Un rapport accuse LVMH d'avoir délibérément fermé la Samaritaine

A moins d'une dizaine de jours de la présentation par la direction du groupe LVMH d'un plan de sauvegarde de l'emploi à la Samaritaine, la pression monte. Un rapport d'expertise, qui doit être présenté dans les prochains jours au comité d'entreprise, apporte une nouvelle version des conditions dans lesquelles le groupe de luxe a décidé, en juin 2005, de fermer le grand magasin.

Ce rapport, mené par le cabinet d'expertise Pluriel Consultant, conforte les syndicats dans leur analyse en estimant que la direction de la Samaritaine a délibérément provoqué, en janvier 2005, un avis défavorable de la commission de sécurité concernant la poursuite de l'activité, provoquant la suppression de 734 emplois.

Le rapport parle de "facteurs d'aggravation des risques", lorsque la direction décide de rapatrier dans le magasin des stocks jusque-là entreposés à Marne-la-Vallée, augmentant ainsi les risques d'incendie. "A aucun moment les questions de sécurité ne semblent avoir été intégrées dans la réflexion. L'urgence était de faire des économies (...)", pointe le rapport. Celui-ci émet aussi des doutes sur les "signes encourageants" en termes d'activité entre 2001 et 2004, dont parle la direction pour expliquer qu'elle n'a jamais eu l'intention de fermer délibérément. "Ces signes encourageants demeurent à nos yeux au stade de l'incantation", tranchent les experts.

A partir de ces constatations, le rapport décrit quatre scénarios sur l'enchaînement des événements qui ont pu conduire à la fermeture du grand magasin, pour finalement n'en retenir qu'un seul. "La Samaritaine n'était pas "l'affaire"" qu'il (le groupe LVMH) avait pensée", lit-on. Mais "fermer n'étant pas envisageable" pour une question "d'image", "il faut donc être contraint de fermer". C'est là où le rapport est le plus sévère : "Il apparaît de manière évidente que la direction de la Samaritaine utilise de manière abusive le principe de précaution. Elle recourt à une argumentation catastrophiste afin de justifier une position volontairement dénuée de mesure. Elle explore le champ des possibles et retient le pire des scénarios éventuels comme quasi certain (...) Il s'agit d'affoler suffisamment les salariés et l'opinion publique pour que la décision de fermeture s'impose à elle."

Alors que parmi les salariés on parle d'une "bombe", chez LVMH, on crie au "procès d'intention". "Seule la sécurité des salariés et des clients a conduit la décision de fermer", y martèle-t-on. "Si nous avons déposé un permis de construire dès février 2002, c'est bien que nous avions l'intention d'entamer des travaux et de poursuivre l'activité. Enfin les millions d'euros dépensés pour la relance du magasin prouvent bien que nous n'avons pas joué un pourrissement de la situation", affirme un porte-parole.

Un autre rapport, mené par des architectes indépendants, experts auprès de la cour d'appel de Paris, va dans le sens des salariés en soulignant que la commission de sécurité avait demandé une "mise en sécurité", mais pas une "mise en conformité". Dans ces conditions, un délai de quinze à dix-huit mois aurait été suffisant pour satisfaire à ces exigences, qui n'étaient que consultatives, rappelle le rapport. La direction, qui s'appuie sur deux autres rapports rendus au cours de l'été 2005, avait tranché pour une fermeture de six ans.

Stéphane Lauer LE MONDE | 19.01.06
 

La Samaritaine avait déjà été mise en garde contre le risque d'incendie en 1983
LE MONDE 06.07.05

 
La question de la mise en oeuvre de la rénovation de La Samaritaine n'était toujours pas tranchée, mardi 5 juillet, à l'issue d'une nouvelle réunion du comité d'hygiène et de sécurité (CHSCT). Selon les syndicats, la direction de La Samaritaine a annoncé une "fermeture totale pour une période de douze à dix-huit mois" du magasin, et l'engagement de "travaux de longue durée". Mais le déroulement de ces derniers, par phases ou non, doit être précisé au cours d'un CHSCT extraordinaire, le 15 juillet.

Le groupe LVMH, propriétaire du magasin, a chiffré à 135 millions d'euros le coût des travaux à venir. "Si vous ajoutez ce montant au prix d'achat, à la future casse sociale et aux frais déjà engagés depuis 2001, c'est un véritable bouillon", observe René Roche, du syndicat CGC.

Le PDG de la Samaritaine, Philippe de Beauvoir, avance "un principe de précaution" pour justifier cette fermeture. Mais selon certaines observations relevées par la préfecture de police de Paris, il apparaît que la dangerosité du site pourrait avoir été aggravée par l'entreprise elle-même. Le magasin principal, dont la façade surplombe la Seine, classé aux monuments historiques, serait ainsi devenu en deux ans plus dangereux qu'il n'était.

