Samaritaine, le rayon reclassement est vide

Social 2/5 . Chaque jour l’Humanité revient auprès de ceux qui ont marqué l’actualité. Aujourd’hui la Samaritaine, où seuls 6 % des salariés ont retrouvé un emploi depuis la fermeture.

« Pour moi, 2006 sera l’année soit de la chute, soit du renouveau. » Les mots sont crus et le regard pensif pour cette ancienne salariée du rayon mode homme de la Samaritaine. Une fois la colère et les mobilisations passées, reste « la peur du vide professionnel et de l’abandon social », explique Patricia, quarantenaire. Après plus de six mois, elle n’a pas retrouvé d’emploi stable. « Ce n’est pas maintenant que je vais changer de voie, je ne sais pas faire autre chose que vendeuse, ça me plaît et c’est là-dedans que j’aimerais terminer ma carrière », continue-t-elle. Au mois d’octobre, Patricia avait réussi à faire un mois d’essai dans une petite boutique des Halles, dans le premier arrondissement parisien. « Classé sans suite », ironise-t-elle. on nous a dit « Ça va fermer dans une semaine »

Comme elle, la quasi-totalité des 734 salariés du grand magasin en face du Pont-Neuf se réfugient derrière les promesses de « zéro licenciement » lancées face caméras par le PDG de LVMH, Bernard Arnault, propriétaire de la Samaritaine depuis 2001. Cela fait un peu plus de six mois maintenant que leur chemin professionnel a bifurqué. « Cette journée du 9 juin restera longtemps dans ma tête », se rappelle Maryse, vendeuse « dans la maison » depuis 1983. « Les syndicats nous ont dit, dépités, "ça va fermer dans une semaine", et le silence s’est propagé en quelques secondes à tous les étages. » Le 15 juin dernier, le directeur du magasin parisien, Philippe de Beauvoir, décidait de fermer « au moins quinze jours à titre conservatoire » le célèbre magasin centenaire, afin « de réaliser en urgence des travaux de sécurité ». Depuis, la Samaritaine n’a pas rouvert et les rideaux de fer sont toujours tirés sans qu’aucune rénovation n’ait véritablement été entamée. Un peu plus de 1 500 personnes travaillaient quotidiennement dans le magasin, dont la moitié avaient des contrats de démonstrateurs et des concessionnaires avec des marques de vêtements ou de parfums de luxe. Or si le groupe LVMH s’est engagé à « trouver une solution de reclassement » pour tous les salariés directs, rien n’a été prévu pour les démonstrateurs et les concessionnaires. Résultat aujourd’hui, c’est comme s’ils n’avaient jamais existé.

Par ailleurs, sur les 734 employés maison », seuls 46 ont trouvé fin décembre des solutions provisoires. « Il y a trente personnes qui se sont fait embaucher au Bon Marché, douze dans d’autres enseignes du groupe LVMH et quatorze ont pris des congés sans solde pour effectuer des formations ou des périodes d’essai », précise Monique Daniel, secrétaire CFTC au comité d’entreprise. À la mi-septembre, alors que « les mesures d’accompagnement social » impulsées par le ministre du Travail piétinaient, le groupe LVMH avouait avoir réalisé au premier semestre 2005 559 millions d’euros de chiffre d’affaires. Selon Annick Manceau, de la CGT, « pour calmer le jeu, la direction nous avait alors proposé une première liste de 200 propositions de reclassement dans les enseignes du groupe, mais entre les postes à temps partiel et les profils qui nécessitent de parler chinois ou coréen, rien n’est vraiment viable ». Pour l’instant, un accord signé par la majorité du CE a mis en place un point information-conseil afin d’aider aux reclassements. La direction de la Samaritaine s’est donné jusqu’au 31 octobre 2006 pour mener à bien ses engagements.

Début février 2006 devrait s’ouvrir le plan de sauvegarde pour l’emploi (PSE). « Ce sera vraiment le compte à rebours pour retrouver du boulot, continue Monique Daniel. En l’état actuel des choses, il me paraît impossible que tout le monde parvienne à se reclasser... » Et après le 31 octobre 2006, il n’est pas impossible que des licenciements secs surviennent, même si la direction dément formellement ce type de dénouement aujourd’hui. Selon une enquête CSA réalisée en décembre et intitulée « Perceptions et attentes des salariés de la Samaritaine à l’égard du PSE », 38 % souhaiteraient davantage d’informations sur l’évolution des négociations et 32 % sur « ce que l’on va devenir ». Signe du désarroi de 1 500 personnes qui, en moins d’une semaine, au mois de juin 2005, ont vu leurs projets chamboulés, voire anéantis. Selon ce même sondage, trois salariés sur quatre « souhaiteraient qu’en cas de réouverture du magasin toutes les personnes volontaires puissent réintégrer la Samaritaine ». Mais, alors qu’elle en faisait son postulat en juillet, la direction de LVMH s’est réfugiée dans un mutisme inquiétant quant à la réouverture après la remise aux normes de sécurité de la Samaritaine.

Christelle Chabaud