon sang qui d’abord vendus à une galerie de Biarritz seront ensuite revendus aux enchères chez Christie’s en 1983 pour des sommes importantes (200.000$ et 300.000$).
La liaison avec Carlos est orageuse. Elle boit beaucoup et est souvent ivre. Carlos vit lui aussi une vie de dépravé : il boit énormément. Les soirées sont très vives et se terminent souvent par de très violentes disputes d’alcooliques.
Maria commence à écrire à ce moment-là. Ses poèmes sont empreints de violence et de délires d’alcoolique (Vin mortel, Le Lac). Elle peindra en une nuit le tableau Alcools à la suite d’une grosse dispute. Elle quitte en 1975 Carlos pour Madrid lui laissant le texte A moi sur la table. En rejoignant la capitale espagnole, elle souhaite devenir autonome par tous les moyens possibles. Elle est depuis longtemps attirée par l’Espagne.
Le Saut du lit (1974),
Huile, 150x90 cm
Museo espanol de arte contemporaneo, Madrid
Mon sang (1974),
Huile, 150x90 cm
Moderna Museet, Stockholm
Vin mortel (1974)
Morbide sensation : une tombe dans l’oreiller.
La bouteille est vide comme ta cervelle.
Rage debout ! Je dois agir...
Déclin de l’esprit,
Je veux glisser sans respirer.
Aller voir derrière ma jugeote s’il en reste un peu.
Je glisse,
Je glisse,
Je glisse,
Je glisse,
Je glisse,
Je glisse,
Et me vois dans le miroir de la mort,
Cachée derrière une bouteille de vin.
A moi (1974)
J’ai commis quelques erreurs,
J’ai perdu ma jambe hier.
J’ai perdu ma bouteille dans l’Adour.
Ecorchée vive ou grillée à petit feu par la force de ton poignet.
Je ne suis plus celle d’avant.
Je te laisse à tes malheurs : je fabriquerai les miens.
Rouge, Sang, Cicatrice ouverte, Fil perdu, et seringues sans âmes.
Petits équipements pour une vie de jouissance.
Le lac (1974)
Je te vois dissimuler derrière ta haine.
Je te vois arriver vers moi, ton couteau dans la main.
Je te vois me battre à terre.
Je te vois me toucher pendant mes saignements.
Je te vois me violer dans ma chambre.
Je te vois toi mon amour, me flinguer une fois de plus.
Je nous vois tous les deux au bord d’un lac de vin.
Manuscrit du lac, (1974)
Violentes fleurs (1975)
Violentes fleurs aux couleurs congestionnées,
Perdues au fond du jardin, abandonnées.
Cadeaux empoisonnés du bonheur.
Je tombe de mon lit et glisse sur le carrelage froid.
Il n’y a rien au-dessus de moi qu’un plafond blanc.
Je sens ma tête bondir en arrière.
Elle revient et s’entrechoque avec elle-même.
Je saigne à l’intérieur,
J’aperçois ton sexe bouillant,
Ce dard aiguisé qui me transperce et me fait vivre.
Envol virtuel (1975)
L’oiseau vole au-dessus de Madrid.
La fumée l’étouffe.
Il redescend rue Santa-Monica :
Je lui ouvre la fenêtre.
Il me donne ses ailes, je lui prête ma seringue.
Je l’attrape par la queue,
Je le montre à ses messieurs.
Je lui broie les pattes,
Je le plume et suce jusqu’au sang.
Je retrouve enfin ma substance : mon envol virtuel.
En finir (1976)
Salauds, Connards, Enfoirés, Pédés, Salopards, Enculés, Mortels ...
Tous ces hommes que je voie passer : aucun ne m’attire, tous me révulsent.
Ma haine est féconde, mon corps ne l’est jamais.
Je ne suis plus qu’un trou : un trou dehors, un trou dedans.
Je ne vois plus que des aiguilles : des molles, des dures, en acier, en peau boutonneuse...
Maman, je te hais ; Papa, je te hais.
Vous, tous, périssez dans une sombre et mortelle farandole :
c’est moi qui donne le rythme et vous qui dansez autour.
Le tableau rouge (1976)
Assassinat des hommes,
Je les prends dans mon panier. Je les jette dans le fleuve.
Je plonge sur eux. Je les coule au fond.
Ils me montrent leurs têtes hagardes,
Je leur souris et les transperce de ma seringue la plus pointue.
Je pars vite dans le fleuve,
Tout va vite : rien ne s’arrête.
Mon cœur s’emballe : ils sont tous morts.
Je les maudis, les hais et je revois dans ma chambre :
Le tableau rouge, le tableau rouge, le tableau rouge, le tableau rouge ...
Putain de chienne de vie...
Elle s’installe dans une petite chambre et ne trouvant pas de travail viable, elle se prostitue pour vivre. Elle fréquente les quartiers chauds où elle y rencontre tous les débauchés du milieu artistique madrilène. Elle s’adonne aux drogues dures et sombre très rapidement dans le cycle infernal de l’héroïne qu’elle aura toujours du mal à oublier. Elle continue cependant à peindre dans sa chambre des toiles de plus en plus violentes dont le fameux Spaghettis vendu en 1983 chez Christie’s (1.500.000$). Son écriture à cette période est très virulente, emplit de sang, de brutalité et de dureté (En finir, Le tableau rouge).
En 1977, le galiériste hollandais Martin Boonwerk de passage à Madrid la rencontre. Elle répond à ses avances. Dans la chambre, Martin est éblouit par l’énergie des tableaux de Maria. Il s’attache à elle et la rencontre très régulièrement durant un mois avant de lui proposer de rentrer avec lui à Amsterdam. Maria accepte non sans peine. Elle se dit finalement qu’un homme comme Martin, plus âgé qu’elle et déjà rangé dans la vie active, pourra l’entretenir.
Alcools (1975),
Huile, 150x90 cm
San Francisco Museum of Art, San Franciso
Spaghettis (1976),
Huile, 150x90 cm
M.O.M.A., New York

