LES RESSENTIMENTS, ACTEURS DE LA COMMUNE.
Effets comparés des frustrations entre le 18 mars 1871 et la semaine sanglante
© décembre 2007 ©
Jean-François Lecaillon
Novembre 2007 : article inspiré par la lecture du livre de Marc Ferro sur "le ressentiment et l'histoire" paru en 2007. Je travaillais sur les témoignages des spectateurs parisiens de la Commune. En vue d'un ouvrage, j'avais déjà réuni un corpus de textes à présenter. Cet article propose de jeter un regard particulier sur l'opinion non publique de la période.
Annexe 1: Le ressentiment dans les nouvelles de Maupassant
Annexe 2 : Bibliographie des témoignages utilisés
Le 18 mars 1871, les Parisiens s’insurgeaient contre le gouvernement de Versailles qui entendait les déposséder des canons dont ils s’étaient dotés pour contenir les Prussiens pendant les cinq mois de siège qu’ils venaient de subir. Neuf semaines plus tard, la guerre civile plongeait la capitale dans un bain de sang qui, aujourd’hui encore, frappe les imaginations. En comparaison, les massacres de 1830 ou de 1848 apparaissent dérisoires : « J’ai vu 1848, j’ai vu 1851. Je n’ai jamais rien vu qui en puisse donner une idée » écrit Charles de Boys le 26 mai 1871[1]. Ainsi l’événement semble-t-il dépasser l’entendement des contemporains comme il laisse dans l’histoire un sentiment d’inégalé. Comment une telle violence a-t-elle pu se développer au cœur d’un pays qui se targuait d’être civilisé ? Comment un peuple qui avait souffert de l’invasion étrangère et que rien ne rebutait plus que la guerre civile[2] a-t-il pu en arriver là ? Et comment une minorité politique, qui ne parvint même pas à mobiliser son électorat[3], a-t-elle pu s’emparer du pouvoir qui lui avait échappé les 4 septembre et 31 octobre 1870 ?
Les manœuvres des leaders politiques, leurs choix, leurs stratégies et divisions, le contexte de la défaite militaire et de la crise politique qui se greffa dessus, suffisent à expliquer l’événement. Toutes ces conditions ont été largement étudiées et il ne nous paraît pas nécessaire d’y revenir. Mais comment les Parisiens ordinaires, ceux qui furent plus spectateurs qu’acteurs des événements, ont-ils vécu et perçu ceux-ci ? Pour plusieurs raisons qui combinent leurs effets, ce sujet a été moins approfondi : les sentiments d’une population qui pèsent peu sur le déroulement d’un événement ne sont pas un thème fait pour mobiliser l’énergie des spécialistes. Il y a lieu de penser, par ailleurs, que cette opinion « silencieuse » (dans le sens où elle ne s’exprime pas publiquement) est néanmoins tacitement contenue dans les manifestations de masse ou à travers les écrits publics qui ont vocation à la traduire. Son étude n’apparaît donc pas vraiment nécessaire : elle n’aurait pas grand-chose à nous révéler. Cette observation n’est pas fausse ; toutefois, les prises de position publiques des personnalités politiques ou des médias sont toujours, peu ou prou, conditionnés par les convictions ou intentions de ces porte-parole, lesquelles ne sont jamais strictement les mêmes que celles du citoyen ordinaire. Compléter l’analyse par l’étude de textes où s’expriment davantage la conviction intime d’un témoin passif que l’adhésion à un courant d’opinion publique peut donc aider à contourner l’écart qui existe entre les uns et les autres. L’expérience que nous avons de ce type de documentation nous laisse aussi penser que son étude permettrait de mieux mettre en valeur des éléments explicatifs trop souvent minimisés parce qu’ils n’apparaissent pas comme organisés, structurés ou conscientisés…
Si l’opinion non publique a été moins étudiée que d’autres sujets, c’est aussi parce qu’elle est difficile à cerner. Ces sources sont privées et, pour un résultat qui ne semble pas toujours mériter la charge de travail exigée, leur recherche est longue et laborieuse. Nos travaux antérieurs sur le siège de Paris nous ayant donné l’occasion de rassembler de nombreux témoignages, nous avons pu gagner un temps précieux sur ce point ; la bibliographie très exhaustives de Robert Le Quillec[4] a fait le reste et nous avons ainsi pu réunir assez vite un corpus d’une cinquantaine de textes (journaux intimes et correspondances). Cherchant à cerner des impressions sur les événements qui ne soient plus celles des acteurs, nous les avons étudiés.
