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Jean-François Chassaing

Les trois codes français et l'évolution des principes fondateurs du droit pénal contemporain

Revue de science criminelle et de droit pénal comparé n°3 1993


Le nouveau code pénal constitue la troisième codification criminelle de l’histoire de la France. Ce que nous pouvons dénommer le droit pénal contemporain s’appuie donc sur trois codes promulgués respectivement en 1791, 1810 et 1992 .

Historiquement la codification pénale -en cela radicalement divergente de la codification civile - suit une réflexion sur le juge qui est première. Le droit pénal contemporain émerge dans une société qui déteste ses magistrats officiers et qui en réaction contre le principe de l’arbitraire des peines de l’ancien régime retient le principe de légalité de Beccaria. Dans cette conception le code pénal ne dresse pas simplement les interdits considérés comme fondamentaux , il ne se borne pas à gérer leur transgression, il enserre l’activité , par nécessité liberticide, du juge pénal dans un carcan le plus étroit possible.

Le code fondateur de 1791 est certainement dans ces conditions l’œuvre la plus originale de la période d’élaboration du droit contemporain ; contrairement au code civil de 1804 il ne voudra ni retenir les leçons de l’ancien droit ni utiliser les cadres offerts par le droit romain. Le code de 1810 participe quant à lui à la grande synthèse napoléonienne. Techniquement supérieur à son prédécesseur révolutionnaire, mais certainement plus faible que le code civil de 1804 , il ne s’attaque pas véritablement aux plus graves problèmes posés par la législation de 1791. L’évolution du droit pénal se fera au coup par coup aboutissant lentement au XXème siècle à un système de droit inflationniste dont l’ esprit était fort différent de celui du code auquel , plus ou moins formellement, il tentait de se rattacher. Le nouveau code pénal historiquement présente l’originalité de ne pas être contemporain d’une fracture sociale majeur. Il opère une mise au point d’un droit qui n’avait pas fait l’objet d’une réorganisation d’ensemble depuis un peu moins de deux siècles alors que le code de 1810 ne prenait en compte qu’une évolution de vingt ans. La comparaison des trois codes nous permet, non véritablement d’appréhender l’évolution historique d’un droit qui se fait ailleurs, mais de confronter les trois seuls systèmes pénaux opérationnels pensés globalement. Contrairement à l’ ancien droit qui ignorait ce que nous appelons le droit pénal général les trois codes français définissent l’infraction et classent les délits en différentes catégories aux régimes différents avant d’atteindre la finalité de tout système de répression : la fixation de la peine.



 

1- La légalité

Pour le droit pénal français contemporain le principe de la légalité criminelle est dogme , au sens strict donné par Littré : "un point de doctrine établi comme fondamental, incontesté, certain". Le principe de la non-rétroactivité des lois pénales et de leur interprétation stricte en est la conséquence obligée. Le législateur de 1791, qui suit très rigoureusement la Déclaration des Droits de 1789, fait très exactement référence aux propositions de Beccaria qui voyait , jusqu’à la caricature, dans le droit pénal une règle du jeu social : Chaque citoyen doit savoir quelle peine il se verra infliger s’il viole telle règle précise. La fonction du juge pénal est purement distributive : il échange une peine contre un délit, selon une règle préalablement établie. En contrepartie la règle doit être claire, les chevauchements d’incriminations bannis. L’analyse des faits, qui est du ressort pour les crimes, du jury délibérant seul, ne peut conduire qu’au prononcé de la seule peine prévue pour l’infraction identifiée. Cette conception, littéralement révolutionnaire, privilégie la place du citoyen -et donc du citoyen délinquant potentiel- qui a besoin de certitude , par rapport à celle du juge qui n’est que l’instrument de la loi expression de la volonté générale. La qualification, seule action laissée dans la sphère criminelle aux soins des juges professionnels élus, se doit d’être une opération simplement technique, quasiment mécanique. L’idée, chère à une certaine doctrine de la fin du XXème siècle, d’une fonction cathartique et/ou pédagogique de la qualification eût sans doute été considérée comme une aberration inspirée par l’influence néfaste de l’obscurantisme révolu. La rupture est en tous cas fondamentale avec une conception morale de la répression où le délinquant-pécheur est soumis à l’arbitraire du juge-inquisiteur qui dit, autant qu’il lit, la loi. La notion de péché est évacuée du droit criminel.

