Une année d’animations

Introduction
Octobre 2002 Radio Alpilles
Novembre 2002 Colmar

Décembre 2002 Chevreuse 1

Février 2003 Chevreuse 2

Avril 2003 Bretagne

Mai 2003 Narbonne

Juin 2003 Grateloup

Palmarès partiel des salons du livre de jeunesse

 
Organisation
Course
Saint-Paul Trois Châteaux
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Valenciennes
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Narbonne
0
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Pour mon indispensable course matinale, Narbonne frise la perfection. Je cours le long du canal du Midi. Il suffit de cinq minutes pour sortir de la ville et courir sur le chemin de halage, à l’ombre des platanes, entre vignes et champs de blé. Pour que la perfection soit atteinte plutôt que frisée, il faudrait empêcher les chiens de se promener au bord de l’eau. Les lecteurs de cette chronique ont compris que je n’aime pas les chiens, sauf accompagnés d’une sauce aux câpres. Surtout quand je cours: mes mollets les tentent, c’est normal. Une fois, un chien s’est jeté dans mes pattes, je veux dire jambes. Je suis tombé et je me suis cogné la tête sur le pavé. Je suis resté groggy vingt minutes, comme Billy Fiston quand Rocky Bulzano l’a mis KO au 6ème round.
Zut, justement, un gros chien rouge avec son maître – et même un deuxième tout noir qui nage dans le canal. Je vais contourner par la gauche, en passant dans l’herbe…
– Monsieur, monsieur, aidez-moi… Tenez mon chien une minute, il faut que j’attrape l’autre sinon il va se noyer!
Me voilà bien. Le maître sent que j’hésite.
– Je ne sais pas à qui est ce chien noir. Mon chien lui a fait peur et il s’est jeté à l’eau. Maintenant il ne peut plus remonter, la berge est trop haute.
J’accepte de tenir le gros chien rouge par son collier. Le maître se couche à plat ventre et tente d’attraper le nageur. Le gros chien rouge grogne et aboie. Il ne comprend pas pourquoi son maitre se couche à huit heures du matin et semble lui préférer ce vilain chien noir d’un seul coup.
– Du calme… Bon chien… Il va revenir, ton maitre…
Je sais pas parler aux chiens. Je vais pas prendre des cours de parler-aux-chiens à mon âge. Le maître rampe et se tortille, il va bientôt tomber à l’eau lui aussi et alors il faudra que je me mette à plat ventre pour lui tendre la main et tout.
– Allons, Médor, soyons cool… zen… A quoi ça t’avance d’aboyer?
Ouf! Le maître a saisi le cabot par la patte et l’a sorti du canal. Quelle aventure! J’ai perdu au moins dix minutes de course, avec ça. C’est que je dois aller répondre aux questions des élèves, moi.
Pour l’organisation, Narbonne c’est moyen. Les personnes très sympathiques et pleines de bonne volonté qui ont monté la première édition de ce salon n’ont pas demandé aux élèves de lire les livres. Ils pensaient que la rencontre avec les auteurs leur donnerait envie d’en savoir plus. Ils liraient donc les livres volontairement plutôt que contraints et forcés, ce qui est certes beaucoup mieux.
Les organisateurs ayant eu la bonne idée de prévoir une petite réunion de synthèse, nous leur avons expliqué que ce système ne nous convenait pas. Au lieu d’apprendre des trucs sur nos livres en répondant à des questions astucieuses et inédites, nous passons notre temps une fois de plus à répondre aux questions habituelles. Ça ira mieux l’année prochaine, forcément. Narbonne pourrait même devenir le nec plus ultra des salons du livre, car il se tient en un lieu magique: en plein air (sous des auvents), à côté d’une voie romaine, au pied du palais médiéval abritant l’hôtel de ville.
Comme les élèves n’avaient pas grand-chose à dire, j’ai pu essayer mon discours sur la lecture.
Pour une des séances, le prof de français n’est même pas venu. On m’a dit que la littérature pour la jeunesse ne l’intéressait pas. Ça m’a mis de mauvause humeur, tiens.
Puisque les élèves n’ont pas lu mes livres et ne me connaissent pas, ils posent des questions au hasard.
– Msieu, vous avez écrit des livres de science-fiction?
– Écrit oui, publié non. Tu lis des livres de science-fiction?
– Beuh…
– Est-ce que tu peux citer un auteur de science-fiction?
Il ne peut pas. Aucun des vingt-cinq élèves ne peut. Horreur: la prof de français ne peut pas!
J’écris au tableau Asimov, Bradbury, Van Vogt, etc. Je leur parle de Philip K. Dick et de Blade Runner. Je leur dis qu’ils apprécieront mieux Matrix s’ils lisent Neuromancer, de William Gibson. N’empêche que ça me sidère que la prof ne puisse citer aucun auteur.
Eh, les profs de français, vous ne pouvez pas continuer à lire seulement Malherbe et Boileau. Philip K. Dick, c’est de la littérature. Et aussi Raymond Chandler et William Irish. Je pense que vous devriez aussi lire quelques mangas, pour comprendre ce qui plaît à vos élèves. Regardez les Simpson, Friends, Buffy contre les vampires. Dès que j’aurai un peu de temps, je vais écrire un discours sur la culture moderne.

