Une année d’animations

Introduction
Octobre 2002 Radio Alpilles
Novembre 2002 Colmar

Décembre 2002 Chevreuse 1

Février 2003 Chevreuse 2

Avril 2003 Bretagne

Mai 2003 Narbonne

Juin 2003 Grateloup

J’aime bien quand ils ont lu mon livre. J’aime pas quand ils trouvent des erreurs.
– Msieu, l’oncle de Malvina, il s’appelle d’abord Favek, ensuite Viktor. Faudrait savoir.
J’aime bien quand ils posent des questions judicieuses.
– Msieu, comment savez-vous qu’un paragraphe n’a plus besoin d’être modifié?
J’aime bien quand la prof de français a préparé la rencontre. J’aime pas quand elle dort dans le fond de la classe.
– Eh, la dormeuse, là-bas, viens t’asseoir au premier rang!
Une fois, j’ai vu un prof qui me rappelait mon adjudant au service militaire. Il répondait à la place des élèves. J’aurais dû l’envoyer au dernier rang.
Une autre fois, la classe sans prof. Très énervés. Ils ont passé une heure tout seuls dans un autocar pour venir du département voisin.
– Votre professeur n’a pas pu venir?
– Elle est en congé de maternité, Msieu.
– Il y avait une remplaçante, mais elle est partie en Italie pour suivre son mari.
– C’est une stagiaire qui nous fait cours, mais le principal a refusé qu’elle nous accompagne, parce qu’elle devait s’occuper d’une autre classe.
Nous sommes dans un CDI, sous l’autorité d’une “emploi-jeune” très énergique. Elle hurle pour calmer les élèves. Elle court dans tous les sens pour les forcer à cracher leurs chewing-gums.
Les élèves n’ont pas lu mes livres, mais ils trouvent tout de même des questions à poser:
– Msieu, ça fait longtemps que vous êtes écrivain?
– Vous gagnez beaucoup d’argent?
– Est-ce que vous aimez le rap, Msieu?
– Msieu, est-ce que vous avez déjà écrit un livre sur le basket?
Je montre mes livres, alignés bien sagement sur un présentoir:
– Non, vous voyez, pas un seul livre sur le basket.
Soudain, l’emploi-jeunes saisit un de mes livres sur le présentoir et l’abat sur la tête d’un blondinet agité.
– Eh oh, tapez-le avec autre chose que mon livre. C’est pas fait pour ça!
Mon éditrice me dit toujours que mes livres sont trop gros et que ça va assommer les enfants.
Bon, l’heure s’achève. Je signe des autographes sur des cahiers ou sur des bouts de papier tout chiffonés. Ils retournent à leur autocar.
Un élève du collège, âgé de seize ans environ, entre dans le CDI.
– Excuse-moi, demande-t-il à l’emploi-jeune, t’aurais pas trouvé un carnet noir? Je sais pas où je l’ai perdu.
– Tu ne remarques rien, dans ta phrase?
– Hein, quoi?
– Dans la construction de ta phrase…
– Ah, je vous ai tutoyée, c’est ça? Eh, faut évoluer… Nous sommes au XXIème siècle!
J’espère qu’elle ne va pas lui taper sur la tête avec mon livre.

Je mange à la cantine avec le dragon du CDI. J’aime bien l’ambiance de la cantine. Ça me rajeunit. J’aime pas beaucoup la nourriture de la cantine, qui est pourtant bien meilleure qu’au lycée Montaigne en 1955. Une fois, des profs m’ont emmené dans un restaurant où c’était juste pareil qu’au lycée Montaigne en 1955. “Restaurant gastonomique”, disait une pancarte sur la façade.
Deux femmes qui ressemblent à des tonneaux de bière nous servent des choux de Bruxelles et un mystérieux morceau de carton. En l’attaquant avec mon couteau et ma fourchette, je constate que c’est une cuisse de poulet. Comment ont-ils obtenu cette consistance? Ça c’est fort. Il faut sans doute le laisser plusieurs jours dans un four brûlant pour qu’il se dessèche et durcisse. Nous déjeunons dans une petite salle réservée aux professeurs. Ils commentent l’actualité. Ils sont indignés parce que les pilotes d’Air France sont en grève:
– Ce sont les pilotes les mieux payés du monde!
– Il faudrait tous les renvoyer et en engager d’autres. Cela diminuerait le chômage.
Celui-là, il est pas prof de maths.
Étant curieux de nature, je goûte une pâte brune que les dames-tonneaux qualifient de “mousse au chocolat”. Si j’avais emporté un petit flacon hermétique, je préléverais un échantillon de cette “mousse” et je la ferais analyser par un laboratoire. Je suis sûr que je pourrais gagner beaucoup d’argent en la vendant comme mastic d’étanchéité pour les cuisines et les salles de bain.

Je rencontre les gentils élèves et la méchante emploi-jeunes à l’occasion d’un salon du livre de jeunesse. Je passe l’après-midi à dédicacer des livres sous une grande tente. Un jeune homme portant un magnétophone en bandoulière s’approche de moi.
– Je suis journaliste à Radio-Alpilles. Est-ce que je peux vous interviouver?
– Mais oui.
Pendant qu’il règle son appareil, son téléphone portable sonne:
– Allo… Oui… Oui… Non… Trois mille, c’est trop cher. Ils sont fous! Même deux mille, c’est non. Bon, d’accord, je note…
Il prend le stylo qui me sert pour les dédicaces. À la rigueur. Eh, mais le voici qui se met à sucer le capuchon. J’hésite à intervenir. Un journaliste qui s’apprête à m’interviouver, je ne vais pas le contrarier.
À la fin de l’interviou (il n’a lu aucun de mes livres):
– Euh, excusez-moi, mais vous emportez mon stylo!
– Quel stylo?
– Dans votre poche…
– Ah, c’est à vous?

C’est le moment des discours officiels. L’organisatrice remercie le maire, le sous-préfet, le vice-président du conseil général et les “partenaires”: les vitrines Lambert, la menuiserie Cantalou, etc.
J’écoute d’une oreille distraite le discours du sous-préfet. Il ressemble au maire de Champignac, dans Spirou.
– Le livre est un formidable outil de communication, dit-il.