L'appel des arrêts des Cours d'assises ; Le poids de l'histoire.

in La Cour d'Assises, bilan d'un héritage démogratique, Association française pour l'histoire de la justice, La documentation française 2001

ISBN 2-11-004721-6

 

 

 

Par l'intermédiaire du jury c'est le peuple qui juge à la Cour d'assises. L'appel interjeté contre une telle décision n'aurait donc aucun sens et serait même pernicieux. Il ne manquerait pas de rappeler le temps où une souveraineté qui n'a rien de populaire s'exerçait au somment de la justice. Cette conception fut admise par l'ensemble de la doctrine pendant presque les deux siècles qui suivirent l'importation du jury en France. Le recours au concept de juridiction "populaire", à propos de la Cour d'assises - qui fut pourtant pendant longtemps une juridiction de notables - servit à évacuer toute interrogation sur le fait que les délinquants frappés de peine relativement faibles avaient la possibilité de voir leur affaire rejugée alors que des criminels quelquefois condamnés à la peine de mort ne bénéficiaient que d'un seul degrés de juridiction. L'explication était simple, l'appel contre le peuple est inconcevable. L'évolution des mentalités à la fois de la doctrine presque unanime et de l'opinion a conduit, après un certain nombre de péripéties à admettre, par la loi du 15 Juin 2000 un appel contre les décisions criminelles. Toutefois ce recours présente des caractéristiques spécifiques qui en font une voie unique dans la procédure française. D'autre part le poids historique du jury "populaire" et l'idée qu'il ne saurait être porté atteinte à cette institution démocratique ont amené des aménagements particuliers qui tout en cherchant à conserver la place historique des jurés consacrent une mutation, sans doute décisive du jury.

1 Un nouveau type d'appel.

La voie de recours qui consiste à faire rejuger ce qui a déjà été examiné par une juridiction n'est nullement une démarche naturelle. Elle se heurte au caractère magique de la sentence. Dans les anciens droits infirmer une sentence aurait conduit à condamner non seulement le juge mais la pertinence même du système processuel. Dans le système romain l'appel fera son apparition avec la procédure extra ordinem, c'est-à-dire au moment où les fonctionnaires (impériaux) deviendront les maîtres de la justice. Il s'agit alors en fait d'un recours hiérarchique, un fonctionnaire est invité à revoir la décision d'un subordonné. Notre conception de l'appel est issu de cette approche administrative de la justice qui implique une hiérarchisation. Il est significatif de constater que certains juristes critiquent l'utilisation du terme appel s'agissant du recours contre les décisions criminelles introduit par la loi du 15 Juin 2000, au motif qu'il n'implique pas de hiérarchisation des juridictions. Il est vrai que la tradition française de l'appel est très fortement hiérarchique. Les Parlements de l'ancien régime ont abondamment utilisé cette voie de recours pour imposer leur jurisprudence aux multiples juridictions qui leur étaient subordonnées. En matière criminelle, pour les peines majeures, l'appel est même obligatoire, ce qui revient à exiger la confirmation des parlements pour peines importantes. Un jurisconsulte comme Clarus estimera qu'en matière criminelle l'appel est un droit naturel et que les coutumes étrangères qui l'interdisent sont critiquables. Mais la justification de ce type de recours est très éloignée des conceptions contemporaines. Il s'agit avant tout d'un contrôle de la pertinence du raisonnement du juge inférieur par un juge considéré à tort ou à raison - le plus souvent à raison d'ailleurs - plus compétent. Il ne faut pas non plus perdre de vue que nous nous trouvons sous l' ancien régime dans un système de droit antérieur au principe de la légalité criminelle, où les juges jouissent d'une très grande autonomie pour définir ce qui est punissable. L'appel "de contrôle" apparaît tout naturellement comme une nécessité.

L'appel non hiérarchique est dans ces conditions chose peu naturelle car il est difficilement conciliable avec l'idée de contrôle qui semble s'imposer. Les défenseurs de l'appel circulaire lors des discussions sur la loi "renforçant la protection de la présomption d'innocence et les droits des victimes" ont, à juste titre, avancé deux précédents. Le premier est tiré du droit canonique où l'appel d'une décision d'une juridiction épiscopale peut être porté au siège voisin. Le caractère hiérarchique se retrouve toutefois dans ce droit avec l'existence d'une juridiction suprême romaine.

