LE PATRIOTISME ET LA COMMUNE

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Jean-François Lecaillon

 

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2006 - L'étude des témoignages sur le siège de Paris m'a mis au contact de textes qui ne se sont pas tous arrêtés au 31 janvier 1871. Nombre de contemporains ont continué de tenir leur journal, d'autres ont profité du déblocage de Paris pour renouer le contact avec les proches réfugiés en province. Les événements de la Commune, déjà pressentis, souvent redoutés, pendant le siège n'ont donc pas manqué de susciter commentaires horrifiés, fascinés, plus rarement applaudis. Ces textes témoignent d'une opinion publique avec ses doutes, ses colères, ses lâchetés susceptibles d'aider à comprendre le déroulement de la révolte parisienne et de sa terrible répression. Mais comment les Parisiens sont-ils passés du 1er au 2nd siège, comment leur solidarité contre l'ennemi s'est-elle rompue si brutalement qu'elle put produire une si terrible guerre civile ? Et pourquoi les terribles haines de mai n'ont-elles pas mis Paris à feu et à sang dès le 18 mars ?

Ce qui m'avait frappé dans les textes rédigés pendant le siège ou par les soldats prisonniers en Allemagne, c'était le rejet bien partagé de la guerre civile. Au début de l'année 1871, les Français n'en voulaient pas ; cinq mois plus tard, ils s'entretuent dans l'une des plus terribles de leur histoire ? Comment ce retournement a-t-il été possible ? Comment le patriotisme qui commandait l'union  sacrée a-t-il pu céder aux sirènes d'un si terrible déchirement ?

 

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A la veille de la Grande Guerre, le sentiment national opposait deux France. Mais, précise Jean-Jacques Becker, « les hommes de ces deux France avaient au moins une valeur commune, le patriotisme. » Pour appuyer son propos, il cite Maurice Agulhon : « Ce qui rapprochait ces deux France était que le patriotisme de la gauche, même s'il préférait la paix, n'excluait pas le recours à la guerre. » De ces observations, Becker conclut : "Derrière les excès des extrémistes, le pays était profondément équilibré dans le patriotisme. »[1]. Ce patriotisme bien partagé en dépit des divergences qui le sous-tendait est-il caractéristique de 1914 ? Le précédent franco-allemand de 1870 ne le mettait-il pas déjà en scène ? Le sanglant affrontement franco-français de mai 1871 n’avait-il pas porté l’un contre l’autre deux France que la guerre contre la Prusse avait pourtant réunies sous le même drapeau national et dans l’adhésion à un même sentiment patriotique ? La question se pose d’autant plus que les Parisiens qui se sont insurgés le 18 mars n’étaient pas tous des révolutionnaires patentés. Parmi eux se trouvaient des personnes de toutes convictions qui n’envisageaient pas de traduire leurs différends politiques de manière brutale et meurtrière. Nombre de soldats qui mirent « crosse en l’air » ne le firent-ils pas par refus d’agresser une foule dont ils partageaient l’indignation contre les « capitulards » de la Défense nationale ? Alors, comment expliquer que le partage aussi prégnant d’un même sentiment national ait été incapable d’empêcher la violence fratricide qui se déchaîna trois mois plus tard ?

 

 

Une France minoritaire et rejetée

 

En tant que projet politique – est-il vraiment nécessaire de le démontrer encore ? – la  Commune n’était pas faite pour rassembler les Parisiens dans un même élan révolutionnaire.

 

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Elle représentait le rêve d’une France que rejetait une autre bien plus nombreuse. Les troubles civils du premier siège en témoignent et l’absence d’une partie importante de la bourgeoisie conservatrice qui avait quitté la capitale en septembre 1870 ou qui l’abandonna au lendemain de la capitulation de janvier 1871 ne pouvait suffire à inverser le rapport de force entre ces deux France. Dès lors, comment expliquer l’espèce d’acceptation tacite du 18 mars et la passivité bienveillante des Parisiens qui ont donné son opportunité politique au mouvement ? Comment cette population peu apte à se satisfaire d’un projet révolutionnaire a-t-elle pu lui donner sa chance ? N’aurions nous pas du voir se répéter l’échec du 31 octobre 1870, insurrection qui ne dura pas vingt-quatre heures ? Pourquoi l’impuissance du mouvement radical au moment de cette crise a-t-elle cessé de se manifester le 18 mars et perduré au moins jusqu’à la fin avril ? Si on se réfère aux témoignages de l’époque, deux éléments semblent se combiner pour expliquer cette circonstance : le refus bien partagé de la guerre civile et un même sentiment patriotique.

