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Huit jours à la PP (19-26 août 1944)

Journal de bord des assistantes sociales de la Préfecture de Police pendant l'insurrection

(les illustrations proviennent de ma collection d'ouvrages sur la Libération de Paris)

 

Samedi 19 août

10h00 : Arrivée à la Cité. Nous nous croyons mal éveillées. Le drapeau tricolore flotte, splendide et magnifique, au dessus de la Préfecture. Sur le parvis, spectacle fort émouvant : nos trois couleurs sont hissées lentement sur l'Hôtel Dieu et Notre Dame. Impossible d'écrire là-dessus. La foule unie et vibrante hurle la Marseillaise ... Vive la France !

 

 

10h30 : Nous sommes toujours dans la rue, n'arrivant pas à rentrer dans notre PP prise par la Résistance. Il nous manque un brassard tricolore FFI ou CRP. Pour fêter la levée du drapeau et passer le temps, les quelques représentants du Service social PP, qui se trouvent là, vont prendre l'apéritif dans un café du boulevard du Palais. C'est la détente après l'émouvante manifestation patriotique de tout à l'heure.

 

11h00 : Un drame dans une cabine téléphonique (toujours dans le café en question). Morel entre en lutte avec un type qui voulait "piquer" le téléphone. Jadas pendue au bout du fil, la respiration coupée, essaie de joindre Mlle Carlier-Besnar qui, de l'autre côté du dit bout, s'affole maternellement. Ca pourrait presque chanter sur l'air de 'Tout va très bien ..."

 

 

Ecoutez un peu :

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Allo, Jadas, que se passe-t-il ?

Que se passe-t-il au bout du fil ?

Mais ... rien ... Madame ... Tout va très bien

Sauf que Morel est dans l'pétrin

Avec un "mec" et une matraque

Et vous pensez ... combien ... j'ai l'trac

Ils sont sur le point de s'foutre des claques

Faut-il prendre ses cliques et ses claques ?

Mais à part ça tout va très bien Madame

Tout va très bien, tout va très bien.

 

Pour finir Mlle Carlier-Besnar nous donne rendez-vous à 15h00 devant Notre Dame. Mais nous faisons une dernière tentative désespérée pour entrer à la PP. Victoire ! Elle réussit. Dans la cour, spectacle un peu ahurissant : un chef de bureau plutôt ... connu, déculotté est hué par une foule de gardiens et FFI ... certains lui crachent à la figure ... Nous voyons une foule de jeunes gars venus nous ne savons pas comment; peu de gardiens connus ... Arrivée d'un type torse nu ... tatouages au bras gauche; il deviendra la mascotte du Service Social (et le béguin de ...)

 

  12h30 : Déjeuner d'inauguration "entre nous" dans l'ex-salle du "Goûter des mères", à la crèche. Repas spécial à base de farines, lait condensé, flocons d'orge ... bouillies et re-bouillies sucrées et sans grumeaux !

 

13h00 : A l'intérieur de la "forteresse" on s'organise hâtivement : sous terre (postes de secours-abris), sur les toits (les tireurs) et entre les deux (quatre bons étages sans ascenseur) vivent une foule d'hommes (4000 environ) plus ou moins débraillés et une poignée de femmes.

La PP a des allures de Conciergerie sous la Terreur. Certains gars ont vraiment des drôles de têtes et portent des armes impressionnantes.

Un peu de pagaille et flottement, puis chacun s'y met vraiment et nos tâches se précisent peu à peu : prise d'assaut du poste de secours par l'avant-garde Katt, Arnal etc ... Repliement des autres qui s'envolent vers des besognes plus aérées au "café auberge du Père Lucas" (ex-crèche de la PP) qui verra défiler, jour et nuit, bon nombre de nourrissons un peu spéciaux. Ils laissent des mégots et piquent le matériel.

 

 

14h00 : Coups de feu ... Les premiers blessés arrivent au poste de secours organisé dans les abris très bien conditionnés. Peu de matériel de pansement. Nous pensons avec effroi que nous n'avons pas de blouses de rechange. Au bout de peu de temps elles sont déjà tachées de sang. Les brancards de l'Hôtel Dieu viennent chercher les blessés à opérer d'urgence. Transfert périlleux car les balles pleuvent. Arrivée des premiers blessés allemands.