Le second précédent, celui institué sous la Révolution pour les tribunaux de district, dont la compétence était principalement civile, est certainement le seul cas d'appel circulaire pur. Le législateur de 1790 avait d'ailleurs hésité longuement avant d'introduire un appel estimant qu'un droit fondé sur la loi serait suffisamment clair pour faire l'économie de multiples voies de recours. Finalement le système sera introduit sans que sa finalité véritable fût complètement explicitée : Le respect strict du droit allait être l'affaire du Tribunal de cassation mais l'appel des décisions du tribunal de district allait être possible dans une logique nouvelle : L'appel d'une juridiction donnée, toujours porté devant la même juridiction de même degré -dont la première juridiction connaissait elle-même les appels - allait plutôt conduire à des luttes clochemerledesques entre tribunaux voisins que contribuer à l'amélioration de la qualité de la justice . En tout cas l'appel circulaire présentait, en matière civile, le défaut important d'interdire la constitution d'une jurisprudence. Pour le législateur révolutionnaire, il présentait l'avantage de permettre un appel, ce qui était malgré quelques résistances, considéré comme une garantie, sans introduire une hiérarchie judiciaire que les révolutionnaires jugeaient politiquement dangereuse. Le fait que cette voie de recours risquait d'affaiblir l'autorité des magistrats ne fut certainement pas voulu, mais ne pouvait guère déplaire à un pouvoir qui se méfiait pathologiquement des juges pourtant maintenant élus et extrêmement différents des officiers d'ancien régime. L'appel circulaire laïc n'a donc pas laissé un souvenir très positif dans l'histoire de la justice et ce ne sont pas ses qualités passées qui ont conduit le législateur de l'an 2000 à s'y intéresser pour résoudre le problème du recours en matière criminelle.

En réalité l'appel de la loi de Juin 2000 est d'un type entièrement nouveau car il ne correspond plus à ce que nous avons nommé l'appel de contrôle. L'idée maîtresse de la nouvelle voie de recours est celle de nouvelle chance ce dernier terme revenant constamment dans les discussions. La critique de l'ancien Garde des Sceaux Jacques Toubon, dont les projets s'inspiraient plus nettement de la théorie de l'appel traditionnel est révélatrice :"Madame Guigou l'a appelé "seconde chance", ce que je traduit moi par second tirage à la loterie. En fait l'appel des Cours d'assises reste à établir". En réalité deux conceptions, reposant sur des appréhensions radicalement différentes de la justice s'opposent : L'appel "de contrôle" repose sur l'idée que la technique juridique, appliquée par des hommes dont la compétence supérieure est institutionnellement reconnue, peut garantir le bon fonctionnement de la justice. L'appel circulaire de "nouvelle chance" sous-tend une vision plus pessimiste : la justice, quelque soit l'organisation et la composition des tribunaux est faillible :Mieux vaut deux déclarations de culpabilité de deux juridictions différentes, mais de même nature, avant de considérer un homme coupable. Sans trop caricaturer nous pouvons voir là l'application d'un principe technique maintenant fort connu, celui de la redondance de sécurité. Un dispositif qui n'est pas évidemment fiable à 100% est doublé d'un dispositif analogue. La probabilité de disfonctionnement global est ainsi sensiblement réduite.

La première manifestation de l'originalité de cet appel est sans doute plus théorique que pratique, mais se révèle caractéristique. Le rôle dévolu à la Cour d'assises d'appel n'est pas le même que celui attribué à la Cour d'appel statuant en matière correctionnelle. Il ne s'agit pas de confirmer ou d'infirmer la première décision mais bien de rejuger l'ensemble de l'affaire, comme si la première décision n'existait pas. Cet "appel absolu" qui peut être opposé à l'"appel relatif" classique constitue peut-être un écho de renvoi après cassation. Remarquons d'ailleurs que la Cour de cassation désigne la Cour d'assises d'appel comme elle le fait pour la Cour d'assises de renvoi, sans règles particulières.

