5 MARS 1944 - 13 AOUT 1944
TRAHISON - LES 192 JOURS DU SONDERKOMMANDO FRANCAIS DU MATHIEU

Après la Grande Rafle, Mathieu et sa fiancée s'installèrent à l'hôtel Majestic. En raison de l'état de grossesse de la jeune femme, le chef du K.D.S. de Vichy, Hugo Geissler, leur accorda une autorisation de mariage. Celui-ci eut lieu le 19 décembre 1943 à Clermont-Ferrand avec comme témoins Paul Blumenkampf et Ursula Brandt. La mariée était en blanc.
Ce même mois de décembre Mathieu accompagna Blumenkampf assisté d'un détachement de la Luftwaffe dans une expédition dans la région de Vic le Comte, Saint-Maurice, qui se termina par de nombreuses arrestations de résistants et des maisons brûlées. Mathieu s'y distingua particulièrement et Blumemkampf séduit l'engagea comme fonctionnaire appointé de son service, chargé de créer et de diriger un Sonderkommando français travaillant pour la Gestapo.

Voici comment, suivant le procès-verbal des déclarations de Mathieu, furent recrutés les autres membres français du Sonderkommando.

"Aux environs du 4 mars, le nommé Vernières Jean, se présenta à la Gestapo et alla voir Melle Brandt. II lui expliqua qu'il était en permission comme travailleur en Allemagne et qu'il travaillait déjà dans ce pays pour le compte de la Gestapo. Il lui expliqua qu'il ne demandait pas mieux d'en faire à Clermont et qu'il avait déjà découvert une affaire intéressante. Il s'agissait en l'occurence d'une organisation de renseignements s'étendant sur toute la région. Un des membres de cette organisation n'était autre que son camarade de lycée Bresson Louis. C'est d'ailleurs en exploitant la confiance de celui-ci qu'il connaissait certains renseignements. Brandt lui dit qu'avant d'arrêter Bresson il fallait qu'il se procure le nom d'autres membres. Elle lui donna le conseil, à cet effet, de se faire passer pour permissionnaire ne voulant pas retoumer en Allemagne et désireux de se faire faire de faux papiers. Elle lui dit de se revenir la voir dès qu'il aurait quelque chose. Brandt vint me voir dans ma chambre car j'étais malade et me demanda ce que je savais de Vernières et de Bresson, dont elle me montra une photo. Je lui  répondis qu'en ce qui concernait Vernières, il était un fervent collaborateur, mais que l'activité de Bresson ne m'était pas connue, bien que le connaissant de vue. Vernières revint quelques jours après faire connaitre qu'un message annonçant un parachutage allait passer à la radio et que le texte en était "il n'y a pas loin de la coupe aux lèvres". D'autre part, Vernières était en possession du nom de deux camarades de Bresson, Maxime Alliot et Guitet. Il affirma que Bresson était leur chef.
Melle Brandt me demanda d'écouter les messages. Lorsque celui que nous attendions passa, j'allai en informer Melle Brandt et c'est à ce moment, qu'elle m'informa que la Milice avait arrêté Bresson, ce qui rendit Blumenkampf furieux, car il craignait que l'affaire échoua. Il supposait que le frère de Vernières, Gérard, n'avait été la raconter à la Milice que pour se faire un succès personnel. Quoiqu'il en soit Blumenkampf téléphona à Achon et Bresson fut remis en liberté. Deuxjours après, aux environs du 8 au 9 mars, Blumenkampf décida de déclencher l'action contre l'organisation signalée par Vernières. La famille Bresson au grand complet fut arrêtée, ainsi que Guitet et Alliot ; son frère Marcel, Louisette Lecher, maîtresse de Guitet. Plus tard furent appréhendés Paul Sautarel, beau-frère de Bresson et son amie Alice Murat.

Les personnes appréhendées faisaient partie du réseau Jade Fitzroy spécialisé dans la transmission de renseignements militaires. La suite du procès-verbal mentionne comment après des interrogatoires, des membres d'une autre organisation le réseau Alibi, avec lequel il y avait eu des contacts, furent arrêtés à leur tour.

Mathieu conclut de la sorte cette partie de sa déposition :

"Toutes les personnes des deux organisations partirent au camp de concentration à l'exception de Louisette Lecher, maîtresse de Guitet, et de Alliot que j'avais interrogé et qui n'avait pas eu grande activité, et qui fut relaché ainsi que les parents de Bresson, puis son frère, sa femme, et son beau-frère Sautarel.

