Guillaume Guéraud

Sur ma table de chevet
J’ai une lampe de chevet toute petite, et puis en ce moment je lis un polar de James Sallis, L’œil du Criquet (Gallimard, La Noire). C’est un livre que j’ai pris à la bibliothèque, d’ailleurs la plupart du temps c’est des livres que je prends à la bibliothèque, parce que je n’achète pas beaucoup de bouquins. Quand ça m’ennuie, au bout de cent pages je les ramène pour en prendre un meilleur, mais celui-là, je suis sûr que je vais aller au bout, parce que j’en ai déjà lu plusieurs, j’adore. En général sur ma table de chevet, c’est des polars ou des romans noirs. Je sais qu’il y en a qui lisent plusieurs livres à la fois, moi c’est extrêmement rare qu’il y ait deux livres sur ma table de chevet.
Après, dans ma table de chevet il y a un tiroir, et dedans j’ai une lampe de poche.
Je n’ai pas de “livre de chevet”. Ça m’est arrivé juste deux fois de relire un livre que j’ai déjà lu, c’est Des Souris et des Hommes de Steinbeck et Le Cœur est un Chasseur Solitaire, de Carson McCullers. J’ai des livres que j’aime encore plus, mais je ne vois pas l’intérêt, il y a tellement de livres, donc je n’ai pas envie de relire des livres que j’ai déjà lus, même si je les ai aimés.
Un livre que je recommande
J’ai découvert un auteur dernièrement, peut-être que les gens le connaissent, il y a un livre, déjà j’adore le titre, c’est L’Irremplaçable Expérience de l’Explosion de la Tête, l’auteur s’appelle Michael Guinzburg, c’est aussi La Noire de Gallimard. Je l’ai découvert par hasard à la bibliothèque, c’est le titre qui m’a attiré. À la base, ça ne m’intéresse pas du tout, c’est un journaliste spécialisé dans l’art contemporain qui va faire une enquête sur la vie de Jackson Pollock, ensuite ça part dans tous les sens. On demande au journaliste de trouver des détails croustillants sur la vie de Pollock, s’il n’a pas violé des petits enfants, des trucs monstrueux, c’est super-drôle.
Un souvenir d’enfance
Faut que je réfléchisse, quand même.
Je ne sais pas pourquoi je choisis ça, c’est peut-être parce que je suis cinéphile, mais j’ai beaucoup de souvenirs de cinéma, c’est grâce à ma mère qui m’a emmené au cinéma tout petit, fréquenter les ciné-clubs. C’était tout au début de mon adolescence, je devais avoir douze ans, je devais être en CM2 ou en sixième, elle m’a emmené voir Le Voleur de Bicyclette de Vittorio de Sica. Nous habitions en banlieue, pour aller au ciné-club il fallait prendre la voiture, ça demandait un quart d’heure de route et généralement, quand on sortait d’un film on parlait, avec ma mère, du film ou des émotions ou de l’histoire, sauf que à la sortie de Voleur de Bicyclette, j’ai trouvé le film tellement triste que dès la sortie de la salle j’ai pleuré, et jusqu’à chez nous.
Ma mère ne m’a pas interrompu. Elle ne m’a pas tenu la main… Dans le film, la dernière image, le père tient la main de son fils et on voit qu’il va commencer à pleurer, il se mord les lèvres, il veut s’empêcher de pleurer. C’est la force de ce film, ça s’arrête avant que ça éclate. Et moi, j’ai commencé à pleurer, mais ma mère ne me tenait pas la main. J’ai pleuré jusqu’à la voiture et les quinze minutes de route jusqu’à chez nous. Je me rappelle de ça, je m’en rappelle régulièrement. Ça arrive à tout le monde, et ça m’arrive encore, de pleurer à la fin d’un film, mais pas aussi longtemps.
Pourtant, ce n’est pas le premier film triste que j’ai vu, avant elle m’avait emmené voir La Strada de Fellini, c’est fort aussi. J’ai plein de souvenirs de cinéma, en fait. Je me souviens aussi de la première fois où elle m’a mis dans une salle tout seul, c’était bien avant Le Voleur de Bicyclette. Elle allait voir un autre film, moi c’était un film où j’étais en plus tout seul dans la salle. C’était une reprise, Les Enfants du Capitaine Grant, je ne sais plus de qui c’était. Quand j’étais petit, elle m’a emmené voir Mon Oncle d’Amérique, d’Alain Resnais, j’avais huit ans, je n’ai rien compris, je me suis emmerdé tout le temps. Après cette séance, elle s’est dit: “Autant que je le mette dans une salle à côté.”