La seconde caractéristique du nouvel appel tient à l'obsession de l'erreur judiciaire sous-tendue : Il n'est pas indifférent de constater que cette réforme est introduits dans une loi plus globale sur la présomption d'innocence. L'objectif de cette nouvelle voie de recours semble principalement concerner l'erreur judiciaire. De ce point de vue, il semble pleinement correspondre à l'attente puisque l'appel du ministère public sur une décision d'acquittement étant prohibé par la loi, il faudra deux déclarations de culpabilité pour condamner une personne se proclamant innocente. Le problème, d'ailleurs souligné lors des débats parlementaires, mais finalement ignoré, est que la question de l'innocence est relativement marginale devant les Cours d'assises. Tout le travail de la défense repose le plus souvent sur le quantum de la peine. Or en cas de condamnation à des peines sensiblement différentes par la juridiction de première instance, et par la juridiction d'appel, la légitimité de la décision finale apparaît peu évidente. Nous sommes alors loin de la problématique de la seconde chance, puisque le sort de l'accusé peut être aggravé par appel principal ou incident du parquet. Nous nous trouvons plutôt dans le cas de l'appel tournant révolutionnaire où la décision du second tribunal de district s'impose uniquement car il intervient en second ce qui semble faible.

Cette crainte concernant la légitimité de la décision d'appel, ainsi que le désir de respecter le pacte international relatif aux droits civils et politique entré en vigueur pour la France en 1981 qui prévoit de faire examiner "par une juridiction supérieure" la déclaration de la culpabilité et la condamnation conduisirent à des discussions quelque peu byzantine entre le sénat et l'assemblée nationale. La première assemblée était favarable à un appel circulaire strict avec composition analogue de la juridiction d'appel, l'Assemblée nationale, principalement en la personne de Madame Christine Lazerges estimant nécessaire une composition renforcée de la Cour d'assises d'appel. Finalement la Cour d'assises statuant en appel aura 12 jurés alors que la Cour d'assises statuant en première instance en conservera 9 ; remarquons que dans les deux cas le nombre hautement symbolique de 12 a été conservé, puisque la Cour de premier ressort comporte 12 membres. Rappelons aussi que les premières Cours d'assise napoléoniennes, précédées du Tribunal criminel de département révolutionnaire, connaissaient ce chiffre évangélique de 12 jurés.

L'appel de Cour d'assise à Cour d'assises, finalement retenu par la loi est donc compliqué par cette composition différente qui le détache encore une fois de l'appel circulaire révolutionnaire . Il appartient cependant toujours à la catégorie " circulaire " puisque le seul fait d'ajouter trois jurés est loin de faire de la seconde Cour une juridiction supérieure. Certains juristes dans ce sens émettaient même des doutes sur le caractère des Cours d'assises d'appel du défunt projet Toubon pourtant voulues supérieure au tribunaux criminelle de département prévus.

Une seconde incertitude nuance aussi le caractère circulaire de l'appel qui en principe implique une absence d'intervention a posteriori quant à la désignation de la seconde juridiction. L'appel, sous la révolution, d'un tribunal de district à un autre tribunal, toujours le même, n'a pas donné, nous l'avons souligné de bons résultats. Il n'est pas sûr que l'intervention de la chambre criminelle dans la désignation de la Cour d'assises d'appel ne soit pas l'objet de polémiques. S'agissant essentiellement d'un appel " nouvelle chance " un tirage au sort, parmi les départements les plus proches, (afin d'éviter les difficultés de l'éloignement) aurait été défendable. Même si la Cour de cassation retient aussi le critère géographique, comme la plupart des praticiens s'y attendent, son choix risque d'être suspecté dans certains cas.

D'une manière plus générale le nouvel appel, malgré ses spécificité, intègre à la fois les règles fondamentales de l'appel correctionnel et les principes fondamentaux de la cassation criminelle.

Du premier point de vue l'appel du condamné ne peut aboutir à aggraver son sort. Ce principe, qui ne se trouvait pas directement dans le code d'instruction criminel, avait été dégagé par le Conseil d'État en 1806 pour des raisons tirées des droits de la défense mais aussi de la nécessaire séparation des fonctions de jugement et de poursuite. Le juge qui sur un appel du condamné et en l'absence d'appel du ministère public aggraverait la peine se comporterait en procureur ; or si le principe selon lequel le juge est procureur existe sous l'ancien régime, il est considéré comme étant insupportable dans le nouvel édifice juridictionnel. On sait que cette interdiction sera ruinée par la pratique quasi systématique de l'appel incident du ministère public. Les dispositions de loi du 15 juin 200 reprennent, non sans une certaine hypocrisie, les dispositions correctionnelles sur la non-aggravation du sort de l'appelant sur son propre appel puisque la possibilité d'appel incident du ministère public est introduite.

En imitation des principes de la cassation en matière criminelle l'appel du ministère public d'une sentence d'acquittement - possibilité un temps envisagée lors des projets Toubon - est prohibé, comme nous l'avons déjà vu. Une telle voie de recours aurait bien évidemment été en opposition complète avec la notion d'appel " nouvelle chance".

