LA
QUESTION INDIENNE SOUS LE RÈGNE DE MAXIMILIEN
illusions de l’indigénisme et comportement des communautés du Michoacán
(Mexique,
1862-1867)
Copyright © 1987
Janvier 2002
L’étude du comportement des communautés indiennes du Mexique face à 1’ Intervention française montre que, dans l’ensemble, la population indigène a plutôt bien accueilli l’avènement de l’archiduc Maximilien et soutenu sa cause, se prononçant contre la République libérale de Juarez. L’attitude globale des Indiens (ou de ceux qu’on désigne sous ce terme générique) est un événement qui mérite l’attention dans la mesure où il définit l’existence de clivages ethno-politiques que l’historiographie ne met pas toujours en valeur.
La sympathie inattendue des Indiens pour le régime impérial s’explique assez bien par une vieille antipathie pour les Mexicains, lesquels remettaient en cause, par leurs multiples réformes, les schémas traditionnels auxquels ces populations étaient attachées: propriété communautaire de la terre, statut juridique particulier, pratiques religieuses... etc. On peut aussi imaginer que le discours indigéniste de Maximilien, des Français ou d’autres personnalités ait pu avoir un impact suffisant pour mobiliser cette classe intéressante de la population.
Ceci
dit, nos travaux antérieurs[1]
ne répondent pas pleinement à la question suivante: si les Indiens avaient de
bonnes raisons d’adhérer à la cause impériale, qu’elles étaient celles
de leurs interlocuteurs quant à les mobiliser ? Pourquoi Maximilien, les Français
et d’autres se sont-ils tellement intéressés à cette population et y
ont-ils trouvé leur compte ? L’indigénisme était-il vraiment une démarche
politiquement pertinente ? C’est ce à quoi nous aimerions répondre dans un
premier temps.
En
second lieu, l’étude nationale des comportements indiens face à 1’
Intervention ne permet pas de se faire une idée précise des
situations locales. Il nous a donc semblé judicieux d’affiner la
recherche et d’essayer d’appliquer les modèles d’analyse utilisés antérieurement
à une région d’extension plus modeste. Ce que nous observons à l’échelle
du pays se vérifie-t-il à celle d’un État ? L’approche régionale
permet-elle, par ailleurs, de découvrir des relations de causes à effets
instructives ? Nous essaierons de répondre à ces questions dans une seconde
partie de ce travail, l’analyse portant sur l’État du Michoacán choisi pour
des questions de sources et par référence à la représentativité de la région.
Raisons d’être et illusions des indigénismes sous le règne de Maximilien
Soucieux
d’améliorer le sort des Indiens dont il découvrait la misère, Maximilien
inaugura en novembre l865 une politique indigéniste. Mal lui en prit puisque ce
choix mobilisa contre lui toutes les élites politiques du pays : les libéraux
qui n’y voyaient que basse démagogie ; mais aussi les grands propriétaires,
toutes sensibilités politiques confondues, qui la jugeaient économiquement
irrationnelle et les conservateurs qui n’en retenaient que l’aspect séditieux
et contraire à ce qu’ils considéraient comme relevant de l’intérêt même
des Indiens. Dans un de ses rapports politiques, Bazaine lui aussi se chargea de
développer une sévère critique du décret d’émancipation des péons
concocté par l’empereur[2].
De son coté, le lieutenant Henri Loizillon (officier assez représentatif
de l’armée française et de ce qu’elle pensait plus ou moins ouvertement)
ne trouve pas de mot assez dur pour fustiger une politique de régénération du
Mexique par les Indiens qu’il juge tout simplement stupide[3].
Une telle unanimité convie donc a s’interroger : comment un
projet, qui isolait si absolument son promoteur, a-t-il pu se mettre en place ?
Pourquoi Maximilien n’a-t-il pas abandonné très vite un choix qui le
condamnait si irrémédiablement ? Simple lubie et entêtement d’un monarque indiomaniaque[4]
et imprégné de romantisme rousseauiste[5]
? Il est possible que le caractère éthéré de l’archiduc l’ait conduit à
poursuivre une politique si funeste pour son autorité. Pourtant, de nombreuses
observations montrent que Maximilien n’était pas l’idéaliste que certains
auteurs présentent. Nous avons pu également constater qu’il ne fut pas le
seul à tenir des propos indigénistes. D’autres que lui croyaient au bien
fondé d’un tel choix et ont pu l’encourager à poursuivre ses efforts. Mais
qui ? Pourquoi ? Et quelles illusions de tels indigénismes ont-ils pu
entretenir ?
Débarquant au Mexique, Maximilien n’a
pas inventé l’indigénisme. Cette pensée avait déjà ses avocats parmi les
républicains et les savants mexicains. S’extasiant devant les capacités
intellectuelles de la race indienne, Francisco Pimentel en est l’un des plus
illustres porte-parole[6].
Ne croit-il pas les Indiens capables de rivaliser d’intelligence avec les
Européens ? Au cœur du courant costumbriste,
lequel récupère l’originalité indienne pour légitimer l’indépendance
et l’élaboration d’un Mexique moderne, Guillermo Prieto favorise lui aussi
une certaine forme d’indigénisme. Ignacio Ramirez, pour sa part, est de ceux
qui préconisent (déjà !) l’édification des Indiens par le moyen de leur
propre culture[7].
Sans vouloir détailler davantage, il faut admettre que l’indigénisme est une
réalité vivante dans le Mexique des années 1850 et qu’elle touche un panel
assez varié de personnalités de l’époque. Mais on sait désormais à quels
résultats cet indigénisme mexicain tendait: le
XIXème
siècle fut un siècle noir pour les Indiens, explique
Marie-Danielle Démélas[8],
parce que le premier indigénisme républicain
se définissait par sa cible (... et) visait à remplacer l’exploitation des Indiens au profit du
gamonal (…) par une exploitation rationnelle (…) au profit de l’État (...).
La différence majeure qu’introduisait
l’indigénisme républicain [par rapport a la pensée coloniale] résidait
dans la laïcisation de la fonction tutélaire; il substituait l’instruction
à l’évangélisation. De
fait, et en dépit des discours émancipateurs - ou, au contraire, sous leur
couvert - les nouvelles élites professaient un indigénisme qui refusait aux
Indiens tout droit à l’altérité parce que celle-ci s’avérait à leurs
yeux trop anti-progressiste. Au nom du Progrès - et donc pour son bien – l’Indien
devait s’intégrer, disons plutôt s’assimiler, autrement dit renoncer à
ses vieilles habitudes jugées rétrogrades. Cet indigénisme n’acceptait donc
de reconnaître l’altérité indienne que pour mieux la réduire. Elle était prétexte idéal pour exercer une pratique discriminatoire[9].
Ainsi inscrit dans la logique de la pensée positiviste, cet indigénisme
n’avait-il de raison d’être qu’idéologique ou socio-économique. Son but
était de faire disparaître l’Indien en tant que tel. L’illusion était
alors totale. A cela venait s’ajouter une situation qui ne manquait pas d’être
mobilisatrice: l’ intégration signifiant implicitement éclatement des
communautés, elle favorisait la récupération des terres indiennes par toutes
sortes de grands propriétaires ambitieux. Une bonne raison pour soutenir un
discours qui avait l’avantage de paraître généreux.
Maximilien
et les Français se voulurent indigénistes, mais leurs pensées ou calculs ne
pouvaient se nourrir des mêmes raisons. Peu concernés par la perspective de
s’approprier des terres, leur indigénisme ne pouvait être qu’idéologique,
tactique ou le produit d’un romantisme plus ou moins désuet.