Martin Boonwerk

1977-1979
A Amsterdam, dès son arrivée, elle sort beaucoup et n’arrive pas, malgré les nombreux conseils de Martin, à arrêter l’héroïne. Sa peinture évolue : elle est moins violente, plus posée. Elle tisse des toiles sur ses tableaux simplifiant les tâches de ses débuts en des aplats plus structurés (Rue Santa-Monica). Parallèlement, ses textes évoluent aussi : le contraste froid-chaud de cette ville l’instabilise et elle s’enferme dans une poésie glauque (Le petit scarabée, Au fond de mon lit).
La relation qu’elle entretient avec les hommes se dégrade là encore. Martin, qui tient beaucoup à elle la programme dans sa galerie (Galerie Martin Boowerk, Amsterdam) en mars 1978. Elle ne s’en étonne pas ni ne s’en orgueillit.
Cette exposition est un véritable succès : elle vendra beaucoup de tableaux à des prix parfois importants (30.000$ pour Héroïne qui sera revendu en 1990 au Guggenheim pour 900.000$). Martin en est très fier et commence déjà à " traîner " Maria dans des cocktails mondains en la montrant un peu comme " un chien savant ". Maria se sent de plus en plus mal à l’aise et préfère quitter Martin en avril 1979 pour mener sa vie comme elle l’entend, maintenant qu’elle en a les moyens. Elle lui laisse le tableau Rue Santa-Monica qu’il revendra en juillet au Musée d’Art Moderne de Tokyo pour 1.300.000$, permettant à son insu de faire reconnaître Maria Santarès dans le monde entier.
Héroïne (1977),
Huile, 150x90 cm
The Solomon R . Guggenheim Musem, New York
Rue Santa-Monica (1977),
Huile, 150x90 cm
National Museum of Modern Art, Tokyo
Le petit scarabée (1977)
Dans sa boîte noire, il est enfermé.
Il ne respire plus, il est asphyxié.
Il ne vit plus, il est mort.
Sa tête bouge, ses réflexes lui survivent.
Recroquevillé sur lui-même, il rejoint la position du foetus.
Il se cache dans un coin de sa toute petite boîte.
Il se désagrège.
Plus tard.
Un petit tas de poussière ne lui ressemble plus.
Une fourmi, puis une autre, puis une colonie
Viennent s’abreuver de cette substance tristement organique.
Au fond de mon lit (1977)
Je l'attends encore tout au fond de mon lit.
Les couvertures noires m’ensevelissent.
Je suis catapultée dans les catacombes,
Je ne vois plus que les reflets de l’univers : les trous des draps.
Je suis sourde maintenant, presque aveugle.
Les tâches blanches virevoltent sous mes paupières :
des éclairs rougeoyants transpercent ma peau.
J’ai chaud, très chaud...
Je vois au fond une dose toute blanche :
je la prends et me l’insère dans mes veines brûlantes.
Un doux liquide blanchâtre vient heurter mon cerveau :
Je sors des couvertures : il fait nuit.
Il n’est pas là : je m’évanouis.
Mon Bled (1978),
Huile, 150x90 cm
Palais des Beaux-Arts, Pékin 
L’Oasis (1978),
Huile, 150x90 cm
Centre Georges Pompidou, Paris
Mes amis les vers de terre (1978)
Sous la terre,
Un ver de terre glisse sur mon épaule,
Un autre me transperce l’œil,
Un autre me prend par derrière : je jouis.
J’avale une gorgée d’engrais.
J’avale une gorgée de petites fourmis,
Les pousses d'un poireau m’étouffent :
Je sors la tête.
Un chien qui passe par là me chie dessus.
Je pue et replonge sous terre parmi mes amis les vers de terre.
La Charbonnière (1978),
Acrylique, 150x90 cm
Stedelijk Museum, Amsterdam
Homicide Involontaire (1978),
Acrylique, 150x90 cm
Stedelijk Museum, Amsterdam