Pour Bresson, Melle Brandt pensa d'abord l'envoyer en camp de concentration. Pour des raisons qui m'échappent, Bresson fut employé comme chauffeur et la voiture de ses parents fut saisie. Il ne fut pas cependant remis en liberté. I1 logea une quinzaine de jours avec sa femme 2 bis avenue de Royat, puis finalement alla habiter chez ses beaux-parents.

Par la suite. Sautarel entra à notre service, je ne sais en quelles circonstances et si c'est sur la pression de Bresson. Quant à Vernières Jean il toucha 5 000 F. pour cette affaire, puis Melle Brandt lui proposa d'entrer à la Gestapo. II accepta mais en dehors de ses fonctions d'interprête, il continua à être indicateur. A partir de ce moment le S.D. comprit, outre ceux que je connaissais déjà, Bresson, Sautarel et Vernières."


C'est ainsi, qu'au mois de mars 1944 Mathieu constitua son Sonderkommando français. ils étaient 4 en tout : Mathieu, qui dirigeait Vernières, Bresson, Sautarel. Ils avaient tous environ 23 ans. Bienveillante la Gestapo l'avait installé dans une villa située au 8 avenue de Royat à Chamalières, tout près du lieu de travail, qui était au 2 bis de la même avenue. Très vite Jeanne la femme de Bresson obtint un poste de sténodactylo au siège de la Gestapo et tout le monde vécut en famille ; leur nouvel ami Kaltseiss, qui s'était illustré au cours de la Grande Rafle en tuant le Professeur Collomp et en blessant le Professeur Eppel se joignait parfois à leurs agapes.

Pour bien se faire remarquer les 4 membres du Sonderkommando français sillonnaient Clermont-Ferrand dans la voiture du père de Bresson en menant grand tapage. IIs  participaient activement à toutes les opérations menées par la Gestapo. Ils enquêtaient, perquisitionnaient en pillant au passage, arrêtaient et procédaient à des interrogatoires les plus féroces au 2 bis avenue de Royat.
Mathieu, tout particulièrement, participa à la traque et ensuite l'arrestation et l'interrogatoire de Résistants d'importance nationale, envoyés par Londres en mission en France. Tel fut le cas de Jacques Bingen (Cléante), Délégué Général pour le sud, arrêté en gare de Clermont-Ferrand le 13 mai 1944 et celui d'Antoine Courson de Villeneuve (Pyramide) délégué militaire de la Région, appréhendé à son domicile, rue du Lycée a Clermont-Ferrand le 2 juillet 1944.
Mathieu et son Sonderkommando prirent part également avec beaucoup de pugnacité à côté de la Gestapo et de la Wehrmacht à des actions contre des maquis.
Leur conduite dans l'opération de Champeix parut tellement exemplaire à Blumenkampf, que celui-ci les fit participer à toutes les expéditions contre les maquis en demandant à leur voiture de suivre la sienne. II en fut ainsi pour les maquis de Gerzat, Lempdes, Billom, Besse en Chandesse.
Au cours de ces actions, de nombreux résistants furent arrêtés, des maquisards abattus à coup de mitraillettes et des maison brûlées.

En déployant tout ce zèle, Mathieu tenait certainement à être apprécié de ses supérieurs, mais on peut penser que son statut de fonctionnaire de la Gestapo devait de surcroit lui apporter des satisfactions personnelles.
A la Gestapo, Mathieu pouvait faire tous les jours bombance, ce qui devait le changer agréablement de l'ordinaire que nous servait en ces temps de disette, Jourde, le tenancier chauve à la moustache de phoque, de la cantine des Etudiants, place Gaillard, en nous prenant tous nos tickets de ravitaillement contre des menus vraiment menus.
Mais surtout Mathieu aimait à dominer les autres d'une manière très autoritaire, il l'avait démontré à maintes reprises et notamment en tant qu'instructeur militaire des jeunes du maquis de Gelles Prondine On peut penser, qu'il avait plaisir à donner libre cours à ses instincts lors des arrestations et des interrogatoires avec le pouvoir absolu qu'il détenait en tant que membre de la Gestapo.