Il est certain que les attitudes indiomaniaques de l’empereur ne manquent pas pour accréditer la
thèse du romantisme: dons d’argent aux Indiens déshérités, adoption d’un
héritier issu de la caste, création d’une commission des affaires
indiennes... Et pourtant : certains gestes n’apparaissent pas totalement dénués
de pragmatisme politique. Ainsi l’empereur se propose-t-il comme parrain des
Indiens de Cadereyta. Quand on connaît l’importance des liens de compadrazgo,
on est en droit de se demander si c’est uniquement par exotisme que
l’archiduc se prête ainsi à une cérémonie non seulement étrangère à ses
conceptions politiques, mais aussi au portrait qu’on a coutume de nous tracer
de l’homme. Si Maximilien eut un tort en ce domaine, c’est sans doute de ne
pas avoir su systématiser un geste resté trop anecdotique. Par ailleurs, si on
analyse la législation faite en faveur des Indiens par Maximilien on s’aperçoit
qu’elle n’est pas si déraisonnable qu’on a bien voulu le dire. Malgré
ses critiques, Bazaine le reconnaît. Les reproches qu’il formule ne font que
souligner certaines contradictions du texte et non soutenir l’idée qu’il
faille abolir un document irresponsable. A l’instar du futur maréchal, qui ne
crie pas à l’ineptie, la majorité des soldats du corps expéditionnaire
soutiennent une politique qu’elle juge juste et appropriée. Même le
lieutenant Loizillon : il ne critique pas le programme de Maximilien pour lui même ;
il pense seulement que les indiens sont trop dégénérés
pour que celui-ci soit efficace. Cela n’a évidemment pas la même
signification. Alors ? Faudrait-il conclure, sous prétexte qu’ils partagent
les convictions de Maximilien, que tous les soldats français ne sont, à son
image, que de doux rêveurs, idéalistes et romantiques ?
De fait, s’ils
entretiennent tous un même indigénisme, aussi général qu’il est distinct
de celui qui mobilise les Mexicains, c’est sans doute qu’intervient une réalité
européenne qu’il convient de rechercher dans le contexte spécifique du vieux
continent.
En
regardant de près la législation de 1865, on est alors frappé par le souci à
la fois légitimiste, libéral et éclairé, voire populiste, qui la caractérise,
qualités que l’on retrouve dans les écrits de la plupart des témoins européens
de l’Intervention, Or, ces caractères sont typiques des tendances qui ont
cours en Europe. Celle-ci est alors un monde en pleines mutations où Républiques
et pouvoirs autoritaires se succèdent. On remarque cependant que chaque régime
qui se met en place entretient le souci impérieux d’asseoir son autorité sur
l’expression, plus ou moins truquée, d’une légitimité. C’est dans cette
perspective que se développe, en France notamment, la pratique plébiscitaire
(1804, 1851, 1868) de la délégation du pouvoir par acclamation populaire
(1830) ou, plus simplement, par élection
(1848-1849, 1871...), et que l’assiette électorale tend à s’élargir régulièrement.
C’est dans ce contexte qu’il faut replacer l’exigence de Maximilien selon
laquelle il n’accepterait son intronisation qu’après consultation populaire
l’assurant de sa légitimité. Alors, romantisme de l’archiduc, vraiment ?
Non ! nous pensons qu’il s’agirait seulement d’une forme de réalisme
politique parfaitement adapté à l’ancien monde, mais non transposable au
milieu mexicain. A partir de là, toute l’action indigéniste de Maximilien
peut-être reconsidérée comme relevant d’une tentative logique d’asseoir
sa légitimité électorale - ou de ce qu’ il considère comme tel, puisque le
scrutin était truqué - sur une légitimité plus concrète. Par sa législation,
il n’aurait rien cherché d’autre qu’à mobiliser le soutien d’un peuple
qui est le sien et qu’il découvre pauvre. Imprégné de références européennes,
il pense que la stabilité d’un gouvernement passe par l’acceptation de
certaines concessions au peuple et c’est dans cette optique qu’il aurait développé
son indiomanie. Le drame, en cette
affaire, ne réside pas dans le caractère fantasque de ce monarque légiférant
sur la nature des uniformes de la Marine ou sur le protocole palatin quand le
pays se trouve déchiré par la guerre civile. (Ne retenir d’ailleurs, de la
passion législative de l’archiduc que ces décrets dérisoires, c’est
oublier un peu vite qu’ils s’inscrivent dans une oeuvre plus consistante où
le futile voisine avec le nécessaire). Non, le drame n’est pas là ; il se
situe seulement dans l’inexpérience américaine de l’empereur, et dans le
fait qu’il ait conçu un peuple mexicain comme on pouvait concevoir un peuple
français, anglais ou autrichien à la même époque. Ce qu’il ignorait,
c’est qu’il ne pouvait pas s’adresser au peuple mexicain parce que
celui-ci, agglomérat factice de Créoles, de Métis et d’une mosaïque de
peuples indigènes, n’existait pas. Il ignorait aussi combien ces peuples
dispersés et traditionnellement hostiles à tout ce qui pouvait leur venir des
Blancs, seraient difficiles à
Un raisonnement similaire peut
s’appliquer à l’indigénisme préconisé par les Français. Celui-ci se
nourrit des mêmes convictions et inexpériences des Européens plongés dans
une Amérique qu’il ne connaissent pas. Les sources font cependant apparaître
quelques nuances. On retrouve dans la correspondance des soldats français des
propos très civilisateurs qui ne sont pas sans rappeler l’indigénisme
mexicain. Ce discours trouve sa meilleure expression dans les développements
tenus par les savants de la commission scientifique dont les conclusions
rejoignent celles d’un Francisco Pimentel. La grande différence c’est que
les Français ne font pas état du même mépris pour les Indiens que les
Mexicains. Il est fréquent, au contraire, d’observer que toute l’antipathie
des militaires français se tourne plus souvent contre ces derniers que contre
les indigènes. Au point de pouvoir évoquer l’existence d’une véritable
“entente cordiale” franco-indienne et anti-mexicaine, se traduisant précisément
par toute une série de mesures indigénistes qui n’ont rien à envier à la législation
de l’empereur : condamnation de la leva (pratique
de l’enrôlement forcé), exemptions fiscales, incorporation libre dans la Légion
étrangère, rétablissements de privilèges, de coutumes ou d’autorités
indiennes, octroi d’armes... etc.
Ceci étant, il convient de replacer
cette attitude dans le contexte militaire de la guerre d’Intervention. A ce
sujet, les ordres sont aussi clairs que formels : les populations indigènes
doivent être bien traitées afin de s’assurer de leur complicité dans l’œuvre
de pacification entreprise ; pour isoler les “rebelles”, il est recommandé
d’utiliser la haine ancestrale des Indiens pour les Mexicains. En d’autres
termes, cela signifie que l’indianophilie (sans doute sincère) des soldats
français se doublait, non seulement d’une conviction de supériorité
civilisationniste, mais aussi d’une approche très tactique de l’indigénisme,
qui en dit long sur la nature de ce dernier. Pour les Français, il était plus
un choix tendant à libérer les Indiens d’un ennemi qui était aussi le leur,
que de défendre une différence, une autonomie et une culture auxquelles les
intéressés étaient attachées. Une nouvelle fois, pour les Indiens, l’indigénisme
n’était qu’une illusion. Qu’ils aient préférés la version française
à la mexicaine n’y change rien. Qu’ils n’aient pas défendu avec plus
d’âpreté le régime de Maximilien s’expliquerait alors par la découverte
qu’ils auraient pu faire selon laquelle le régime des étrangers n’avait,
finalement, pas grand chose de plus à leur offrir que celui des Mexicains.
En définitive, la seule chose sûre,
c’est que le règne de Maximilien fut marqué par une importante et inédite
expression d’essence indigéniste. Au sein de celle-ci, deux courants se
dessinent : l’un mexicain, l’autre européen. La différence entre eux
tiendrait essentiellement au fait que le second reconnaissait (par tactique) à
l’individu indien un rôle et une place dans la nouvelle société quand le
premier (par mépris ou par haine ?) la lui refusait, considérant l’Indien
comme une vieillerie qui ne comptait pas. En dépit de quoi, ces deux indigénismes
étaient trop imprégnés d’idéal positiviste et de la conviction d’avoir
raison contre l’archaïsme indien pour accepter que le droit à la différence
fut une revendication légitime. C’est pourquoi ils ne pouvaient être que les
promoteurs d’une même illusion incapable de s’opposer aux aspects intéressés
que de tels indigénismes favorisaient.