 

 

Le refus de la guerre civile

 

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Pour beaucoup de soldats en captivité en Allemagne, leur défaite s’expliquait en partie par la trahison des « Rouges » et ils rentraient au pays avec l’idée de venir remettre de l’ordre dans la maison. Les témoignages traduisent cette rancœur qui conduit les prisonniers à revendiquer une réincorporation active dans une unité susceptible d’intervenir à Paris. Dans les rangs des Cent-gardes, régiment très bonapartiste, le ressentiment était particulièrement vif. Ainsi le Maréchal des Logis Lemeland se dit-il prêt à marcher avec l’ensemble de ses camarades contre les ennemis du dedans : « Pleins de haine contre les communards forcenés qui mettaient Paris à feu et à sang, nous avions hâte de participer à leur écrasement »[4].

 

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Ce choix radical n’est pourtant pas le mieux partagé. Le rejet de l’affrontement fratricide est un sentiment plus largement répandu. Pour une grande majorité des contemporains, la guerre civile est un fléau auquel ils ne souhaitent pas prendre part ; à leurs yeux elle est une ineptie, une folie d’autant plus grande que l’ennemi se trouve encore aux portes de Paris. « Si j’avais pu », écrit Léonce Patry, « j’aurais tout planté là, un profond dégoût m’envahissait le cœur en pensant que j’allais peut-être dans un moment être obligé de tirer sur des compatriotes »[6]. Ce témoignage d’un homme qui fait tout pour être affecté en Algérie afin d’échapper au conflit civil annoncé, résume le dégoût qui frappe le plus grand nombre. Prisonnier en Allemagne, Louis Bouchard se retrouve bloqué à Coblence. Malgré la hâte qu’il a de rentrer, il s’en félicite pourtant : cette contrariété lui évite d’être acteur de la guerre civile. Le soldat Bruchon en témoigne de même : non seulement il aurait refusé de porter les armes contre des Français, mais il précise que beaucoup de ses camarades de captivité auraient agi comme lui. Même réaction de la part des capitaines Lahalle ou Nigon[7]. Le grade ne change pas la nature de la réaction.

A peine rapatrié, le sergent major Kervella est enrôlé pour aller lutter contre les insurgés. Il n’apprécie pas cette situation qu’il ne peut décliner. Mais d’autres ont plus de chance et s’en félicitent : ainsi, les mobiles de province qui ont assuré la défense de Paris pendant le siège, disent tous combien ils apprécient de s’éloigner d’une capitale et d’une population contre laquelle ils ne souhaitent pas avoir à marcher une nouvelle fois, comme ils y ont été contraints pendant toute la durée du siège, à chaque manifestation populaire. Apprenant qu’ils pourraient monter à Paris les mobiles normands répugnent à cette idée : « je ne souhaite pas d'aller à Paris comme militaire car les fonctions de réprimeur d'émeutes ne m'iraient pas du tout. » écrit Jules Bousquainaud le 11 mars ; le 20, Charles Vinot de Préfontaine confie à sa mère : « Nos hommes qui aspiraient tous à rentrer chez eux et de plus travaillés par des démocrates et des socialistes, ont déclaré que jamais ils ne partiraient pour Versailles ou Paris et qu'ils ne se battraient pas contre des Français, qu'ils ne verseraient pas le sang de leurs frères. » Louis Pagnerre renchérit en notant que « Les mobiles de Loire-Inférieure lèvent l'étendard de la révolte »[8]. Le Docteur Flamarion tranche sans hésitation : « chaque fois que cette idée [de guerre civile] nous était venue, notre plus grand souhait avait été de ne pas y être mêlés »[9]. Robert Tombs[10] évalue à 30, voire 50 % dans certaines unités, le nombre de démobilisables qui préfèrent rentrer chez eux en mars plutôt que de rester dans une armée susceptible de faire le coup de feu contre des compatriotes. Dans les régiments reconstitués avec des prisonniers libérés, beaucoup démissionnent ou simulent des maladies.

