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Anne-Marie Pol
Sur ma table de nuit
Tu vois, là tu as un recueil de nouvelles de Ludmila Oulitskaïa
(Les pauvres parents, Folio), cest un auteur que jaime
beaucoup. Elle arrive à faire une épopée des choses
de tous les jours, avec un mélange dhumour et de poésie
qui me paraît très russe. On retrouve cela dans Tchékov.
Tu as aussi des nouvelles de William Boyd (La femme sur la plage avec
un chien, Seuil). Jai adoré Comme neige au soleil.
Il a eu une enfance africaine, comme moi. Jaime beaucoup la tournure
desprit anglo-saxonne, ce demi-sourire sur la vie.
Heureusement il y a un auteur français ! Un abécédaire
sur le Moyen-âge (Le Moyen-âge à la lettre,
Michel Zink, Taillandier), expliquant ce que peuvent signifier les enluminures,
cest absolument génial, et comme je suis en train décrire
une trilogie qui se passe à la Renaissance, je voulais savoir ce
que disent les lettres et les lettrines.
Et aussi jai un cur en nacre, offert par ma maman, et un mini-livre
sur Pourquoi Madrid est la capitale de lEspagne (Por
que es Madrid capital de España, éd. Aguilera), regarde
comme cest mignon.
Et puis jai acheté ça, cest un peu en rapport
avec une série que je vais faire, ce sont des exercices darticulation,
Tâche de mâcher ta mâche sans cracher ou lâche
ce crachat sans tacher. Et aussi un livre en occitan, figure-toi,
parce que mon personnage de la Renaissance, Yanoël, vient des Pyrénées.
Je trouve que cest très beau, loccitan, il y a un rythme
dans les phrases
Cétait en vente sur une table devant
une librairie, jaime bien tomber par hasard sur des bouquins.
Un livre que je recommande
Un livre dont je parle beaucoup, que jaime énormément,
on retourne chez les Russes, cest La garde blanche, de Boulgakov.
Il y a dans ce drame des pointes dhumour et de drôlerie qui
sont formidables. Ce serait un peu un Autant en emporte le vent
de la Révolution russe, avec une écriture extraordinaire.
Il y a aussi, évidemment, Le grand Meaulnes, un roman que
jai adoré vers treize-quatorze ans, que jai relu souvent.
Tu peux ajouter que jai lu beaucoup de théâtre à
lâge de nos lecteurs, de tes lecteurs, entre quinze et dix-huit
ans, énormément de théâtre. Jai gardé
une passion pour Musset, pour Marivaux et puis pour Giraudoux, quon
ne joue plus et cest dommage. Jai fait un peu de théâtre,
après
Mine de rien, jai joué Eschyle et Strindberg
! Cest un bon entraînement à lécriture,
le théâtre, parce quil ny a pas de superflu dans
une pièce de théâtre. On doit frapper à lessentiel.
Un souvenir denfance
Lodeur du papier des livres chez ma grand-mère. Quand jétais
petite, jai lu beaucoup de ses livres denfant. Il lui restait
plein de Bibliothèque Rose, et un livre qui me fascinait, Mémoires
dune petite fille russe, un vieux livre davant la Révolution
de 17. Je me demande si mon goût pour la littérature russe
ne vient pas de là. Il y avait des illustrations géniales
dAlexandre Popov : les loups, la troïka, la Mer Noire
Ça se passait chez elle dans le midi, la maison était humide.
Ce parfum du papier un peu moisi
Sentir ce parfum, cest comme
si le temps remontait à la surface. Cest pour cela que jachète
parfois des vieux livres.
Un film
Je crois que le film qui ma le plus impressionnée, influencée
dans la littérature que jécris, cest un film
espagnol avec des enfants pour héros qui sappelle Lesprit
de la Ruche, El Espiritu de la Colmena, de Victor Erice. Quand jai
commencé à écrire pour la jeunesse, cest à
ce film que jai pensé plus quà des livres que
jaurais lus. Cest lhistoire de deux enfants face au
mythe de Frankenstein. Il sagit dun petit monde que se créent
des enfants pendant la guerre civile espagnole pour échapper à
la réalité quotidienne. Elles attendent ce Frankenstein
quelles ont vu au cinéma. Donc le film évoque le pouvoir
de limagination, la suprématie de limaginaire sur la
réalité.
