Susie Morgenstern

Sur ma table de nuit
Il y a les dix derniers numéros du New Yorker. C’est mon cordon ombilical avec le pays natal. Ce matin, j’ai lu dans le New Yorker une histoire posthume de Isaac Bashevis Singer. Tu sais, j’ai écrit ma thèse sur Isaac Bashevis Singer. C’était de la littérature comparée. Ça parlait des écrivains juifs contemporains. Il y avait des auteurs qui n’étaient pas encore connus comme Saul Bellow, Bernard Malamud, Philip Roth.
Je suis au milieu d’un article sur Arnold Schwarzenegger (elle rit). Le New Yorker m’apporte… C’est un journal extraordinaire.
Il y a un Agatha Christie, The Hollow. Je lis ce qui me tombe du ciel. C’est fabuleux : la psychologie des personnages… Une maîtrise absolue… C’est de la grande littérature.
Il y a le téléphone. C’est très important ! Ah, il y a le dernier Harry Potter. Bon, j’avance…
Thomas Friedman : From Beirut to Jerusalem. Ça c’est fantastique. Il y a le Monde des Livres. Je mets longtemps à le lire. Une Canadienne qui parle de sa vie en France : Isabel Huggan, Belonging: Home away from Home. Tu vois, le genre de livre que j’aurais pu écrire, le choc culturel… Banana Yoshimoto : Le dernier jour. Je suis très éclectique. Très ambitieuse.
Je lis énormément de livres pour enfants. Avant d’aller dans un salon du livre, j’essaie de lire les livres des autres auteurs.
Un livre que je recommande
Tout est illuminé, de Jonathan Safran Foer. C’est vraiment le livre qui m’a le plus impressionnée cette année. Sinon, tout Isaac Bashevis Singer, tout Philip Roth.
Un livre pour enfants: Pressé, pressé, de Bernard Friot, chez Milan. Et puis les Quatre Sœurs, de Malika Ferdjoukh.
Un souvenir d’enfance
À la synagogue, dans mon enfance, un jour de jeûne, de Kippour, ma mère a amené dans sa poche des œufs durs pour nous, parce que les enfants n’étaient pas obligés de jeûner, et on mangeait ça en cachette dans les toilettes. Tous mes souvenirs sont de la bouffe en cachette. Sortir avec mes sœurs acheter des trucs en cachette, faire des gâteaux dès que mes parents étaient sortis, chercher les gâteaux que ma mère cachait.
C’est aussi lire David Copperfield sous la table en CM1.
Un film
Le dernier film que j’ai vu, c’est Le Tango des Rachevski, de Sam Garbarski, avec Michel Jonasz, Daniel Mesguich. Pour moi, excellent. J’ai envoyé tout le monde le voir. Mes enfants, j’ai insisté, que je payerais la baby-sitter. Ça m’a beaucoup émue. Je suis très bon public.
Et puis un film que j’espère recommander, c’est le mien, qu’on tourne en ce moment à Paris, La première fois que j’ai eu vingt ans, avec Pierre Arditti, Catherine Jacob…
J’adore Casablanca, et puis tous les Frank Capra. La bonne Amérique…
Je suis très émue par d’excellents dessins animés, comme Kirikou et la Sorcière. Si je pouvais refaire ma vie, je serais animatrice de dessins anmés. Chicken Run ! Tu as vu Chicken Run !
Une musique
Bach par-dessus tout. Mais j’aime beaucoup la musique pop, la musique folk. J’ai toujours la musique en arrière-plan – pas quand j’écris. Arthur, mon éditeur (Arthur Hubschmidt, à l’École des Loisirs), m’a dit un jour : “Écris.” Je dessinais. Je lui ai dit : J’aime beaucoup dessiner, parce que je peux écouter la musique en même temps.” “Justement, c’est pour ça… Écris !”
Sur l’écriture
L’écriture, c’est un très grand sujet pour moi, c’est ma quête dans la vie, c’est une religion. C’est quelque chose que je fais à chaque minute, quand je suis en train de marcher, en train de dormir, en train de ne pas dormir. En ce moment, j’ai une vraie peur de plonger dans un roman. Cela devient de plus en plus dur. Je suis de plus en plus consciente des exigences. Je pense à un tournevis : tu te tournes et tu te tournes (elle fait le geste de tordre) – mais je suis pleinement heureuse quand je suis en train d’écrire un roman.