Le code pénal de 1791 respecte pleinement les nouveaux principes sans y faire expressément référence, la proclamation par la Déclaration des Droits et la constitution étant suffisante. La quasi-unanimité des définitions sont simples et n’invitent donc pas le juge une quelconque activité interprétative. Le tribunal de cassation se montrera très rigoureux sur le respect du principe de légalité amorçant l’élaboration de la jurisprudence désormais classique sur la complexité des questions posées au jury criminel .

Le code pénal de 1810 ne s’écarte pas du principe de la légalité classique. Seul 24% des infractions sont définies de manière large, c’est-à-dire font implicitement référence au rôle non véritablement créateur mais plutôt délimitateur du juge . Le droit pénal peut encore fonctionner seul, en un automatisme qui évite le grand règlement de comptes mettant au prise, sous l’ancien régime, délinquant et roi.

Ce dogme fondateur, comme bien d’autres, fut sujet à des avatars divers. Le statut du juge napoléonien -qui ne bénéficie plus de la légitimité de l’élection , mais qui acquière une indépendance justifiée par une inamovibilité tempérée par une domestication discrète fondée sur le carriérisme - est sans doute l’élément moteur d’une mutation-déclin du principe de la légalité criminelle au XIXème siècle. Le souci d’un contrôle social accru, qui ne pouvait s’accommoder d’un strict respect de règles du jeu qui eût fait du code pénal le "code des malhonnêtes gens" - un code pénal est-il autre chose? - , conduisit à une mutation lente du principe de la légalité initiale à une théorie que nous pourrions baptiser de l’"arsenal légal" très lointaine de la Déclaration des Droits de 1789. Tout se passe comme si, pendant une certaine partie du XIXème siècle et de la troisième république la fraction présumée honnête de la société demeurait soumise aux règles "beccariennes" alors que l’autre portion, familière des marges, se découvrait régie par un droit à définition vague, laissant un pouvoir d’appréciation redoutable aux juges. Le lieu de ce qu’il n’est pas interdit d’appeler un dérapage, peut être très certainement situé dans une sorte de triangle dont les trois sommets seraient dénommés vagabondage , proxénétisme, et recel .

La première infraction est la seule en 1810 qui ne vise pas véritablement des faits, mais plutôt une conduite qui est présumée être celle de personnes commettant habituellement des délits généralement non sanctionnables parce que non prouvables.

Le proxénétisme était une infraction inconnue dans les codes de 1791 et 1810. Il n’est d’ailleurs pas évident que l’incrimination de proxénétisme simple soit conforme à l’esprit des déclarations des Droits de l’Homme . Elle fait son apparition en 1885 par le biais du vagabondage spécial puis de manière autonome en 1903. Un salmigondis de raisons honorables - moralité, lutte contre le mal vénérien, lutte contre la délinquance professionnelle , mais aussi besoin de recruter des collaborateurs bénévoles de la police - de violer le principe de la légalité conduisit le législateur à s’écarter résolument du dogme fondateur en élargissant mais aussi en supprimant tout ce qui rendait l’infraction encore délimitable. Il est clair qu’un tel droit n’est pas destiné à être véritablement appliqué mais sert à constituer un arsenal légal permettant de frapper toute une catégorie de personnes si besoin est. Le code de 1992, qui, en la matière , officialise l’assimilé proxénète, eût sans doute fait trembler Beccaria.

Le recel nous offre le complément jurisprudentiel de la dérive législative. Introduite comme infraction autonome en 1915 l’incrimination de recel vise surtout le milieu de la délinquance professionnelle et elle est relativement précise. L’interprétation systématiquement extensive des éléments constitutifs de l’infraction a rapidement conduit à l’instauration d’une sorte de délit de fréquentation, aux contours particulièrements imprécis.

Bien évidemment l’ensemble du droit pénal devait finalement subir ce déclin - ou cette mutation - du principe de la légalité. Le fonctionnement du droit pénal à partir d’une zone floue définie par le législateur et appréhendé par le juge en fonction des nécessités morales, sociales, ou politiques du moment n’est pas sans évoquer la philosophie de l’ ancien droit et dans une certaine mesure celle des pays de common law où paradoxalement depuis l’arrêt Malone la Cour européenne des droits de l’homme entend imposer des principes que n’aurait pas reniés Beccaria.

