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Éditions Tristram, septembre 2018
300 pages |
Pourquoi j’ai traduit Treasure Island
Alors que je parcourais le chemin de Stevenson sac au dos, j’ai pensé que je prolongerais le plaisir de la randonnée, dès mon retour, en lisant Travel with a Donkey in the Cévennes et en relisant Treasure Island.
La dernière fois que je l’avais lu, je n’écrivais pas encore de livres moi-même. J’aimais les romans d’aventure parce que je rêvais de voyages et d’exploits héroïques. Je ne me préoccupais pas de la manière dont l’auteur fabriquait ses phrases. Cette fois, j’ai été frappé par l’inventivité de Stevenson et je me suis dit qu’il appartenait au même clan que Dickens ou Mark Twain, celui des auteurs qui aiment triturer et bouturer la langue anglaise. Dans Treasure Island, les pirates parlent une sorte d’anglais corrompu qui dévoile à la fois leur manque d’éducation et leur méchanceté. Ce genre de novlangue est difficile à traduire. J’ai eu envie d’essayer.
J’ai commencé par examiner les traductions existantes. Aucune ne rendait justice au travail de Stevenson. Dans les versions anciennes, le traducteur semble répugner à écrire du mauvais français, comme s’il craignait d’être accusé de souiller notre belle langue. L’argot des pirates n’est d’ailleurs pas le seul obstacle à une traduction honnête. Le texte comporte de nombreux termes de navigation à voile devenus rares. J’ai lu avec étonnement la version de L’île au trésor publiée dans une collection prestigieuse : le traducteur a tout bonnement sauté les passages difficiles. Il y aussi l’éternel problème du passé anglais. Le passé simple français est encore souvent employé dans les textes littéraires, mais on ne l’utilise guère dans le langage parlé, si bien que sa présence dans un livre comme L’île au trésor, destiné au départ à des adolescents, donne au texte une sorte de rigidité d’un autre âge que ne possède pas le roman original de Stevenson.
Une dernière difficulté a retardé pendant des semaines le début de mon aventure. Je me demandais comment traduire le premier mot du roman, Squire.
Voici le début de la phrase initiale : Squire Trelawney, Dr. Livesey, and the rest of these gentlemen… Le mot squire était déjà désuet à l’époque de Stevenson, ce qui convenait à une action qui se déroulait un siècle et demi plus tôt. Il désignait un hobereau de village, le principal propriétaire terrien des environs, exerçant éventuellement une fonction de magistrat local. Ce qui le rend difficile à traduire, c’est que dans cette phrase il se met en apposition d’un nom propre, comme le français « monsieur », mais qu’il apparaît aussi tout seul ; sous la forme the squire. De nombreux traducteurs écrivent « Monsieur Trelawney » ou « M. Trelawney » dans la première phrase. Certains disent « le seigneur » pour the squire, d’autres « le chevalier ».
J’ai choisi un presque anagramme de squire : « sieur ».
Je pense que ma traduction est plus fidèle au texte et à l’esprit de Stevenson, et aussi plus agréable et amusante à lire, que les traductions existantes.
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