Un film
Il y en a un que je cite souvent, c’est La Horde Sauvage, un western de Sam Peckinpah. Je ne devrais pas citer celui-là, parce que c’est monstrueux la façon dont je l’ai découvert. Je devais avoir vingt ans. Je n’avais jamais eu la télé, c’est pour cela que ma mère m’amenait au cinéma, mais j’ai découvert ce film à la télé, et c’est horrible parce que j’ai vu juste la fin. C’était un dimanche soir sur TF1. Je ne l’avais jamais vu, je n’ai vu que la fin, mais je l’ai tout de suite identifié. À cette époque, je parlais déjà beaucoup de cinéma avec des amis, on m’avait déjà parlé de ce film, parce que à la fin il y a un massacre hallucinant, deux cent cinquante personnes qui se font tuer par quatre types, j’avais entendu évoquer ce massacre. En tombant dessus par hasard, je l’ai reconnu, je suis tombé pile, c’était le dernier quart d’heure, je suis resté scotché, il y a toutes ces victimes, toutes ces cartouches tirées, c’est comme ça que j’ai découvert Sam Peckinpah, dans de sales conditions. À partir de là, dès que j’entendais le nom de Sam Peckinpah dans un programme, dans un festival, j’habitais à Bordeaux à l’époque, que ce soit à Paris ou à Nantes, j’y allais. Petit à petit, j’ai vu tous ses films, même si, entre-temps, j’ai triché, je les ai souvent vus en vidéo avant de les voir au cinéma.
Pour moi, en tant qu’auteur, j’ai écrit un seul roman qui n’est pas en jeunesse, qui est en collection adulte, qui s’appelle Dernier Western (Éditions du Rouergue). C’est un livre qui évoque beaucoup de westerns, qui en cite beaucoup. Il y a un film qui rythme beaucoup ce livre, c’est justement La Horde Sauvage.
À la base, je voulais devenir journaliste, je voulais être critique de films, pour servir de passeur, pour faire découvrir les films inconnus.
Une musique
Moi, je suis pas du tout musique classique. Je n’ai pas du tout cette culture-là. pourtant, ma mère en écoutait. Ça ne me touche pas. Pareil pour le jazz, même si dans les films j’aime en écouter. Il faut qu’il y ait des images avec. Je suis plutôt rock. C’est récent. Quand j’étais petit, même au collège où tout le monde aimait ça, je n’avais pas de curiosité. C’est venu après ma vie d’étudiant. Le seul groupe que je connaissais à l’époque, c’était Noir Désir, mais c’est parce que j’étais à Bordeaux. Là, par contre, depuis que j’écris, pourtant ça n’a aucun lien, je vais dans des concerts rock. Je ne sais plus comment c’est venu. Plus le temps passe, plus j’aime ça. Surtout depuis que j’habite à Marseille. Je vais voir des groupes dont j’ignore le nom, dont je n’ai jamais entendu aucun morceau à la radio. Je lis un petit article, un groupe belge, la première fois qu’ils passent à Marseille, j’y vais. C’est superbien ou c’est nul. J’y vais à l’aveugle.
Sinon, j’aime bien écouter de la musique chez moi, mais quand j’écris il faut que je ne comprenne pas les paroles, donc je mets du rock anglais ou américain, sinon ça me distrait. Je me dis: “Tiens, pourquoi pas de la musique classique?” Ce serait peut-être agréable pour écrire, comme il n’y a pas de paroles.
Il y a une chanson populaire qui n’est pas très connue, de Jean-Louis Murat, elle a un titre anglais, Baby Carni-bird, mais c’est en français. Je comprends rien à cette chanson, ça saute du coq à l’âne, je la passais en boucle à un moment. Je me disais : “Ce serait génial d’écrire un roman comme cette chanson, qui saute du coq à l’âne, qui soit répétitif, avec du rythme et surtout de la drôlerie.” Ça m’a inspiré mon dernier bouquin jeunesse, Manga (éditions du Rouergue). Ça se passe chez les fous.
Sur l’écriture
Moi, j’écris des livres parce que j’aime ça. En même temps, plus je vieillis, je ne sais pas si c’est dû à la vieillesse, plus j’écris, plus je trouve ça difficile. Avant, j’aimais écrire parce que c’était super-facile. Je trouvais mes idées, mes phrases, mes enchaînements, mes dialogues, même la ponctuation, la grammaire, ça venait facilement. Je m’en aperçois parce que mes brouillons, j’écris sur papier et ensuite je mets tout sur ordinateur, au début, mes quatre-cinq permiers romans, il n’y avait aucune rature pratiquement. Là, des ratures sont apparues, et puis des flèches, et des grosses ratures, des pages entières, des rajouts. Depuis deux bonnes années, il y a plus de ratures que de choses à garder. Et pourtant, je continue à aimer ça. Je n’aime pas plus ça qu’avant. Ce n’est pas le même plaisir, mais pour expliquer d’où ça vient, je ne sais pas. Ça devient problématique. En même temps, j’ai espoir que ça revienne comme avant.
Plus ça va, plus les choses que j’écris sont loin de moi, de ma propre personnalité. Tous les premiers livres étaient des histoires personnelles, qui m’appartenaient.
Une bonne question posée par un élève
Je ne sais pas si c’est une bonne question, mais la question la plus banale, c’est : “Pourquoi vous écrivez ?” Ça fait nul, tout le monde la pose, mais comment dire, c’est une question que je me pose. Pourquoi j’écris des histoires et pourquoi j’ai envie de les faire lire.
Un élève m’a demandé une fois, cela revient au même : “Est-ce que vous avez trouvé dans vos propres livres la réponse à une question que vous vous posez ?”