Quand les violences de la guerre civile apparaissent, l’enthousiasme de certains insurgés s’éteint brusquement. « Ah bien ! Si ça commence comme ça ! » s’indigne un garde national en apprenant l’exécution des généraux Lecomte et Thomas. Sutter-Laumann, qui rapporte l’anecdote, observe alors que « beaucoup de gardes partirent tout de suite, comme ahuris de ce qui venait de se passer[11] ». Deux semaines plus tard, quand les premières opérations militaires sont déclenchées (2 avril), les désertions se multiplient dans les rangs des Fédérés. Faut-il considérer que ces déserteurs renient leurs convictions révolutionnaires du seul fait qu’ils vont devoir risquer leur vie pour les défendre ? Les intéressés se justifient d’abord par le refus de l’affrontement fratricide. Nombre d’entre eux qui ont mis « crosse en l’air » le 18 mars l’ont fait parce qu’ils ne voulaient pas avoir à tirer sur les Parisiens. Les mêmes sentiments les obligent alors : ils ne veulent pas poursuivre l’aventure parce qu’elle les conduirait à l’affrontement civil qu’ils ont précisément voulu éviter le 18. Certes, « il est impossible de déterminer avec précision l’ampleur du refus de la guerre civile » écrit Robert Tombs : « nos sources sont incomplètes et reflètent l’opinion des contemporains qui se fiaient à leurs impressions. » Mais il ajoute : « Les actions de la plupart des soldats étaient fluctuantes et contradictoires Non seulement leurs idées changèrent, mais (…) pratiquement aucun soldat ne s’était battu en mars ; tous les soldats ou presque se battirent en mai. Ce n’est pas l’opinion des soldats qui changea, mais les circonstances. » Ce retournement que l’historien britannique explique par la lassitude et une incompréhension progressive[12] [que confirment les élections du 16 avril[13] ainsi que la plupart des témoignages écrits à chaud], montre que la situation de guerre civile acceptée en mai ne l’était pas en mars. Officier aux légions d’Alsace et Lorraine pendant la guerre, le colonel Barral de Montaud (un homme que rien ne prédispose à la révolution) s’explique : il a rallié son poste à Paris le 22 mars 1871. A cette date, dit-il, nul ne savait ce que voulaient les chefs de l’insurrection et il est resté à son poste par devoir. La guerre civile qui s’est déclenchée l’a désespéré et, s’il a servi la Commune, se fut malgré lui. Parce qu’il est celui d’un prévenu qui recherche la clémence de ses juges, la bonne foi de ce témoignage peut être mise en doute ; mais il en recoupe d’autres assez nombreux pour le rendre crédible.

 

 

Le patriotisme et la Commune

 

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Les hommes et les femmes qui interpellent les soldats du 88è régiment de ligne ne sont pas dans la rue pour soutenir un programme de réformes ; leur action s’inscrit d’abord dans un élan de colère contre les « capitulards », contre ceux là qui trahissent la Patrie en ne poursuivant pas la lutte contre l’envahisseur.