Enfin, si Maximilien a pu tenter une
telle politique, ce n’est pas absolument contre vents et marées : Entre
l’appui des forces armées françaises dont les membres partageaient ses
convictions, une élite intellectuelle férue d’idées nouvelles, et une
opposition aussi, qui espérait le compromettre en le laissant s’enferrer dans
une direction jugée sans issue, il y avait assez de forces politiques pour
l’encourager dans l’une des pires erreurs de son règne.
Ceci ayant été analysé, intéressons
nous maintenant au comportement des communautés indienne du Michoacán face à
l’Intervention.
Le Michoacán au temps de l’Intervention
Même si nous avons eu l’occasion de
préciser qu’il ne fallait pas y voir l’expression d’une adhésion
inconditionnelle au modèle politique et culturel établi par Maximilien, nous
savons que les communautés indiennes du Mexique ont manifesté des sentiments
plutôt favorables à l’Empire. Une analyse régionale confirmerait-elle cette
observation ? C’est la question que nous n’avons pas manqué de nous
poser tout au long de nos recherches. C’est pourquoi nous avons décidé de
transposer nos méthodes d’investigations à l’échelle plus modeste du seul
Michoacán. Pourquoi cet état plus qu’un autre ? Pour deux raisons au moins :
l’une pratique, relative à l’état des sources dont nous disposons ;
l’autre historique : dans le cadre de l’Intervention française, le Michoacán
apparaissait comme une région pertinente, non seulement par sa
localisation et sa géographie physique, mais aussi par les caractères (numériques
et relativement bien préservés) de ses populations indiennes. Sur le plan
politique, cet État se présentait par ailleurs comme un espace assez bien
distribué entre les différents partis en présence, et dans lequel l’opinion
semblait assez partagée pour offrir un éventail varié de situations.
Notre objectif étant toujours de mettre
en évidence la sensibilité politique des Indiens par rapport à leurs
comportements, nous n’avons pas jugé utile de reconsidérer entièrement nos
méthodes. Cependant, pour mieux mettre en valeur une spécificité, nous avons pensé qu’il serait intéressant
de confronter l’attitude des Indiens à celle des Mexicains. Aussi, dans un
premier temps, avons nous étudiés les comportements observés dans le Michoacán
toutes populations confondues. Ce n’est qu’ensuite que nous avons
tenté d’établir quelles relations pouvaient exister entre ces comportements
et la nature des populations concernées.
1°) Géographie politique du Michoacán
Au temps de l’Intervention, le Michoacán
n’apparaît pas comme un État franchement déterminé pour une
cause plutôt que pour une autre. Tous les contemporains, français comme
mexicains, conservateurs autant que libéraux, restent prudents et hésitent
avant de s’approprier la sympathie des populations. L’esprit
est partagé, signalent les rapports militaires français dès 1863 ;
et jamais cette opinion ne se départira tout au long de la période.
Certes, le gouverneur Rivas Palacio est libéral et la
population [de Morelia] se manifesta comme étant plus hostile que dans les
autres cités, reconnaît le général Thoumas[10]. L’implantation des
chefs de la guérilla, comme Artéaga ou Régules, semble solide. Zitacuaro
apparaît comme un centre de résistance libérale difficile à réduire et
Tacambaro est le lieu d’un des plus mauvais souvenirs des soldats du corps expéditionnaire
belge. Pourtant, l’État n’apparaît pas comme unanimement libéral : les
Français y tiennent des positions aussi solides que celles de leurs adversaires
et Eduardo Ruiz lui-même, militant libéral, reconnaissait que la partie n’y
était pas gagnée d’avance pour les siens.
En fait, l’analyse détaillée des
sources permet de définir assez nettement les positions de chaque camp. Coté
libéral : la ville de Morelia, mais aussi Quiroga ville
libérale depuis toujours[11],
Tacambaro, Ario, Taretan, Uruapan, Apatzingan, Zacapa et Coeneo, tous
campements des libéraux[12],
Zitacuaro, qui se distingue pour son amour
de la liberté[13],
Jungapeo, Caracuaro où l’on observe de
sincères sympathies pour les libéraux[14]
; Cotija encore qui refusa l’adhésion à l’Empire malgré les
patriotiques exactions[15].
En revanche, Puruandiro qui manifeste sa sympathie pour Marquez[16],
Zamora satisfaite de la présence d’une garnison française dans ses murs[17],
Purepero dévoué à l’Empire, Tingambato,
Nahuatzen, Cheran et Paracho[18],
La Piedad dont les habitants sont impérialistes[19],
Sahuayo, Maravatio qui résiste aux forces de Régules[20],
Patzcuaro qui offre à l’empereur de nombreux volontaires enthousiastes[21],
Zirandaro dont la population reconnaissante est amie des Belges[22],
Paracuaro dont les Pintos, commandés par Espinosa, ont attaqué les forces d’Artéaga[23],
Cuitzeo qui, sous influence des Augustins, prend parti pour l’Intervention [24],
sont toutes des localités reconnues impérialistes.
Si nous nous référons, par commodité,
aux seuls chef-lieux de district, nous pouvons faire les remarques suivantes :
Sur quinze districts, 9 sont reconnus libéraux (Morelia, Uruapan, Zitacuaro,
Huetamo, Ario, Tacambaro, Apatzingan, Coalcoman et Jiquilpan). contre 6 impérialistes
(Puruandiro, Zamora, Patzcuaro, Maravatio, Zinapecuaro et La Piedad). Portée
sur une carte (fig. 1), cette distribution politique met en évidence
l’existence d’une ceinture libérale s’étirant du Nord-Ouest (Jiquilpan)
à l’Est (Zitacuaro) en s’incurvant vers le sud et enveloppant les positions
impérialistes fixées au centre (Patzcuaro) ou au Nord-Est (Maravatio). Une
telle disposition peut s’expliquer aisément : venant de Mexico (l’Est), les
Français tiennent les places situées sur les principaux axes, laissant aux libéraux
les secteurs les plus éloignés à l’Ouest, les plus montagneux et peu habités
au sud et à proximité du Guerrero, bastion libéral par excellence. Situé
entre le domaine réservé de Manuel Lozada au Nord et celui d’Alvarez au Sud,
le Michoacán serait logiquement tiraillé entre deux influences contradictoires,
ce qui expliquerait son indétermination politique globale comme la répartition
d’opinion observée.
Telle est la première conclusion qui s’impose.
L’analyse approfondie confirme-t-elle ces dispositions ? Et, dans un tel
contexte, quel comportement caractérise les populations indiennes ?