2 Un nouveau type de jury

Il est significatif de remarquer que l'introduction de l'appel criminel ne s'est pas accompagnée d'un large débat sur la fonction du jury. L'hérésie qui consisterait à faire appel d'une décision du peuple n'est plus dénoncée, sans doute parce que lentement, la plupart des juristes considèrent que la fiction du peuple rendant la justice dans la Cour d'assises a vécu. La commission Deniau avait proclamé d'ailleurs, sans explication mais non sans contradiction, que " le caractère souverain du jury " ne constitue pas un obstacle à l'appel.

En fait l'idée des révolutionnaires, quasiment théologique, de présence du peuple dans la juridiction criminelle par l'intermédiaire du jury n'est qu'une belle théorie, qui résiste mal à l'examen pratique. Historiquement la raison d'être du jury était différente. Le jury est né en Angleterre dans une ambiance féodale où la participation des pairs de l'accusé à la justice est fondamentale et constitue une garantie contre la possibilité d'arbitraire des juges royaux. Le jury anglais, dans un premier temps uniquement accusateur, n'a jamais véritablement jugé, mais s'est toujours borné à établir les faits, sa proximité le rendant d'ailleurs en principe plus compétent pour ce rôle que le juge, plus lointain. Cette tradition de participation populaire au fonctionnement de la justice criminelle n'a pas induit comme en France un blocage quand l'introduction de l'appel s'est fait sentir. Il est remarquable de constater que la juridiction qui connaît des appels criminels ne comporte pas de jury.

À l'origine de la tradition française Montesquieu voyait surtout dans un jury tiré au sort une contribution à l'équilibre politique. Beccaria lui, qui a pourtant tant inspiré les révolutionnaires, retenait surtout l'idée ancienne de jugement par les pairs

Un siècle après la révolution un grand pénaliste comme Faustin Hélie, pour justifier l'existence du jury employait des termes qui renvoyaient plus aux théories pré-révolutionnaires qu'à l'idée de souveraineté du peuple faisant du jury "l'arbitre délégué par la société entre l'accusation et l'accusé, et dont le jugement est accepté par l'un comme le jugement du pays, et par l'autre comme le jugement de ses pairs". Plus près de nous la commission Deniau, pour justifier le maintien de l'institution insistait plutôt sur ses vertus pédagogiques, relevant l'"élément de citoyenneté très symbolique remplissant une véritable fonction d'intégration républicaine" que constituait le jury. Cette dernière idée est d'ailleurs très proche de la vision de Tocqueville.

En réalité la théorie du jury émanation directe du peuple semble issue d'une lecture un peu exaltée des institutions anglaises par les révolutionnaires. Elle se heurte à la théorie de la représentation, un tirage au sort peut difficilement en tenir lieu. En fait malgré les grandes proclamations, peu de juristes ont complètement admis le principe de la souveraineté du jury, sauf pour exclure pendant deux siècles l'appel. Une fois les grandes idées proclamées les praticiens du XIXe siècle dénonçaient plutôt la naïveté, et dans certains cas la couardise des jurés qui provoquaient des acquittement qualifiés de " scandaleux ". Un strict respect du principe de souveraineté aurait d'ailleurs conduit dans certains cas à limiter de rôle de la Cour d'assise de renvoi statuant après cassation ce qui ne fut jamais le cas.

La mutation décisive a bien évidemment été opéré par le régime de Vichy, en 1941, En s'éloignant du modèle anglo-saxon de séparation radicale du fait et de la sentence, le jury a, en réalité, cessé d'exister juridiquement : Contrairement à la Cour, il n'est plus une entité prenant des décisions. On a dit à juste raison que les jurés devenaient des échevins, c'est-à-dire des juges non professionnels destinés à apporter aux juges professionnels un sensibilité propre. Malgré les dispositions relatives aux votes valorisant l'opinion des jurés la perspective a radicalement changé après la " loi " de 1941 : le régime de la souveraineté du jury est mort, commence celui de la collaboration, certes numériquement puissante, des jurés. Il est significatif d'observer que cet acte fut validé dans son principe à la libération, seul le nombre de jurés étant modifié. À partir de cette date, la prohibition de l'appel ne repose que sur des théories ayant perdues toute base institutionnelle. La création -fondée sur l'idée de la faiblesse du jury si caractéristique du XIXe siècle - à partir des années 80 de Cours d'assises sans jurés pour les affaires d'espionnage puis de terrorisme puis ensuite de stupéfiants rend inévitable le débat sur l'appel. Comment justifier l'absence, fondée sur la souveraineté du jury, de cette voie de recours alors qu'il n'existe plus de jury en tant que tel et qu'une partie non négligeable -qualitativement au poins- des crimes est réprimé sans intervention de jurés.

