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Malika Ferdjoukh
Sur ma table de nuit
Je suis du genre à mettre des bouquins dans plein dendroits
différents et à les lire selon les moments de la journée.
Là, cest ma table de nuit, je suis en train de terminer les
mémoires de George Sanders, Les mémoires dune fripouille.
Le titre est mal traduit, cest Memoirs of a professional cad.
Je lai déjà lu en anglais en 1980, jai écrit
un article biographique dans une revue de cinéma. George Sanders,
qui est quand même un de mes acteurs favoris.
Jai dans mon bureau là-haut, au sixième, une étude
sur Jane Austen de Claire Tomalin. Cest à lire par bribes.
Je trouve quelle a beaucoup de mérite. Elle a réussi
à trouver des choses, elle a beaucoup bossé. Jane Austen
est restée très secrète, sa sur a brûlé
toutes ses lettres.
Jai un polar en route, de Lawrence Block, Lendemains de terreur.
Lawrence Block, je lai découvert quand javais une dizaine
dannées. Jallais au lycée Rocroy Saint Léon,
dans le neuvième arrondissement. Javais des profs de français
très cinéphiles. Le frère de lun deux
tenait une librairie de polars, Le troisième il. Cétait
François Guérif, qui est devenu directeur de Rivages. Juste
à côté, il y avait lAction Lafayette. Je séchais
mes cours au lycée pour aller voir des films. Il y avait aussi
Le New Yorker, le Hollywood Boulevard, qui nexistent plus. Lawrence
Block, cest donc François Guérif qui me la fait
découvrir.
Ce pauvre Lawrence Block était à un salon du livre il y
a quatre-cinq ans, porte de Versailles. Il ny avait personne dans
cette partie du salon. Je vois ce type tout seul derrière son stand.
Jai pris deux bouquins, nous avons causé. Cétait
très bizarre de voir se matérialiser cette figure de mon
adolescence. Il était tout droit derrière son stand. Il
sétait rasé la tête, alors que je le connaissais
bouclé sur ses photos. Lawrence Block soi-même.
Jai toujours un roman pour la jeunesse en route. Là, je viens
den terminer deux. Millions de Franck Cottrell Boyce ; cest
vachement bien, dailleurs. Cest un gamin qui raconte, qui
est passionné par la vie des saints. Il connaît par cur
la vie de Sainte Agathe, de Sainte Catherine de Pétaouchnoque.
Évidemment, son entourage, son papa, sinquiètent un
peu. Il a envie de faire le bien, de devenir martyr. Il se met du houx
dans son T-shirt comme Sainte Ursule. Il se fabrique une sorte de tunnel
en carton près de la voie ferrée, il appelle ça son
ermitage. Une nuit quil est dans son ermitage à penser à
la vie de Saint Machin-chose, un train passe et lui envoie un paquet plein
dargent. Alors que faire avec cet argent ?
Et Nom de code Anastasia, de Lois Lowry.
Un livre que je recommande
Tout Jane Austen. Elle était très présente quand
jécrivais Sombres Citrouilles. Jen lisais très
peu, parce que chaque mot se déguste. On se vautre dedans. Je pense
que mes derniers bouquins nauraient pas cette tonalité-là
si je ne métais pas mise à relire tout Jane Austen.
Je lai rencontrée à la fac, mais je suis très
contente de lavoir lue un peu plus tard.
Un souvenir denfance
Jallais à la bibliothèque dans le dix-huitième
arrondissement. Cétait un petit bâtiment du XIXème,
très petit, il y avait juste un rez-de-chaussée et une galerie
qui faisait le tour. Des marronniers à lextérieur.
Jai le souvenir de lectures que je faisais les soirs dautomne,
avec le frissonnement des marronniers, des bruits feutrés, atténués.
Cétait une très vieille bibliothèque qui avait
un vieux fonds jeunesse, des collections qui nexistaient déjà
plus à lépoque. Jadorais chercher les livres
les plus vieux. Il y avait une petite fiche à la fin, avec les
dates demprunt. Je prenais exprès les livres qui navaient
pas été empruntés depuis dix ans, vingt ans, et en
général les bouquins étaient très bien. Il
y avait une Madeleine du Génestoux, qui écrivait très
bien, avec des titres genre Loncle La Croustine, Petite Bobine
et Gros Placide, Tante Mouche. Il y avait une autre nana, Zenaïde
Fleutiaux. Des bouquins jaunis, qui sentaient le vieux papier, avec des
couvertures vert bouteille ou rouge foncé, des illustrations de
Pécoud. De temps en temps, quand jen trouve sur les quais,
jen rachète. Là, jai retrouvé Petite
Bobine et Gros Placide et Tante Mouche.