Notre premier souci est de replacer dans l’histoire de la Commune la présence de ceux qui n’en furent que spectateurs pour donner à découvrir, peut-être, une autre vision de l’événement que celle des premiers rôles. Ce projet n’est pas abandonné ; mais, en attendant sa réalisation, la lecture des témoignages fait apparaître l’existence d’un profond ressentiment collectif, souvent indépendant des convictions politiques affichées par ailleurs. Autour du 18 mars, tout particulièrement, transparaît une rancœur si générale et communément ciblée qu’elle soulève la question de savoir s’il n’a pas pu être un facteur non négligeable des événements. Faut-il encore, pour en juger, que nous définissions la notion de « ressentiment ».
Ressentiment et Histoire
Marc Ferro s’est récemment intéressé au ressentiment comme facteur de l’histoire[5]. Son enquête s’avère un peu décevante dans la mesure où, s’appuyant sur une série d’exemples trop différents (de nature, durée ou contexte) pour être comparés, elle ne propose pas de modèle général d’analyse du ressentiment. Combiné avec d’autres travaux[6], l’ouvrage ouvre cependant de nombreuses pistes et permet d’arrêter une définition du sentiment étudié, à savoir « le fait de ressentir avec animosité un tort qu’on a subi comme si on le subissait encore » ; il renvoie à une colère avortée et refoulée ; il apparaît surtout comme le produit d’une expérience « vivante » dans le sens où celui qui l’éprouve entretient sa colère en nourrissant sa mémoire des impressions et idées qui l’ont déclenchée[7]. Au-delà des émotions qu’il donne à éprouver, le ressentiment s’appuie sur l’idée qu’une personne se fait d’un événement bien plus que sur la réalité de celui-ci. Chercher à évaluer son rôle dans le déroulement historique invite donc à travailler sur le discours des témoins, sur leur perception du réel bien plus que sur ce dernier. Dès lors, un corpus de témoignages rédigés entre fin février et fin mai 1871 sous forme de lettres ou de journaux intimes par des personnes vivant à Paris ou dans la banlieue proche, là où eurent lieu les combats de la guerre civile, semble pouvoir proposer une documentation pertinente. Il laisse en effet la possibilité de repérer ce qui relève du sentiment et sa permanence (ou non) dans le temps, la chronique régulière de ce qui est perçu pendant la période y prédisposant bien plus que n’importe quel document officiel, sachant que ce dernier ne nous transmet qu’un résultat brut, nullement le cheminement des sentiments qui y conduisent (autrement dit la dimension « vivante » de l’expérience).
Le fait que le ressentiment soit refoulé le rend explosif. Un tel caractère lui donne toute sa potentialité en tant que facteur d’événement. Le « refoulement » oblige toutefois à considérer qu’il ne saurait réagir sur l’événement qui l’a produit. Par définition, son action historique – si tant est qu’il en produise une – ne peut être que différée, elle est toujours en décalage par rapport à l’actualité qui l’a fait naître. Ce dernier peut être de quelques jours ou quelques années. Il n’y a aucune règle sur ce point. Il est néanmoins nécessaire de le mesurer pour éviter les erreurs d’analyse : un événement peut, en effet, être le produit d’un ressentiment ancien tout en fabriquant du ressentiment à venir. Il faut donc être précis : étudier, par exemple, le ressentiment qui intervient dans la semaine sanglante ne saurait se faire à la lumière des souvenirs qu’en ont gardé les victimes car la rancœur suscitée par la répression tend à faire disparaître les sentiments qui prévalaient au moment de l’entrée des Versaillais dans Paris, laquelle ne pouvait pas se nourrir de ce qui, pour être prévisible, n’avait pas encore eu lieu. Cette distinction est essentielle si on ne veut pas refaire l’histoire de la Commune sur la seule impression que les contemporains ont gardé de son sanglant épilogue.