Stephen Aston

1979-1983
Elle s’installe toute seule dans un grand atelier d’Amsterdam. Sa peinture évolue doucement : les aplats sont de plus en plus grands mais les couleurs restent chaudes. Elle peindra fin 1979 le tableau Trans qu’elle vendra aux enchères au Stedelijk Museum d’Amsterdam le 6 février 1980 pour une somme extraordinaire (2.500.000$) après une heure et demi d’enchères (l’offre du départ n’était que de 50.000$). Elle saura, plus tard, que Martin Boonwerk n’y était pas pour rien : il avait contacté les grands musées sachant le désir de Maria de vendre cette toile exceptionnelle.
Dans son atelier, elle invite de nombreux artistes New-yorkais avec qui elle discute de longues heures sur la platitude du temps. Elle a arrêté l’héroïne mais goûte aux champignons hallucinogènes. Elle organise avec des artistes de longues journées Zen et Trans. Elle est très attirée par l’art africain et le transcrit dans des poèmes sur l’aliénation de l’homme (Trans-Africa) ainsi que dans ses peintures mêlant les couleurs et les structures des jachères (L’Oasis, Mon bled)
Elle rencontre Stephen Aston en juin 1980 et se lie très vite avec lui. Stephen Aston est un sculpteur New-yorkais de 62 ans reconnu dans le monde très fermé de l’art africain.
Trans-Africa (1979)
Longtemps, je me souviens.
De vastes étendues asséchées, des plaines craquelées ...
Le long du rideau de pluie : des hommes crient
Autour d’un sorcier envenimé par le démon des dieux.
Un espace s’ouvre entre le ciel et la terre
Kunteo s’agite,
Frénétiquement, il danse
Dans ses mains, les restes d’un cochon écorché vif.
Haut vers les dieux, des bouts sanguinolents
L’abreuvent.
Avidement, il boit.
Noir, le dieu descend sur terre pour une expédition punitive.
Il les scrute un à un les brûlant par son regard.
Leurs yeux enflammés touchent à la divinité.
Envol, tambours, humiliation : vers les fonds de l’univers.
Trans (1979),
Acrylique, 150x90 cm
Stedelijk Museum, Amsterdam
Trans Zénique (1981)
A travers les nuits amères de la création,
Furieusement, s’empressent les hommes de se battre.
Ils regardent à l’horizon leur avenir.
Je regarde à leur pied leur présent.
Ils suivent une longue et fine ligne qui fait le tour de l’univers,
Elle leur revient dans l’autre œil.
D’un côté comme de l’autre ils suivent le même chemin.
Moi, je les vois se fourvoyer aux confins de leur espérance.
Je ne les suis plus, je préfère les voir se tromper.
Je m’élève dans l’atmosphère.
Régulièrement, je croise les pieds et claque des mains.
Ils dansent tous en bas sur mon rythme.
Enfin seule, eux courant devant.
Je les vois glisser le long de la courbe,
Je me vois les pousser un peu plus bas.
Je reste haute.
Je baisse les yeux,
Sous l’arc de l’existence est une couleur inconnue,
Une flexion mêlant les matières surnaturelles,
Un hommage à l’éternité.
Pris par la danse et les bois qui craquent,
Je soutiens le grincement du métal sur la vitre.
Le miroir qui me sépare d’eux :
