Le blocus et la capitulation de metz vus depuis paris

(15 septembre - 15 novembre 1870)

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Octobre 2000 : L'article ci-dessous fait suite au travail que j'ai effectué sur la "trahison de Bazaine". La volonté de comprendre comment s'était répandue la conviction collective de la trahison du maréchal dans l'esprit de ses contemporains, m'a conduit à jeter un œil sur la correspondance ou les journaux intimes rédigés par des Parisiens pendant le siège de la capitale. Cette analyse m'a permis de voir comment ils ont (ou non) vécu le drame de Metz ; elle a surtout fait apparaître les circonstances qui ont déterminé l'inébranlable conviction populaire de la trahison.

27 octobre 1870, l'armée du Rhin bloquée à Metz capitule. Le jour même, Paris en est officieusement informé par Félix Pyat dans le Combat, nouvelle qui est confirmée le 31, provoquant stupeur et colère des Parisiens. Dans un contexte d'émeute, et sans que la moindre preuve d'un tel crime ait pu être apportée, l'idée de trahison s'impose d'emblée. Dès les premières rumeurs de l'événement, elle se répand et cristallise l'émotion de toute la population. Mais pourquoi une accusation aussi grave alors que rien ni personne  dans Paris insurgé n'était en mesure de savoir ce qui s'était exactement passé à Metz ? Et pourquoi n'a-t-elle n'a jamais pu être totalement corrigée en dépit des conclusions du procès de Trianon (1873) au terme duquel le maréchal Bazaine, bien que reconnu coupable de fautes graves méritant peine de mort, ne fut pas reconnu "traître" ? Dans le cadre d'une réflexion sur la Mémoire collective et les erreurs qu'elle peut entretenir, la question à elle seule mérite d'être soulevée. Elle interpelle aussi quand on cherche à comprendre le conflit lui-même, son déroulement ou les raisons de la défaite. Pour ses contemporains, Bazaine fut estimé coupable de n'avoir pas fait le nécessaire pour dégager Paris, d'avoir rendu les armes de la seule armée opérationnelle qui restait à la France sans se préoccuper des efforts que la République développait pour renverser le cours de la guerre ; sa capitulation a été vécue comme un coup de poignard dans le dos. Soit ! Mais, dans le même temps, que faisait Paris pour aider Bazaine à briser le blocus auquel son armée était soumise ? Quels messages les autorités de la République lui ont-elles adressés pour l'encourager à tenir jusqu'à la limite du possible ? Paris a accusé le maréchal des crimes les plus honteux, mais qu'ont fait les responsables de la Défense nationale pour empêcher que le crime soit commis ? C'est dans cette optique qu'on peut s'interroger sur la manière dont le siège de Metz et la capitulation de l'armée du Rhin ont été suivis depuis Paris. L'analyse permettrait d'atteindre deux objectifs : montrer la part des responsabilités de Paris (ou de Tours) dans la reddition de Metz ; mettre en lumière le mécanisme psychologique capable de créer une certitude collective hors de toute preuve matérielle. C'est toute une ambiance de l'année terrible qui pourrait être ainsi reconstituée.

 

Approche méthodologique

Pour bien comprendre le processus dont il est question, il faut pouvoir reconstruire le climat qui a pesé sur les réactions ou déterminé l'orientation de l'opinion. Dans cette optique, on pourrait utiliser les journaux de Paris ; mais nous disposons aussi des réactions de la population telles qu'elles apparaissent dans les correspondances ou les journaux intimes que rédigèrent certains Parisiens. Ces documents sont intéressants dans la mesure où ils nous mettent au contact direct de ce que ressentait le public, hors de toutes les pressions ou enjeux véhiculés par les médias et dirigeants politiques dont ils étaient les porte-paroles. 