Sont-ils conformes aux opinions environnantes ou non ?
opinions politiques par districts
District | Population du district | population du Pueblo | % d'Indiens | Activité économique dominante | Opinion politique | Observations | |
Morelia | 127.000 | 67.000 | 2 | Variées | libérale | - | |
Jiquilpan | 57.000 | 9.000 | 15 | arriéros (muletiers) | libérale |
Cotija (muletiers) est libérale Sahuayo (textiles) impériale |
|
Coalcoman | 14.000 | 10.000 | 10 | mines | libérale | Villages indiens indifférents | |
Apatzingan | 25.000 | 20.000 | 20 | agriculture | libérale | Indiens d'Apatzingan et Paracuaro impériaux | |
Uruapan | 80.000 | 16.000 | 30 | Industries et agriculture | libérale sauf indiens | Taretan, Tingambato, Cheran, Paracho, Nahuatzen, impériaux | |
Ario | 38.000 | 15.000 | 10 | Mines, cuir, chaussures | libérale | - | |
Tacambaro | 39.000 | 29.000 | 10 | verre et agriculture | libérale | ranchos dispersés | |
Huetamo | 45.000 | 27.000 | 30 | Mines | libérale |
Zirandaro impériale Indiens indifférents |
|
Zitacuaro | 65.000 | 25.000 | 20 | Mines | libérale | Indiens indifférents | |
La Piedad | 61.000 | 24.000 | ? | Mines et vermillon | impériale | Indiens impériaux sauf à Yurecuaro indifférents | |
Zamora | 88.000 | 21.000 | ? | agriculture et textile | impériale | Jacone, Chilchota, Purepero, Tlazazalca, dévoués à l'Empire | |
Puruandiro | 90.000 | 34.000 | ? | agriculture et chaussures | impériale | Parindicuaro, Coeneo : espagnols libéraux - Angamacutiro : indiens enrôlés | |
Patzcuaro | 52.000 | 29.000 | 80 | agriculture et pêche | impériale | Villages indiens impériaux | |
Zinapecuaro | 48.000 | 22.000 | ? | agriculture et mines | impériale | Tajimaroa et Indarapeo, villages miniers, libéraux | |
Maraviato | 50.000 | 17.000 | ? | agriculture et chaussures | impériale | - |
2°) Quelques
relations remarquables
Cherchant à savoir s’il existait une relation entre la nature ethnique ou sociale d’une population et son comportement politique, nous avons tenté d’inscrire les localités pour lesquelles nous disposions d’informations irréfutables dans un tableau qui préciserait pour chacune d’elles le nombre de sa population, ses caractères ethniques et le taux de résidants indiens, le type d’activité économique et la sensibilité politique reconnue. L’analyse de ce tableau permet de constater que les districts libéraux étaient essentiellement miniers (Zitacuaro, Huetamo, Ario, Coalcoman), industriels (Uruapari, Ario) ou centres muletiers (Jiquilpan). Deux seulement sont franchement agricoles (Apatzingan et Tacambaro). A l’inverse, les districts impérialistes sont traditionnellement agricoles (Puruandiro, Zamora, Maravatio, Patzcuaro) ou textiles (Zamora). Une exception : La Piedad où l’on trouve des mines. A l’échelle locale, l’observation se confirme : Taretan (commerce), CotiJa (distillation et centre muletier), Ixtlan (soufre et chlore), Parandicuaro (commerce et industrie), Tajimaroa (mines) sont tous des pueblos réputés libéraux ou jugés peu sûrs par les Français. Au contraire, Zirandaro, Paracuaro, Purepero, Tlazazalca, Nahuatzen ou Cheran, les villages autour de la Piedad, toutes localités vivant de l’agriculture, sont dites conservatrices. Il y aurait donc une relation entre la condition économique et les choix politiques, qui ne va pas sans rappeler les conclusions des recherches d’inspiration marxiste : d’un coté l’industrie et une classe ouvrière, plus ou moins encadrée par la bourgeoisie, faisant le choix progressiste ; de l’autre la paysannerie, dominée et asservie par l’aristocratie foncière, résolument conservatrice et réactionnaire.
Avant de tirer
une quelconque conclusion d’une telle observation, d’autres
relations remarquables doivent être signalées. Si l’on cherche à connaître
la sensibilité politique des populations indiennes, on constate les faits
suivants :
-
Plus le taux de population indienne est élevé, plus la localité est impérialiste.
Plus il s’abaisse, moins la localité est fidèle à l’empereur, que les
Mexicains fussent libéraux ou même conservateurs.
-
Dans les districts réputés libéraux, les populations indiennes se distinguent
des autres ethnies (fig.1 et 2) soit par leur impérialisme (Uruapan, Apatzingan),
soit par une totale indifférence pour les événements politiques (Jiquilpan,
Coalcoman, Huetamo). Même dans le cas de Zitacuaro, le libéralisme
des Indiens n’est pas évident. Ainsi, les Indiens d’Uruapan, qui représentent 25 à 30% de
la population, sont-ils favorables aux Français[25].
Eduardo Ruiz, qui reconnaît la présence de quelques impérialistes dans cette
cité ancienne, souligne les progrès des Indiens dans la direction qui lui est
chère, laissant donc entendre que c’est au sein de cette population qu’on
trouve les éléments encore les plus rétrogrades
du bourg[26]. De son coté, Francisco
Miranda suggère que les instigateurs d’une tentative de pronunciamiento dans
ce même Pueblo en décembre 1864, étaient soutenus par les Indiens, notamment
ceux de Paracuaro[27].
Centre libéral, Uruapan s’avère entouré de villages indiens totalement
acquis à la cause impériale (Tingambato, Nahuatzen, Cheran, Paracho, Charapan,
Taretan...). De même, à Huetamo, voit-on les femmes indiennes s’empresser
de soigner les blessures et de réconforter les prisonniers belges malgré
l’interdiction qui en a été faite par la guérilla.
figure 1: sensibilité politique par district |
figure 2 : sensiblité politique des indiens par district |
D’un
autre cote, à Yurecuaro, les Indiens, très acculturés et dépossédés par
les lois de désamortisation, se montrent hostiles à tout le monde. Dans
le district de Jiquilpan, les Indiens de villages environnants agressent la
population de Poncitlan ; mais ils le font pour leur propre compte, en dehors de
toute référence au conflit national. Ailleurs, Ruiz accuse les Français
d’avoir obligé les habitants pacifiques
d’Angamacutiro à s’armer et à se défendre[28].
Si la contrainte exercée
ici interdit de considérer ces populations comme impérialistes, le pacifisme
reconnu par l’ancien guérillero libéral ne trahit-il pas une certaine indifférence
pour les événements ? A Cotija, il ne reste que 12% d’Indiens très
acculturés, dont les sources ne disent rien. Parce qu’ils sont indifférents ?
Il le semble en effet. Dans les villages d’Ostula, Maquili, Pomaro, Acuila,
Huitzorxtla (district de Coalcoman) à 100% indiens, la
population s’efforce avec zèle d’empêcher toute introduction chez eux d’éléments
étrangers[29].
Pourquoi, sinon parce qu’ils souhaitent qu’on les laisse tranquilles ?
Au début, reconnaît Ruiz, les habitants de Zitacuaro étaient hostiles à la présence des forces libérales[30].
De son coté, le colonel Potier explique comment cette même population a
toujours repoussé ce qui lui venait de Mexico[31].
Toujours ce souci de rester à l’écart des troubles ? Les habitants d’Asajo
(Coeno), des Indiens qui ne parlent pas l’Espagnol, fuient les soldats,
qu’ils soient libéraux ou conservateurs[32].
Ceux d’Arantépicuaro sont reconnus indifférents
par les soldats français qui visitent leur village[33].
Dans
l’ensemble les Indiens apparaissent donc soit favorables français soit indifférents.
De Schrynmakers l’affirme sans détour : l’adhésion des populations à l’Empire était réel et les
acclamations, surtout des Indiens, étaient plus frénétiques que jamais (....),
ils donnaient des marques non équivoques
de leur dévouement à l’empereur qu’ils considéraient comme leur libérateur
: ils ne cachaient pas leurs espérances[34].
Ruiz confirme en écrivant que les
Indiens du Michoacán
se manifestaient comme attachés à l’Empire[35]
; sinon il dit qu’ils sont indifférents
aux questions politiques[36].
On ne peut être plus clair !