Celle de l’aliénation universelle.
Avez-vous vu ces corps domptés par l’homme,
Avez-vous vu ce corps social dompté par l’homme,
Avez-vous vu la beauté de la femme,
Elle n’existe pas, rien n’existe plus qu’une surface sans épaisseur.
Vision (1980)
Un long fil angoissant transperce le temps.
Un long plan angoissant transperce l’espace.
Sur le point qui les joint : je vois l’univers et l’espace tout entier.
Je touche du doigt l’éternité, l'infinie substance de la maturité.
Les couleurs s’entrechoquent avec les secondes.
Les heures sont tour à tour fades et acides.
Au bout du fil : une explosion
Au bout du fil : un homme perdu.
Petit et rabougri : je le touche et il se désintègre à mon contact.
Univers, Immensité ou Illusion, rien ne m’échappe.
Enfin, j’ai touché l’essence ...
Evolution (1983)
Blanc, Blanc, Blanc,
Blanc, Blanc, Vert,
Blanc, Vert, Vert,
Vert, Vert, Vert.
Vert, Vert, Vert,
Vert, Vert, Bleu,
Vert, Bleu, Bleu,
Bleu, Bleu, Bleu.
Bleu, Bleu, Bleu,
Bleu, Bleu, Blanc,
Bleu, Blanc, Blanc,
Blanc, Blanc, Blanc.
xZen 412 (1980),
Acrylique, 150x90 cm
Kunstverein, Hambourg
Auto-métadone (1980),
Acrylique, 150x90 cm
Tate Gallery, Londres
Maria appréhende cette nouvelle relation. Mais, il lui semble qu’elle est arrivée à maturité (26 ans) pour vivre enfin une vie commune avec une personne qu’elle sent remarquable. Elle écrit des textes sur l’éternité tant spatiale que temporelle (Vision). Son travail évolue vite et les tableaux s’accumulent dans son atelier. Dès octobre 1980, elle expose un peu partout dans le monde (Stedelijk Museum à Amsterdam, Musée d’Art Moderne de Paris, Tate Gallery à Londres, Kunstverein à Hambourg, M.O.M.A. de New York) vendant ses tableaux à des particuliers mais aussi à certains musées reconnus (jusqu'à 800.000$ pour Auto-métadone).
Elle publie en 1981 un carnet de poèmes " Trans Zénique " dans la collection Poésie/Gallimard qui sera très lu dans le milieu rock underground du moment. Son travail pictural évolue de 1980 à 1982 vers le monochrome. Elle peint en particulier la série de 12 bichromes Bichromus qui sera vendu au Métropolitan Museum of Art de New York (3.000.000 $).
La critique s’émerveille de la qualité de la composition bichromique :
" Le travail de Santarès est étonnant, les images affluent, les couleurs disparaissent ", Marc Chaunard (Le Monde, 6 Novembre 1982).
" Ces douze bichromes sont l’expression même de l’adéquation entre Maria Santarès et son milieu : les couleurs sont celles de la violence et de la froideur d’Amsterdam. ", Pierre Hanson (Art News, New York Novembre 1982)
En 1983, Maria est enceinte. Elle vit sa maternité comme " le plus grand bonheur qu’elle n'a jamais eu ". Elle arrête durant neuf mois tous les vices auxquels elle s’est adonné, ainsi que la peinture. Elle se consacre à l’écriture de poèmes pour son enfant (Evolution) qui transcrivent la simplicité et la force de sa peinture.
AfterDose (1981),
Acrylique, 200x200 cm
Metropolitan Museum of Art, Boston
 