 

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Pour les Parisiens, non seulement les « Trochu » et consorts ont capitulé sans gloire, renonçant à l’ultime sacrifice que les assiégés pensaient pouvoir accomplir, mais ils ont autorisé les Allemands à entrer dans Paris. Un petit tour sur les Champs-Élysées le 1er mars et puis s’en vont, maigre concession accordée à l’ennemi pour clore une fois pour toute le lamentable épisode de la guerre perdue ; mais concession trop symbolique qui incarne le fossé qui s’est creusé entre l’imaginaire de la population et le triste réalisme du gouvernement. « Parisiens restés à Paris et Parisiens revenus des armées de province eurent vite fait de fraterniser sur le boulevard » se souvient le bonapartiste Gaston Jollivet ; « sous l’uniforme qu’ils gardaient (…) battaient des cœurs de soldats attristés par la défaite de nos armes, mais ayant confiance, sans le crier par-dessus les toits, dans une prompte revanche. »[14] Jeune volontaire de la garde nationale peu suspect de sympathie pour la Commune, Vincent d’Indy est très clair sur ses propres motivations du 18 mars, date où il se laisse entraîner par le mouvement populaire : « le dégoût qu’on ressentait pour les hommes du 4 Septembre », écrit-il : « ils étaient devenus tellement à charge à la population de Paris, après le siège, que l’on voulait à tout prix les voir quitter ce pouvoir. » A un autre moment, il parle du « fiel déposé dans tous les esprits par la capitulation (qui) n’était pas encore adouci ? »[15]. C’est bien le patriotisme qui motive sa première réaction.

Ce témoignage n’est-il que reconstruction a posteriori vouée à justifier une attitude coupable ? Il rejoint pourtant les observations faites à chaud : « Parti d’un mouvement généreux, celui de la résistance héroïque jusqu’à la mort[16], il va tout de suite aux pires excès » s’inquiète Louis Gallet en apprenant l’insurrection. Mais les raisons qu’il donne à cet « héroïsme généreux » sont sans équivoque : « Maintenant bien des choses nous reviennent à l’esprit. Nous nous rappelons les agitations des remparts, les propos sur la trahison certaine, l’orgueil froissé par la défaite (…) l’incertitude de l’avenir, le présent assuré par les trente sous quotidiens, le désir égoïste de ne pas perdre cette ressource et, pour cela, de continuer la vie armée, de garder à Paris (…) cette physionomie de camp retranché »[17] De fait, Versailles coupe les vivres et les moyens de poursuivre la lutte autant qu’il accepte l’humiliation de la défaite. A contrario, l’écrivain ne discerne aucun caractère révolutionnaire à l’événement, ni ce jour là ni les précédents. Le 15, il écrivait : « Depuis la reculade de Buzenval, il y a dans la foule un esprit de défiance. Et parmi les gardes nationaux de notre quartier ouvrier, il y a presque unanimité pour la guerre à outrance. » Le propos fait écho à celui tenu dès le 5 février par un républicain déçu[18] : « Tous ces hommes que l’on avait accepté (faute de mieux) le 4 septembre, puis acclamés (pour ne pas prendre pire) le 3 novembre, sont aujourd’hui complètement perdus dans l’opinion et c’est justice car ils n’ont montré qu’incapacité, lâcheté et mensonges. »

Prendre parti pour la Commune, c’est se battre pour la Patrie trahie. Le 18 mars, Léonce Patry est dans Paris et son uniforme lui vaut d’être pris à parti et insulté : « capitulard », « assassin », « vendu de Bismarck ». Acculé dans un coin, il est menacé ; mais quand ses agresseurs apprennent qu’il a servi dans l’armée du Nord sous le commandement de Faidherbe, ils changent aussitôt d’attitude et le portent en triomphe. Trop heureux de s’en tirer à si bon compte, le malheureux utilise le procédé à deux autres reprises[19]. Or, s’il est fêté, c’est parce qu’il incarne la résistance à l’ennemi, la « guerre à outrance ». Ainsi le patriotisme apparaît-il bien comme moteur de l’action. Anticommunard, Arthur Bary en convient : « L’émotion de la défaite (…) s’est changée en rage chez les uns, en apathie chez les autres, il faut être indulgent pour elle, parce que ses chefs sont vraiment trop bêtes[20]» Au moment de la capitulation, les Parisiens se sont résignés ; mais la fibre patriotique brûle encore. Quelques jours auparavant (le 24 janvier), les rapports de police le signalaient : y compris dans les milieux pourtant considérés comme « instruits », « On s’y préoccupe de continuer la lutte, en se fondant sur la croyance que l’état des approvisionnements le permettra longtemps encore. Si les récits qui ont cours à la Bourse sont exacts, le gouvernement se retrouverait placé, par cela même, en présence de la surprise où une grande partie de la population sera jetée. »[21] L’effondrement de cette préoccupation au moment de l’armistice n’éradique pas cette illusion que les erreurs politiques des jours suivants n’ont fait qu’attiser !