Dans
ce contexte on peut avancer que Tacambaro et Apatzingan, localités à vocation
agricole et, néanmoins, libérales, ne seraient plus des exceptions si l’on
considère que la première ne compte que 10% d’Indiens très acculturés quand, dans la seconde où ils sont près de 20%,
ils s’opposent précisément à la majorité libérale. Inversement, si La
Piedad est une ville minière et industrielle de sensibilité conservatrice, on
constate qu’elle s’inscrit à l’intérieur de campagnes très agricoles et
indianisées. Ainsi, la relation nature ethnique / comportement politique s’avère-t-elle
intéressante dans la mesure où elle explique les exceptions qui résultaient
de la confrontation condition économique
/ comportement politique. On s’aperçoit alors que, contrairement aux hypothèses
marxistes orthodoxes, toutes les paysanneries se seraient pas réactionnaires,
ni tous les ouvriers progressistes. Quand les mineurs ou artisans sont Indiens,
ils restent « conservateurs ». Quand les paysans sont des rancheros
indépendants, Métis ou Blancs, on les découvre libéraux. A Caracuaro comme
à Tacambaro, pueblos de rancheros dispersés où l’on ne compte que 10% d’Indiens,
les sympathies sont libérales. Coeneo, Acuitzo et Quiroga sont des villages
agricoles et de sensibilité libérale, mais on y rencontre surtout des Métis
ou des Indiens très acculturés par la proximité de Morelia. Inversement,
Paracuaro qui vit de la canne à sucre et du riz, mais aussi de l’industrie du
bois et d’une mine de marbre, se distingue par le choix impérialiste de sa
population indienne. Cuitzeo, village à 100% indien axé sur l’industrie
textile, est très maximilianiste. Cette distribution des sensibilités par
rapport à la nature ethnique des populations n’est-elle pas significative ?
L’hypothèse vaut la peine d’être considérée. Ne pourrait-on pas en déduire
la réalité d’un comportement spécifiquement indien ?
Avant
d’aller plus loin, faisons encore quelques remarques à propos de la figure 3.
En construisant celle-ci, notre souci était de matérialiser les relations que
nous soupçonnions. Pour ce faire, nous avons tenté de représenter le
comportement politique par rapport au taux de population indienne de chaque
localité sur laquelle nous possédions des informations sûres. Dix attitudes
ont été définies auxquelles nous avons attribué une valeur : l’Indifférence
(I), l’enrôlement forcé (l) [pratique pour laquelle nous n’avons pas trouvé
beaucoup de témoignages localisés malgré sa fréquence], la sympathie passive
(2), l’adhésion par fidélité clientéliste (3) et l’adhésion active par
conviction apparemment libre (4), soit coté libéral (+), soit coté impérialiste
(-). A mi-chemin, les situations de partage d’opinion ou d’incertitude (0).
44 cas ont pu être mesurés de façon indubitable. On observe alors les faits
suivants :
-
Les Indiens sont, soit indifférents (45% des cas), soit totalement engagés
dans l’un des deux camps ; mais ils se divisent peu entre les deux causes dans
une même localité. Autrement dit, au sein d’une même communauté, il y
aurait consensus (ce qui n’est pas surprenant quand on connaît la structure
socio-politique d’une communauté indienne) et cohésion de comportement.
-
Dans les localités où la population indienne est nettement minoritaire (moins
de 40%), la distribution entre les différents choix politiques est assez équilibrée
: 37,5% d’indifférence, 31,5% d’impérialisme, 31% de libéralisme. On en déduira
que les partis, qui se partagent assez équitablement la région, influent de façon
égale sur les populations indiennes résidant dans les localités qu’ils
contrôlent. On remarquera, au contraire, que les communautés qui conservent
une certaine unité ou force numérique (leur intégrité aussi ?), font
des choix qui les singularisent des Métis et des Créoles. Ainsi à Uruapan,
Apatzingan, Huetamo, Zitacuaro, Puruandiro ou Coalcoman, par exemples.
-
Dans les pueblos à majorité indienne (plus de 60%), où l’on sait l’indianité
mieux préservée, on constate un net rejet libéral (7% des cas seulement), une
adhésion à la cause impériale importante (40% des cas); mais c’est
l’indifférence qui l’emporte (53%).
Finalement,
toutes ces remarques montrent que les populations indigènes manifestent une
certaine indépendance d’esprit. Pour peu que la communauté soit assez
puissante ou préservée, elle des choix spécifiques et différents de ses
voisins mexicains. Certains nous rétorqueront-ils que l’indifférence n’est pas une opinion ?
A voir ! La recherche des motivations indiennes montrera peut-être le
contraire.
3°)
Des motivations spécifiques
Les
sources n’indiquent pas toujours pourquoi une population choisit telle ou
telle attitude ou camp politique. Pour les contemporains, l’adhésion est
souvent un fait qui se suffit à lui même et peu importe ses raisons d’être.
Nous avons, néanmoins, pu recenser une vingtaine de cas expliqués. Qu’en
ressort-il ?
Pure
indifférence des Indiens, à savoir désintérêt et lâche refus de se
prononcer ? Beaucoup d’auteurs, à l’image d’Eduardo Ruiz, l’ont
affirmé, soulignant avec dépit (mépris et déception ?) le caractère égoïste,
indolents et ignare[37]
des Indiens. Mais, quand on
passe aux cas précis, on découvre vite des réalités différentes. A Asajo, village
où n’a jamais pénétré la civilisation[38], Ruiz lui-même
explique que, si les Indiens ne se prononcent pas, ce n’est pas par ignorance
mais parce qu’ils se désintéressent volontairement de la guerre. Leur attitude n’est-il donc pas le
fruit d’un choix ? De même ceux du district de Coalcoman ne veulent rien
avoir à faire avec les étrangers, nous dit J. G. Romero[39].
Même souci d’ indépendance chez ceux de Zitacuaro qui se sont toujours opposés aux ordres venus de Mexico, rapporte le
colonel Potier[40]. La nature du régime ne
change rien à cet état de fait. Autour de Poncitlan les Indiens sont calmes.
Ils ont pourtant investi le pueblo quelques temps avant le passage des Français
; mais c’était sans rapport avec le conflit national, seulement par vengeance
personnelle[41].
Les Indiens de Yurécuaro comme ceux d’Uruapan n’espéraient
plus rien écrit Francisco Miranda[42]
? Mais leurs communautés étaient déjà en plein processus de désintégration.
Leur inertie n’est qu’un faire-part de décès. Impérialistes les Indiens
de Cuitzeo ? On le dit ; pourtant, quand Régules investit leur village, ils ne
se défendent pas. Et que penser de ceux d’Angamacutiro dont Ruiz nous dit
qu’ils furent enrôlés de force alors qu’ils étaient pacifiques ?
De
fait, nombreux sont les historiographes qui parlent d’indifférence des
populations indigènes ; mais on s’aperçoit vite qu’ils le font parce que
le terme a l’avantage d’écarter le problème de l’opinion indienne et de
la marginaliser. Puisque les Indiens sont indifférents, c’est qu’ils
n’ont pas d’avis ; ils s’abstiennent, donc ils ne comptent pas. La plupart
du temps, les historiographes constatent les comportements des indigènes, mais
ils ne l’intègrent pas dans leur réflexion historique. Jugés indifférents,
les Indiens sont évacués de l’Histoire politique, ils n’existent pas.
Pourtant leur indifférence est délibérée ; à ce titre elle apparaît
bien comme étant le résultat d’un choix, le produit d’une volonté de ne
pas s’impliquer dans un conflit qui ne les concerne pas, pensent-ils. Tout ce
qu’ils veulent, c’est qu’on les
laisse tranquilles, répètent
inlassablement les rapports militaires. Il ne s’agit pas, ici, de juger de la
valeur de cette revendication, seulement admettre qu’elle puisse t être
l’expression d’une opinion typiquement indienne.
