Une année d’animations

Introduction
Octobre 2002 Radio Alpilles
Novembre 2002 Colmar

Décembre 2002 Chevreuse 1

Février 2003 Chevreuse 2

Avril 2003 Bretagne

Mai 2003 Narbonne

Juin 2003 Grateloup

Deuxième visite dans la vallée de Chevreuse. C’est une sorte d’atelier d’écriture dans une classe de quatrième. Les élèves doivent ajouter un chapitre à Don Quichotte. En décembre, nous avons parlé un peu de mes livres, un peu de Don Quichotte. Ils ne l’avaient pas encore lu (ils devaient lire la version abrégée publiée par l’Ecole des Loisirs). Ils avaient une vague idée: que c’était l’histoire d’un chevalier...
Je leur ai dit que c’était aussi un livre qui parlait des livres. Je leur ai demandé de trouver d’autres livres ou films qui parlent des livres.
Ils présentent une liste pertinente, qui comprend L’Histoire sans fin, Misery (de Stephen King), etc. Mais aussi, Alice au pays des merveilles.
– Vous êtes sûrs, Alice?
– Ben oui, msieu, regardez…
Ils ont constitué leur liste en effectuant une recherche sur Internet. Leur liste n’est pas vraiment celle des livres parlant des livres, mais celle des livres dont le résumé sur Internet comporte le mot “livre”. Le résumé d’Alice au pays des merveilles commence ainsi: “Alors que sa grande sœur lui lit un livre au pied d’un arbre, Alice s’endort…” Vu que les ordinateurs nous battent déjà aux échecs, il est tentant de leur demander de réfléchir à notre place. Il y a déjà des bombes intelligentes, qui tuent seulement les méchants.
Dès que les prix auront baissé, je m’achèterai un robot domestique, mais il sera un peu bête.
– Enfin, ZX235, ma chemise noire est toute rétrécie! Tu l’as lavée dans la machine alors que l’étiquette dit “nettoyage à sec”.
– Veuillez pardonner à votre misérable serviteur, ô Maître vénéré. J’ai mal scanné l’étiquette. Ce regrettable incident ne se reproduira plus. L’infâme tas de composants que je suis a retenu la leçon, ainsi que vous pouvez le vérifier en enfonçant les touches alt, ctrl et F12.
A part ça, ils ont ajouté des chapitres à Don Quichotte. A les lire, on comprend que le roman raconte l’histoire d’un mec un peu bigleux: il prend les moulins à vent pour des géants, les moutons pour des soldats. Leurs chapitres ajoutent quelques épisodes analogues au récit.
Ils ont lu leur résumé de Don Quichotte, depuis la dernière fois, mais ils n’ont pas remarqué que ça parlait de livres. Je leur explique que le brave homme, à force de lire des romans de chevalerie, se prend pour un héros de roman. Au fait, c’est bel et bien un héros de roman, donc il n’a pas tort. Dans la deuxième partie du livre, écrite dix ans après la première, un étudiant vient lui annoncer qu’il est devenu un chevalier encore plus célèbre que son idole Amadis des Gaules.
Il a tort, néanmoins, de croire que tout ce qu’il lit dans les livres est “vrai”. Beaucoup de gens commettent encore cette erreur de nos jours. Ainsi des “fondamentalistes” de diverses religions prennent au pied de la lettre un livre “sacré”. Je crois que Cervantès voulait critiquer ces gens-là. A son époque, Galilée avait des ennuis avec l’Inquisition. En bricolant un jouet hollandais qu’il avait acheté au bazar, il avait fabriqué une sorte de lunette grossissante et découvert que la planète Vénus avait des phases comme la lune. Comme il savait des tas de trucs que j’ignore, il en déduisait que le Polonais Copernic avait raison quand il prétendait que la terre tournait autour du soleil plutôt que l’inverse. Alors là, l’Inquisition n’était pas d’accord: “Hé, mon petit bonhomme, relis le livre de Josué. Il est bien écrit que Dieu arrête le soleil pour que Josué puisse achever de massacrer tous les Philistins. Si Dieu arrête le soleil, c’est que le soleil tourne autour de la terre.” Ils sont presque arrivés à un compromis: on aurait gardé officiellement l’ancienne théorie, mais autorisé l’usage de la nouvelle “pour faciliter les calculs (des mouvements des planètes, de navigation, etc.)” Et puis non. En fin de compte, l’Inquisition a condamné Galilée. Tout est bien qui finit bien: le Pape a reconnu l’année dernière que la terre tourne autour du soleil.
Les élèves et moi, nous cherchons d’autres manières d’interpréter Don Quichotte.
C’est quelqu’un qui, à force de lire des romans d’aventures, a envie de partir à l’aventure lui-même. Il est pressé, parce qu’il est déjà vieux, mais aucune aventure ne se présente. Alors il est obligé d’en imaginer. Il attaque des moutons et il dit: “J’ai vaincu une immense troupe de soldats.” Ce qu’il veut, peut-être, c’est non seulement vivre de belles aventures, mais pouvoir ensuite se les raconter au coin du feu. Il ressemble donc à un écrivain, qui arrange un peu sa vie quand il la raconte.
Moi (par exemple), je rêvais de faire le tour du monde en 80 jours comme Phileas Fogg. Alors je suis parti, et puis j’ai raconté mes aventures – dans Le roi de l’autostop. Avec ma mauvaise mémoire, je ne peux pas me souvenir de tous les détails 40 ans après, donc j’invente un peu. Souvent, mes lecteurs trouvent spécialement “vrais” les passages inventés. De même, les promenades de Don Quichotte avec Sancho Pança dans la campagne paraissent bien vraies, mais un voyageur raconte une histoire de pirates et d’esclaves qui ne tient pas debout. Or Cervantès lui-même a été capturé par des pirates et vendu en esclavage, donc l’épisode invraisemblable est peut-être plus réel que les passages inventés.
Un truc bizarre: les élèves n’ont pas envie de partir à l’aventure. Dans le métro, la prof me dit qu’ils n’ont aucune ambition. Quand on leur demande ce qu’ils veulent faire, ils répondent: “CRS comme Papa.” Une élève spécialement molle veut devenir chanteuse. La prof est contente:
– Ah, c’est bien. Tu vas étudier le chant? Il faut commencer par le solfège, tu sais…
– Ben non… Je vais passer à Star Academy!