Le ressentiment et le 18 mars
La lecture des lettres privées et propos confiés aux journaux intimes avant le 18 mars 1871 atteste de l’existence de ressentiments chez les Parisiens. Sentiments d’humiliation et d’impuissance mêlés ponctuent la grande majorité de ces textes. (...)
Pour lire la suite de cet article, écrivez-moi.
J'y traite des causes du ressentiment :
Le traumatisme de la défaite :
L’incompréhension face aux choix du gouvernement.
Le sentiment d’injustice
Le ressentiment et la semaine sanglante
D’emblée, la lecture de nos sources fait apparaître une nouvelle donne : si rancunes et sentiments d’impuissance restent très présents à la veille de la tragédie, les convergences du 18 mars n’existent plus et les conditions du ressentiment ont bien changé. La lecture des sources permet de distinguer trois grands courants de rancoeurs.
Les ressentiments bourgeois
Le ressentiment des « prisonniers »
Le ressentiment des insurgés
Conclusions
Le ressentiment est donc présent pendant toute la période de la Commune (le contraire aurait sans doute était surprenant !) et il semble bien « acteur » des événements. Il l’aura été dans la mesure où il créa les conditions d’une convergence des opinions, laquelle favorisa le succès insurrectionnel du 18 mars, puis celles d’une exaspération fatale à la Commune à la fin mai. Le 18 mars fut un succès pour les insurgés parce que les ressentiments accumulés et leurs causes – le rejet additionné de la Paix honteuse, d’une possible Restauration et des réformes de Thiers – ont été plus forts que les différences de classe. Le 28 mai, en revanche, la répression triompha et se fit brutale parce que les ressentiments s'étaient retournés et parce que les peurs l’ont emporté sur tout autre considération.
Les résultats de l’analyse ne font-ils que répéter sous une autre forme ce que l’historiographie connaissait déjà ? Peut-être. Ils sont intéressants, toutefois, dans la mesure où ils aident à prendre un peu de distance par rapport aux mythes qui entourent l’histoire de la Commune. Car, sur ce sujet, la part entre les faits et le ressenti n’est pas toujours bien faite et, dans un camp comme dans l’autre, la Mémoire préfère interpréter l’événement sur la base de ce que les acteurs principaux en ont dit a posteriori plutôt que sur le ressenti immédiat des citoyens ordinaires. L’incurie (plutôt que l’impuissance) de l’armée française, la trahison de Trochu et de Thiers (plutôt que leur reddition), la haine des Versaillais (là où il y avait de la colère) sont souvent pris pour argent comptant quand il ne s’agit que de la façon dont les Fédérés ont interprété la situation ; de même la « trahison » des révolutionnaires (là où il n’y eut qu’expression d’une colère socialement transversale), leur lâcheté, bassesse ou ivrognerie de prolétaires sans foi ni loi (au lieu de la peur et de la simplicité populaire), leur dictature (qui ne s’est jamais exercée), la haine de classe qui les transforma en incendiaires (légende des pétroleuses) ne sont que discours d’adversaires politiques qui refusèrent les circonstances atténuantes que la réalité concrète permettait d’accorder.