Certains
indiens, cependant, s’engagent. Ils se mobilisent pour trois raisons
principales : par fidélité clientéliste (Querendaro, Zipimeo, Angamacutiro),
contre les lois de désamortisation (Uruapan, Apatzingan, Yurécuaro) ou
pour des motifs religieux (Patzcuaro, Zirandaro, Zitacuaro). Dans le premier
cas, ce sont les grands propriétaires qui mobilisent leurs péons (les Pimentel
à Querendaro, Orozco à Zipimeo). Dans le troisième cas, l’estime des
Indiens de Zirandaro pour les Belges fait suite à l’action de ces derniers
sauvant une statue religieuse des eaux d’un rio en crue. Certes, Ruiz croit
que les Indiens en voulurent aux Européens d’avoir laissé leur San-Juan
disparaître dans les flots[43]
; mais il avoue un peu plus loin que, la statue retrouvée, ils crièrent au
miracle ! Émile Walton pense justement que c’est la raison pour
laquelle, oubliant le premier incident, les Indiens leur réservèrent toute
leur sympathie.
Si l’on considère maintenant les cas d’enrôlements forcés on peut se demander quels arguments les propriétaires ont pu avancer pour convaincre les Indiens. On dira qu’ ils n’ont pas besoin d’en user : leurs péons sont leurs hommes et on ne leur demande pas leur avis. On ne fait cependant pas de bonnes recrues sans parvenir à insuffler un minimum de conviction. Sinon, au premier combat, tout le monde déserte. On peut alors imaginer quels discours, au nom de la Religion, ont pu être tenus pour déchaîner les passions. Ce n’est qu’une hypothèse, mais que les reproches des libéraux suffiraient à étayer : n’ont-ils pas toujours fustigé le cynisme de l’Église, laquelle utilisait la religiosité (et crédulité) des Indiens pour les mobiliser à ses cotés ? Tout à fait révélateur (tout en paraissant paradoxal), le cas de Caracuaro : les quelques Indiens de ce Pueblo sont enrôlés coté libéral. Qui est à leur tête ? le curé qui est juariste. Même situation à Zitacuaro avec les Padre Traspena et Gomez. Ainsi, et quel que soit le camp, les enrôlements d’Indiens se font-ils souvent par le biais de la religion. A se demander si, au delà des apparences, les mobilisations pour motif religieux ou par fidélité clientéliste ne seraient pas du même ordre !
Quand
les Indiens se révoltent contre les effets de la loi de désamortisation,
c’est évidemment pour se battre contre ceux qui leur prennent leur moyen
d’existence et nous reconnaîtrons ici, a priori, une motivation
d’ordre socio-économique. Nous savons cependant que la terre, pour l’Indien,
n’est pas seulement un moyen de production, mais bien davantage, un espace de
relations intimes dont les membres de la communauté ne peuvent se détacher ni
s’arracher. La terre est une personne d’essence divine et le rapport à
celle-ci que l’Indien entretient est d’un ordre plus spirituel que juridique
ou économique. Ce qui signifierait que l’engagement des Indiens de Yurecuaro,
Uruapan ou Poncitlan serait autant d’essence religieuse (mystique) que celui
des Indiens de Patzcuaro ou de Zirandaro. Car, ce que les Indiens défendent
lorsqu’ils se mobilisent pour des raisons foncières, ce n’est pas la propriété
du sol (la loi Lerdo ne la leur retire d’ailleurs pas, elle la leur
redistribue seulement sous d’autres formes), mais la terre en tant que référence
aux ancêtres, au passé et à leur identité.
Défense
de la foi, de la Terre-Mère, vengeances personnelles, désintérêt... autant
d’attitudes variées, mais toutes conditionnées, semble-t-il, par une même
volonté : affirmer le droit à la tranquillité et à vivre comme avant ;
autrement dit, le droit à la différence et à l’autonomie. Même si ces
termes ne sont pas utilisés, c’est bien de cela qu’il s’agit. Quand les
Indiens veulent leurs terres de communautés, c’est leur coutume qu’ils défendent
; quand ils réclament qu’on les laisse en paix, c’est une forme
d’autonomie qu’ils revendiquent : ne
venez pas mettre votre nez dans nos affaires… Même dans le cas de la
Religion, les Indiens font preuve d’une certaine indépendance d’esprit. Car
ce n’est jamais pour défendre l’Église catholique et romaine qu’ils se
mobilisent, mais bien plus souvent pour le respect d’une idole ou le droit au
culte et aux processions. La religiosité qu’ils veulent préserver est
toujours spécifiquement indienne.
Les
Indiens, cependant, se soulèvent souvent sous le commandement d’un prêtre,
d’un hacendado, d’un caudillo ou d’un aventurier qui n’est pas l’un
des leurs; phénomène qui expliquerait le jugement des contemporains qui
reprochaient aux Indiens leur crédulité, leur servilité, leur ignorance et la
facilité avec laquelle ils se faisaient manipuler. L’identité de ces leaders
indiens est telle qu’il permet de mettre en doute l’indépendance d’esprit
des indigènes. Penser ainsi, c’est oublier cependant combien ces chefs furent
vite lâchés chaque fois qu’ils dévièrent des projets initiaux au nom
desquels ils avaient pu rallier les Indiens à leur personne. C’est ignorer
aussi les contradictions étonnantes ressortant des appréciations portées sur
eux par les Non-indiens : serviles, crédules et ignares, ils sont reconnus un
peu plus loin comme lâches, traîtres et fourbes ; fuyant au premier coup de
feu, mais courageux et capable de se battre jusqu’à la dernière extrémité,
mourant avec un admirable stoïcisme[44].
Égoïstes, mais serviles, traîtres mais fidèles ? Quelque chose ne
va pas dans ce portrait. Mensonge et mauvaise foi de ceux qui le tracent ?
Peut-être pas. Nous pensons qu’il s’agirait plutôt d’incompréhension.
La vérité serait que, imprégnés de positivisme progressiste, les Mexicains
et les Européens regardaient les Indiens comme membres d’un peuple tel
qu’ils l’imaginaient et non tel qu’il était réellement. Ils n’auraient
pas voulu comprendre que les Indiens pouvaient rêver d’une autre société
que celle qu’ils croyaient seule juste et bonne. Ils pensaient en termes
manichéens : on était libéral ou conservateur; il n’y avait pas de tiers
parti possible [Les modérés étant des libéraux]. Pourtant ce tiers parti
existait, sinon sur l’échiquier politique officiel, tout au moins dans la réalité
sociale et ethnique du pays, tiers parti qui se rangeait dans un camp ou dans
l’autre, ou encore ni dans l’un ni dans l’autre, non par conviction, mais
en fonction de ses intérêts spécifiques. C’est ainsi que les Indiens furent
toujours et par tous considérés comme des traîtres. Mais les accuser de
trahison était absurde car, ce qui pouvait être considéré comme tel par un
Mexicain, ne l’était pas pour un Indien si celui-ci restait fidèle à un
objectif (rester Indien) que le Mexicain n’avait jamais voulu envisager. Une
grande part du drame indien réside là.
Si
on en revient aux chiffres et au Michoacán, on peut constater que l’indifférence
des Indiens concerne près de 60% des cas étudiés ; 80% si on y ajoute les
cas des populations pacifiques enrôlées malgré elles. Quant aux
40 (ou 20 ?) % de ceux qui s’engagent, près de la moitié, si ce
n’est plus, semble le faire pour des raisons spécifiquement indiennes. Le
taux s’élève à 80% si on accepte l’idée que la motivation religieuse se
fait pour défendre une foi transculturée, réadaptée et indianisée. Une réalité
qui rejoint les conclusions nationales auxquelles nous étions parvenues dans
nos recherches antérieures.
Mais
revenons, pour finir, sur le cas de Zitacuaro. Nous possédons sur cette
localité un matériel suffisant pour mettre en évidence une situation caractéristique.
4°)
Zitacuaro : un libéralisme indien discutable
Dans
la mesure où il fut un haut lieu de résistance libérale à l’Intervention
française, le district de Zitacuaro a fait l’objet de nombreux rapports ou récits.
Celui d’Eduardo Ruiz, mais aussi du colonel Potier ou des militaires belges
dont Albert Duchesne a étudié les mémoires[45].
Rappelons les événements et leurs différentes interprétations.
