MON PARCOURS
(mise à jour : 30/11/2018)
Vous
trouverez dans cette page un court résumé des principaux travaux de recherches
que j'ai eu l'occasion d'accomplir. Pour chacun d'eux, vous sera indiqué le thème
de la recherche, ses conditions, les objectifs fixés, les thèses ou idées
soutenues, les difficultés rencontrées et, dans la mesure du possible,
l'expression de problématiques complémentaires susceptibles de renvoyer à
d'autres chercheurs qui y répondent ou, peut-être, de susciter quelques
vocations ?
Les missions franciscaines de la Sierra Gorda (XVIIIe siècle)
Les
Indiens du Mexique face à l'intervention française (XIX
1976-1977 : Maîtrise d'histoire -
"Le salut des âmes … au service des deux majestés" ; Action et
influence des missionnaires franciscains du collège de Pachuca dans les
missions de la Sierra Gorda au 18ème
siècle, ou les illusions
missionnaires.
Un travail
modeste d'étudiant apprenant son métier directement sur le terrain.
Il me fut confié
par le directeur de la Mission Archéologique et Ethnologique Française de
Mexico (MAEFM), M. Guy Stresser-Péan. Il s'agissait d'étudier le développement de 5
missions franciscaines établies au 18ème siècle dans la Sierra
Gorda, une chaîne de montagnes sauvages situées à 300 km au nord de Mexico.
Peuplées d'Indiens semi nomades, ces régions restaient mal contrôlées et
assez mal christianisées malgré les efforts de missionnaires augustins.
Je pus me
rendre sur place à l'occasion d'une brève expédition et découvrir les lieux.
Le travail, toutefois, fut surtout réalisé à partir d'archives consultées
dans les principales réserves de Mexico : l'Archivo General de la Nacion, la Biblioteca
Nacional, les archives du Musée d'Anthropologie ou celles de la bibliothèque
de Tlalpan.
La recherche a
donné lieu à la rédaction d'un mémoire d'environ 180 pages dactylographiées.
Modeste travail d'étudiant, les conclusions qui en ont été tirées ne méritent
pas plus que la très honorable mention accordée à son auteur lors de la
soutenance de maîtrise. Elles soulignent la relance de la colonisation
espagnole au 18ème siècle pour soumettre à l'autorité des Vice-Rois les régions encore réfractaires à l'ordre venu d'Espagne. Cette
colonisation militaire se fit aussi par le biais des missions religieuses, mais
la christianisation des Indiens ne fut pas un succès. L'indifférence des
autorités laïques pour cette cause spécifique est la première raison de son échec. Mais la révision des structures et des méthodes missionnaires - qui
justifia le remplacement des moines augustins par les franciscains - n'a pas
permis de compenser cette faiblesse (voir la
contribution publiée en 1978). Le changement opéré s'est fait "au
service des missionnaires, non au service du christianisme et de la conversion
des Indiens" écrivions nous à l'époque.
Élargissant la
réflexion à l'œuvre missionnaire au Mexique en général, la recherche nous a
également conduit à souligner l'erreur tactique des missions consistant à
vouloir changer "les structures politiques, économiques et religieuses
d'une communauté dans l'idée éventuelle de transformer les structures
mentales" quand ce serait l'inverse qu'il conviendrait de faire. Cette
erreur, que Jacques Soustelle dénonçait pour expliquer l'échec des missions
du 17ème siècle, n'avait pas été corrigé au 18ème
pas plus qu'elle ne l'a été dans les deux siècles qui ont suivi.
1981-1984 : Thèse -
Les Indiens et l'Intervention. Étude du
comportement des communautés indiennes du Mexique face à l'Intervention française,
1862-1867.
Ce sujet ne m'a
pas été proposé. Il s'est construit de lui-même, progressivement, au hasard
des questions que je me posais alors que je découvrais l'intervention de la
France au Mexique sous Napoléon III. Désireux d'utiliser mon expérience
mexicaine, je m'étais inscrit au séminaire de M François Chevalier qui
m'avait suggéré de chercher un sujet sur cette période et dirigé vers le
Service des Archives de l'Armée de Terre (SHAT) à Vincennes.
Mon point de départ
fut le fruit d'un questionnement relativement simple : dans tous les ouvrages
que je consultais, il était clairement signifié que les Indiens représentaient
50% de la population du Mexique au moment où l'armée française débarqua dans
le pays. Leur portrait et caractère, leurs habitudes ou place dans la société,
était décrit dans toutes les introductions ou chapitres de présentation du
pays.
Mais, celle-ci étant faite, l'historiographie de l'Intervention ne
parlait plus des indigènes qu'épisodiquement, comme s'ils n'existaient pas. Je me posais
donc la question : comment ces Indiens
si nombreux avaient-ils vécu l'événement ? Ainsi que le suggéraient les
auteurs mexicains s'étaient-ils levés en masse derrière leurs compatriotes métis
et créoles pour repousser les envahisseurs français ? Connaissant
la nature des relations qui existaient entre les Indiens d'une part et les
Mexicains (Blancs et Métis) d'autre part, j'avais peine à croire que l'élan
fut aussi spontané qu'il était implicitement affirmé par beaucoup. Je présumais
plutôt une prudente passivité. Mais ce n'était que présomption. Je décidais
de vérifier ce qu'en dirait les sources.
Par deux fois
(pendant 4 à 6 semaines), je pus me rendre à Mexico pour y consulter les
archives. Mes sources, cependant, ont été principalement françaises. Pour
autant, le déséquilibre ne s'est pas avéré gênant dans la mesure où les
Indiens du Mexique ont laissé fort peu de témoignages directs et où leurs
compatriotes ne parlaient guère d'eux. Je me suis vite rendu compte, par
ailleurs, que les sources officielles faisaient peu de cas du point de vue de
ces populations qui n'interviennent pas (ou si peu !) sur la scène politique
mexicaine. Pour connaître l'attitude ou les sympathies des indigènes, je
contournais donc les discours officiels qui tendaient tous, selon leur intérêt,
à récupérer les masses silencieuses sinon à les ignorer, et je me repliais
sur les récits, mémoires, lettres de soldats ou voyageurs racontant ce qu'ils
avaient vu. Pris séparément, ces témoignages sont anecdotiques, fragiles,
incertains ; mais recoupés, ils me permettaient de définir des tendances
relativement objectives. On y trouve aussi un regard intérieur aux événements,
plus ponctuel mais aussi plus authentique que les déclarations officielles.