Ceci étant observé, les deux dates prises en compte ci-dessus (18 mars et 22 mai) ne donnent pas à voir le même processus. Cette particularité empêche d’imaginer une modélisation du ressentiment comme acteur de l’histoire ; il interdit aussi de penser qu’il puisse être fabriqué et justifier les soupçons de complot car le développement d’un ressentiment reste imprévisible, impossible à produire ou à anticiper dans la mesure où un traumatisme comme la défaite de 1870 ne se programme pas (même craint, il n’est jamais vraiment envisagé) ; quant à l’incompréhension, ce n’est pas elle en tant que telle qui compte, c’est surtout son degré, lequel renvoie à la manière dont une décision politique est présentée à l’opinion. Tout est alors question de « communication » dirions nous aujourd’hui. On le voit dans les nuances d’un témoignage à l’autre : certains, par exemple, acceptent la capitulation de fait sinon de cœur quand les autres la refusent alors que le sentiment d’humiliation est le même. La remarque permet ainsi de s’interroger : en quoi la communication est-elle déterminante dans l’histoire du 18 mars ? Que celle-ci n’ait fait l’objet d’aucune campagne au sens moderne du terme ni stratégie de la part du gouvernement de la Défense nationale n’empêche pas de se poser la question !
NOTES
[1] Les textes cités sont recensés en annexe 2.
[2] La grande majorité des témoignages exprime la crainte d’un conflit entre Français que tous refusent. On en voudra pour preuve la difficulté rencontrée par le gouvernement pour former une armée de reconquête de la capitale, les mobiles de province présents à Paris pendant le siège et les prisonniers en Allemagne souhaitant rentrer chez eux non seulement pour retrouver leurs familles mais aussi pour ne pas avoir à tirer sur des compatriotes.
[3] Voir Robert Tombs, La guerre contre Paris. Paris, Aubier, 1998.
[4] Voir Robert Le Quillec, Bibliographie critique de la Commune, Paris, Boutique de l’Histoire éditions, 2006.
[5] Marc Ferro, Le ressentiment et l’histoire, Paris, Odile Jacob, 2007.
[6] Voir Marc Angenot, Les idéologies du ressentiment, Montréal, 1996.
[7] Voir Michelle Larivey, Le guide des émotions, www.redspy.com et La puissance des émotions, éditions de l’homme, 2002.
Annexe 1 : Le ressentiment Dans les nouvelles de Maupassant
Le ressentiment qui s’exprime pendant la Commune trouve son origine dans la guerre franco prussienne. Les carnets de guerre, journaux intimes et lettres de l’époque en témoignent et permettent d’évaluer le rôle que cette forme de souffrance refoulée a pu jouer dans le déroulement de la guerre civile. Il fut si fort qu’il justifiât d’emblée l’idée de la Revanche et il favorisa le succès du 18 mars. Il affecta tous les Français et on en retrouve la trace dans la littérature : chez Maupassant tout particulièrement. Ses contes et nouvelles évoquant la guerre franco prussienne sont bien connus. Publiés au début des années 1880, ils témoignent de l’empreinte laissée par la défaite dans le cœur de l’écrivain. On y découvre un Maupassant pacifiste et dénonciateur des méfaits de la guerre. Mais son ressentiment ne prend pas la guerre et les Prussiens pour seules cibles… Les responsables français de la défaite sont particulièrement visés et, à leur encontre, sa plume est plus que virulente : Maupassant se fait clairement porte-parole d’un ressentiment très partagés par ses contemporains et que l’esprit de la Revanche a un peu vite effacé. Sur ce plan, Le lit 29 et Boule de suif sont les deux textes les plus expressifs.