Quand jai attrapé treize ou quatorze ans, la bibliothèque
est devenue trop petite pour moi, alors je suis allée à
la mairie du dix-huitième. La bibliothèque était
trop moderne et je suis retrournée dans ma petite bibliothèque,
qui était une annexe. Jy suis allée jusquen
terminale.
Un jour, grande surprise. Je regarde Conte dhiver, de Rohmer,
et je vois ma petite bibliothèque ! Je crois quelle nexiste
plus aujourdhui.
Un film
Le film que jai le plus vu dans ma vie, mon film fétiche,
cest Marnie, de Hitchcock. Jai dû le voir vingt-cinq
ou vingt-sept fois. Un jour, jai dit à mon prof de français
cinéphile que javais le choix entre Cérémonie
secrète de Losey et Pas de printemps pour Marnie. Lequel
me conseillait-il ? Il ma dit: "Mais Marnie, bien sûr."
Je lai vu dans un cinéma qui nexiste plus, rue de la
Roquette. Lécran était en pente, la salle allait à
vau-leau. Je lai vu une première fois, je suis restée
les deux séances suivantes. Nous étions trois dans la salle.
Depuis, cest un film que je revois régulièrement.
En fait, je pense que cest un film qui parle de la création,
puisque Marnie est une mythomane, une voleuse, tout le portrait dun
écrivain. Et Sean Connery est très très très
beau là-dedans.
Une musique
Le genre de truc que jécoute, cest Jerry Goldsmith.
Jaime bien les musiques de film. Je marrête en général
en 1965. Jaime bien Bernard Herrmann, Franz Waxman, Erich Wolfgang
Korngold. Là, je viens de trouver un film qui sappelle Devotion,
avec Olivia de Havilland [qui joue Charlotte Brontë, avec Ida
Lupino dans le rôle dEmily Un film de Curtis Bernhardt,
1946 merci Internet] et Paul Henreid. La musique est de Korngold.
Magnifique, ça vaut toutes les musiques classiques.
Et puis jaime bien Sinatra et Dean Martin, voilà.
Sur lécriture
Sur mon bureau, il y a plein de crayons noirs 4B. Jy tiens beaucoup
: cest la consistance quil me faut pour que ça glisse
sur le papier. Ensuite, jai plein de taille-crayons bien alignés,
parce quil me faut des mines très pointues. Et un pot pour
les épluchures de crayon. Évidemment, après, je passe
à lordinateur, mais jai toujours besoin, à un
moment ou à un autre, davoir un contact avec la feuille de
papier et le crayon. Je naime pas lencre. Bizarrement, bien
que jécrive au crayon, je nefface pas à la gomme
: je barre, je rature.
Parfois, jai du mal à rouver mes 4B. Au BHV, il y a plein
de HB, mais mes 4B
Donc jen prends dix ou quinze dun
coup. Surtout que je veux seulement les Staedtler, pas les Conté.
Jen achète beaucoup aussi parce que je les parsème
un peu partout.
Le beau stylo plume qui a un nom, avec la plume en or ou en platine, je
men tape un peu. Si je pouvais faire mes dédicaces au crayon
noir, jaimerais bien.
Une bonne question posée par un élève
Il y a une question, on a limpression dy avoir répondu,
et là le petit élève au bout du rang demande des
précisions, le truc sur lequel vous avez volontairement glissé,
ou bien il y avait du flou et il demande des précisions sur ce
flou, mais vous navez pas forcément envie de répondre.
Ça mest arrivé deux fois cette année, mais
je ne me souviens plus ce que cétait. On a limpression
davoir été un peu roué, et le gamin a été
encore plus roué.
Dans ma petite mallette
Moi, jai pas de mallette. Mon sac est grand comme deux cartes postales.