Par
ailleurs, mes recherches
au Service Historique de l'Armée de Terre à Vincennes me permirent de découvrir,
l'existence d'une dizaine de cartons recelant les "relevés topographiques"
réalisés par des officiers de renseignement du corps expéditionnaire
français. Ces enquêtes couvraient l'ensemble du
territoire mexicain et avaient pour mission d'y recenser toutes les données
nécessaires aux mouvements de l'armée et à l'œuvre de pacification qui lui
avait été dévolue. Parmi les informations que les officiers enquêteurs
devaient rapporter, une rubrique m'intéressait tout particulièrement :
"l'esprit des populations". Le relevé de cet état d'esprit était
réalisé de manière très inégale. Parfois l'enquêteur laissait la rubrique
vierge de toutes notes. Mais d'autres, au contraire, la remplissaient
scrupuleusement, village après village. Une véritable carte politique de
certaines régions devenait ainsi réalisable.
Cette
documentation avait un défaut dont il fallait prendre toute la mesure : émanant
de sources françaises, elle risquait de proposer un regard trop partial ou naïf.
Cependant, la vocation strictement interne à l'armée et son objectif
militaire, ne favorisaient pas "l'à peu près". Il s'agissait d'un
travail de renseignement qui devait servir aux troupes. Premiers concernés par
les conséquences d'une mauvaise information, les enquêteurs n'avaient aucun
intérêt à tricher sur les sentiments réels des populations. L'analyse des
documents a d'ailleurs vite montré l'absence de toute complaisance. Quand les
populations étaient hostiles aux Français, les enquêteurs le signalaient sans
détour. Le risque de la partialité ainsi atténué par la nature même de la
source, restait celui de la naïveté. Sur ce point, le chercheur doit s'obliger
à la prudence, à la prise de recul et aux recoupements. Nous avons eu la
chance, toutefois de découvrir des témoignages mexicains (de libéraux ou de
conservateurs) confirmant bien souvent les dires des soldats français.
Nous avons également
beaucoup privilégié les lettres de soldats à leurs familles. Ce type de
documents très intimes sont longs à dépouiller. Avec un peu d'expérience,
cependant, l'historien écarte vite les propos les plus personnels pour ne
retenir que les passages dans lesquels les soldats décrivaient le pays (et les
populations) qu'ils découvraient au hasard de leurs pérégrinations. Certains
sont très diserts et précis. Là encore, il ne s'agit que de points de vue qui
ne sont pas toujours le fait des personnes les mieux averties des réalités
sociales ou politiques locales. Ces regards extérieurs, cependant, permettent
d'échapper à un certains nombre de poncifs et, par confrontation avec ces
derniers, d'affiner le regard de l'historien.
Les conclusions
auxquelles nous sommes parvenues n'étaient pas exactement celles que nous
attendions. Elles nous ont permis d'apporter quelques précisions assez inédites
sur l'Intervention française.
1°)
Contrairement aux affirmations de l'historiographie mexicaine des années 60-70,
l'intervention française ne fut pas l'occasion d'une "levée en
masse" du peuple mexicain contre l'invasion étrangère. Si les Mexicains
(Blancs et Métis, libéraux et conservateurs) rejetèrent effectivement le régime
impérial imposé par la France, ce fut sans l'appui des Indiens, voire contre
eux.
2°) La majorité
des communautés indigènes (60%) restèrent passives, ne s'engageant ni dans un
camp ni dans l'autre. Parfois par "indifférence" ; mais surtout par
calcul et non sans s'intéresser de près à l'issue du conflit. Ceux qui
s'engagèrent (40%) le firent nettement en faveur de l'empire et des Français.
Et ce même si les libéraux de Juarez purent compter sur des soutiens indiens
dans certaines régions.
3°) Le
ralliement indien à l'empire ne relève pas d'une quelconque francophilie, mais
plutôt d'un calcul consistant à saisir une opportunité pour régler un vieux
compte. Les Indiens n'étaient pas tant amis des Français qu'ennemis des
Mexicains. A ce titre, ils ont tentés d'instrumentaliser la présence de l'armée
étrangère. Dans les régions les plus éloignés, ils l'ont fait dans une
optique résolument sécessionnistes ou indépendantistes (Yucatan). (voir
articles 1987 + un inédit).
4°)
Dans le détail, l'engagement indien s'avère plus complexe et difficile à
analyser du fait de la contingence de deux phénomènes commandant des attitudes
contradictoires ou opposées. Le clientélisme, d'abord, tendant à rallier les
populations indigènes à la cause des élites locales. Dans les régions tenues
par les juaristes (Guerrero, par exemple), les Indiens se sont ainsi montrés
plus hostiles que dans les états conservateurs (Puebla). La force des
pressions, des craintes ou des intérêts locaux ont pleinement joué pour
orienter les comportements de ces populations. Ce processus s'est surtout
exercé dans les régions proches du centre, les mieux contrôlées par les
autorités mexicaines. Plus on s'éloigne, au contraire, ou plus on se rend dans
des régions mal pacifiées (les sierras), plus s'exerce un autre mécanisme aux
effets totalement inverses. Les rivalités et haines inter ethniques prirent le
dessus et suscitèrent des ralliements à l'empire de Maximilien ou des
collaborations avec l'armée étrangère, des "trahisons" dirent les
juaristes après leur victoire ; en fait des rebellions ou révoltes qui n'ont
pas été reconnues comme telles par un pouvoir qui ne voulaient pas
s'interroger sur ces choix non conformes à l'idée qu'il voulait se faire de la
Nation mexicaine en construction. Au niveau local, on découvre ainsi
l'expression de sentiments pro ou anti français qui suivent les frontières
ethniques et socio-économiques du pays. En général, les Indiens se sont montrés
aussi francophiles que les Métis et Mexicains ne l'étaient pas (et vice
versa), non par amour des Français mais par rejet de leurs compatriotes. De même,
les agriculteurs et ruraux (plus indigènes que métis) ont été plus impérialistes
que les artisans et habitants des villes (plus métis). Dans certaines régions
(le Michoacan par exemple), de nombreux villages se définissaient par rapport
à l'empire et à l'armée étrangère en fonction du pueblo voisin dont ils
étaient rivaux. Derrière la guerre étrangère se cachait ainsi une véritable guerre
sociale, parfois des conflits ethniques, que l'historiographie à souvent sous
estimées.