16h00 : Distribution de boissons chaudes aux hommes qui n'ont rien mangé depuis la veille. Coups de feu ... Le combat augmente d'intensité. Les Allemands envoient leurs grosses pièces. Une de nos salles s'éboule : carreaux brisés, portes arrachées. Les hommes ont peu de fusils, pas beaucoup de munitions. On leur dit "Tenez jusqu'à 21h00, ce soir ... les Américains viennent cette nuit ..." (Air connu !)

 

17h30 : Bouttier, Jadas et Morel partent en mission au 4ème étage de la citadelle. Elle gravissent les marches de pierre pour la énième fois depuis le début du siège. Quatre ou cinq gars en position de tir leur crient : "Allez-y ! Pas de casse mais faites vite !" Elles passent bravement. Or juste à ce moment détonations ... pétarade ... D'un commun accord le trio dévale les marches. Morel se retrouve à quatre pattes, Bouttier s'enfonce dans une colonne de marbre, Jadas tire Morel qui rentre dans son sein sans possibilité d'en sortir ... Une balle éclate à quelques millimètres de l'orteil de Morel ... beuglements de cette dernière ... et dans un souffle : "Tu es blessée ?" ... "Non je ne crois pas !" ... Pétarade incessante. On croit que les Allemands cernent la PP. On tire de tous les côtés à la fois. Quel vacarme !

 

 

 

des véhicules allemands brûlent devant l'hôtel du Petit Pont

 

 

 

 

21h30 : A la nuit tombante, sous la canonnade, on s'organise pour les distributions de bouillie et de café à nos hommes. Les clients affluent sans cesse. Pas de pourboires, ni d'orchestre. Mais la gaieté et le sourire sont de rigueur quand même. Une bonne équipe de plongeuses en met un coup pour la bouillie, le jus et la vaisselle. Le Père Lucas est toujours à la barre. Ah ! Mais ... On fait ce qu'on peut avec les moyens du bord. Le jus se renouvelle sans cesse avec un marc unique. Il semble meilleur à chaque "resuçée" ... Pourvu que ça dure ! Les réserves de farine de la crèche et du Service Social en prennent un rude coup. Quelle saignée, mes amis ! Enfin ! A la grâce de Dieu pour cela, comme pour le reste.

Certaines assistantes passent la nuit au poste de secours. Les blessés arrivent car la mitraillade continue. Des hommes partent en mission, chercher des munitions au dehors, d'autres, blessés, sont amenés.

A l'extérieur le ciel est très éclairé, presque rouge. Le bruit court (il a couru aussi dans tout Paris paraît-il) qu'une partie de la PP brûle. Après vérification, il s'agit de camions allemands et d'un café hôtel au coin de la rue Saint-Jacques et du Quai Saint-Michel. Nuit d'orage ... Pétarades, roulement de tonnerre, bourdonnement des moteurs d'avion puis soudain une paix merveilleuse où chacun essaie de prendre alors un peu de repos.

  Dimanche 20 août

8h00 : Après l'accalmie de la nuit et la trêve demandée par les Allemands hier soir, la canonnade reprend de plus belle ce matin. Les Anglo-Américains ne sont pas encore là. Et le combat continue. Nos "flics" rappliquent en civil.

Coups de feu pendant le petit déjeuner. On nous signale que les Allemands occupent la maison que nous voyons des fenêtres ... Ils tirent sur nous ... en une seconde nous voilà sous la table ! Il faut évacuer les lieux. Des tireurs vont envahir la crèche pour riposter.

 

9h00 : Ces premiers combats nous procurent un butin intéressant. La résistance fait des prisonniers que l'on enferme dans un abri. La menace d'incendie restant perpétuellement suspendue au-dessus de nos têtes (bombardements, grenades), les Allemands périront comme des rats pris dans une souricière. Horreur et absurdité de la guerre. Nous avons des officiers parmi nos prisonniers de la Wehrmacht : un colonel, un commandant, un capitaine. Une ambulance allemande est capturée, le poste de secours augmente son matériel grâce à cette prise. Dans la voiture les gars dénichent aussi des armes, naturellement !

 

les bouteilles d'essence feront des ravages

 

 

 

10h00 : La matinée passe lentement. Comme il y a eu, cette nuit, des cafés en masse à distribuer, l'équipe qui était de service s'est disloquée et dort un peu partout sur les brancards et matelas cirés. Au poste de secours beaucoup de travail dans une atmosphère surchauffée. Toujours le crépitement des fusils et mitrailleuses Place Saint-Michel, le long des quais. Les Allemands passent, bientôt pris dans la rafale de projectiles qui pleuvent sur eux d'un peu partout.