Je déteste porter des sacs, des valises. Je déteste rouler,
mettre sur le dos. Je pense que mes valises sont intérieures.
Je nai pas du tout une approche pédagogique. Cest une
rencontre. Je ne viens pas en disant: Je vais leur montrer, leur
apprendre des choses.
Ma bibliothèque
Dans ma bibliothèque, il y a de tout. Des livres, des paquets de
thé, des paquets de gâteaux, des boîtes à sucre,
des cintres pour suspendre le linge, de la vaisselle, du parfum, des photos,
des peluches. Bref, pour moi, une bibliothèque cest plein
de nourritures de toutes sortes. Il y a de larnica.
Jai des bouts de bibliothèque un peu partout. Tout est mélangé,
cest le bordel. Ce nest pas du tout rangé par ordre
alphabétique, par thèmes, cest le bazar. En même
temps, je sais parfaitement où est un livre. Si je cherche tel
roman, jai une vision de lendroit, dans telle pièce,
et en général je ne me trompe pas.
Jai retrouvé le Tom Jones de Fielding. Cest
un truc que jai lu sur la plage en 1973. Je lai prêté
à une copine. Elle ma dit : Il y a des fleurs dans
ton livre, des pétales. Ce livre est plein dherboristerie
de lété 1973. Je lavais oublié
Une ville
Ça va être Paris, je crois. Littérairement, jaime
bien Londres. Littérairement aussi, jaime bien Philadelphie.
Mais Paris
Je ne pourrais pas écrire ailleurs quà
Paris. On ma prêté des maisons de campagne, des maisons
au bord de la mer, mais je ne peux pas écrire. Dans ma résidence
décrivain de La Rochelle, trois mois, jai écrit
douze pages. Impossible décrire. Les douze pages, je les
ai écrites au cours de mes escapades à Paris. Mais peut-être
que si on me met dans le presbytère de la famille Brontë,
pourquoi pas
Si jécrivais un polar, il se passerait à Philadelphie.
Ce sont mes premiers souvenirs de polar. Cest David Goodis, des
polars très noirs et très romantiques. Jai une vision,
un fantasme littéraire, je suis sûre que je suis à
côté de la plaque. Je fantasme aussi sur Caracas en pleine
tempête tropicale. Limage que jai de ces villes, cest
de lordre de la poésie violente. Jaime bien la poésie
violente.
La première phrase du roman de Lawrence Block, cest: Jim
Machintruc avait déjà fait trois bars et un bordel quand
arriva lheure de son petit déjeuner. Cest très
intelligent, parce que cest en fait un homme de ménage.
Une blague
Il y a une blague, à chaque fois que je la raconte, personne ne
rit. Cest un mec qui veut apprendre langlais pour aller à
New York. Le problème, cest quil a quinze jours pour
apprendre. Un copain lui dit : Je connais une méthode, avec
un magnétophone, tu écoutes pendant quinze jours et ensuite
tu sais langlais ! Donc le type, discipliné, achète
la méthode, met les écouteurs et tous les jours, il écoute,
il écoute. Il arrive à New York, le douanier lui pose une
quesion en anglais et le type lui répond : Crrrrrrrr
Comment je mhabille
Moi, les vêtements, rien à foutre.
Pendant longtemps, jai eu le fantasme davoir un dressing.
Javais cette image hollywoodienne, un endroit avec treize mille
glaces, des lustres, des chaussures bien alignées. Quand nous avons
emménagé ici, je me suis dit : Dressing ! Jai
fait une déco style cabine du Titanic, rouge foncé, lustres.
Total, on ne peut pas y entrer tellement cest le bordel. Mes vêtements
pendouillent aux poignées de porte.
Un baume sur la douleur dêtre
Évidemment lécriture, mais
Je pense que lécriture
pour la jeunesse est par essence un retour sur des zones douloureuses
et que écrire sur ces zones douloureuses, cest une manière
de mettre un baume. Il me semble que les douleurs de lenfance vous
suivent très longtemps, ne vous quittent pas, parce quon
les a prises à un moment où on nétait pas paré.
Donc écrire sur lenfance, sur lenfant quon a
été, cest une manière de baume.
Mais quand même, dans limmédiat, voir un film des Marx
Brothers, cest bien aussi. Et Laurel et Hardy, et puis jarrête
là.
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