5°) Les Indiens n'ont tiré aucun profit de leur ralliement, bien au contraire. Les Français partis, ils ont payés parfois très cher leur choix, à l'instar de Tomas Mejia, officier d'origine indienne et suivi par les Pames de la Sierra Gorda, qui fut fusillé aux côtés de Maximilien. De même, ils n'ont pas représenté un appui suffisant pour l'empereur, car ils ne formaient pas une population unie et engagée au niveau national. Ils sont restés soutien de l'empire au niveau local jusqu'au moment où ils ont pris la mesure du nouveau régime et de sa faible espérance de vie. Ils se sont alors repliés dans une expectative prudente et ils s'engagèrent beaucoup moins auprès des Français à partir de 1865.
1985-1988
- Résistances indiennes en Amériques -
L'Harmattan,
Paris 1989.
Ce petit ouvrage recense les principaux mouvements indiens des deux Amérique (Nord et Sud), leur nature et revendications sur la longue durée.
L'idée de réaliser
ce travail est née d'une volonté de rectifier certains poncifs véhiculées
dans les médias ou dans l'opinion française durant les années 80. Celui,
notamment, du "réveil" indien, notion qui laissait entendre que les
communautés indigènes de ce double continent étaient restées longtemps
"endormies", autrement dit "passives" ou
"soumises". En étudiant le comportement indien face à l'Intervention
française au Mexique, j'avais pu observer combien ces Indiens ne s'étaient
jamais endormis, que s'il existait un changement, il relevait davantage du
"réveil" des Blancs face à la question indigène (voir
article inédit).
L'attention
portée à l'actualité indigène des deux Amérique et un important travail de
compilation n'ont fait que confirmer la nécessité de corriger les poncifs et
d'expliquer la légitimité de certaines revendications à une époque où les
Français pouvaient se sentir concernés par référence aux événements de
Nouvelle Calédonie (revendications canaques). Le succès de la notion de
"droit à la différence" et son instrumentalisation politique nécessitaient
aussi le développement de certaines clarifications. Il fallait dénoncer le
double langage de ceux qui revendiquent des droits pour eux, mais ne les conçoivent
jamais au profit des autres.
Nous
en sommes arrivés aux conclusions suivantes
:
1°) il n'y a
pas eu de "réveil indien" dans les années 70/80 mais poursuite par
d'autres moyens d'un combat multiséculaire pour le droit à l'existence dans la
différence.
2°) les résistances
indiennes ne sont pas une lutte engagée pour préserver une identité précolombienne,
mais un combat pour reconstituer une personnalité originale dans un contexte
qui leur cédât une place légitime et autonome.
3°) les
mouvements indiens ont atteint une maturité nouvelle qui leur permet de mieux
utiliser l'ensemble des moyens modernes de la revendication et se faire ainsi
entendre. Il n'y aurait pas eu "réveil" mais "maturation"
ou actualisation.
4°) le pan indianisme,
toutefois, ne permet pas de définir une Indianité, sinon comme ensemble des néo-cultures
d'origines indigènes. Pour le reste, la diversité reste très large (thème
développé dans l'essai sur les leaders d'Indiens, inédit ; voir
ci-dessous).
5°) la
passivité indienne fréquemment observée hier ou dans certaines régions ne
doit pas être considérée comme une acceptation ou soumission mais comme une véritable
tactique de résistance (voir articles
inédits 1988 et 1989).
Le sujet soulève
encore de nombreuses questions sur les formes de la lutte, ses rythmes ou sur la
nature même de l'indianité elle-même. Dans le droit fil de cette réflexion,
je me suis penché sur la question des leaders d'Indiens, ces hommes qui
incarnent les mouvements de résistances, mais le travail réalisé n'a pas été
publié.
1989-1993 - Napoléon
III et le Mexique
- L'Harmattan, 1994
Encouragé et
conseillé par mon directeur de thèse (François Chevalier), j'ai réalisé ce
livre afin de mieux diffuser les résultats de mes recherches. Rien n'ayant été
écrit en France sur l'Intervention française depuis plus d'un quart de siècle,
j'ai profité de l'occasion pour réactualiser le sujet, replaçant ainsi ma
problématique dans un champ élargi susceptible de rendre l'ouvrage plus
accessible (à défaut d'être grand public). Une partie importante de ce texte
est donc le fruit de recherches complémentaires à ma thèse.
Je pris le parti
de présenter l'expédition sous un angle résolument différent de tout ce qui
avait pu être fait jusque là et d'offrir ainsi un nouvel éclairage sur
"l'aventure mexicaine". Délaissant les aspects
strictement politique, militaire ou diplomatique pour lesquels je renvoyais aux
travaux déjà réalisés, je décidais d'utiliser mes sources de recherche et
mon approche méthodologique pour présenter l'expédition de l'intérieur, au
niveau de ce que le soldat ordinaire ou le Français du Mexique - et de
l'Indien, bien sûr - avaient pu vivre. Je mis l'accent sur les "Mémoires"
de soldats et les confrontai aux rapports et discours officiels, repérant
ainsi des contradictions ou nuances souvent sous estimées. Je travaillai aussi
sur les lettres de soldats, leurs correspondances intimes, y trouvant encore
l'expression d'une vision et d'un vécu différent, allant souvent à l'encontre
de ce que conçoit l'historiographie de l'intervention ou la mémoire
collective.
Quelques
conclusions parmi celles que j'évoque au terme de cet ouvrage :
1°)
L'intervention française n'était pas une mauvaise idée en soi, telle que la
conçut Napoléon III ; mais elle fut décrétée pour de mauvaises raisons, pas
assez soutenue par Paris parce que la conjoncture et les moyens ne s'y prêtaient
pas, mal conduite enfin parce que l'opération et ses conditions n'avaient pas
été bien mesurées au départ.
2°)
Contrairement à ce qui a pu être affirmé, la guerre d'intervention ne fut pas
l'occasion d'une trêve indienne vis à vis du pouvoir central mexicain. Sous
couvert d'adhésion à l'empire ou de soutien à l'armée française, les révoltes
indigènes se sont poursuivies. Le conflit ne fut pas davantage l'occasion d'une
levée en masse contre l'invasion étrangère et il n'est pas possible de dire
que la Nation mexicaine est née de la victoire. Au lendemain du rétablissement
de Juarez, si le Mexique s'est affirmé en tant qu'état moderne, la nation
mexicaine elle-même restait un vœu pieux.