 

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La « Patrie en danger » divise les patriotes

 

Les motivations des militaires qui réprimèrent l’insurrection ne sont pas toujours honorables. Insultés à la fin janvier, au moment de la capitulation, ils ont été humiliés le 18 mars. Ils ont donc des comptes à rendre. D’autres ont des raisons plus prosaïques : ils cherchent à se refaire une place au sein de l’armée. Faits prisonniers à Sedan ou à Metz, ils n’ont pas pu briguer les grades et responsabilités qu’ils convoitaient. La campagne de Paris est pour eux une occasion de revenir en grâce auprès des autorités qui se méfient d’eux parce qu’ils ont d’abord été serviteurs de l’Empire. A ces motivations peu glorieuses s’ajoutent les convictions idéologiques amplement suffisantes pour justifier la répression. Les raisons de la violence ne manquent pas aux yeux de ceux qui vont s’y abandonner corps et âmes. Pour comprendre les formes brutales qu’ont prises les représailles, il faut toutefois prendre en considération le maintien des sentiments patriotiques. Ils ont beaucoup fait pour précipiter la brutalité de la semaine sanglante ! Les soldats qui se sont déployés dans Paris avaient le souci de « sauver la France » qu’ils sentaient menacée. Qu’ils aient agi comme ils l’ont fait pour défendre une certaine idée de la France qui n’était pas partagée par leurs adversaires ne change rien à la nature de leur sentiment. Le patriotisme n’est pas une valeur qui se décline de manière uniforme et chacun peut, de bonne foi, s’en réclamer.

Dans l’esprit de beaucoup, la guerre civile qui n’avait pu être empêchée faisait le jeu de l’ennemi. Dès le 1er avril, Eugène Fromentin s’inquiète : « Cette intolérable situation ne peut durer. Elle va d’un jour à l’autre se dénouer par une catastrophe, et le dénouement ne peut être qu’horrible. La question est de savoir qui mitraillera Paris, si c’est la France ou la Prusse ? Peut-être bien l’une après l’autre. » Le capitaine Aragonnes d’Orcet partage cette opinion. Le 13 avril, il écrit : « ma plus grande peur est que nous soyons destinés à une suprême et terrible honte ; que les Prussiens trouvent que nous sommes trop longs à en finir, ne se mêlent de l’affaire et ne mettent la paix chez nous de façon à ce qu’ils puissent prétendre à la reconnaissance de notre part ». Même sentiment exprimé par P. de Boys, commerçant à Paris : « Je ne sais quand tout cela va finir. Mais je crois bien que la solution, du moins une solution, est proche, car la Prusse perd patience[24]. » Pour tous ces hommes issus de milieux différents et soucieux d’éviter une nouvelle défaite nationale, il fallait mettre un terme le plus rapidement possible à l’affrontement fratricide.

 