Sinon, jai vu dix fois Autant en Emporte le Vent, tu penses,
comme jai lu dix fois le roman.
Une musique
Dabord, plus la musique fait de bruit, plus ça me plaît.
Jaime beaucoup les percussions, les tambours. Mais en réalité,
la musique que jécoute le plus, cest la musique liée
au cours de danse. Chopin, par exemple, ou la musique de ballet. Le
Lac des Cygnes est mon ballet préféré. Je nai
jamais été danseuse professionnelle, mais jaime la
danse, jen fais toujours. Quand jécoute un morceau,
je me souviens des pas, cest bizarre, je retrouve les enchaînements
quon a pu nous demander sur cette musique, même si je les
avais oubliés. La musique les fait revenir.
Cela dit, la musique ne mest pas indispensable. Jaime bien
la musique reliée à un souvenir, mias un parfum men
suggère beaucoup plus. Je préférerais être
privée de musique que de parfums. Je ne veux pas parler dun
flacon de Dior, mais des odeurs diverses et variées.
Sur lécriture
Pour moi, lécriture, cest évidemment le plaisir
de lécriture, mais cest avant tout un métier.
Je ne crois pas du tout à linspiration, je crois seulement
au travail, et évidemment tous les jours je me mets au travail
à la même heure quoi quil arrive. La journée
tourne autour de lécriture. Pour ne pas me fatiguer à
faire des choses dans la maison avant décrire, jécris
le matin en pyjama. Cest vraiment primordial. Ce qui fait que je
me lève très tôt ça me permet dêtre
tranquille. Je ne reçois pas de coups de fil, non plus. Ça
peut être cinq heures et demi dans les coups de feu, sinon je my
mets à sept heures et jécris jusquà dix
heures et demi. Après je continue laprès-midi, évidemment.
Je fais une sieste dun quart dheure à une demi-heure,
avec lidée quil faut se reposer pour écrire.
Cest un peu un sport, lécriture. Je me considère
comme linstrument de lécriture, mon propre outil. Il
faut que je sois dans la meilleure forme possible pour écrire le
mieux possible. Je me demande sil ny a pas une influence de
la danse dans ma façon de considérer le corps, au fond.
Jécris tout laprès-midi jusquà
la sortie du chien, vers cinq heures, et puis quand je nai pas le
cours de danse je travaille jusquà dix heures du soir. Je
vais justement à la danse pour avoir un corps en état de
marche.
Jai eu lhabitude de cette discipline assez rude quand jétais
mannequin: ne pas sortir le soir parce que demain il faut avoir bonne
mine. Tu peux imaginer, si tu as des cernes en arrivant au maquillage,
le drame !
Jécris directement à lordinateur, mais je fais
une sortie papier à chaque page. Je corrige à la main et
je reporte immédiatement les corrections. Je fais quatre sorties
papier par page environ. Il ne faut pas avoir envie de faire des économies
de papier !
Une bonne question posée par un élève
Il y a une question qui ma sidérée. Un jour, une fille
de douze ou treize ans ma demandé : Madame, est-ce
que vous êtes fière de vous ? Ma réponse la
étonnée : oui, je suis fière de moi, en effet, jaime
ce que jécris. Dans la vie il faut tendre à être
fier de soi. Je trouve que cest quelque chose à inculquer
aux enfants. Je viens dune époque où cétait
surtout dans la critique quon les élevait. Ça te coince,
quand même, les critiques, les rebuffades. Je crois quen félicitant
on obtient plus quen critiquant.
Un truc qui ma beaucoup encouragée à écrire,
cest un souvenir de quand jétais petite : javais
surpris la maîtresse en train de recopier sur un cahier une de mes
rédactions. Il ny avait pas de photocopies à lépoque.
Cétait une institutrice remarquable dans sa compréhension
des enfants : elle savait encourager.
Ce sont ces menus souvenirs qui remontent à la surface quand on
se décide à écrire.