3°) Du sommet
à la base, les soldats du corps expéditionnaire ont fait ce qu'ils avaient à
faire. Si le général Forey ne se montra pas à la hauteur, son successeur, le
général Bazaine, mena la campagne comme il devait le faire étant donné les
faibles moyens qui lui furent accordés. Les accusations d'intrigues,
d'ambitions et autres malversations portées contre lui ne sont pas franchement
fondées. Il n'a pas abandonné à son sort l'empereur Maximilien et n'a fait
qu'obéir aux ordres qui lui avaient été donnés d'éviter le pire, de
pacifier un tant soit peu le pays et de rapatrier au plus vite des troupes dont
la présence s'avéraient de en plus nécessaires à la défense des intérêts
nationaux en Europe. Si certains officiers l'ont critiqué, c'est souvent en
toute méconnaissance des ordres reçus ; beaucoup, dans le même temps, ont
souligné le bien fondé de ses décisions, regrettant seulement que leur chef
ne soit pas entendu et ne reçoive pas les moyens nécessaires pour mener à
bien sa mission.
4°) Vue de
l'intérieur, par les soldats du corps expéditionnaire, cette guerre fut à la
fois ennuyeuse, sans gloire et "sale". "Une guerre de
jambe", disaient certains, condamnés à parcourir des milliers de kilomètres
en vain pour exhiber sans conséquences la force militaire de la France. Une
guerre sans combat honorable (Camarone faisant l'exception ?) ne servant qu'à
offrir des galons à vils prix pour les opportunistes. Une "sale guerre"
condamnant l'armée à mener une œuvre de police contre des guérillas
insaisissables et la contraignant à user de méthodes expéditives peu
conformes à l'idée de l'honneur que se faisaient ses cadres.
1994-1996
- Les
leaders d'indiens, leaders de minorité - ouvrage
inédit.
Ce travail
s'inscrit logiquement dans la suite des précédents. L'étude des comportements
indiens, de leurs revendications ou de leurs stratégies me mettaient en contact
permanent avec l'histoire des chefs ou leaders indiens. Peu à peu, quelques
portraits types se dégageaient de mes recherches. Je trouvais opportun de définir
une typologie et de mesurer l'inscription dans le temps et dans l'espace de
chacun des types ainsi définis. Le leader étant l'image même de la communauté
qu'il dirige, je concevais aussi combien l'analyse de leurs cas pouvait aider à
la compréhension des mouvements indigènes, de leurs stratégies et espérance
de vie. Je me suis ainsi lancé dans un travail de fond.
Partant de mes
travaux sur les revendications indiennes, j'ai dressé une liste de tous les
leaders sur lesquels il était possible d'obtenir un certain nombre de
renseignements biographiques. Cette liste établie, je recensais sur chacun un
certain nombre de caractères prédéfinis, auxquels s'ajoutèrent d'autres
particularités au fur et à mesure que je les découvrais. J'évaluais leur
identité (âge, appartenance ethnique, milieu social, profession…), leur type
d'action (militaire, religieuse, socio-politique…), leur sort (social,
judiciaire, nature de leur décès…), leur impact sur la communauté et la durée
de celui-ci…etc. Sur cette base, j'ai cherché à établir des tendances ou
des rapprochements. Peu à peu, les fonctions des leaders, leurs méthodes et
caractères se sont dessinés ; leur rôle aussi par rapport aux communautés,
l'évolution de celles-ci et leur acculturation. Trois types majeurs de leaders
(chef de guerre, prophète et réformateur) se sont affirmés. A un second
niveau, trois sous types ont pu également être définis : le protecteur /
manipulateur, le dissident et le transfuge / interprète.
Ces types
s'imposent selon les circonstances. Certaines successions chronologiques peuvent
cependant prévaloir. Il ne semble pas exister de détermination culturelle. Les
individus amenés à se poser en leader choisirait plutôt de se comporter de
telle ou telle manière selon l'attitude de leurs prédécesseurs. On verrait
ainsi le prophète succéder au chef de guerre et précéder le réformateur,
puis de nouveaux prophètes apparaître avant le retour des chef de guerre dans
une sorte de cycle dont l'amplitude peut être extrêmement variable. D'autres
variantes viennent cependant compliquer ce genre de scénario, selon le caractère
personnel du leader, la personnalité de sa culture, les attitudes de ses
adversaires.
Au delà des
classements typologiques qui n'offrent qu'un aperçu caricatural de la réalité,
le travail m'a permis de mieux cerner la vocation paradoxale des leaders de
minorité. Ils sont simultanément défenseurs de la communauté et
transformateurs de celle-ci, ce qui rend leur tâche d'autant plus difficile
parce qu'elle sera mal comprise et risque de mécontenter tout le monde. Au niveau des méthodes employées par eux pour défendre la cause
qu'ils ont épousée, six attitudes peuvent être établies :
"l'appropriation", "l'invention syncrétique", la
"revendication intégriste", "l'adaptation", la
"conversion" et la "justification a posteriori".
Le leader doit
posséder certaines qualités spécifiques (charismes, compétences, légitimité…)
; il doit aussi être capable d'incarner à la fois la continuité (comme défenseur
de la tradition) et la nouveauté (pour entretenir l'espoir du succès), marier
sans jamais choquer l'ancien et le moderne. De ce fait, il doit être "métis",
sinon ethnique du moins culturel. La "métissité" est un caractère
indispensable pour être reconnu par les siens ; il lui faut aussi avoir le sens
du spectacle ou celui de l'hérésie. C'est là que son destin le rejoint. Agent
de changement, le leader d'Indiens est l'opérateur inévitable de
l'acculturation de son groupe. Il ne peut y échapper. Mais cette acculturation
que son action favorise, il peut la contrôler. On distingue alors toute une
panoplie de procédure de l'acculturation "contrainte" à celle
"autogérée" en passant par "l'inconsciente", la "ratée",
l'"accidentelle", celle par "promotion interne" ou celle par
"importation". Les variantes sont multiples.
Au terme de ce
travail, nous avons pu discerner différents types de minorités indiennes qui
permettent de mieux faire la part entre des situations très différentes. De
toutes les identités indiennes que nous avons pu recenser, cinq situations ont
fini par s'imposer. Nous avons ainsi défini une "indianité préservée",
une "indianité nouvelle", celle de l'américano-indien, celle de l'indianitude
et celle enfin de la métissité.
Nous avons fait bien d'autres observations que nous n'exposerons pas ici. Quelques tentatives, aussi, d'extrapolations, peut être hasardeuses. Les conclusions auxquelles on parvient sur ce sujet peuvent en effet s'appliquer à d'autres minorités ou communautés humaines. Elles ne sont pas spécifiquement indiennes.