Halus (1981),
Acrylique, 150x90 cm
Museo de bellas artes, Caracas
Contreparties (1982),Mosaüs (1982),
Huile, 150x90 cmHuile, 150x90 cm
M.O.M.A., New YorkM.O.M.A., New York
Blus (1982)Insertion (1982)
Acrylique, 150x90 cmAcrylique, 150x90 cm
M.O.M.A., New YorkM.O.M.A., New York
Rus (1982)Articulation (1982)
Acrylique, 150x90 cmAcrylique, 150x90 cm
M.O.M.A., New YorkM.O.M.A., New York
Collines (1982)Stop (1982)
Acrylique, 150x90 cmAcrylique, 150x90 cm
M.O.M.A., New YorkM.O.M.A., New York
Champignons (1982)Le Monstre (1982)
Acrylique, 150x90 cmAcrylique, 150x90 cm
M.O.M.A., New YorkM.O.M.A., New York
Des trous dans ma peau (1982)Les Trains (1982)
Acrylique, 150x90 cmAcrylique, 150x90 cm
M.O.M.A., New YorkM.O.M.A., New York

La folie

1983-1986
Le 15 décembre 1983, Maria Santarès accouche d’un enfant mort-né. C’est pour elle le tournant véritable de sa vie. Elle quitte sur le champ Stephen Aston et replonge très rapidement et très durement dans la drogue. Elle ne peint plus et n’écrit plus durant toute l’année 1984.
Elle se débauche de toutes les manières possibles. Elle mène une vie sexuelle très intense et est atteinte du SIDA qu’elle n’avouera avoir que très peu de temps avant sa mort. Elle use de toutes les drogues : alcool, héroïne, acides, champignons... Elle n’arrive pas à remonter la pente et lors d’une soirée mondaine, à la suite d’actes très violents elle est internée à l’asile psychiatrique St-Joseph d’Amsterdam le 25 novembre 1984.
Son internement l’oblige à arrêter tout processus toxicologique. Elle fait de violentes crises de manque au début puis finit par se calmer broyant sur elle-même tous les maux de la terre. Vers juin 1985, elle entreprend l’écriture de nouvelles poésies métaphysiques (Mystique Solitude). Elle y décrit un monde vide de sens, perdu " comme un bout de bouteille dans l’océan ". Durant l’année 1986, lors de sa thérapie elle écrit plus sur la maternité mêlant les processus de la création biologique et ceux de la création artistique (Sous-Violence, Créations maudites).
Mystique solitude (1985)
Tous ces murs blancs autour de moi,
Leurs reflets imperceptibles gagnent mes pensées.
Dans les nuages, la neige et le brouillard, j’émiette mon âme.
Seule dans cette chambre entre un lit et une fenêtre glacée.
Devant, derrière, au-dessus de moi.
Rien ne respire : quelque chose me parle,
Je tourne sur moi-même, je ne vois rien.
Qu’un vaste flou et une lueur passée.
Dans quelle direction regarder.
Quel itinéraire existe ?
Quel chemin existe ?
Suis-je ici où là-bas : suis-je moi-même ?
Le cap n’est pas : si je lui tourne le dos, il est en face de moi.
Si je suis face à lui, il est en face de moi.
Tout y mène : rien ne l’atteint.
Le bas et le haut sont illusions,
En me retournant, ils s’échangent.
L’identité n’est qu’une image,
L’existence n’est qu’une identité.
Toute est image sauf si nous sommes aveugles.
Comme un bout de bouteille perdu dans l’océan,
Le vague à l’âme surgit par dessus les mers,
Au-dessus de moi et des autres.
Substance ou néant : le mot prévaut.
J’attire les espaces infinis,
J’attire le vide,
J’attire les monstres de mes nuits,
J’attire les dieux des temps,
J’attire mon bras vers moi-même :
Héroïne !!
Sous-violence (1986)
Où est passée mon enfance,
Où est passé mon enfant,
Où est passée ma vie,
Où est passé mon avenir.
Je sens dans mon ventre un vide amer,
Un acide qui coule et brûle ma fécondité,
Une torpeur acide qui cède la place à mon délire.
Créations maudites (1986)
Dans mon esprit s’allient les mots pour définir.
Je recherche dans mon cœur des mots qui n’y sont pas.
Je recherche dans mes veines des peurs qui m’empoisonnent.
Des fois à la recherche de douleurs cérébrales,
D’autres fois à la recherche de douleurs physiques,
Des fois à la recherche de joies cérébrales,
D’autres fois à la recherche de joies physiques.
Puissance orgasmique, puissance des couleurs,
Haine de mon ventre, Haine des mes veines,
Haine de mon corps, Haine de mon esprit.
Que le pinceau guide,
Que le sexe tue,
Que les mots promènent,
La création est un long accouchement.
 