La fermeture envisagée d'entrepôts, situés notamment à Marne-la-Vallée (Seine-et-Marne), a donné lieu au transfert de stocks dans les sous-sols du magasin parisien. De même, la direction, depuis deux ans, a vidé les étages de l'annexe de la Samaritaine, située rue de Rivoli, pour les transférer dans le magasin principal. Selon le rapport de la commission de sécurité, qui a inspecté les lieux le 17 janvier, "ces aménagements sur des milliers de mètres carrés et sur plusieurs niveaux contribuent à aggraver sérieusement le risque incendie".

"RÉSISTANCE AU FEU"

La direction estime avoir été victime d'avis administratifs à "géométrie variable" , alors qu'elle effectuait de gros efforts financiers pour mettre le bâtiment aux normes. Jusqu'en 2000, les commissions de sécurité se tenaient tous les cinq à six ans, les exigences étaient moindres en matière de risques incendie et le cadre réglementaire était moins contraignant.

L'ancien propriétaire du magasin, Georges Renand, a ainsi pu exploiter la Samaritaine sans rénovation majeure. "Entre 1980 et 2000, je n'ai jamais entendu parler de problèmes liés à la sécurité lors des réunions du CHSCT", assure Mathé Podevin, de la CGT-Commerce de Paris.

Pourtant, le 19 janvier 1983 déjà, la commission de sécurité présidée par le préfet Jean Rigotard souhaitait "le remplacement des planchers de fer et verre par des planchers pleins en maçonnerie, d'un degré de résistance au feu d'au moins une heure, étant entendu que l'isolement entre le plancher haut des réserves et les surfaces de ventes doit être prioritaire avec un degré de résistance au feu de deux heures". Dix-sept ans plus tard, le constat était presque identique : il fallait améliorer "l'isolement et le recoupement des réserves ainsi que la stabilité au feu des structures", disait le rapport d'une commission de sécurité le 15 novembre 2000.

Entre 2001, année du rachat du magasin par LVMH, et 2004, deux commissions de sécurité ont contrôlé les lieux et deux permis de construire ont été déposés. Dans le même temps, des travaux ont été réalisés au sein du magasin sans autorisation préalable, des aménagements importants ont été effectués au premier sous-sol malgré un avis défavorable de la commission de sécurité en 2004.

RUMEUR DE CESSION

La tension monte d'un cran après la visite de la commission de sécurité du 17 janvier 2005. En réponse aux récriminations de la préfecture qui affirme que "les conditions de sécurité se sont dégradées", la direction de la Samaritaine écrit, le 11 avril, que la "situation s'est, au contraire, améliorée".

A ce stade pourtant, l'avis défavorable délivré par la commission de sécurité n'interdit pas l'exploitation du magasin. Depuis 2001, à Paris, des dizaines d'avis défavorables ont été délivrés à des musées ou des hôtels, sans interdire leur exploitation.

Le 9 juin, alors que débute la réunion du CHSCT de la Samaritaine sur la sécurité du site, Marc-Antoine Jamet, l'un des conseillers de Bernard Arnault, patron de LVMH, informe Lyne Cohen-Solal, adjointe du maire Bertrand Delanoë, de la prochaine fermeture du magasin. Le soir même, le PDG de la Samaritaine annonce que les portes fermeront le 15 juin.

La direction a remis discrètement, au début de la semaine du 27 juin, le schéma directeur de sécurité que la préfecture réclamait depuis trois ans. Il confirme la vocation commerciale de la partie historique du magasin de la Samaritaine et entérine la disparition, à terme, du deuxième bâtiment donnant sur la rue de Rivoli.

Les rumeurs de sa transformation en hôtel ou en musée sont écartées. En revanche, l'hypothèse d'une cession par LVMH de ce dossier à problème qu'est la Samaritaine n'est pas exclue. Selon nos informations, en 2004, des contacts ont eu lieu en ce sens avec le promoteur Unibail, qui n'ont pas abouti.

Jacques Follorou

Samaritaine: la direction confirme la fermeture du magasin parisien
le  15.06.05

La direction de la Samaritaine a confirmé mercredi après-midi dans un communiqué la fermeture conservatoire mercredi soir du grand magasin parisien "pour des raisons de sécurité", exprimant sa volonté d'offrir à chaque salarié "une solution et ainsi éviter tout licenciement".
La direction a "annoncé aux salariés la fermeture conservatoire du magasin au public pour des raisons de sécurité et en application du principe de précaution", lors d'un comité central d'entreprise extraordinaire qui s'est tenu dans le magasin mercredi.
"Un nouveau comité d'entreprise sera convoqué d'ici au début du mois de juillet pour débattre" de la façon dont les travaux de mise en conformité doivent être menés, a ajouté le PDG de la Samaritaine, Philippe de Beauvoir, selon le communiqué.
"Tout sera mis en oeuvre, dans toutes les hypothèses, pour offrir à chacun une solution et ainsi éviter tout licenciement", a affirmé le PDG.
Le groupe LVMH, propriétaire de la Samaritaine, avait annoncé jeudi, à la grande surprise des salariés, la fermeture de l'établissement "pour des raisons de sécurité", indiquant qu'il resterait fermé "au moins quinze jours".