Malgré la soumission théorique du droit pénal au contrôle constitutionnel et à un ordre juridique supranational la théorie de l’arsenal légal triomphe dans le code de 1992 . Comme dans l’état précédent du droit positif la loi est voulue comme instrument du juge et non comme règle permettant de déterminer préalablement des conduites convenables. Le pourcentage de définitions simples étroites descend à 22 (45% en 1810) ; symétriquement celui des définitions larges passe à 30% (24% en 1810) et celui des infractions complexes monte à 32% (12% en 1810). La simple lecture de l’article 226-19 qui crée un délit de tenue de fichier automatisé qui directement ou indirectement ferait apparaître l’origine raciale, les opinions politiques ou les mœurs d’une personne montre que le législateur a renoncé à instituer des règles mais se borne à donner des armes à un juge qui pourra intervenir s’il l’ estime opportun . La rupture, sans doute involontaire mais reposant sur la peur panique d’"oublier quelque chose" , est totale d’ avec les principes fondateurs du droit pénal contemporain. Ajoutons toujours à titre d’exemple que l’abîme qui sépare l’emploi de stupéfiants et l’usage de stupéfiants et qui se traduit par une différence de 9 ans de prison risquerait de plonger le citoyen délinquant cher aux penseurs de la fin du XVIIIème siècle dans une légère perplexité.

Le code de 1992 par contre crée des infractions qui étaient appréhendées un peu périlleusement par jurisprudence comme des extensions de délits plus classiques, semblant constater, au moment où il y met fin, l’existence d’une interprétation trop large des textes précédents. De ce point de vue l’article 22-16 concernant les appels téléphoniques malveillants correspond à un strict respect du principe de la légalité .

Globalement la troisième codification pénale confirme le droit pénal comme outil de régulation sociale entre les mains d’un juge dont telle n’était pas la mission primitive. Le second grand principe révolutionnaire, celui de la tripartition des infractions en fonction de leur gravité connaît une mutation plus nuancée, accompagnée d’un interventionnisme plus subtil du juge.


 

2 - La tripartition

L’ancien régime ne connaissait qu’une distinction assez floue entre petit et grand criminel. L’amorce de la répartition en trois catégories des infractions pénales est la conséquence avant tout de la nouvelle organisation territoriale de la France et de l’introduction du jury. Ce dernier ne pouvait être retenu, pour des raisons pratiques, que pour les infractions majeures . Pour les infractions moins graves la proximité géographique est déterminante et semble garantie de si bonne justice que le législateur de la loi des 16-24 Août 1790 en oublia et le principe de la séparation des pouvoirs qu’il venait de proclamer - les infractions de police municipale sont jugées par des officiers municipaux - et le culte de la loi -les infractions de police correctionnelle sont jugées par un tribunal présidé par le juge de paix, conciliateur élu sans exigence de connaissances juridiques. En fait seule la classe supérieure , "délits de police de sûreté" appelée bientôt "crimes" intéresse vraiment le législateur ; le code de 1791 y placera toutes les infractions d’une quelconque importance la peine la plus faible en la matière étant de deux années de détention. La catégorie des crimes écrase donc les autres familles d’infractions. Son originalité tient plus à des considérations d’organisation judiciaire et de régime des peines : Il est entendu dès la Révolution que seuls les criminels bénéficient de la procédure par jury et que les peines qui les frappent sont spécifiques et censées être plus dures, plus corporelles (fer , gêne, détention ), ou plus irrémédiables (mort , déportation), ou simplement plus humiliantes (dégradation civique) , que la simple prison correctionnelle de toute façon limitée à deux ans.

Les codifications napoléoniennes apporteront à la tripartition son vocabulaire actuel (crime, délit, contravention). Les infractions médianes qui peuvent être maintenant punies de cinq ans d’emprisonnement, prennent une importance considérable. Une infraction sur deux est un délit dans le code de 1810. Les caractéristiques essentielles des crimes seront maintenues. Les peines criminelles sont spécifiques, et cette spécificité ira croissante au XIXème siècle avec la transportation. La prescription appliquée aux différentes catégories est différente par nature, les crimes demeurent jugés avec le concours d’un jury , le jury d’accusation quant à lui disparaît. Jusqu’ en 1992 les seules exceptions à la présence des jurés en matière criminelle se trouveront, pour le meilleur et pour le pire, dans la matière politique (entendue au sens le plus large). La tripartition est bien sûr première, à savoir qu’elle s’impose au juge. Toute fois 18% des délits définis sont susceptibles par voie d’aggravation d’être qualifiés de crimes ce qui laissera dès l’origine une latitude d’appréciation certaine aux magistrats instructeurs et aux parquets . Il est solidement établi que les premières correctionnalisations judiciaires s’opérèrent dans un souci de répression pour éviter un "acquittement scandaleux", certaines correctionnalisations légales témoignent du même esprit.