Mon enfant
Mes arts
Gestation
9 mois
Des jours et des nuits
Satisfaction
Inconnue
Inconnue
Espoir
Voir la vie, la mienne en plus petit
Aucune
Survie
Aucune
Aucune
Que ce soit moi ou une autre,
Que ce soit des couleurs ou une masse organique,
De mes mains je fais. Mais je vis.
L’asile (1986)
Acrylique, 150x90 cm
Tel Aviv Museum, Tel Aviv
Le fou (1986)
Acrylique, 150x90 cm
Stedelijk Museum, Amsterdam
 
 
 
 
 
 
 
La crique (1986),
Acrylique, 150x90 cm
Museo de bellas artes, Caracas

Monochromus

1986-1988
Fin 1986, après deux ans d’internement, elle sort de l’hôpital partiellement guérie de sa folie. Elle se joint à une association de jeunes artistes : Jung Experience. Elle s’y sent bien. La vie communautaire la satisfait : durant cette période, elle reprend la peinture là où elle l’avait laissé mêlant couleurs chaudes et intenses (La crique, L’asile, Le fou). Elle arrête désormais l’écriture.
Sa peinture est exposée dans de nombreux musées via l’association. (Institute of Arts de Southampton, Tel Aviv Museum de Tel Aviv, Scottish National Gallery of Modern Art d’Edimbourg). Elle est là reconnue à nouveau par la critique qui juge la force de la peinture de Maria Santarès mais qui est aussi plein de fascination pour la vie passionnée de cette artiste.
Cela l’encourage à revivre toute seule. En 1987, elle peindra les deux Diphormes. Cela l’inspire, et elle crée cette année-là la grande série Monochromus de huit monochromes qu’elle vendra au Museo espanol de arte contemporaneo de Madrid (2.200.000$). La critique apprécie tout particulièrement la disposition des monochromes au M.O.M.A. (retranscrit dans ce livre). En 1988, elle réalise de nombreuses expositions dans les grands musées internationaux (Stedelijk Museum à Amsterdam, Centre Georges Pompidou à Paris, M.O.M.A. de New York, Kunsthalle de Berlin, Museo espanol de arte contemporaneo à Madrid).
A New York, le 12 décembre 1988, lors d’une soirée avec des artistes underground elle reprendra de l’héroïne. Elle succombe le lendemain d’une overdose.
Le Stedelijk Museum d’Amsterdam a présenté une rétrospective en février 1990 retraçant l’ensemble de l’œuvre picturale et littéraire de Maria Santarès sous le nom Impulsions mortelles.
Diphormes I et II (1987),
Acrylique, 200x200 cm
M.O.M.A., New York
Monochromus MI
Monochromus MII
Monochromus MIII
Monochromus MIV
Monochromus MV
Monochromus MVI
Monochromus MVII
Monochromus MVIII
Monochromus (1987),
Acrylique 150x90 cm
Museo espanol de arte contemporaneo, Madrid