La réforme de l'an 2000 s'inscrit donc dans cette évolution. Elle confirme la mutation du rôle du jury ou plutôt des jurés. Les paroles de Casamayor, qui ne datent que de 1965, selon lesquelles " le jury, c'est la lumière proprement démocratique, victorieuse dans sa lutte contre le mystère " semblent bien, dépassées dans leur absolu. Les jurés ne sont plus la pièce maîtresse qui permet par une opération magique de transformer une opinion en vérité. Ils apparaissent plus simplement, par leur sensibilité différente de celle des magistrats professionnels comme un élément de légitimation supplémentaire, d'une décision qui comme les autres décisions de justice peut être soumis à l'appel. Le rôle du jury se fait plus technique et moins mystique puisque les jurés, comme les magistrats, seront contraints d'intégrer à leur façon de juger la possibilité de réexamen de l'affaire par des femmes et des hommes qui seront leurs pairs. Nous ne pouvons d'ailleurs, à ce propos, que regretter que le vote de cette loi, qui implicitement confirme l'évolution de la fonction de jurés n'ait pas été l'occasion d'une réflexion sur la fonction de juger.

En tout cas l'ensemble des débats amorcés en 1995, s'il a abouti à cette mutation du jury à confirmer sa nécessité. Il est sans doute normal, à partir du moment où l'on renonce à voir dans le jury le peuple français, d'accepter les défauts, l'impréparation, et l'immaturité de certains jurés qui, pour un ancien président de Cour d'assises, ressembleraient à des personnes " prises dans une rafle". Remarquons donc que toutes les tentatives de minorer le poid du jury ont été vouées à l'échec : L'avant-projet Toubon qui réservait le jury à la juridiction d'appel a été modifié sur ce point après le rapport Deniau. De même lors du débat sur la loi actuelle la possibilité de réduire le nombre de jurés en premier ressort pour maintenir le nombre de 9 en appel fut écartée, car elle aurait pu être interprétée comme une volonté d'affaiblir l'influence des jurés. Le jury reste donc au terme de cette réforme qui introduit l'appel, incontesté.

Dans cette opération de mise en conformité de l'ancien jury aux exigences du contentieux pénal contemporain un point manque. La motivation des décisions criminelles semblait tout naturellement destinée à accompagner l'introduction de l'appel. Motivation et voie de recours sont en effet intimement liées : dans la plupart des cas, les parlements d'ancien-régime ne motivaient leurs arrêts qu'en cas de recours à la justice retenue. C'est la conception du jury " oracle " qui avait entraîné les révolutionnaires à admettre cette entorse considérable au principe de l'obligation de la motivation qu'ils venaient de proclamer. Le nouveau rôle, moins symbolique, moins magique et plus technique des jurés ne justifie plus cette exception. L'appel semblait devoir mettre fin à cette particularité puisqu'il paraît impensable que les juges d'appel ignorent le raisonnement de ceux de première instance. Le projet Toubon introduisait logiquement une ébauche de motivation en même temps que l'appel. L'actuelle loi ne reprend pas cette innovation. Le motif le plus souvent invoqué est que la motivation est impraticable, point contesté par plusieurs présidents de Cour d'assises. En fait il semble que la nécessité de la motivation de la décision de première instance ait été victime de cette conception d'appel nouvelle chance, d'" appel absolu ", où la seconde juridiction doit plutôt ignorer les motivations de la première pour pouvoir véritablement rejuger. Sans vouloir se faire prophète il est probable que l'obligation de motivation se fera rapidement sentir après quelque temps de pratique de l'appel. L'absence de motivation, qui évoque trop le jury oracle, ne pourra résister à la contradiction qui ne manquera pas d'apparaître entre certaines décisions de première instance et d'appel. Elle est d'autre part beaucoup trop en contradiction avec l'esprit du temps, épris - quelquefois à l'excès - de transparence, pour résister longuement. Alliée à l'appel, la motivation permettrait de rompre les ponts avec les conceptions révolutionnaires de la justice criminelle, qui ne constituent certainement pas la meilleure part du legs de cette époque.

 

 

Jean-François Chassaing

Université de Paris X