Alors c’est bête: à une semaine près, j’aurais pu donner le collège Albert Camus (au Plessis-Trévise, près de Paris) en exemple aux organisateurs du salon du livre de Narbonne. Je le donne ici en exemple à toutes les aimables personnes qui voudraient m’inviter. Je ne sais pas comment les profs se sont débrouillés, mais ils ont réussi à convaincre tous les élèves d’acheter mon livre. Cela prouve que c’est possible. Dix euros environ. D’une part, nous avons un sujet de conversation. D’autre part, les élèves, en dépensant leur propre argent, s’engagent et s’investissent, prennent ma visite et mes réponses au sérieux.
Ils ont lu et étudié Kama. La question nouvelle du jour:
– Msieu, est-ce que vous glissez vos opinions dans vos livres?
– Mes opinions? Euh, je ne sais pas si j’ai des opinions…
Le professeur a lu le livre de très près. Il engage la conversation sur le nazisme et le communisme. C’est alors que je me découvre une opinion: je considère que le communisme, c’est moins pire que le nazisme.
Le nazisme est une théorie criminelle. Au nom de la supériorité de la prétendue race aryenne et pour apporter le bonheur aux seuls Allemands, les nazis sont prêts à asservir ou exterminer tous les “non-aryens”. S’ils m’avaient attrapé, je passais à la chambre à gaz tout droit.
Le communisme est une théorie erronée. Les communistes veulent apporter le bonheur à l’humanité toute entière. Convaincus de la justesse de leur système, les Bolchéviques sont prêts à écarter par tous les moyens ceux qui s’y opposent. Puisque le communisme ne marche pas, il y aura toujours des gens dans les pays communistes pour remarquer que le roi est nu, et les dirigeants de ces pays seront toujours tentés de les mettre en prison.
Dans Kama, les parents de l’héroïne sont attirés par le communisme, mais sa mère, plus lucide, réussit à convaincre son père qu’il vaut mieux quitter la Pologne communiste d’après guerre et émigrer en France.
Kama est sans doute mon roman le plus élaboré. Comme je possédais au départ beaucoup moins d’informations que pour Une nouvelle vie, Malvina et Lonek le hussard, j’ai créé de nombreux personnages, à commencer par Kama elle-même. Mon opinion sur le nazisme et le communisme m’a conduit à créer le personnage de l’instituteur idéaliste, Nikita Grigoriévitch. Inventer un personnage positif qui soit communiste, il n’y a rien de plus facile. On trouve autant de modèles que l’on veut. Inventer un personnage positif qui soit nazi, c’est presque impossible, puisque les nazis sont racistes par essence. En me creusant un peu la tête, je trouve les personnages de Schindler et de Kurt Gerstein. Ce sont des personnages étonnants et paradoxaux, car ils ne se conduisent pas comme les autres nazis. Nikita Grigoriévitch n’a rien de paradoxal: c’est un bon communiste qui fait le bien parce qu’il veut le bonheur de l’humanité.
Les élèves m’ont demandé comment j’avais inventé Chen l’oiseleur. Je leur ai dit que je l’ai trouvé dans le film L’enfance de Gorki, de Marc Donskoi. Je leur ai conseillé de lire le livre de Gorki. L’auteur est un bon modèle de communiste idéaliste…
Eh, les profs: vous devriez lire aussi le Poème pédagogique, de Makarenko.