La distinction fondamentale crime-délit tendra dans un premier temps à se nuancer à partir de la loi du 27 mai 1885, instituant la relégation: Une accumulation de délits parfois fort modeste pouvait maintenant entraîner le prononcé d’une peine perpétuelle ressemblant comme deux gouttes d’eau aux travaux forcés criminels. Il n’est pas indifférent de constater que le délit de vagabondage, avec son flou et ses sous-entendus, figure là encore en bonne place dans les motifs de relégation à l’alchimie crime-délit complexe.

La seconde mise en cause majeure de la hiérarchie fondamentale interviendra on le sait à partir de 1970 avec la généralisation des dérogations à l’article 40 C.P., c’est-à-dire la création de peines délictuelles de 10 ans d’emprisonnement dans le code pénal et de 20 ans d’emprisonnement dans le code de la santé publique. Il est encore à remarquer que deux des trois délits que nous avions pointés, le proxénétisme et le recel, sont au centre de ce phénomène ; les infractions à la législation sur les stupéfiants complétant au XXème siècle la panoplie des infractions susceptibles d’ assurer le contrôle des marges sociales.

La hiérarchie crime-délit n’était donc plus toujours une évidence. Dans le même temps, depuis la fin des bagnes la différence entre les peines privatives de liberté criminelle et correctionnelle devenait formelle la jurisprudence de la Cour de cassation confirmant toutefois dans toute sa rigueur, maintenant peu utile, la différence entre la peine de la prison et de la réclusion criminelle.

Le code de 1992 opère dans son texte, et dans son texte seulement, un retour aux sources historiques. Les délits, qui constituent dorénavant la catégorie numériquement prépondérante d’un droit pénal largement criminel au moment de sa constitution , ne peuvent être punis d’une peine supérieure à 10 ans. L’emprisonnement n’est plus affiché d’autre part comme la peine de référence en la matière, il disparaît pour les contraventions. Le nombre élevé de crimes résultant de la qualification de délits pourrait conduire à une réflexion sur le rôle que le code pénal entend, consciemment ou non, donner à une correctionnalisation judiciaire qui était initialement contraire à la volonté du législateur. L’incitation à l’usage de cette pratique dans un souci volontaire de régularisation des flux judiciaires nous conduit à nouveau loin des grands principes de légalité et d’égalité.

La loi du 16 décembre 1992 a révélé que le législateur n’entendait nullement opérer un véritable retour à une stricte orthodoxie de la tripartition ; la matière des stupéfiants semblant, en l’ espèce, porteuse des plus noires hérésies (délit à prescription criminelle, super-tribunal correctionnel en place de vraie Cour d’assises). La création d’une catégorie de crimes de droit commun, susceptibles d’entraîner un contentieux numériquement non négligeable et échappant à la garantie fondamentale du jury, ne peut que conduire, à moyen terme, à un débat sur l’absence d’appel en matière criminelle dont la seule justification historique est la participation de jurés à la décision. Telle est, sans doute, l’une des conséquences les plus inattendue de la nouvelle codification.

Malgré certaines dérives le principe de la tripartition subsiste sans mutation fondamentale ; il n’en est pas de même de la légalité des peines.