Boule de suif est le récit allégorique par excellence d’une France (incarnée par le personnage éponyme) trahie par ses élites, toutes représentées par les différents personnages. Ce sont tous des fugitifs, des lâches et profiteurs de la guerre : le marchand de vin, « filou » et sans idéal qui vend sa piquette à l’armée, le faux opposant à l’Empire qui monnaye son opposition, l’aristocrate orléaniste (il a épousée une roturière qui prend des « airs ») qui pousse Boule de Suif à « capituler », les religieuses prêtes à se soumettre du moment que leur Vertu est sauve et le Républicain qui profite des circonstances pour tenter d’obtenir les faveurs de la France... Seuls les aubergistes ne fuient pas, mais prudents, ils se font interprètes des désirs du Prussien, voire collaborateurs. À travers ses personnages, Maupassant fait un portrait de la société bourgeoise de son temps. Il règle surtout ses comptes avec ceux qu’il accuse implicitement d’avoir trahi la France ! Cette France (Boule de Suif) qui nourrit ses élites sans qu’aucune de celles-ci ne lui rende la politesse !
Dans toute cette histoire, le seul personnage à avoir vraiment fait acte de résistance à l’ennemi reste Boule de suif. Tous les autres ont fait semblant ! Et le seul à devoir payer le prix de la capitulation, c’est encore elle ! En bref, il y a d’un côté la France de petite vertu mais courageuse, prévoyante et sacrifiée ; de l’autre des élites sociales tous partis confondus qui se servent d’elle à leurs fins personnelles et égoïstes.
Dénonciation de la « trahison » ? Deux citations en témoignent tout particulièrement. Quand le Républicain Cornudet attaque l’Empereur, Boule de Suif seule réagit : « c’est vous qui l’avez trahi, cet homme ! » s’indigne-t-elle. Un peu plus loin, elle repousse les avances du même personnage : « Pourquoi ? Vous ne comprenez pas pourquoi ? Quand il y a des Prussiens dans la maison, dans la chambre à côté, peut-être ? » L’allusion à la Révolution du 4 septembre, (qui peut aussi être celle du 31 octobre) est transparente : on ne fait pas la Révolution quand l’ennemi est encore sur le territoire national. Maupassant s’en prend à toutes les élites : conservatrice et révolutionnaire. Pas une n’est épargnée. Sur la fin, les premiers se rient du Républicain « trop vert ». L’allusion à la situation de 1871, celle d’une République sans majorité, est évidente.
Le ressentiment exprimé par Maupassant est le même qui ressort des témoignages rédigés pendant la guerre ou au moment de la Commune. Il explique les majorités introuvables des années 1870 tout comme l’insurrection de Paris que la passivité des bourgeois ou la colère des soldats mettant crosse en l’air a facilité.
Le lit 29 témoigne, lui aussi, du ressentiment de Maupassant. Cette fois, c’est le capitaine Epivent qui en fait les frais, lui qui se disait prêt au sacrifice à l’aube de la guerre et qui s’en montre incapable, abandonne Irma à la mort que lui vaut la maladie contractée pendant le conflit ! Humiliée, la malheureuse s’emporte : « Qu’est-ce qui est honteux, de m’être fait mourir pour les exterminer, dis ? Tu ne parlais pas comme ça quand tu venais chez moi, rue Jean d’Arc. Ah ! C’est honteux ! Tu n’en aurais pas fait autant, toi, avec ta croix d’honneur ! Je l’ai plus méritée que toi, vois-tu, plus que toi, et j’en ai tué plus que toi, des Prussiens !... » Le ressentiment d’Irma explose au final dans ces reproches amers : « Ça serait-il arrivé si vous les aviez empêchés de venir à Rouen, dis ? C’est vous qui deviez les arrêter, entends-tu. Et je leur ai fait plus de mal que toi, moi, oui, plus de mal, puisque je vais mourir, tandis que tu te balades, toi, et que tu fais le beau pour enjôler les femmes (…) Ah ! oui, tu es un joli poseur. Je te connais, va. Je te connais. Je te dis que je leur ait fait plus de mal que toi, moi, et plus que tout ton régiment réuni… va donc… capon ! »
L’esprit de Revanche dont le beau capitaine fait état peut-il effacer la faute du « capon » ? Contre les Prussiens, il jure : « À la prochaine guerre, ils me le paieront, les gredins. » Mais la Revanche annoncée apparaît ici comme l’expression seulement d’une belle hypocrisie qui ne saurait jamais apaiser la blessure infligée à la France (alias Irma) abandonnée. Dix ans après la débâcle, la génération de Maupassant n’a pas vraiment pardonné la trahison de ses élites. Dès lors, comment imaginer qu’elle ait su en surmonter l’affront dix ans plus tôt, le 18 mars 1871 à l’encontre de Versailles ou en mai contre les Révolutionnaires ?