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La défense de la Patrie trouvait aussi sa justification d’un strict point de vue idéologique : « sauver la France » c’était la protéger de l’internationalisme qui s’était emparé de sa capitale. Lutter contre les Communards et le drapeau rouge que ceux-ci avaient hissé sur le dôme du Panthéon, c’était combattre pour la bannière tricolore. Il ne s’agit pas là de simples emblèmes, cautions pratiques pour justifier la violence. Pour des hommes qui sortaient de six mois de guerre pendant lesquels le culte du drapeau avait été exacerbé, la Marseillaise entonnée comme aux plus beaux moments de la Révolution et la Mémoire des soldats de l’an II réactivée contre l’invasion étrangère, voir un courant politique se référer à d’autres couleurs et combattre en alignant dans ses rangs Polonais, Hongrois, Américains ou Italiens, apparaissait comme l’insulte suprême. « L’idée selon laquelle la nation incarnée par Versailles luttait pour sa survie contre une faction de traîtres appuyés par l’étranger devint un des thèmes les plus importants de la propagande de Versailles[26]. » Tombs a raison de souligner l’instrumentalisation par les Versaillais d’une telle idée ; mais si elle fut efficace, c’est précisément parce qu’elle faisait écho à un sentiment bien partagé. Le 29 mai, Boys l’écrit : « L’opinion générale de la ville et de l’armée c’est que la Prusse a payé cette débauche de brigandage. » En quinze jours, son sentiment a basculé. Des Prussiens prêts à réprimer la Commune, il est passé aux Prussiens commanditaires de celle-ci ! Effet redoutable de la propagande et des événements survenus entre temps ? Marque aussi d’un souci patriotique intact : lutter contre la Commune se confond avec la lutte contre les Prussiens ; ce nouveau combat n’est que la poursuite de la guerre de 1870 sous une autre forme ! Dans l’esprit du témoin qui adhère à l’idée, il n’y a alors plus de rupture entre l’acceptation du 18 mars et la satisfaction de voir la Commune anéantie le 28 mai. Ces deux attitudes antinomiques traduisent pour lui un même souci d’achever la guerre par une victoire nationale !

Côté communard, le patriotisme qui a favorisé l’insurrection initiale se perpétue pendant toute la période. Cette réalité s’exprime ainsi dans les chansons populaires entonnées au pied des barricades : tous les thèmes patriotiques s’y retrouvent et, le 30 avril, Fanny Keller fait un triomphe au Cirque national en interprétant Qu’on se souvienne, imprécation patriotique de Paul Burani[27]. Paradoxalement, ce même patriotisme est moteur des défections dont souffre l’armée fédérée.

 

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Pour chacun des adversaires, l’autre est le traître contre lequel la lutte doit être totale. Dans un tel contexte, les Français renouent avec la violence de la guerre étrangère.

 

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Ainsi le même patriotisme a-t-il pu unir les Parisiens avant de les conduire à l’affrontement. Comme en 1914, il était déjà « un domaine commun ». A un détail près ! Si les circonstances de la défaite ont nourri un même patriotisme dans tous les partis et généré dans le même temps une semblable différenciation d'expression, cette dernière s’est trouvée politiquement inversée ! En janvier 1871, deux France entretenaient bien une valeur commune : le patriotisme. Les raisons idéologiques pouvaient être opposés, les uns et les autres cultivaient un même sentiment d'appartenance à une Patrie humiliée et un même désir de revanche. Certes, ce désir ne renvoyait pas à l'adoption de mêmes méthodes. S’il rapprochait les deux France, celui de la droite préconisait la paix plutôt que l'idée de poursuivre la guerre à outrance comme y appelait la gauche révolutionnaire. Mais, comme cette dernière, la France favorable à la paix n'était pas pacifiste ! Elle voulait la paix pour mieux préparer la guerre !

 

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Annexe : Lettre du capitaine Nigon à Alexandre de Mazade

 

11 mars,

Capitaine Nigon du 92è

 

Mon cher camarade,

 

J’ai le regret de vous annoncer que je viens de donner ma démission du grade de Capitaine dont vous m’aviez honoré, démission motivée par les considérations suivantes :

Je n’approuve pas la décision prise au sujet du canon du Bataillon et je déplore la scission qui s’opère dans les rangs de la garde nationale sur ce point.

 

Ne voulant pas à un moment donné avoir à opter entre le sacrifice de mes convictions comme citoyen et celui de mes devoirs comme officier, je donne ma démission.

 

Je rentre comme garde dans la Compagnie, car je tiens à rester avec vous que j’ai appris à estimer pendant le dur temps d’épreuves que nous venons de traverser ensemble.

 

Votre tout affectionné camarade Nigon,

fabricant de fleurs,

place de la Corderie-du-temple, 6

 

 

 

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