Mathieu, était également froid et calculateur et il avait prévu presque simultanément une porte de sortie au cas ou l'Allemagne perdrait la guerre, et pour cela il pensa à l'ancien employeur de sa femme le Capitaine Emile Burcez.
Lorsque Mathieu avait connu Christiane Cuirot, elle était la secrétaire du Capitaine Burcez en poste au 4ème bureau de l'Etat Major de Vichy. Le Capitaine Burcez était membre du réseau "Albert-Armand" du Commandant Auber de Peyrelongue, centré sur les organismes gouvemementaux de Vichy et qui correspondait directement avec Alger en fournissant divers renseignements. Mathieu était parfaitement au courant, mais il n'inquiéta jamais le Capitaine Burcez et en juin 1944, au cours d'une série d'arrestations à l'Hôpital Saint-Gabriel, étant tombé sur le Commandant de Peyrelongue, il l'ignora et le laissa repartir. Mathieu désirait avant tout prendre contact et foumir quelques renseignements pour pourvoir dire éventuellement, qu'il était un agent double.
Au mois de mars 1944, au moment même, où il constituait son Sonderkommando, Mathieu envoya plusieurs lettres au Capitaine Burcez, pour lui demander comment reprendre leurs relations ; ensuite, il lui adressa des livres par le truchement de sa femme, dans lesquels il avait inséré des notes.

Finalement Madame Mathieu obtint deux rendez-vous avec Burcez, au cours desquels elle lui foumit quelques renseignements et tenta de négocier le sort de son mari.
L'avance alliée l'inquiétant de plus en plus, Mathieu décida de quitter la Gestapo avec armes et bagages pour rejoindre le Capitaine Burcez, auquel il écrivit pour lui donner rendez-vous le 13 août 1944 à 16 heures devant le bassin des cygnes à Vichy. Mathieu avait également mis dans la confidence Bresson, qui devait partir avec lui au volant de la voiture de son père.
Le 13 août Mathieu et Bresson accompagnèrent Kaltseiss pour des investigations au Rustic Bar, rue Ramon. A midi, ils prirent congé de l'ami Kaltseiss en lui disant "on va déjeuner chez la belle-mère Mme Sautarel". Mais ils ne revinrent pas. Après un crochet à la Gestapo pour récupérer documents et valises préparées à l'avance Mathieu et Bresson avec leurs épouses avaient pris la route de Vichy. Ils étaient munis à la fois d'Ausweiss à leurs noms et de fausses cartes d'identité. A Vichy Mme Mathieu fut envoyée en éclaireur pour tenter d'obtenir que le Capitaine Burcez rencontra son mari, ce qui eut lieu après différents atermoyements. Mathieu donna au Capitaine Burcez des renseignements sur les futurs mouvements de troupes de la Wehrmacht et l'avertit des menaces, qui pesaient sur la région de Mauriac, à la suite des derniers interrogatoires de la Gestapo.
II remis aussi entre ses mains avec divers documents, le fanion de la Résistance du Puy de  Dôme saisi lors de l'expédition de Saint-Maurice avec Blumenkampf, qui lui avait valu sa promotion d'agent appointé de la Gestapo.
En échange Mathieu insista pour que Burcez le garda auprès de lui, car disait-il, il pourrait l'aider très efficacement en raison de ses connaissances.
Burcez lui répondit, qu'il allait faire connaitre à Alger son départ de la Gestapo, mais qu'il lui était impossible de le garder auprès de lui et qu'il lui suggérait de gagner Lyon pour s'engager dans l'armée française à l'arrivée des troupes alliées dans le secteur. Ainsi, malgré une très longue discussion Mathieu n'avait pas réussi à convaincre Burcez et il dut se résigner à prendre la route avec ses compagnons.
Après quelques péripéties, ils furent arrêtés et emmenés au maquis du Pilon, près de Tarare. Mathieu interrogé par le lieutenant Brouillard, se présenta sous le nom de Malval et déclara : "Nous sommes des officiers de l'Etat Major de l'Armée. Nous travaillons depuis deux ans pour Londres. Prenez contact avec le Capitaine Burcez de l'Etat Major de Vichy, il vous le confirmera".
Au bout d'une quinzaine de jours, ils furent transférés pour de nouveaux interrogatoires au commandement du secteur III du Rhône, celui de Louis Challeat (commandant Berthier), membre de Combat.
C'est là que Mathieu fut reconnu et les deux couples ramenés à Clermont-Ferrand, pour y être emprisonnés le 13 septembre 1944, un mois après leur départ précipité de la Gestapo.

17 NOVEMBRE 1944 - 12 DECEMBRE 1944 : LE PROCES MATHIEU - JUGEMENT - EXECUTION

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