Au
début, explique Ruiz, les habitants de Zitacuaro étaient hostiles à la présence
des forces libérales étrangères au Michoacán. Ensuite, se réjouit-il, les
rivalités du provincialisme disparurent pour laisser place à un sentiment
plus national. Deux castes se distinguaient cependant: les Indiens et la
gente de razon. Les Indiens, pour le commun, sont indifférents aux questions
politiques et gardent un total égoïsme et indolence vis à vis des belligérants,
Leurs seules réactions sont liées à des considérations d’ordre
religieux. Sur ce point, les Indiens avaient
la fierté de posséder une image de la Vierge, apportée d’Espagne par un
certain Juan Velasquez de Salazar. Passant à Zitacuaro, la mule qui
transportait la statue était entrée dans l’église, indiquant ainsi aux gens
que la Vierge voulait s’y installer. Bien que Ruiz estime qu’il
serait juste de reconnaître que les Indiens de Zitacuaro, soit touchés par
quelque idée patriotique, soit plus instruits que leurs frères de race, soit
probablement plus influencés par le civisme et les principes libéraux[46],
étaient plus tolérants en matière de
religion [?] et moins égoïstes en
politique, il n’en reconnaît pas moins que l’impérialisme indien
qu’il observe parfois est directement lié aux interdits libéraux touchant
aux processions.
C’est
dans ce contexte marqué de religiosité indienne que les événements
s’emballent : dans la ville, où ne restaient que les commerçants et les
Indiens enfermés chez eux, les forces d’intervention font leur entrée et,
convaincus d’avoir affaire à des rebelles, pillent la place. Elles font même
arrêter des Indiens qu’elles menacent de fusiller. Un groupe d’Indiens
tente d’obtenir leur grâce en implorant
pour la vie de ces innocents. Les Français pardonnent alors à la condition
que les prisonniers acceptent de porter un message à Maravatio où se trouve
Marquez. Quelques prisonniers seraient gardés en otage, le temps que la
commission soit faite et la bonne foi des suspects prouvée. Les Indiens
acceptent la mission, mais les otages réussissent à s’enfuir tandis que les
messagers trahissent les Français en portant le courrier à Morales, lequel,
d’ailleurs, ne comprit pas les mobiles de cette coopération spontanée et
patriotique (!).
Ont-ils été soudain éclairés par les Lumières de la pensée libérale ?
Difficile à imaginer, même si Ruiz feint de le croire. Alors, quelle autre
raison ? De fait, pendant leur séjour dans la ville, les zouaves ont commis une
erreur : entrés dans l’église, ils y ont trouvé l’image de la Vierge et
s’en saisissent. Les Indiens vivent l’événement comme un sacrilège, une
atteinte à leur foi, à leur religion. Scandalisés, ils manifestent leur désapprobation
et c’est alors que les plus excités sont arrêtés. Le ralliement à la cause
républicaine de la communauté n’aurait pas eu d’autre origine. Telle est
la version d’Eduardo Ruiz.
Le récit du colonel Potier, officier chargé de
pacifier la région, est plus précis. Il est aussi très différent et tiré de
rapports successifs, plus événementiels et moins didactiques (ce qui ne
signifie pas qu’ils soient plus objectifs). Premier constat : si les pueblos
indiens de Zitacuaro sont en lutte ouverte contre l’Empire, ce n’est pas une
attitude inédite. Ils ont toujours refusé
l’impôt aux gouvernements espagnols ou mexicains qui se sont succédés, et
n’ont été à l’état pacifique qu’aux époques où on les a laissé
tranquilles (7
janvier l865). Ruiz confirme. Par ailleurs, Tuxpan, Zitacuaro et Jungapeo
ainsi que tous les villages Indiens du
district de Zitacuaro obéissaient aux ordres de Rivas Palacios, ce qui a
entraîné (clientélisme ou enrôlement forcé ?) les Indiens dans des combats
meurtriers : 30 ont été tués lors d’un premier combat, 25 dans un deuxième
et 20 encore au terme d’un troisième, soit près de 50% des pertes de
l’ennemi (lettre du 3 février 1865). C’est pourquoi une expédition est
mise sur pied pour laquelle Potier se fixe comme objectif de faire payer l’impôt aux Indiens et surtout les désarmer. Le
colonel s’empare du chef rebelle Romero, qu’il exhibe devant les populations
pour leur démontrer l’efficacité de sa protection ; par largesse politique,
il libère ensuite les Indiens qu’il a fait prisonniers (9 février). Cette clémence
porte ses fruits puisque, selon le colonel, si les Mexicains restent hostiles,
les Indiens se montrent mieux disposés. Au point d’amener l’officier à
accepter qu’ils gardent leurs armes pour qu’ils puissent assurer leur propre
sécurité. Le 16 février Potier se réjouit de voir les populations réintégrer
les pueblos et reprendre leurs activités interrompues. Satisfaction encore :
une police indienne intercepte deux voleurs qu’elle livre aux Français malgré
les menaces de représailles (18 février); et, quand les libéraux attaquent de
nouveau cette fois les Indiens ne sont pas
en cause (9 mars). Autrement dit, on s’aperçoit, ici encore, que les
Indiens ne sont pas farouchement anti-français, ni libéraux. Il y a un conflit, mais
celui-ci ne s’inscrit pas dans le cadre de la guerre franco-juariste. Les
Indiens ne sont pas indifférents ; ils ne sont pas davantage partisans.
Le récit des Belges devrait confirmer celui des Français
puisqu’ils appartiennent au même camp. Mais, quand on sait quelle colère le
général Van der Smissen entretenait contre le colonel français sous les
ordres duquel il avait été versé en dépit des grades respectifs, on peut
s’attendre à des révélations intéressantes. Elles ne manquent pas : pour
Van der Smissen, Zitacuaro fut le lieu d’une répression violente contre une
population innocente. S’il en est
l’exécuteur, c’est sous la responsabilité de Potier qui veut refouler les
rebelles dans les terres chaudes. Plus intéressant : Van der Smissen désavoue
Potier à propos des insurrections de mars/avril 1865, puisqu’il y voit la
participation des Indiens, donc l’échec de leur pacification. Alors ? Qui
croire ? De Schrynmakers nous donne son point de vue : le 15 avril Zitacuaro brûle.
L’incendie est attribué aux Indiens, mais aurait été provoqué à l’instigation de
Castillo, Pueblita et Ugalde[47].
Alors ? Les Indiens accusés à tort ? Par qui et pourquoi ? Mauvaise foi de Van
der Smissen qui en veut à Potier ? Mais, au fait : pourquoi les Indiens
auraient-ils incendié Zitacuaro-la-rouge, s’ils sont libéraux ? Et si ce
n’est pas eux, pourquoi leur attribuer ce crime ? Pourquoi, sinon pour les
compromettre ? Dans tous les hypothèses, leur libéralisme reste douteux.
Que
tirer de cette bouteille à l’encre ? Une seule certitude : les Indiens ont
une attitude ambiguë. Ils se battent au coté des libéraux; aucun doute la
dessus : les aveux de Potier sont clairs. Cependant, leur engagement ne
parait pas uniforme. D’un Pueblo à l’autre, les différences surgissent.
Potier reconnaît sans ambages la vive hostilité de San Mateo, San Bartholo et
des haciendas del Bosque et de San Antonio complètement
désertes ainsi que toutes leurs dépendances et cabanes indiennes (3 février).
En revanche, les autres villages sont plus calmes et évoluent de façon
favorable. Les populations ont mis à
profit la petite leçon que je leur avais fait donner (16 février). Le rétablissement
du curé de Zitacuaro dans ses fonctions et la réinstallation
de la Vierge (ont) produit l’effet que j’en attendais, puisque troupeaux et
Indiens sont sortis de leurs forêts pour occuper les onze villages. Les
Indiens de San Miguel coopèrent avec les Français (13 février) et la plupart
ne se révoltent pas en mars bien que
Traspena continue de sévir (9 mars). De Schrynmakers parle à plusieurs
reprises des Indiens de Régules qui le servent bien, quand Ruiz se plaint, au
contraire, que les Indiens ne coopèrent pas aussi spontanément qu’il le
souhaiterait. Tout cela n’est pas d’une grande clarté, mais prouve que les
Indiens de Zitacuaro sont bien moins libéraux que les juaristes ont pu le dire,
sans être impérialiste pour autant. Leur comportement est manifestement dicté
par des considérations très personnelles.