Découvrez la Table des matières et un extrait du manuscrit :
1996-1999 - La trahison de Bazaine - texte inédit
Comment un officier supérieur apprécié de la troupe, compétent et loyal peut-il sombrer brusquement pour se transformer en incapable et en traître ? C'est la question que je me suis posée au terme de mon travail sur l'intervention française, quand je me suis rendu compte que le maréchal Bazaine - dont j'avais suivi la politique au Mexique - faisait partie des vaincus de la guerre de 1870. En l'occurrence, il n'avait pas seulement perdu une bataille ; il était considéré par ses contemporains et toute notre historiographie comme une nullité stratégique, un intriguant qui, par ambition, avait failli à sa mission. Pire, encore : il avait trahi la France. Je ne comprenais pas comment en quelques années à peine, cet officier avait pu passer aussi vite du statut de "seul chef capable" et d'une attitude de loyauté avérée envers son empereur - telle était l'idée que je m'étais faite du commandant en chef du corps expéditionnaire à l'encontre des accusations portées contre lui par le général Douay - à celui d'homme foncièrement incompétent et indigne, coupable à lui seul de l'une des plus humiliantes débâcles françaises.
Mon travail a commencé par un long recensement de tout ce qui pouvait avoir été publié sur la guerre de 1870, que ce soit des "mémoires", des "journaux intimes" ou correspondances", mais aussi des historiographies, des études militaires ou des essais. Cette distinction par genre d'écrits s'est imposée d'emblée ; mais la classification selon le type de témoin (soldats, officiers, historiens, politiques, civils, journalistes, ecclésiastiques, juristes, auteurs étrangers...) s'est assez vite avérée pertinente (voir les ressources bibliographiques) : derrière le consensus qui semblait devoir confirmer "l'incapacité" ou "l'ignominie" du maréchal, des nuances apparaissaient qui m'obligeaient à approfondir.
Au fur et à mesure que j'avançais dans mes recherches, des variations dans le temps me sont apparues. J'observais d'abord l'existence de pointes dans les périodes de publications correspondant à des temps forts de notre histoire contemporaine. Après les nombreux mémoires parus au lendemain du désastre (1871-1872), il y eut ceux des années 90 (qui étaient aussi celles des affaires Boulanger et Dreyfus), puis les analyses et ultimes souvenirs parus dans les années 1910 (en pleine préparation de la Revanche) ; un petit regain d'intérêt semblait marquer la période de Vichy (1940-1945) ; en 1970, enfin, année du centenaire de la défaite les publications se multipliaient une dernière fois. Ces pics étaient intéressants à noter ; non qu'ils aient témoigné d'un intérêt particulier pour la guerre de 1870, mais dans la mesure où, très vite, le contexte a mis en évidence un souci très partagé d'instrumentalisation du conflit à des fins qui méritaient d'être éclaircies.
Tout en dressant la courbe de ces temps forts, j'eus l'idée d'évaluer l'évolution des sentiments publics des Français pour Bazaine. Dans cette optique, j'élaborai une courbe d'appréciation qui fit clairement apparaître le passage brutal du "glorieux Bazaine" au "traître" (tout s'est passé en moins de 15 jours), avant que ne s'amorce une lente remontée qui s'achève aujourd'hui dans l'indifférence du plus grand nombre ou, parmi les rares historiens à s'intéresser au sujet, dans la reconnaissance de fautes partagées et plus ou moins excusables.
Fort de ces observations j'ai peu à peu réorienté ma recherche. Une question s'imposait de plus en plus à mon esprit : Bazaine était-il vraiment coupable du crime qui lui avait été imputé ? Les nuances apportées par quelques auteurs dignes de fois m'obligeaient à poursuivre mon enquête et je découvrais peu à peu certaines vérités - qui ne sont en rien des mystères historiques - correspondant fort peu aux idées communément admises en France. J'ai alors entrepris l'écriture d' un essai afin de rétablir ces vérités que la mémoire historique française n'a pas retenues ; mais plus encore que celles-ci je voulais déterminer pourquoi un officier supérieur qui n'a jamais été reconnu coupable de trahison par le tribunal qui eut à le juger n'a pu se défaire de cette réputation. A la convergence initiale entre les intérêts politiques des années 1871-1875 et le besoin de nombreux responsables de se disculper des fautes dont ils furent autant, sinon plus, coupables que le maréchal Bazaine, sont venus s'ajouter des circonstances qui ont empêché toute révision du jugement national. Le maréchal Bazaine n'a jamais pu être remis à sa juste place (celle d'un officier ni meilleur ni pire qu'un autre) parce qu'après avoir été le bouc émissaire de ses contemporains qui avaient beaucoup à faire oublier ou à se faire pardonner, il est devenu pour toutes les générations suivantes le prototype même du traître, du lâche, du mauvais patriote, du collaborateur, de l'homme anti-national.
Au terme de mon analyse de l'historiographie sur Bazaine et l'armée du Rhin, je me suis aperçu qu'elle permettait de parcourir à elle seule tous les temps forts de notre histoire contemporaine et d'analyser comment le récit du passé peut être pollué par le discours de ceux qui ne respectent pas les règles de la science historique, que ce soient les témoins qui pensent toujours que leurs souvenirs sont vérités incontestables - puisqu'ils ont vu - les idéologues et démagogues qui ont intérêt à biaiser et ceux qui ont des torts à faire oublier. Finalement, je cessais de me préoccuper de savoir si Bazaine était coupable ou non (je crois qu'il a des torts importants, mais moins ignominieux qu'il a été dit) pour porter toute mon attention sur qui, comment et pourquoi parlait de ce vaincu. Je ne lisais plus la masse considérable d'ouvrages, brochures, mémoires et autres exposés publiés sur les malheurs de l'armée du Rhin (je constatais vite qu'ils se répétaient à l'infini, puisant toujours aux mêmes sources initiales de 1870-1872), me contentant de parcourir les préfaces qui en disaient assez sur les intentions des auteurs pour me permettre de préjuger de ce que j'allais trouver dans le texte qui suivait. L'histoire véritable de la guerre de 1870 s'effaçait ainsi pour céder la place à une autre non moins passionnante : celle du récit historique en train de se dire.