 

11h00 : Nous rencontrons des gars soucieux : "Il faut encore des prises pour améliorer notre stock de munitions, sinon ..."

 

12h30 : La question matérielle s'améliore nettement : des cuisines roulantes de l'armée sont installées dans la cave, sous la passerelle; les camions vont réquisitionner des marchandises, pain, viande, légumes ...

Déjeuner : tout le monde se sent flapi. Au dehors ça tape toujours, bien entendu.

 

 

 

 

14h00 : Le clairon résonne : "Les Allemands reconnaissent avoir été vaincus par le peuple et la police de Paris et demandent une trêve". On danse de joie autour et dans la PP. Les hourrahs crépitent et la Marseillaise éclate un peu partout. Moment d'accalmie où tout le monde vient prendre l'air derrière les sacs de sable garnissant la porte Notre Dame. Arrivée de Legendre sur son vieux clou ...

Le brigadier Martillat sonne la trêve

 

14h30 : Trêve ? Mais çà et là des brancards partent de l'Hôtel Dieu et y reviennent avec leur sanglant fardeau. Pas de trêve pour la souffrance et la mort, hélas ! Détente après ces dures heures. Les prisonniers arrivent par petits paquets et derrière eux, aussi, les camions WH-WL encore tout camouflés de branchages. Ces véhicules sont vite transformés en voitures FFI. Quelle ruée sur ces malheureux camions, chacun veut piller et avoir son trophée. Au milieu de la cour on remplit d'essence des bouteilles. Des FFI photographient quelques prisonniers. Ceux-ci veulent lever les mains en l'air pour poser devant l'objectif : refus des FFI.

 

15h00 : Arrivage de prisonniers; ils ont l'air lamentable et nous font un peu pitié malgré tout. Une armée défaite n'est pas belle à voir. Nous raccrochons à ces images actuelles certains tableaux de juin 40 encore tout frais dans nos mémoires. Dans un camion les FFI viennent de découvrir un drapeau de guerre de la Wehrmacht. Cette prise amène des hourras nourris. Instinctivement nos yeux se portent sur les Allemands prisonniers qui, derrière leurs fenêtres grillagées, contemplent la scène. Nous devinons leur souffrance en pensant à Juin 40 où nous avons connu la même, hélas !, aux quatre coins de la France. Heureusement les FFI se conduisent correctement et le drapeau à croix gammée est remis dans le camion.

 

16h00 : Repos au poste de secours. Il n'y a pas grand chose à faire puisque l'on ne tire plus. Conversation sur l'électrochoc avec un toubib.

Nouvel arrivage de blessés légers. Katt et Arnal s'affairent et refusent toute aide. Elles sont vraiment dans leur élément. Nous quittons le poste de secours pour prendre l'air et voir ce qui se passe là-haut. A l'entrée de l'abri, Andraud, chapeau et gants blancs, assise sur une chaise  attend. A toute heure de la journée on a pu la voir ainsi. Elle a l'air catastrophé. Nous essayons de lui remonter le moral. Elle ne daigne pas nous répondre. Nous la laissons. Hier elle a fait preuve de beaucoup de cran en arrivant dans le service la première. Elle a passé gaillardement la porte Notre Dame sur ses deux jambes mais devint rapidement cul de jatte dès la première détonation.

"Je préfère le bruit des bouchons de champagne" nous a-t-elle dit gravement. Et nous donc !!!

Le FFI semble porter un tatouage sur le bras gauche ...

S'agit-il de la mascotte du Service Social  dont il a été question plus haut ...

Mauser, le flirt de l'assistante sociale Millet ?

 

16h30 : La mitraillade reprend de plus belle. La trêve semble finie. Les hommes un instant désoeuvrés ont repris leur poste aux fenêtres garnies de sac de sable ou de banquettes de bois. Millet brandit son trophée, un magnifique sabre, et nous emmène au dépôt d'armes et munitions "hors d'état" pour que nous glanions aussi quelques "souvenirs". Plus rien de convenable à piquer, décidément. Nous nageons dans un ramassis de revolvers antiques et rouillés, de culasses, cartouches, balles et fourreaux d'épée. Dans la pièce voisine une conduite d'eau vient de crever, une mare naît lentement.

 

 

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