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l'article (non signé)

Stationnés rue de Rivoli, six énormes chars subissent l'assaut pacifique d'une foule de curieux attirés par l'aspect redoutable, presque invulnérable, des mastodontes d'acier. Leurs équipages -des gars de la division Leclerc- portent sur leurs visages bronzés sous le soleil d'Afrique les traces de plusieurs semaines de combats et d'insomnies. Tous les chars portent inscrits sur leurs flancs des noms glorieux, des noms de victoires : Caen, Bayeux, Lisieux, Tripoli ...(1)

-Tripoli ! murmure pensivement mon voisin, un ancien combattant de 1914-1918 qui semble difficilement réaliser la distance parcourue par l'énorme machine couleur terre cuite ...

-Surtout, suggère quelqu'un, qu'avant de débarquer en France il a fait un tour en Angleterre.

Un chuchotement qui se précise fait tourner toutes les têtes : "c'est une femme là-bas, sur le dernier char, je vous dis que c'est une femme !". Assise près du canon, habillée de kaki, le calot posé sur des cheveux bruns coupés courts, une jeune femme, une jeune fille plutôt, aux yeux clairs et rieurs, serre les mains qui se tendent, répond à mille questions et distribue du chocolat.

(1) le Caen, le Bayeux et le Lisieux appartiennent au 2° escadron du 12° Régiment de Cuir. Le maréchal des logis Ollero (3° peloton), chef du char Bayeux, sera tué le 21 novembre 1944 à Lixheim; le maréchal des logis Bidault (1° peloton) commande le Caen depuis le 1° septembre; le maréchal des logis Larrecq (1° peloton) commande le char Lisieux qui sera détruit le 14 avril 1945 au cours des combats de la Poche de Royan; c'est ce char qui est photographié dans la cour de l'Ecole Militaire (voir Mystère à l'Ecole Militaire). Quant au GMC Tripoli, il est commandé par le maréchal des logis Tessedre de la 1° batterie du 22° FTA, affecté au ravitaillement en essence et en munitions.

toutes ces précisions sont tirées de l'album mémorial d'Alain Eymard : 2° DB aux Editions Heimdal

Voici la tragique et magnifique histoire de cette jeune française de 20 ans, engagée volontaire dans les chars et citée à l'Ordre du Tchad par le général Leclerc.

Marie-Paule Pain est originaire de Grenoble, où elle est née en février 1924. A 53 ans, son père, Jean-Paul Pain, fonde le premier groupe de résistance de Savoie et d'Isère, les deux départements qui furent à l'avant garde de la Résistance et donnèrent l'exemple à la France entière. Le 26 novembre 1943, il est arrêté au café Saint André et emmené en voiture. Son corps affreusement mutilé est retrouvé le lendemain à Voreppe, à 17 kilomètres de Grenoble. Il avait les jambes retournées, les bras brisés, les ongles arrachés, un poumon éclaté, un oeil crevé et dix-neuf balles dans le corps. Une fiche était épinglée à ses vêtements : "cet homme paie de sa vie la vie d'un national. A bas Giraud, à bas de Gaulle ! Organisation antiterroriste régionale"

Telle est l'image que Marie-Paule conserve de son courageux papa assassiné par des français à la solde de la Gestapo. (2)

(2) Jean-Paul Pain, né le 11 octobre 1891 à Paris sera médaillé de la Résistance à titre posthume le 3 janvier 1946 (Journal Officiel du 13 janvier 1946). Dans Témoignages sur le Vercors, de J. la Picirella, on peut lire que Jean-Paul Pain, journaliste, fut arrêté vers 18h00 au café du Tribunal, rendez-vous habituel des reporters de Grenoble, et poussé brutalement dans une voiture. Il sera abattu dans la nuit, à 3h40 au hameau du Chevalon près de Voreppe. Ce jour-là l'Organisation antiterroriste régionale procéda à quatre autres arrestations et exécutions sommaires.

 

(3) Pas de trace de ce char "Le 7 mai 1943 L 90" dans l'ouvrage d'Alain Eymard. Les véhicules de la 2° division blindé sont marqués de la façon suivante : une lettre pour l'unité d'appartenance, un numéro d'immatriculation, l'écusson de la division, un nom de baptême et un numéro d'ordre. Exemple : |C| 420427 Vexin n°8 ... où le |C| représente le 12° Régiment de Chasseurs d'Afrique, 420427 est le numéro d'immatriculation, Vexin le nom de baptême et 8 le numéro d'ordre au 2° peloton du 1° escadron de combat. Seul le nom de baptême est laissé à la discrétion de l'équipage en accord avec le chef d'unité. Des noms de villes, de départements, de faits d'armes puis au fur et à mesure de la campagne de Libération les noms des soldats tués seront apposés sur les flancs des véhicules.