3 - La légalité des peines

Pour le législateur de 1791 l’automaticité des peines, qui historiquement n’est pas une innovation, est la conséquence du rôle nouveau et modeste dévolu au juge, ce dernier ne saurait infléchir la décision du jury sur les faits par une modulation qui de toute façon renverrait à l’arbitraire du juge d’ancien régime. L’ esprit du code napoléonien n’est pas, contrairement à ce qui est souvent écrit, différent : Le juge ne dispose d’aucun choix pour les infractions majeures punies de mort ou des travaux forcés à perpétuité ou de déportation. Le pouvoir de modulation pour les autres crimes est relativement faible , plus considérable pour les délits bien que l’automaticité puisse s’imposer en cas de circonstances aggravantes. Le droit de grâce jugé contraire au principe de la séparation des pouvoirs par le législateur révolutionnaire fait toutefois sa réapparition. Ce n’est que dans la loi du 26 Juin 1824, dans le but exclusif de lutter contre les acquittements scandaleux, que la théorie des circonstances atténuantes fut introduite en matière criminelle. La mutation décisive, opérée à partir de la troisième république , restitue pratiquement aux juridictions un pouvoir qu’elles avaient perdu depuis la révolution, et que l’instauration du sursis en 1891 vient considérablement renforcer. Garraud put y découvrir, sans faire scandale, des juges "transformés en législateur" puisqu’ils peuvent "décréter des circonstances atténuantes lorsqu’elles n’existent pas" . Nous savons que la Cour de cassation devait se montrer impitoyable sur le style - à défaut du fond - des décisions à elle déférées, censurant à la fois les arrêts qui semblaient relativiser les circonstances atténuantes et aussi ceux qui se crurent autorisés à utiliser les possibilités de l’article 463 sans au moins feindre une justification. Le respect de la loi pénale et du principe de la séparation des pouvoirs semblaient à ce prix jusqu’en 1992.

Remarquons que le fossé qui depuis 1824 se creusait entre peine encourue et peine prononcée se double d’ une distanciation entre la peine prononcée et la peine effectuée qui s’amorce en 1885 avec l’introduction de la liberté conditionnelle.

Le code de 1992 opère une véritable révolution en la matière puisqu’il abandonne la théorie des circonstances atténuantes achevant le dogme moribond - dont le dernier soubresaut date du 2 février 1981- de la légalité descendante des peines au moins en matière correctionnelle. Paradoxalement il déploie un grand souci de hiérarchisation des sanctions dans les infractions de violences notamment, dont l’utilité , autre qu’incantatoire, n’est pas évidente. L’obligation , en matière correctionnelle, de motiver le choix de l’emprisonnement ferme tempère l’évolution vers une liberté absolue. Elle est dans un sens l’expression d’une mutation d’une légalité obligatoire vers une légalité d’incitation en ce que le juge se voit clairement signifier la volonté du législateur, mais reste libre et - comme pour les défuntes circonstances atténuantes - à l’abri du contrôle de la Cour de cassation sauf maladresse de rédaction.

Peu de conduites changeront selon toute probabilité, depuis bien longtemps le juge s’est habitué à la liberté la plus grande et le législateur par voie de conséquence ne se livre plus à une réflexion réelle sur le maximum encouru pour chaque infraction sous prétexte que, sauf crime majeur, ce maximum n’est jamais prononcé. L’interrogation sur l’opportunité d’une peine indiquée est ainsi renvoyée du législateur vers le juge qui n’y répond pas, s’autorisant de la loi. La sévérité de certaines peines délictuelles dans le nouveau code s’explique ainsi. Le système qui s’est instauré et que confirme le législateur de 1992 nous conduit très loin des principes fondateurs. En permettant au juge de prononcer des peines , certes prévues dans le code , mais dont il était bien entendu qu’elles n’y étaient, en leur sévérité, que symboliques, et ne seraient jamais effectivement utilisées, le législateur laisse s’instaurer un système peu différent de celui de l’arbitraire des peines sous l’ancien régime.



 

Le droit pénal contemporain s’est constitué en dehors, si ce n’est contre, le juge. Ce dernier, le destin des principes fondateurs le montre très clairement, a repris progressivement le contrôle d’un domaine où il ne devait être que machine , faisant d’ailleurs l’économie de tout débat constitutionnel sur le sujet. Le code de 1992 ne fait de ce point de vue qu’avaliser l’évolution bicentenaire et nous renvoie au débat lancinant sur la légitimité d’un juge qui ne se veut plus "automate" et sur la pertinence de son rôle de régulateur social. Les dogmes fondamentaux du droit pénal contemporain ne se révèlent plus guère que coquille vide, la moindre réflexion sur la fonction cathartique de la qualification démontre que le raisonnement pénal s’opère hors de l’univers des Lumières et de ses garanties "bourgeoises" dans lequel il prit naissance et auquel il emprunte encore le vocabulaire de la légalité. Les débats de la fin de l’ancien régime sur les officiers sont à relire.



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