Maupassant nous a laissé d’autres contes évoquant la guerre. Dans La mère Sauvage, Walter Schnaffs, Deux amis ou Mademoiselle Fifi, le ressentiment contre les élites nationales est moins central que dans Boule de suif ou le lit 29. Pourtant, à y regarder de près, il n’en est pas absent. Quelques extraits qui en témoignent :
Dans La mère Sauvage :
« Les paysans n'ont guère les haines patriotiques; cela n'appartient qu'aux classes supérieures. Les humbles, ceux qui paient le plus parce qu'ils sont pauvres et que toute charge nouvelle les accable, ceux qu'on tue par masses, qui forment la vraie chair à canon, parce qu'ils sont le nombre, ceux qui souffrent enfin le plus cruellement des atroces misères de la guerre, parce qu'ils sont les plus faibles et les moins résistants, ne comprennent guère ces ardeurs belliqueuses, ce point d'honneur excitable et ces prétendues combinaisons politiques qui épuisent en six mois deux nations, la victorieuse comme la vaincue. »
Dans Walter Schnaffs, il apparaît dans l’image ridicule des
gardes nationaux qui se targuent d’une victoire qu’ils n’ont pas eu, un honneur
qu’ils s’approprient aux dépends des vrais héros : les braves gens, Français
comme Prussiens, qui n’aiment pas la guerre qu’on leur fait faire.
« Un autre officier entra et prononça :
"Mon colonel, les ennemis se sont enfuis ; plusieurs semblent avoir été blessés. Nous restons maîtres de la place."
Le gros militaire qui s'essuyait le front vociféra : " Victoire !" Et il écrivit sur un petit agenda de commerce tiré de sa poche :
"Après une lutte acharnée, les Prussiens ont dû battre en retraite, emportant leurs morts et leurs blessés, qu'on évalue à cinquante hommes hors de combat. Plusieurs sont restés entre nos mains." »
Rappelons que de Prussiens, il n’y avait que W. Schnaffs, un brave gaillard qui ne voulait pas se battre.
Dans Deux amis, l’un des deux en dit long : « Avec les rois on a la guerre au dehors ; avec la République on a la guerre au dedans. » Nul régime ne saurait rattraper l’autre !
Dans Mademoiselle Fifi : « Il semblait aux paysans qu'ils avaient ainsi mieux mérité de la patrie que Belfort et que Strasbourg ».
annexe 2 : Bibliographie des témoignages utilisés
1. Aragonnes d’orcet ((général Vte), Froeschwiller, Sedan et la Commune racontés par un témoin, lettres et souvenirs du Général Vte Aragonnès d'Orcet, publiés avec une notice biographique et des notes par L. Le Peletier d'Aunay. Paris, Perrin, 1910 ; 317 pages. SHAT : 26075 – BNF : 6- LH4- 4776.
2. audin (Amable), Paul Gard, otage. Editions lyonnaise d’art et d’histoire, Lyon, 1989 ; 240 pages. BNF : Ln57-19908.
3. Balland (A), La guerre de 1870 et la Commune. Notes d’un jeune aide major. Bourg, Courrier de l’Ain, 1916. BNF : Lh4-4077.
4. Barbet de jouy (Joseph-Henri), « Son journal pendant la Commune », Revue Hebdomadaire, septembre 1898, p. 178-204 et p. 320-342. BNF : microfilm M 890 (24).