Le 7 mai 1943 L 90 :  la lettre L prise dans un cercle est la marque du Groupement tactique L du colonel Langlade, mais le 12° Cuir est rattaché au Groupement tactique D du colonel Dio. Le numéro 90 paraît bien élevé, au 12° Cuir on compte du numéro 1, le Metz, au numéro 68 le Baccarat. Pour ce qui concerne le nom de baptême "le 7 mai 1943" que l'on imagine être un fait d'armes, on peut trouver, dans L'Odyssée de la colonne Leclerc de Didier Corbonnois en collaboration avec Alain Godec, que le 7 mai 1943 la Force L de Leclerc est arrêtée par la résistance allemande devant Zaghouan tandis que les britanniques (11th Hussars) entrent dans Tunis à 15h40. Mais le 12° Cuir ne sera reconstitué que le 7 septembre 1943 sous les ordres du colonel Warabiot.

 

(4) Marie-Paule Pain doit faire allusion à l'équipage du char Quimper du 3° peloton, détruit le 25 août aux abords du Ministère des Affaires Etrangères. Sous les ordres du sous-lieutenant Bureau, chef du 2° peloton descendu, pour la circonstance,de son char Saint-Cyr, le maréchal des logis Martinez engage son Quimper devant l'entrée Ouest du Ministère, face à la gare des Invalides. Une rafale de mitrailleuse tue Bureau, un coup au but détruit le Quimper : Martinez est blessé, 3 membres de l'équipage périssent à l'intérieur de la carcasse.

Si je possède la liste intégrale des soldats du 12° Cuir morts dans les rangs de la 2° DB, je n'ai pas encore pu reconstituer cet équipage.

 

Mais un deuxième meurtre, plus affreux que le premier, la prive de sa mère, Jacqueline Pain, qui est enlevée et que l'on retrouve transpercée de trois rafales de mitraillette. La jeune fille est elle-même emprisonnée à Grenoble où elle endure la faim et la soif pendant dix-sept jours sans jamais se laisser aller à parler au cours des interrogatoires qu'on lui fait subir.

-Je n'avais qu'un désir, qu'une pensée, me dit-elle, vivre pour les venger.

Deux mois plus tard, Marie-Paule s'évade, se réfugie à Paris chez des amis où elle reprend des forces pour poursuivre la lutte qu'elle s'est imposée. Ses camarades d'Isère et de Savoie l'ont initiée au maniement des armes. Elle sait se servir d'un revolver, d'un fusil, d'une mitraillette, d'une mitrailleuse. Autant d'atouts qui vont la servir. Le débarquement du 6 juin est une journée d'espérance pour la jeune fille qui part au-devant des troupes alliées et participe avec la Croix Rouge, à l'évacuation des blessés et des réfugiés. Elle se dévoue simplement, entièrement, en attendant l'heure d'agir, de combattre. Elle dort une heure et quart en sept jours d'un écrasant mais réconfortant labeur, car beaucoup de vies humaines ont pu être secourues à temps et arrachées à la mort.

De retour à Paris, Marie-Paule apprend que la division Leclerc marche sur la capitale. Son choix est fait. Elle va au-devant des français et se présente au général Leclerc qui l'enrôle comme mitrailleur à bord du char "Le 7 mai 43 L.90" (3)  Le 24 août, la division fait son entrée triomphale à Paris où gronde l'insurrection et achève la bataille d'extermination des nids allemands. Marie-Paule abat trois boches et attaque les blockhaus à la grenade. Boulevard de Courcelles elle réussit avec ses compagnons à détruire un "Tigre" dont l'équipage de SS est fait prisonnier. Elle déplore la mort de trois de ses camarades.(4)

Quelques jours plus tard, Marie-Paule Pain, seule femme volontaire-combattant dans l'Armée française, est citée à l'Ordre du Tchad par le général Leclerc. Sur l'énorme char qui l'emporte vers son destin, Marie-Paule a écrit un mot à la craie  "VENGEANCE"

 

 

 

 

 

 

le Quimper

Si vous avez des renseignements sur ce char Le 7 mai 1943 L90, sur l'équipage du Quimper ou bien encore sur Marie-Paule Pain, n'hésitez pas à me contacter . La citation de Marie-Paule à l'Ordre du Tchad doit être considérée comme une envolée lyrique du journaliste, les citations étant attribuées selon un protocole très strict (à l'ordre du Régiment, de la Brigade, de la Division, du Corps d'armée ou de l'Armée) suivant les mérites du récipiendaire et l'importance de son fait d'armes.
 

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