Je me suis efforcé de présenter les défauts de l'historiographie portant sur l'affaire Bazaine et l'histoire de cette mémoire collective française de 1870 à nos jours, dans un texte de trois cent pages environ. Mythes et mensonges, déformations, illusions et tabous qui imprègnent notre mémoire concernant la guerre franco-prussienne y prennent tout leur relief. En conclusion, je tenté de répondre aux principales questions posées à l'issue du désastre par les contemporains et les générations ultérieures. Je sais déjà que certains points méritent d'être nuancés, approfondis ou nécessitent de nouvelles études. Quant à Bazaine, il apparaît certes responsables de la capitulation de Metz, mais non coupable, victime surtout d'un acharnement lié à l'histoire de nos relations tendues avec l'Allemagne.
1999-2004 - La guerre de l'été 1870 : une guerre nouvelle ?
Bloqué
sous Metz le 18 août 1870 puis contraint de capituler deux mois et demi
plus tard (27 octobre), le maréchal Bazaine ne méritait pas l'image du
"traître" qui s'est attachée à son nom. Certes, il n'a pas été
capable de sauver le pays du désastre, il s'est laissé
manœuvrer par Bismarck et son échec a suscité de vifs ressentiments.
Pour autant, le commandant en chef de l’armée du Rhin n'était pas aussi incompétent,
ni égoïste ou intriguant qu'il a été dit. Dans des
circonstances impossibles, il a fait ce qu'il a pu. Sans doute a-t-il manqué de
génie, de cette qualité exceptionnelle qui fait la différence entre les
"personnages historiques" et les hommes ordinaires, d'un brin
d'audace ou de ce zest de folie qui distingue les "grands hommes". En
est-il coupable pour autant ? S’il doit être reconnu tel, alors tous ses
contemporains méritent les mêmes reproches. Leboeuf, Mac Mahon, Frossard, Canrobert, Ladmirault, Bourbaki et autres Trochu
n'ont pas été plus capables que lui.
Mais comment se fait-il que toute une génération d'officiers supérieurs ait ainsi manqué de vista, d'énergie, d'intelligence ? Les recherches effectuées par William Serman apportent des réponses convaincantes à cette question : vieillissement d'une armée qui ne se remet pas en cause, système de promotion et de formation des cadres, intrigues politiques, mauvaise préparation... etc., auraient accumulé leurs effets négatifs. Il est toutefois étonnant qu'aucun officier de qualité n'ait réussi à faire son chemin, qu'aucune exception n'ait confirmé la règle, que dans l'adversité du désastre de 1870 nul soldat providentiel ne se soit affirmé, même en vain. Pourquoi ?
Et les Allemands ? Mieux préparés, n’ont-ils pas commis eux aussi de nombreuses erreurs qui auraient pu leur être fatales ? Lors des batailles décisives d'août 1870, à Borny ou Mars-la-Tour, ils n'ont pas maîtrisé les situations aussi bien que leur succès final a pu parfois le laisser croire. Une question s'impose alors, que renforce le décompte des pertes humaines subies par les deux armées : dans sa première phase (août-septembre 1870), la guerre n'a-t-elle pas été si moderne et de nature inattendue qu'elle a paralysé tous ceux qui avaient à la conduire ? Les hésitations, le caractère timoré des décisions, le désarroi qu'on observe ici ou là (et dont se plaignent les Prussiens dans les mêmes termes que leurs homologues français au tout début de la campagne, quand le succès ne leur était pas encore assuré ; voir les carnets du major Kretschmann) n’ont-ils pas été en partie provoqués par l'aspect effrayant, inédit, presque insupportable, des premiers affrontements ? Le Haut-commandement prussien ne s'est-il pas montré tout aussi atterré que son homologue français devant l'ampleur des pertes et la tournure des combats (voir les lettres de Bismarck à sa femme) ? Certaines brutalités perpétrées par des régiments allemands (voir le cas des Bavarois à Bazeilles) n’ont-elles pas été le reflet de l'horreur suscitée par les hécatombes de la mi août ?
En bref, l'une des causes du désastre français lors des
batailles sous Metz ou de Sedan ne serait-elle pas à rechercher aussi
dans l'effroi, la stupeur, l'horreur de la bataille tels qu'aucun de ses
participants n'y avaient été préparé ?
Sur la base d'une telle hypothèse, je me suis demandé comment les affrontements de l’été 1870 avaient été vraiment vécus ? M’appuyant sur des témoignages « à chaud » (lettres, carnets, journaux intimes, autrement dit des documents peu soucieux de démontrer quoi que ce soit, exprimant seulement les sentiments du moment), je me suis efforcé d’évaluer la "stupeur" des principaux acteurs des batailles de cet été là. Combinée avec la création de ce site, cette période de mon travail a débouché sur la rédaction de divers articles :
Modernité
de la guerre de 1870
les
batailles d'août 1870
; analyse
comparée des souvenirs et lettres d'anciens combattants de l'armée du Rhin.
Août
1870 : retrouver l’autre guerre. Réflexions
faites à partir de 14-18, retrouver la guerre de Stéphane
Audoin-Rouzeau et d’Annette Becker. (à paraître).
La préparation des esprits et le moral des Français en 1870 : article sur l'impréparation des soldats français à la guerre.
Ainsi, l'analyse a-t-elle plutôt confirmé la réalité d'une "surprise", d'un "désarroi" ou de l’existence d’authentiques "frayeurs" dont on n'a peut-être pas toujours bien mesuré, les effets sur l’issue du conflit. "La guerre d'août 1870" fut une phase de guerre "moderne" s'inscrivant dans le cadre d 'une guerre encore "ancienne".
Poursuivant l'analyse de la guerre de l'été 1870 à partir des témoignages bien plus que sur la base des documents militaires et politiques classiques, la recherche a pris un tour nouveau. Peu à peu s'est dessinée une histoire de la perception de la guerre et de sa mémoire bien plus qu'une histoire de la guerre elle-même, une approche qui a permis de mettre en valeur le décalage existant entre l'événement et son interprétation. Cette redéfinition de la cible de recherche a fait surgir un certain nombre de problématiques nouvelles donnant lieu à la rédaction d'articles ponctuels portant d'abord sur les textes de Souvenirs, la manière dont ils s'élaborent et l'impact qu'ils peuvent avoir en dépit de leurs défauts.
Dans "La mémoire en mouvement : Trois versions de Forbach et Rezonville par Yves-Charles Quentel", j'ai suivi le processus de reconstruction de la mémoire sous la pression du groupe et du temps qui passe.
Avec "Guerre de 1870 et mémoire des camps" : analyse des souvenirs du sergent Pouteau, j'ai prolongé la réflexion sur la valeur du souvenir tout en cherchant si, dans le contexte de la captivité, ne se constituait pas une mémoire collective (celle des prisonniers de guerre) distinctes.