Beaucoup d'écrits nous sont parvenus. A ce jour, nous n'avons pas pu analyser en détail tout le matériel disponible. Par défaut, notre analyse se fera donc à partir de 20 textes que nous avons eu le loisir d'étudier d'un peu plus près que les autres. Cet échantillon peut paraître maigre mais il répond à une première exigence, à savoir que les textes concernés couvrent l'ensemble de la période allant du 18 septembre 1870 (date de l'investissement de Paris par l'armée allemande) au 15 novembre (date où parvient à Paris la déclaration de Gambetta proclamant la "trahison de Bazaine"). Nous les avons aussi retenus parce qu'ils ont tous été écrits de manière régulière pendant ces journées et non plus tard, dans le cadre de "souvenirs". On y trouve ainsi écho de l'ambiance au jour le jour, des sentiments qui s'expriment que ce soit ceux de l'écrivant ou ceux des Parisiens que ce dernier observe et dont il décrit les comportements. Ces textes émanent par ailleurs de personnalités assez différentes en terme de convictions politiques, de profession, d'origines, d'âge ou de sexe pour offrir un panel intéressant à défaut d'être pleinement représentatif : nous avons 5 militaires (Colonna Ceccaldi, Darnaud, Leconte, Murat et un anonyme) et 15 civils dont 4 femmes (Mmes de Witt, Lamber, Quinet et Sebran) ; parmi les civils, on relève deux écrivains (Goncourt et Mme Lamber), un peintre (Manet), un médecin (Desplats) et un pharmacien (Bosredon), un bourgeois anonyme ; un provincial (Raoul B), un couple (M. et Mme Morsier) et un étranger (Schuler qui est Suisse). Certes, ces écrivants1 appartiennent tous à la bonne bourgeoisie républicaine. Nous n'avons pas de témoignages d'ouvriers ou d'artisans des quartiers populaires. Des convictions variées s'expriment toutefois, des plus "révolutionnaires" comme celles de Mme Lamber aux plus conservateurs (Murat, Cornudet), en passant par les moins politisées (Mme Sebran). Certains sont très bien renseignés parce qu'ils sont proches de responsables politiques (Mme Quinet, Mme Lamber ou du Mesnil), d'autre beaucoup moins (Desplats ou Morsier). Parce qu'ils sont aux avant-postes, les militaires reçoivent peu d'informations (ou toujours en retard) ; leurs analyses sont souvent moins averties de la réalité de Paris intra muros ; en revanche, elles sont souvent moins passionnées ou plus réalistes sur le plan militaire. Ajoutons à ces témoignages directs ceux fournis par le bourgeois anonyme qui, pour chaque jour, nous donne l'indice du 3%, la Bourse ! Un bon baromètre de l'opinion ? Peut-être pas, mais il mérite qu'on en étudie les sursauts. 

En dépit des lacunes qu'il recèle, on peut donc estimer l'échantillon assez varié et offrant des regards assez avertis pour nous donner une idée de l'ambiance qui régnait dans Paris. Toutefois, au gré des nouvelles et des rumeurs qui circulent ou selon les personnalités qui s'expriment, celle-ci s'avère vite changeante, capricieuse, voire impossible à cerner au plus près. Pour parvenir à dessiner une ambiance globale dont la teneur et les évolutions puissent être considérées comme représentatives, il apparaît nécessaire de dresser un tableau au jour le jour des sentiments de Paris dont ces gens se font l'écho, qu'ils partagent l'opinion générale qu'ils côtoient ou qu'ils la contestent. C'est ce que nous avons fait sur le modèle présenté ci-dessous.

 

Modèle du tableau d'analyse

 Date

Evénement                                             sentiment                                                 Auteur

18/09

Investissement de Paris

« résignons nous »

« spectacle qui serre le cœur »

De Witt

Schuler

19/09

 

« peuple dégoûté…malheur à l’ennemi »

Consternation

« ardeur…bon augure »

inquiétudes

« épouvante des parisiens »

Raoul

Bosredon

Desplats

Goncourt

Schuler

20/09

Échec de Châtillon

Exaspération 

« nous raisonnons trop » 

« je souffre si cruellement »

« impression de tristesse navrante… »

Déçu, écœurés

dépit

Raoul

Mesnil

Lamber

Moland

Morsier

Quinet

21/09

Trochu critique les troupes

« esprit meilleur…Paris résistera »

« les esprits sont très montés »

Raoul

lamber

22/09

 

« anxiété générale »

Quinet

 

En mettant ainsi côte à côte les impressions de chacun, on peut faire apparaître l'évolution du sentiment public, cerner les moments de découragement ou, au contraire, les périodes pendant lesquelles la pression monte, et saisir ainsi dans quel état d'esprit vivaient les Parisiens au moment où le sort du pays se jouait. Qu'en ressort-il précisément ? Trois temps se dessinent.