Dans ma petite mallette
Je nemporte pas grand-chose, je dois dire: un manuscrit, des épreuves,
des versions traduites de mes livres. Ça me sert de support, de
démonstration.
Souvent, dans les classes où je vais, joffre un livre pour
la bibliothèque de la classe. Jai acheté une centaine
de volumes dun de mes titres paru chez un éditeur qui sest
cassé la gueule. Ça me permet de faire vivre le livre, en
même temps, en loffrant.
Ma bibliothèque
En principe, jai une organisation, mais je nai pas eu le temps
de linstaller quand jai déménagé. Jaime
bien ranger par catégories : les livres en espagnol avec les livres
en espagnol, le théâtre avec le théâtre, les
guides avec les guides, tous les livres de danse ensemble, les livres
pour la jeunesse ensemble et les miens à part ! Et dans
chaque catégorie, par ordre alphabétique. Mais en ce moment,
cest un vu pieux.
Une ville
Ah, pour moi, cest Madrid, évidemment, mais Madrid à
lépoque où jy vivais, dans les années
soixante-dix, qui est une Madrid un peu fantasmée, maintenant,
qui nexiste plus, une capitale qui était un peu une ville
de province, avec ce climat de la Castille que jaime beaucoup, très
froid en hiver et très chaud en été. Jy ai
passé dix ans.
Et puis toute cette influence espagnole est finalement ressortie dans
le deuxième volume de ma trilogie Yanoël : mon personnage
déambule en Espagne, ça me permet de retrouver des paysages
et des parfums.
Une blague
Il y en a une qui ma amusée cette semaine, je lai lue
dans Elle. Ils ironisaient sur la mère juive. Cest deux amies,
fières de leur progéniture, qui se rencontrent.
Comment vont tes enfants ?
Larchitecte et lavocat, ça va pas mal, mais
le médecin, il est en train de percer une dent.
Ça peut se rapporter aux auteurs :
Comment va ton dernier livre ?
Je crois quil va avoir le Goncourt
Comment je mhabille
Ce que je peux dire, cest que je naime pas le négligé.
Je naime pas, au fond, suivant une vieille expression, les gens
mal fringués, qui ne font pas attention à leur
apparence. On a besoin dun peu de beauté, un pull dune
jolie couleur, des petits détails, des cheveux joliment coiffés.
Ça rend la vie plus agréable à mes yeux. Ce nest
pas une question dargent. Moi, jai passé ma vie à
mhabiller à Monoprix. Lélégance peut
sobtenir sans dépenser des sommes folles.
Plus que les vêtements, jadore les produits de beauté.
La mode, ce nest pas si futile que ça. Cest rendre
la vie plus belle.
Un baume sur la douleur dêtre
Lécriture
Cest toujours une faille quon
essaie de combler avec lécriture ou nimporte quel autre
art. Je crois que ça se bâtit sur une frustration, le fait
décrire. On dit : Les gens heureux nont pas dhistoire,
mais les gens heureux nécrivent pas dhistoires non
plus.
À part ça, je considère que cest un grand bonheur
décrire ! Cest une chance folle de pouvoir écrire
et être édité.
[Et ce petit, là ?]
Quelle ingratitude de navoir pas pensé à lui ! Oui,
cest vrai que la compagnie dun animal est un baume, surtout
lui, qui est arrivé quatorze jours après la mort de Petrouchka
Javais acheté Petrouchka parce que javais traduit un
roman espagnol, Vif Argent, qui était lhistoire dun
chien (cest chez Flammarion). Mais jai toujours eu des chiens.
Depuis le premier, ramassé dans la rue quand javais sept
ans, Baô. En Espagne, cétait Neska. Je trouve que vivre
auprès dun chien, cest une joie de tous les instants,
sincèrement. Il sappelle Txakou, ça se prononce Tchakou.
Ça veut dire chien en basque, tout simplement. Cest directement
lié à mon roman Yanoël. Il y a un chien blanc comme
lui dans lhistoire.
À ce moment-là, comme consolation, il y a aussi la danse.
Tu dois être tellement concentrée que ça te fait oublier
tout le reste..
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