Tout naturellement, ce travail sur la mémoire a débouché sur une réflexion plus théorique que j'ai tenté de mettre en forme dans "Mémoire de la guerre de 1870. Les récits de souvenirs et l'historien".
La mémoire s'exprime dans le récit de Souvenirs. Quand l'ancien combattant est un artiste, elle se traduit aussi en images, à travers des oeuvres de peintres, voire de sculpteurs. Amateur d'art à les heures perdues, je ne pouvais ignorer ce témoignage aussi particulier qu'expressif que peut être la peinture militaire, d'autant moins qu'elle fut - à travers des maîtres comme Édouard Detaille te Alphonse de Neuville... parmi d'autres - particulièrement prolifique. Comme expression d'un souvenir et d'une perception de la guerre, je ne pouvais ignorer une telle source. Le questionnement était d'autant plus obligé que cette peinture - à l'instar des Souvenirs abondamment publiés à la veille de la Grande Guerre ont entretenu ou nourri l'esprit de la Revanche. "Représentation de la guerre (1870) et construction de la mémoire" : analyse de l'impact des peintures illustrant les combats de 1870 sur la mémoire collective et le consentement à la guerre de 1914" en est le résultat naturel. A l'occasion, je m'étonnai de petits détails comme "Les cadavres aux bras levés" dans la peinture militaire (analyse d'un archétype des peintures de la guerre de 1870)".
Au final, ces 5 années de recherche ont débouchés sur la publication de quatre livres et un article un peu plus épais que tous les travaux préparatoires cités ci-dessus.
Deux livres de témoignages :
- Été 1870, la guerre racontée par les soldats.
- Le journal d'un officier de turcos, réédition des souvenirs du capitaine Louis de Saint Vincent de Narcy.
Un livre de synthèse sur la guerre dans son ensemble et la manière dont elle a été perçue par les Français
- Les Français et la guerre de 1870.
et une réflexion sur les conditions de la captivité des Français en Allemagne et l'effet de celle-ci sur la mémoire des anciens combattants :
- La détention des prisonniers français en Allemagne (1870-1871).
2004 - 2006 : La guerre de 1870 ; le siège de Paris
La guerre de 1870, c'est aussi le long siège de Paris, de septembre 1870 à janvier 1871. Dans la lignée du travail sur les souvenirs, j'ai consacré ces deux années à travailler sur la manière dont cet épisode avait été vécu par les Parisiens toutes conditions confondues. Le travail sur les concepts de "Mémoire" et de "Souvenirs" s'est affiné. Le travail a donné lieu à deux types de publications. De nouveaux récits de témoignages avec, notamment, un livre :
Le siège de Paris en 1870; récits de témoins
Mais aussi un article mettant en évidence les relations entre Parisiens et Provinciaux dans la cadre très particulier de leur confrontation dans Paris pendant le siège :
Parisiens et mobiles de provinces pendant le siège de Paris.
Cette recherche m'a mis au contact d'auteurs ou personnages impliqués par la suite dans l'épisode de la Commune. Tout naturellement, j'ai prolongé mes recherches dans cette direction. Un article en a été le fruit de ce qui sera peut-être l'objet d'une future recherche plus approfondie :
Dans cette période transitoire, d'autres réflexions ont prolongé les travaux antérieurs sur des thèmes assez dispersés mais découlant naturellement de mes recherches sur la formulation du souvenir, de ses effets sur l'historiographie, le thème de la mémoire ou des légendes qui l'accompagnent ; dans le même ordre idée, la question de la représentation iconographique de l'événement historique a donné lieu, sporadiquement, à l'écriture de petits articles (voir la page des publications).
Pour clore cette période de recherches, j'ai eu à répondre à des travaux de commande éditoriale, donnant lieu à la parution d'un album sur la guerre de 1870 (1870, Les soldats et leurs batailles) et d'un ouvrage de témoignages sur l'intervention française (La campagne du Mexique, 1862-1867)
2007 - 2009 : Les témoins de la Commune ; les récits de témoignages
Dans le prolongement du siège se situent les événements de la Commune. Nombre de personnages auxquels j'ai consacré plusieurs années de recherches ont été témoins de cette crise. C'est donc tout naturellement que j'en suis venu à m'interroger sur la manière dont ils avaient vécu ou perçu celle-ci. Après avoir rassemblé les récits de témoignages d'auteurs n'ayant pas participé directement à la Commune, j'ai analysé leur point de vue. Ce dernier n'étant pas celui du révolutionnaire, rarement celui du combattant de l'ordre, son étude a permis de comprendre certains mécanismes d'adhésion à la Commune ou au mouvement de répression sans que les convictions idéologiques initiales y prédisposent les intéressés.
Dans le cadre d'un projet éditorial prévu pour janvier 2009 et visant à présenter ces récits de témoins au jour le jour, quelques thèmes sont apparus, parfois déjà connus, d'autres moins. Ils ont donné lieu à la rédaction d'un article sur les ressentiments, acteurs de la Commune et de plusieurs encarts insérés dans l'ouvrage La Commune de Paris racontée par les Parisiens (paru en janvier 2009).
En marge de ce travail, d'autres articles approfondissant la réflexion sur les "récits de souvenirs" ont vu le jour.
Joris-Karl Huysmans et la guerre de 1870 ; du récit de souvenirs à la fiction : ou comment une fiction se nourrit des souvenirs et vice-versa au point que les genres puissent se confondre.
Les récits de souvenirs et la guerre de 1870 : réflexions méthodologiques réalisées à partir des récits de souvenirs de guerre.
Les souvenirs de 1870 et l'Histoire de la défaite a parachevé ce cycle de de réflexion sur le rôle des récits de souvenirs dans la construction du grand roman national de la fin du 19è.
2009 - 2010 : Les souvenirs de 1870, Histoire d'une mémoire
Ces deux années ont été l'occasion de prendre un peu de recul sur la mémoire de 1870. Elles ont été consacrées à l'évaluation de l'impact des récits de souvenirs sur l'après 1870. Au terme de ces deux années, un livre a été construit, rédigé et finalisé en septembre 2010. Il reste à lui trouver un éditeur... Son titre (provisoire) ? Souvenirs de 1870, Histoire d'une Mémoire.
Conjointement, j'ai pu rédiger plusieurs articles à la demande de divers directeurs de revue.