La chose la plus difficile pour moi dans l’écriture, c’est l’intrigue. Je suis toujours en train d’essayer de comprendre comment on fait une intrigue. Je peux écrire du matin au soir, j’ai la plume facile, mais construire un roman c’est vraiment difficile. Je lis des best-sellers. Ce n’est pas pour rien que les gens les adorent.
J’aime faire écrire les gens dans les ateliers d’écriture. Les moments dans les ateliers, c’est les moments les plus intenses qu’on puisse passer avec d’autres gens.
Une bonne question posée par un élève
Combien de maris vous avez eu déjà ?
Dans ma petite mallette
Le grand truc que j’emporte, c’est mon cahier d’idées, où je note une idée, une citation, un poème. Je leur lis des extraits des livres qu’ils ont étudiés quand ils étaient à l’état d’idées.
Je trouve que les meilleures animations, c’est quand on ne montre rien. C’est un genre de protection, d’alibi. J’aimerais m’alléger, dans ma vie…
Un héros de roman
David Copperfield. Jo, dans Les quatre filles du Dr March. C’était mon idole.
Et puis Marjorie Morningstar, grand best-seller américain, de Hermann Wouk, qui est devenu mon destin. J’écrivais mon nom Susie Morningstar. Et puis un jour, à Jérusalem, j’ai vu un type à travers tout le resto U, un type barbu, et j’ai dit à ma copine : "Tu vois le type, c’est lui !" Je me suis assise en face de lui avec mon plateau, je lui ai dit Shalom, je lui ai dit mon nom, il m’a dit le sien : Jacques Morgenstern (Morgenstern = Morningstar).
Ma bibliothèque
Quand les gens me demandent ce que je veux comme cadeau, je dis toujours : “Un livre que vous aimez”, et comme ça je construis une bibliothèque d’amitié et de goût des autres et je touche à beaucoup de choses. Je n’aurais pas l’idée de lire de la science-fiction, mais mes étudiants me donnent des livres de science-fcition. Je suis très boulimique, j’ai une soif insatiable. Je lis pratiquement un livre toues les soirs.
Je hais les livres. Je viens de déménager des cartons et des cartons de livres. C’est un très bon exercice pour un écrivain de sentir le poids des livres. Chaque jour de ma vie, je prie Dieu pour ne plus acheter de livres.
Une ville
La ville de mon bonheur extrême, c’est Tel Aviv, où je me sens complètmenet impliquée… Je me sens étrangère partout ailleurs. C’est une ville très moche, sauf si on considère que ce qui fait une ville, c’est les gens. Et là, c’est la chaleur, et puis l’identification totale.
Je me sens assez paumée en France. J’ai du mal à m’engager politiquement. Je suis paumée aussi à New York. À Tel Aviv, je suis chez moi. C’est très émouvant, ça tire toutes les cordes du cœur.
Une blague
Une mère juive téléphone à la SNCF : “Allo, SNCF ? À quelle heure arrive mon fils ?”
Comment je m’habille
Comme on dit en français : A schlump, ça veut dire quelqu’un de très négligé, un clochard. Avec ma sœur, nous sommes allées chez Chanel, à Paris. Nous nous sommes assises, nous étions très fatiguées de marcher. Nous avons regardé toutes les petites Japonaises qui achetaient des tailles 34. Nous sommes restées une heure. Ma sœur est encore plus énorme que moi. À la fin, une vendeuse est venue. Ma sœur a demandé un tailleur. Évidemment, ils n’ont pas notre taille, mais ils ont dit qu’ils pourraient le faire sur mesure ! Alors ma sœur a dit : “Non non, j’aurais voulu rentrer avec.”
C’est très dur pour moi de m’habiller, c’est un complexe, c’est des housses. Jusqu’à quarante ans, ça allait, je mettais des jeans. Maintenant, il faut que je trouve un autre uniforme pour me cacher de moi-même.

Pour en savoir plus sur Susie: http://Susie.Morgenstern.free.fr/siteweb/