J'avais passé les
derniers mois de guerre en contact avec un petit maquis du Montet aux
confins du Cher et de la Creuse. Je suis retournée à
Clermont-Ferrand en septembre 1944. Je n'ai retrouvé personne.
J'ai appris, que Cauchi avait été arrêté en
avril 1944 à Paris et déporté à Buchenwald
et que Feuerstein avait été arrêté à
Lyon et déporté à Auschwitz.
Le vendredi 17 novembre 1944, à quelques jours près un an
après la Grande Rafle, commença devant la Cour de Justice
le procès de Georges
Mathieu, auquel j'assistais. Ceux de nos camarades, qu'il avait fait
arrêter le jour de la Grande Rafle étaient toujours dans
des camps de concentration, et les survivants ne devaient revenir qu'en
mai 1945.
Une foule nombreuse,
composée en grande partie d'étudiants et de familles de
déportés se pressait dans la lère chambre du Palais
de Justice de Clermont-Ferrand, lorsque Mathieu apparut, les menottes
aux poignées, le teint gris, l'oeil vitreux. Plus rien
n'évoquait l'attitude qui était autrefois la sienne ;
celle d'un chef militaire, un peu hautain, qui nous rencontrait
brièvement Feuerstein et moi-même pour demander d'un ton
laconique, qu'on lui fournisse le plus rapidement possible des cartes
d'identité et de ravitaillement.
Dès son entrée, la foule se mit à hurler et voulut
l'écharper ; des gendarmes durent protéger Mathieu, dont
les lèvres se mirent à trembler d'un mouvement
saccadé, qui ne le quitta plus durant tout le procès.
L'interrogatoire fut très long, Les chefs d'accusation
étant d'importance, nombreux, détaillés et
permettaient pour l'essentiel de reconstituer tout l'itinéraire
de Mathieu, depuis le 23 octobre 1943, date de son arrestation par les
Allemands à Rochefort Montagne, un mois avant la Grande Rafle.
Mathieu bredouillait des réponses inaudibles, ponctuées
par les cris de fureur de la salle et le Président Vialatte, non
sans mal, finissait par rétablir l'ordre.
Les seules paroles de Mathieu, que l'on arriva à entendre d'une
façon distincte furent celles-ci : "j'ai accepté de
travailler pour les allemands par peur de représailles contre ma
fiancée, qui était enceinte et qui avait été
arrêtée un jour avant moi, mais j'ai toujours fait le moins
de mal possible".
Ces dernières allégations furent réduites à
néant, lors du défilé des témoins, qui
furent tous plus accablants, les uns que les autres.
Lors de la Grande Rafle, Mathieu avait dénoncé des
camarades, qui avaient échappé au contrôle de la
Gestapo, grâce à de faux papiers d'identité. Tel fut
notamment le témoignage de Madame Dumas, qui déclara, que
son fils ayant reçu une fausse carte d'identité de
Mathieu. Celui-ci le fit arrêter en disant devant les Allemands,
qui ne se doutaient de rien "tu sais bien qu'elle est fausse, c'est moi
qui l'ai faite".
D'autres témoins rapportèrent les exactions et les
pillages commis par Mathieu et ses acolytes du Sonderkommando
français lors des perquisitions et des arrestations et
insistèrent sur la violence et le sadisme avec lequel Mathieu
s'achamait contre ses victimes, lors des interrogatoires.
C'est ainsi que Charles Caudron (commandant Bengali) du réseau
Mithridate rapporta que Geissler, chef de la Gestapo de Vichy avait
été lui même stupéfait de la violence et de
la cruauté de l'interrogatoire que Mathieu avait fait subir au
Lieutenant-Colonel Jacques Boutet de l'O.R.A. et avait dit "J'ai
rarement vu un homme, qui se dit officier s'acharner autant contre un
officier français "
Le réquisitoire fut prononcé par le Commissaire Chaudoye,
qui conclut à la peine de mort, en déclarant que ce
châtiment était trop faible pour Mathieu. Des bravos et des
applaudissements nourris soulignèrent cette conclusion.
Ce fut maître Planche, qui assuma la lourde tâche de
défendre Mathieu. C'était le bâtonnier de
Clermont-Ferrand et il s'était lui-même commis d'office,
car aucun avocat n'avait voulu se charger du dossier Mathieu.
Maître Planche était un avocat d'expérience, d'une
bonne cinquantaine d'années ; il arborait une épaisse
moustache grise et gardait encore l'usage de porter sur la
tête une toque.
Maître Planche plaida la déficience mentale. Mathieu selon
lui était un déséquilibré
psychologique, qui aurait du faire l'objet d'une expertise mentale et il
termina en réclamant pour Mathieu "le bagne
rédemptoire plus terrible, que la mort". Le jury se retira pour
delibérer et revint en ayant répondu oui aux 99 questions
: Mathieu était condamné à mort.
Le verdict fut accueilli par les applaudissements et les cris de joie
de la salle. Mathieu fut fusillé le 12 décembre 1944.
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La Montagne (samedi 18
novembre 1944)
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Vernières, Bresson et Sautarel dans des procès
ultérieurs, devant la Cour de Justice, furent
également condamnés à mort et executés.
Mesdames Mathieu et Bresson furent elles aussi traduites devant la Cour
de Justice.
Condamnées à mort, leur peine fut commuée en
travaux forcés a perpétuité.
Elles furent libérées en 1951.
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