Biographie
1954
Naissance de Maria Santarès à Arbonne près de Biarritz en Espagne le 5 octobre 1954, fille de Pedro et Carmen Santarès.
1970
Arrêt de l’école pour aider son père viticulteur.
1972
Rencontre des artistes de Biarritz lors de nombreuses soirées.
Début de sa passion pour la peinture.
1974
Maria Santarès quitte le foyer familial et s’installe avec le jeune peintre Carlos Bodega à Biarritz. Début de l’Action Painting, écriture violente.
1975
A la suite de sa relation difficile avec Bodega, Maria Santarès quitte Biarritz pour Madrid où elle se prostitue pour vivre. Début de sa dépendance à l’héroïne.
1977
Rencontre et début de la relation avec le galiériste hollandais Martin Boonwerk. Départ vers Amsterdam où elle s’installe avec lui. Début de ses peintures " toiles ".
Galerie Martin Boonwerk, Amsterdam, 1er mars - 30 mars
1979
Fin de la liaison avec Boonwerk. Elle s’installe toute seule à Amsterdam.
Vente au National Museum of Modern Art, Tokyo du tableau Rue Santa-Monica pour 1.300.000$ par Martin Boonwerk.
Début de sa toxicomanie hallucinogène.
Travail sur les aplats, poésie glauque.
1980
Vente au Stedelijk Museum , Amsterdam du tableau Trans pour 2.500.000$ après une heure et demi d’enchères.
Rencontre et liaison avec le sculpteur Stephen Aston.
Kunstverein, Hambourg, 5 octobre - 15 novembre
M.O.M.A., New York, 6 décembre - 3 février
1981
Publication de " Trans Zénique " dans la collection Poésie/Gallimard.
Expositions dans le monde entier.
Stedelijk Museum , Amsterdam, 15 mars -25 mars
Musée d’Art Moderne, Paris, 10 avril - 3 juin
Tate Gallery, Londres, 1er juillet - 1er septembre
1982
Vente de la série des 12 Bichromus pour 3.000.000$ au Métropolitan Museum of Art de New York
1983
Vente chez Christie’s le 5 juillet des anciens tableaux de Maria Santarès
Le Saut du Lit (200.000 $), Mon Sang (300.000$), Alcools (400.000$) et Spaghettis (1.500.000$)
le 15 décembre : Naissance de l’enfant mort-né de Maria Santarès.
1984
le 25 novembre: internement à l’asile psychiatrique St-Joseph d’Amsterdam.
1986
Sortie de l’asile, travaille dans l’association Jung Experience.
Institute of Arts, Southampton, 12 avril - 1er juin
Tel Aviv Museum, Tel Aviv, 1er juillet - 1er août
Scottish National Gallery of Modern Art, Edimbourg, 5 août - 15 septembre
1987
Travaille seule à Amsterdam,
Préparation de la série des 8 monochromes Monochromus.
1988
Expositions dans les musées internationaux.
Vente des deux Diphormes pour 1.000.000$ au M.O.M.A. de New York
Vente de la série Monochromus pour 2.000.000$ au Museo espanol de arte contemporaneo de Madrid.
Stedelijk Museum, Amsterdam, 12 janvier - 12 mars
Centre Georges Pompidou, Paris, 13 avril - 15 mai
Kunsthalle ,Berlin, 25 mai - 25 juin
Museo espanol de arte contemporaneo, Madrid, 1er juillet - 1er octobre
M.O.M.A., New York, 1er décembre - 30 décembre
le 12 décembre 1988 : mort de Maria Santarès d’une overdose d’héroïne.
1990
Rétrospective Maria Santarès au Stedelijk Museum, Amsterdam, 1er février- 3 mars
4ème Trimestre 1996
© Jérome Fraissinet, Louveciennes, 1996