 

18 septembre - 10 octobre : réactions cyclothymiques et  "silence" des Parisiens sur Metz.

Dans cette période, il est impossible de définir une tendance générale et commune à tous, un sentiment qui soit partagé et continu. Les jours d'espoir suivis de déprime et vice-versa se succèdent. Certes, le moral n'est par très bon. L'anxiété est générale observe Mme Quinet le 22 septembre. Mais dans le détail le sentiment est instable. Après l'exaspération des premiers jours du siège provoquée par la débandade des zouaves à Châtillon, l'optimisme s'affirme (fin du mois de Septembre) ; mais il retombe vite quand survient l'annonce de la capitulation de Toul et de Strasbourg au début d'octobre. Je me réjouis (...) mais je suis inquiet écrit l'un de nos auteurs (anonyme) le 6 octobre, traduisant cette hésitation permanente des Parisiens qui ne savent trop ce qu'ils doivent espérer. Ils doutent des bonnes nouvelles trop souvent démenties par de mauvaises qui leur succèdent. Et quand ils manifestent un espoir nouveau, ils semblent plus le faire pour se convaincre que tout va aller mieux que parce qu'ils y croient vraiment : un nouvel avenir se présente écrit le Dr Desplat (27/9) ayons donc confiance (28/9). Mais on sent qu'il le dit pour mieux s'en convaincre, se référant à la bonne vieille méthode Coué ! Edmond Goncourt n'est pas dupe de cette inconstance régnante quand il constate ces hauts et ces bas de l'espérance (23/9) ; nous vaincrons ! lance le capitaine Darnaud le 6 Octobre. Mais on se demande si ce n'est pas pour conjurer le sort plus que par conviction. Alternance de colères ou d'inquiétudes d'une part, d'espoirs et d'impatiences patriotiques d'autre part. Cette opinion changeante n'est pas vécue au même rythme par les uns et les autres. Le même jour (2/10) Cornudet exprime sa confiance dans l'avenir, Mme Sebran se réjouit de la belle journée, tandis que le cœur de Mme Lamber se déchire et que Schuler avoue sa tristesse. Le 4, Desplat affirme que la situation s'améliore tous les jours quand Moland exprime sa profonde inquiétude. L'un espère quand l'autre se démoralise et vice-versa. Inquiets ou désabusés, les Parisiens veulent y croire mais entretiennent de bonnes raisons de douter.  

.../...

Pour avoir accès à la suite de cet article (dont figure ci-dessous, le plan) écrivez moi à l'adresse suivante : jflecaillon@noos.fr. Je me ferai un plaisir de vous l'adresser.

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10 au 26 octobre : Une confiance croissante des Parisiens

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27 octobre - 15 novembre : le "bruit" de la capitulation. 

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Ultimes commentaires en termes de conclusions :

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L'analyse montre aussi toutes les "illusions" qu'entretenait Paris et l'origine de celles-ci : pour les Parisiens, la capitale comptait plus que tout le reste, plus que Metz et l'armée qu'elle renfermait. Le parisianisme a produit un aveuglement à tous les échelons, des autorités aux simples citoyens, et il a conduit à privilégier le sort de la capitale sans comprendre que (malgré le désastre de Sedan) tout devait être fait pour sauver Metz en l'informant, en tissant des liens avec le commandement de l'armée du Rhin, en définissant une stratégie qui permettrait d'aider cette armée à tenir plus longtemps ou à sortir, ce qui n'a jamais été fait. Bazaine a peut-être trahi au sens où il a déçu les espérances ; mais c'est toute l'armée du Rhin qui a d'abord été abandonnée par le gouvernement et par Paris.

 Jean-François LECAILLON

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