Dans ma petite mallette
J’ai toujours le livre que je suis en train de lire, je ne le sors pas à chaque fois. Mon dernier livre paru, même si ce n’est pas celui qu’ils ont lu, histoire de faire la promo, honnêtement. Un brouillon en cours, pour qu’ils voient à quoi ressemblent mes brouillons. Et après, pour parer à la question : “Comment devient-on écrivain ?”, L’Amour est un Chien de l’Enfer, de Bukowski. Je lis le poème: Comment on devient un grand écrivain.
“Vous devez baiser le maximum de femmes (…)
Simplement buvez de la bière
de plus en plus (…)
Et rappelez-vous les vieux chiens
qui se battirent si bien :
Hemingway, Céline, Dostoïevski, Hamsun.”
Mais je ne connais pas Hamsun.
(Knut Hamsun, 1859-1952, prix Nobel 1920, auteur de La Faim, 1890.)
Ma bibliothèque
Ma bibliothèque, moi, avant tout, c’est la bibliothèque municipale de Marseille, l’Alcazar, qui a ouvert depuis plus d’un an. Chez moi, j’ai assez peu de livres. C’est par manque d’argent et aussi par manque de place. J’ai une petite bibliothèque où il y a un rayon polars, un rayon normal, un rayon jeunesse depuis que j’écris pour la jeunesse et un rayon cinéma, que des bouquins sur le cinéma.
J’aime l’idée de bibliothèque publique. Chaque fois que je passe dans les classes, je dis : “En France, nous avons la chance d’accéder à la lecture gratuitement.” Dans ma cité, il y avait une bibliothèque au cœur du quartier. Il n’y avait rien, c’est le seul truc qu’il y avait.
Une ville
Ce n’est pas une ville, c’est encore lié au cinéma, il y a un village qui me fascine, c’est Twin Peaks, dans la série télévisée de David Lynch. Je ne l’ai pas vue en entier, parce qu’à l’époque je n’avais pas la télévision, j’ai vu trois-quatre épisodes sur vingt-quatre. Maintenant, je suis équipé en DVD, ils sortent des tas de trucs bidons mais cette série n’est pas encore sortie. J’attends ça avec impatience.
Par contre, moi, je ne peux habiter qu’en ville. Je n’imagine pas d’habiter à la campagne, ou alors juste m’isoler deux mois pour écrire, comme Jack Nicholson dans Shining. J’ai besoin de la ville parce qu’il y a le cinéma, la vie.
Une blague
J’en connais une qui a une chute littéraire. C’est deux amis, deux garçons, il y en un qui n’arrête pas de sortir avec des filles, il emballe facilement. L’autre n’y arrive pas, donc il se renseigne auprès de son ami. “Mais comment tu te débrouilles pour brancher les filles aussi facilement ?
– Écoute, ce n’est pas compliqué, toutes les recettes sont dans la série des romans Harlequin. Il suffit de les lire, tu les potasses, tout est dedans.”
Le personnage va à la gare acheter une pile de romans Harlequin. Il s’enferme chez lui, il les lit tous, il les relit, il fait attention. Au bout d’un mois ou deux de lecture rigoureuse, il sent qu’il est prêt. Donc il sort, il va en boîte, il se met à danser avec une fille et il lui dit : “Je vous aime, murmura-t-il.”
Comment je m’habille
Moi, je m’habille tout le temps pareil. Je mets un jean et un T-shirt en été, un pull par dessus en hiver. Puis j’ai un manteau l’hiver. Ce qui change, c’est qu’à Marseille il n’y a pas de demi-saison, tandis qu’à Bordeaux il n’y a que des demi-saisons pratiquement. Donc tous les habits que j’avais à Bordeaux, les sweats, les chemises, ça ne me sert plus à rien à Marseille.
Ça ne me passionne pas, les fringues. Heureusement, parce qu’un écrivain habillé trop classe, je n’y crois pas. En jeunesse, il y a l’écrivain ou plutôt l’illustrateur habillé de manière hyper-voyante, j’y crois pas non plus. Enfin, c’est bien que ça existe, parce que ça fait rire sur les salons.
Un baume sur la douleur d’être
Je vais au cinéma voir des films bien méchants, ça veut dire qui font mal parce qu’ils présentent une réalité encore plus cruelle que la mienne ou racontent des histoires bien plus terribles que les miennes, ça revient à soigner le mal par le mal, tout le contraire de la réaction de la plupart des gens, ils vont mal alors ils lisent des trucs rigolos ou ils allument la télé ou ils vont voir des films drôles.
Il y a une autre solution, c’est aller voir des films hyperviolents, ça ne veut pas dire méchants, des films de Hong Kong où il y a cent cinquante morts en trois minutes, on n’y croit pas mais ça me fait beaucoup de bien. Mais l’effet est moins durable que les films que j’appelle méchants.
Je ne crois pas trop à la lecture pour ça. C’est une activité solitaire, il n’y a pas de partage. Au cinéma, il y a du monde dans la salle, on n’est pas tout seul, on partage le film méchant ou douloureux avec d’autres personnes, on pourra peut-être se donner tous la main à la sortie de la salle.