Quelques remarques peuvent encore être faites. Non
seulement Ruiz admet que les Indiens n’étaient pas vraiment libéraux, mais
il ajoute que les familles s’enfuirent
dans toutes les directions quand Rivas Palacio et Moralès vinrent installer
leurs forces sur les collines de Camembaro. Ce témoignage confirmerait le récit
de Potier qui raconte comment il fit sortir les Indiens des bois où ils s’étaient
réfugiés. Pour l’un comme pour l’autre, ces gens là ne sont pas des
rebelles. Quand il évoque le sort des prisonniers indiens, Ruiz les considèrent
comme des victimes innocentes. S’ils sont innocents,
c’est donc qu’ils ne sont pas libéraux ? Sinon pourquoi le cacher à
l’heure où il raconte ses mémoires ?
Albert Duchesne pense aussi que les Indiens sont des
victimes innocentes du général Van der Smissen. Sommé de se mettre sous les
ordres de Potier, l’officier belge est furieux. Détourné sur Zitacuaro, il
trouve la localité presque vide et se défoule sur les malheureux qui sont restés : les Indiens. La répression s’abat sur les villages indiens, les populations
passives et innocentes[48]. La clémence de
Potier libérant les prisonniers indiens est-elle le fruit d’un quelconque
sentimentalisme ? Difficile à croire. Alors ? Calcul politique ?
L’hypothèse est plus probable d’autant que Potier a reçu des ordres en ce
sens. Mais c’est aussi parce qu’il considère les Indiens comme des
innocents manipulés par des hommes influents comme Traspena et Gomez. En bref,
tous s’entendent pour reconnaître, plus ou moins implicitement, une indifférence
indienne muée en hostilité circonstancielle faisant suite à une maladresse
des forces d’intervention. La vérité serait donc la suivante : les Indiens
de Zitacuaro ne sont pas plus libéraux (ou impérialistes) que d’autres. Ils
s’occupent simplement d’autre chose que de la guerre en cours entre
Juaristes et conservateurs, libéraux et Français ; cela jusqu’au moment
où un événement donne à certains partis le moyen de les mobiliser, usant
pour ce faire d’un motif spécifiquement indien : la défense d’une image
religieuse qui ne serait que le symbole d’une identité humiliée.
En conclusion, nous retiendrons du Michoacán de cette époque qu’il est le champ de bataille type où s’affrontent les partis, sous l’œil indifférent des populations indiennes. Même dans leurs adhésions, celles-ci restent indifférentes aux raisons qui mobilisent les Mexicains ou les étrangers. Elles ne s’engagent jamais que contraintes et forcées ou pour défendre un bien (terre, idole, tranquillité, fierté, différence) qui n’appartient qu’à elles et qui ne regarde personne d’autre. Autrement dit nous pensons que la majorité des Indiens, parmi ceux qui ont le mieux su préserver leur identité, conserve une importante indépendance d’esprit. Et s’ils ont pu choisir plutôt le camp impérial ce n’est pas par francophilie mais par mexicanophobie : ils savaient n’avoir rien à espérer des Mexicains (libéraux comme conservateurs) alors qu’ils pouvaient profiter des circonstances de l’occupation étrangère pour régler de vieux comptes.
Jean-François Lecaillon
[1] Lecaillon, Jean-François : Les Indiens et l’intervention ; étude du comportement des communautés indiennes du Mexique face à l’intervention française, 1862-1867. Thèse soutenue à Paris I – Sorbonne en 1984. Voir aussi : Napoléon III et le Mexique, Paris L’Harmattan 1994.
[2] Service historique de l’armée de terre de Vincennes, carton G7 02
[3] Loizillon : lettres sur l’expédition du Mexique, 1862-1867, Flammarion Paris 1868.
[4] Nous devons l’expression à Emile Ollivier : L’expédition du Mexique. Nelson éditeur Paris 1895.
[5] Gonzalès y Gonzalès, Luis : El indigenismo de Maximiliano, in la intervencion francesa y el imperio, cien años despues, IFAL, Mexico 1965.
[6] Pimentel, Francisco : Memoria sobre las causas que han organisado la situacion actual de la raza indigena de Mejico y medios de remediarla, Mexico 1864.
[7] Cité par Stabbs, Martin S : Indigenism & racism in mexican thought, 1875-1911, in journal of interamerican studies, vol.1, n°4, pp.405-423, Jacksonville 1959.
[8] « les indigénismes : contours et détours », in l’indianité au Pérou, mythe ou réalité ? CNRS, Paris 1983, p.34. Voir aussi l’introduction des auteurs.
[9] « Las ideas sociales del positivismo en el indigenismo de la epoca pre-revolutionaria en Mexico », America indigena, n° XXXIII, Mexico 1973, p.1181.
[10] cf. Eduardo Ruiz : Historia de la guerra de intervencion en Michoacan, Talleres graficos de la Nacion, secretaria de educacion publica, Mexico 1896, page 15, note 3.
[11] Ruiz, Ibid., p.646.
[12] Ruiz, Ibid., p.178.
[13]
Ruiz, Ibid
[14] Ruiz, Ibid., p.266.
[15] Moreno Garcia, Heriberto : Cotija, monografias municipales del estado de Michoacan, Michocan 1980 ; p.156.
[16] Ruiz, Ibid., p.107.
[17] Ruiz, Ibid., p.50.
[18] Vincennes, SHAT, carton G7 192.
[19]
Ruiz, Ibid., p.8
[20] Ruiz, Ibid., p.70.
[21] SHAT, Vincennes, carton G7 192.
[22]
Émile Walton : souvenirs d’un officier belge au Mexique, 1864-1866,
C. Tanera, Paris 1868 ; cité par Ruiz, Ibid., p.553-554.
[23] Moreno Garcia, Ibid., p.356.
[24] SHAT, Vincennes, carton G7 104.
[25] SHAT, Vincennes, carton G7 104.
[26]
Ruiz, ibid., p.23-24.
[27]
Miranda, Francisco : Yurecuaro, monografias municipales del estado
de Michoacan, Michoacan 1978, p.186.
[28]
Ruiz, Ibid.,p.349.
[29]
Romero, J.G. : « Coalcoman », in boletin de la sociedad
mexicana de geografia, tome 1, Mexico 1861, pp.553-563.
[30]
Ruiz, Ibid.,p.7
[31]
SHAT : carton G7 31.
[32]
Ruiz, Ibid.,p.514.
[33] SHAT, carton G7 192.
[34] De Schrynmakers, A : Le Mexique : histoire de l’établissement et de la chute de l’empire de Maximilien, Decq et Duhent, Bruxelles 1882 ; p.178.
[35] Ruiz, Ibid.,p.18.
[36]
R
[37] Ruiz, Ibid.,p.76.
[38]
Ruiz, Ibid.,p.514.
[39] Romero, Ibid., p.553.
[40] SHAT, carton G7 29.
[41] SHAT, carton G7 192.
[42] Ibid.
[43]
Ruiz, Ibid., p.556.
[44]
Ruiz
[45] Duchesne, Albert : au service de Maximilien et Charlotte, l’expédition des volontaires belges au Mexique, 1864-1867, Bruxelles 1968.
[46] On notera au passage comment l’ex-guérillero justifie l’engagement indien au coté des siens : ils sont forcément éclairés et non manipulés !
[47] Ibid., p.223.
[48] Duchesne, Ibid., p.359.