5. Barral de montaud (C.), Notes journalières sur l’état de Paris durant la Commune. Paris, Imprimerie Paul Dupont, 1871 ; 96 pages. BNF : microfiche Lb57-1664.
6. Bary (Arthur), « Lettres écrites pendant la Commune de Paris, 1871 », La revue hebdomadaire, 6 août 1904. Paris, Plon, p.5-26. BHVP : 901370.
7. Beaurin, Charles : Une lettre sur le siège de Paris. Marny les Compiègne, 6 mars 1871.
8. Bouet (Joseph), Paul Seigneuret, séminariste de Saint Sulpice, fusillé à Belleville le 26 mai 1871. Notice rédigée d’après ses lettres. Paris, Josse, 1875 ; 345 pages. BNF : Ln27 26231 A.
9. Boys (P de), Lettres à son fils pendant le siège et la Commune (1870-1871). Manuscrit, BHVP : 1075.
10. Bréton (Geneviève) Journal de Geneviève Bréton, 1867-1871. Paris, Ramsay, 1985. BNF: Ln27-94616 (A).
11. chicandart, (capitaine) Un épisode de la journée du 18 mars. Rapport d’un ex capitaine de la 11éme compagnie du 79ème bataillon. Paris, 1871 ; 16 pages BNF : Lb57-1579
12. Couillé (abbé), Saint-Eustache pendant la Commune. Paris, librairie catholique E. Vitte, 1902 ; 86 pages. BNF : Mfiche Lb57-1725 (C).
13. Dabot (Henri), Griffonnages quotidiens d’un bourgeois du quartier latin du 14 mai 1869 au 2 décembre 1871. Péronne, E. Quentin, 1895 ; 323 pages.
14. delaroche-vernet (André), Une famille pendant la guerre et la Commune. Lettres. Paris, Plon-Nourrit et Cie, 1912 ; 292 pages. BNF : 8 Lm3 3129.
15. Delpit (Martial), Journal et correspondance. Paris, Didot, 1897 ; 383 pages. BNF : Ln27-44946.
16. demeulenaere-douyère (Christiane), « Un témoin de la Commune de Paris : Eugène Bersier », Bulletin de la société d’histoire de Paris et d’Ile-de-France, 108ème et 109ème années, 1981 et 1982 ; pp.245-254 et 298-301.
17. Desplats, (Victor), Lettres d'un homme à la femme qu'il aime pendant le siège de Paris et la Commune, correspondance présentée par Pierre Lary. Paris, J.C. Lattès 1980 ; 317 pages. BNF : 8- Z- 51066.
18. D’Heilly (Georges), Journal d’un habitant de Neuilly pendant la Commune. Paris, librairie générale, 1871 ; 51 pages. FDT : Clarétie 4648.
19. Fabrege (Docteur), Journal de l’insurrection du 18 mars et des événements qui l’ont précédée. Par un spectateur philosophe. Paris, Jules Taride, 1871 ; 255 pages. BNF : 16 Lb57-1601.
20. Fiaux (Louis), Papiers. Manuscrit, BHVP : Ms 1760. Journal, notes et correspondance d’un aide major, camp de Chamons et fort d’Issy.
21. Flamarion (Alfred), Le livret du docteur. Souvenirs de la campagne contre le Prusse et contre la Commune. Paris, Le Chevalier, 1872 ; p.123-173. FDT : 12 TL 2709.
22. Gallet (Louis), Guerre et Commune ; impressions d’un hospitalier, 1870-1871. Paris, Calmann Lévy, 1898 ; 332 pages. BNF : Lb57-12157.
23. Garçon (Maurice), Journal d’un bourgeois de Paris, Revue de Paris, n°12, décembre 1955 ; p.14-33. BNF : Mfilm M 17000 204.