"Les premiers historiens de la guerre de 1870", Les chemins de la mémoire, n°203, mars 2010.
"La mémoire de la Revanche", Carnet de la Sabretache, n°184, juin 2010.
"Joris-Karl Huysmans et la guerre de 1870", Cahiers de l'association internationale des études françaises, à paraître...
et deux articles proposés en lignes sur ce site : Les souvenirs de 1870 et l'Histoire de la défaite, d'une part, La mémoire de 1870 en 1914, d'autre part.
2010-2014 : La guerre de 1870 et les artistes modernes
Prendre un peu de recul, en 2011, a surtout été l'occasion d'écrire une synthèse sur la mémoire de 1870, paru en octobre : Le souvenir de 1870, histoire d'un mémoire. Ce travail était un aboutissement logique après des années passées à recenser et compulser les récits de souvenirs.
Mais le souvenir ou le témoignage n'est pas une simple affaire d'écriture. Beaucoup témoignent autrement, à commencer par les artistes peintres qui, à l'instar de Jeanniot et son Souvenir du 16 août, ont évoqué leur souvenir par l'image.
Le travail des peintres militaires est bien connu. Historien de l'art, François Robichon a publié d'excellents travaux sur la question. Pour autant, la guerre de 1870 n'a pas laissé indifférents d'autres artistes qui l'ont parfois vécu de près ou été touché par la débâcle. A commencer par les impressionnistes dont le mouvement est né au lendemain de la guerre. Ils ont perdu des amis (Bazille, Regnault entre autres) ou des œuvres... (Pissarro tout particulièrement). Ils ont été affectés par la défaite et ses conséquences. Pourtant, ils l'ont fort peu, voire pas du tout, exprimé dans leur art. Ce silence a ses raisons très techniques... mais n'y en a-t-il pas d'autres plus politiques ou idéologiques ?
2013 - A chaud, les peintres ont réagi de façon très différentes les uns des autres, chacun selon son tempérament, les circonstances, ses opportunités. Les réactions immédiates sont indépendantes des écoles d'appartenance. Par la suite, en revanche, le choix de représenter ou non la guerre est étroitement lié aux choix esthétiques des uns et des autres. Les représentations par les peintres militaires [Detaille et De Neuville tout particulièrement] sont bien connues. Elles ne s'inscrivent pas forcément dans le strict respect de la tradition. Ces artistes ont leur part de modernité inspiré du naturalisme et du réalisme de leur temps. La "nouvelle peinture", pour sa part, semble ignorer le sujet "guerre de 1870". A y regarder de plus près, cependant, le "silence" des modernes sur la guerre de 1870 est moins systématique qu'on le croit. Les symbolistes comme Puvis de Chavannes la traite de façon détournée, Manet l'évoque de manière plus ou moins subliminale, les impressionnistes l'auraient moins occultée qu'il n'y paraît si on veut bien voir allusion à la guerre perdue dans toutes les œuvres centrées sur la reconstruction. Ne pas la montrer mais y penser toujours ont-ils peut-être pensé à l'instar de Gambetta évoquant les provinces perdues dont il convenait de ne pas parler... La guerre de 1870 semble bien avoir laissé des traces indélébiles dans le pinceau des peintres modernes. Mais pour le voir, aujourd'hui, il faut remettre les tableaux dans leur contexte de leur création...
2014 - L'étude est terminée, un livre écrit. Il doit être publié en septembre 2015 aux éditions Giovanangeli, si tout va comme nous l'espérons.
2015-2018 : Les femmes et la guerre de 1870
Elles ont été courageuses, héroïques, indispensables... sans elles, l'honneur aussi aurait été perdu. Tous les témoignages et les quelques ouvrages qui évoquent le rôle des femmes dans la guerre sont unanimes. Leur patriotisme vaut au deuxième sexe les honneurs de quelques pages... après quoi, place aux hommes. La guerre est leur affaire.
La guerre de 1870 est comme toute guerre une affaire d'hommes, racontée par des hommes et pour des hommes. La place des femmes dans l'historiographie de la guerre n'a rien d'insultant mais n'est pas à la mesure de la place qui leur est concédée sur le papier, ni de la réalité. Et ce fait ne tient pas au seul fait que les femmes aient peu raconté la guerre. Celles qui le font la décrivent souvent dans les mêmes termes que les hommes ; sans doute parce qu'elles ont parfaitement intégré le discours ambiant.
Le récit de la place des femmes dans la guerre pose aussi la question des "oubliées" de l'histoire, celle qui ont participé mais n'ont pas mérité que leur patriotisme soit rapporté parce qu'elles ont eu le tort de rallier la Commune. Mais que faisaient-elles ces "pétroleuses", "harpies" et autres "bonnes femmes" quand la guerre n'était pas encore civile ? Ne serait-ce que pour ces oublis délibérés, l'histoire des femmes pendant la guerre de 1870 mérite d'être revue et, peut-être, corrigée.
De prime abord, rien de révolutionnaire ne devrait émerger de l'analyse. Ce qui devait être dit a été dit. L'objectif, ici, serait seulement de remettre le sujet en perspectives, d'analyser le discours sur les femmes et de réactualiser celui-ci.
2017-2018 : plusieurs messages sur les femmes de 1870 publiés sur Mémoire d'Histoire.
janvier 2018, publication d'un article sur La mémoire des Françaises de 1870 dans les œuvres littéraires (1871-1914).
Décembre 2018, manuscrit sur les Françaises face à la guerre de 1870 finalisé. Entre temps, quelques textes rédigés sur "Les petits patriotes de 1870".
Mais je me projette déjà sur la suite, la mémoire de 1870, le pacifisme et ses limites qui ont pu en découler, la revanche par les Arts, les Sciences et l'Education. En cours d'écriture, un article sur l'année 1878. (mis en ligne)Les futurs axes de recherches sont encore très flous, mais se dessinent de plus en plus sur le thème du "sortir de la guerre de 1870", un thème qui permet de poursuivre le travail sur la mémoire de 1870 tout en élargissant aux aspects plus traditionnels de l'analyse historique. De la guerre de 1870, mes centres d'intérêt glisse vers la IIIe république. Sous réserve de confirmation. Les voies de la recherche sont indéterminées !
Novembre 2018, article sur Degas, peintre d'histoire. Effet des recherches sur la représentation de la guerre et les réflexions sur l'après guerre. Aller plus vers les questions sociales, psychologiques et idéologiques du sortir de la guerre que strictement matérielles ou politiques ?
Voir les recherches en cours