24. Gentil (abbé J.), Un orphelinat de jeunes filles pendant la guerre de 1870-1871 suivi du journal de Billancourt pendant la Commune. Paris, Lib. Curot, 1879 ; 223 pages. BNF : Lb57-101bis.
25. Godelier (colonel), « La guerre de 1870 et la Commune ; journal d’un officier d’état-major », Nouvelle revue rétrospective, janvier-juin 1902,tome XVI, pp.297-312 ; 361-384. Juillet-décembre 1902, tome XVII, pp.1-24 ; 121-161. BNF : Microfilm 8 Z 10260. Journal remanié.
26. goncourt (Edmond et Jules), Journal, vol.II, 1866-1886. Paris, R. Laffont.
27. Got (Edmond), Journal.; Paris, Plon, Nourrit et Cie, 1910 ; tome 2 .
28. Haureau (Barthélemy), « Lettres », Correspondances sur les événements de 1870-1871. BHVP : Ms 1113, Feuillets 57 à 210. L’ensemble comprend aussi la correspondance reçue par Mme Hippolyte Lucas et le journal de E. Jovier à Mme de la Roche (sur la semaine sanglante).
29. Hirsch (Alhonse), Lettre, du 25 mai, place Vendôme. Papiers Alphonse Hisrch, BHVP : Ms 1143.
30. Laboureau (Lucienne), « Odyssée d’un conscrit bourguignon, 1870-1871 », Recueil des travaux du centre Beaunois d’études historiques. Tome 13, 1995 ; pp. 43-71. Lettres de Jean-Baptiste Jude VAIVRAND, jeune appelé de 20 ans. Du 17 octobre 1870 au 28 octobre 1871.
31. Lacombe (Charles de) Journal politique. Paris, Picard, 1907 ; 326 pages. BNF : microfiche 8 L45-63 (36).
32. Lagrée (Yves), « La guerre de 1870 et la commune vue à travers les lettres de Mme Victor-Alexis Bérard et de ses fils Édouard et Paul Berard », Bulletin de la société de l’histoire du protestantisme français, 1970, a.116, oct. déc. p.550-582. BNF : 8-Lc18(97).
33. Lamber (Juliette), Madame Juliette Adam, Juliette Lamber. Mes souvenirs. Nos angoisses et nos luttes, 1871-1873. Paris, Lemerre, 1907. BNF : microfiche.
34. Langourian (général de), Journal des marches et des opérations militaires de la 2ème brigade de la division Bruat, 9 février au 28 mai 1871. Paris, 1875. FDT : 8 Famchon 606. Manuscrit.
35. Lano (Pierre de), La Commune. Journal d’un vaincu. Paris, Victor-Havard, 1892 ; 292 pages. BNF : Mfiche 8 Z-16505 (13). Journal de Jacques Amédée Gromier.
36. Latour (dr. Amédée), Journal du bombardement de Chatillon, Avril – mai 1871. Paris, bureau de l’union médicale, 1871 ; 49 pages. FDT : 8 TC 122 (P) ; CESAT : A’ 31 1858.
37. Lochner (Gustave de), Papiers. SHAT : Témoignage 1 KT 107.
38. Lucas (Hippolyte), Correspondance pendant le siège et la Commune. Vannes, imprimerie de Lafolye, 1900 ; 36 pages. BNF : mfiche : Lb57-12895.
39. Marie-Vezat, Mme : « Les événements du 25 mai 1871 vus par les habitants des Gobelins », La montagne sainte Geneviève et ses abords, société historique et archéologique du 5à arrondissement, 1983, n°253. BNF : 4-Lc21-134.
40. Martial (A), Paris sous la Commune. Notes et eaux-fortes ; 1871. FDT : Folio Famchon 42.
41. Mazade (Alexandre de), Lettres et notes intimes, 1870-1871. Beaumont-sur-Oise, 1892, Paul Frémont ; 739 pages.
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