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12h30 : Repas excellent et copieux comme toujours. Grosse canonnade, les murs tremblent. On ne s'entend plus. Laurent, excitée à bloc, veut faire son carton. Elle déclare qu'elle va descendre quelqu'un. Elle veut faire son compte à l' "A.S"qui se trouve sur le mur. Vous savez "L'assistante sociale apporte la joie et la santé aux familles" et recueille l'approbation unanime car cette affiche est moche et ridicule à cent pour cent !

 

 

 

13h30 : Côté boulevard du Palais, les chars allemands "Tigre" attaquent la PP. Tirs impressionnants. Laurent rejoint son FFI sur le toit d'où elle domine la scène très violente. A plat ventre dans une gouttière elle voit partir les volontaires des bouteilles à essence. Ils s'approchent très près du char, vers le tuyau d'échappement. Cette manoeuvre ne réussit pas tout de suite. Un FFI tombe mort ou grièvement blessé; on l'emporte tout de suite tandis que d'autres volontaires se présentent.¨Par la tourelle les Allemands sortent et sont faits prisonniers. Il paraît que parfois ils rôtissent à l'intérieur. Eternelle cruauté de la guerre ! Nous voyons réduire au silence un char ainsi. Les autres abandonnent la partie. Quel soulagement ! Crépitement des mitrailleuses et fusils. Très sérieux combats. Les FFI conseillent à Laurent de quitter le toit

 

14h00 : Essais de téléphone. Mais la canonnade rend cet engin peu pratique et l'automatique n'est pas souvent libre. Lucas part avec Laurent à l'infirmerie de surface pour aller piquer un gros bidon d'essence très lourd à remonter au quatrième étage. Un gars les aide, heureusement. Canonnade sérieuse. 15h00 : Arrivée d'une infirmière belge qui a rendu service dimanche dernier à Pechard et Laurent. Renseignements très intéressants sur les divers nids de résistance allemands et les coins dangereux du quartier. Pouillet l'emmène faire son rapport au Cabinet du Préfet. L'infirmière revient; elle semble harassée. On l'accompagne à la crèche pour qu'elle puisse se laver, manger et boire.

 

 

Un FFI nous dit : "Sacha Guitry est arrêté comme collabo !" C'est le cadet de nos soucis à cette heure.

Laurent se met en chasse pour "toucher" le tabac et avoir des journaux.

 

Mauser, toujours en position de combat, tire et abat un Allemand juché sur un camion. Il se retourne vers Laurent horrifiée et lui dit en souriant :

"L'ai-je bien descendu ?"

16h00 : Delaville nous donne le communiqué suivant :

Communiqué de Mr Périer, 14h00 : L'Armée Leclerc qui est à Arpajon est accompagnée de deux divisions américaines dont les hommes originaires de la Nouvelle Orléans parlent couramment le français. Le défilé a lieu depuis trois heures avec un matériel formidable. Les hommes qui viennent de se battre depuis dix-sept jours sont fatigués et ont les traits extrêmement tirés. Ils continuent à marcher de l'avant avec un enthousiasme indescriptible.

17h00 : Canonnade sérieuse. Mais dans les rues, de toutes les fenêtres, les combattants hurlent la Marseillaise. Hip ! Hip ! Hourra ! et Vive la France ... au fur et à mesure qu'ils apprennent le communiqué.

Incessant va et vient de brancards de l'Hôtel Dieu, avec prêtres, infirmiers, infirmières, médecins vêtus uniformément du casque blanc à croix rouge et d'une blouse blanche. Devant chaque convoi vide ou non, une infirmière agite le fanion de la Croix Rouge. Les brancards roulants disparaissent place Saint André des Arts, rue Saint Jacques, rue Xavier Privas, rue de la Harpe. Ils reviennent lentement avec des corps inanimés français ou allemands. Certains brancards sont recouverts, hélas !

A chaque arrivage notre coeur se serre un peu plus. Et la canonnade ne cesse toujours pas.

 

 

18h00 : Repos. Nous entendons crier tout à coup : "La Samaritaine brûle !" Nous bondissons tout en haut de la PP. Rien d'exact. Quai de Gesvres et place Saint-Michel un char et des camions allemands flambent. 18h30 : Clameurs dans la Cour du 19 août; il paraît qu'on vient de faire prisonnier un général allemand. Péchard téléphone chez elle. Grosse émotion. Ses nerfs tendus lâchent un instant, elle pleure. Arrivée de l'infirmière belge venue apporter un paquet pour Morel (linge, ravitaillement, messages gentils). Morel est très touchée de ces marques d'attention de compagnes de foyer qu'elle connaît peu.

 

20h00 : Répit. Les gars ne tirent presque plus. Ce soir le repas se termine par la mousse au chocolat et des gâteaux. 22h00 : Nous nous quittons à la nuit tombante. En allant dans la chambrée, Laurent rencontre un de ses gardiens (de la Résistance depuis quatre ans) qui semble très fatigué mais heureux ô combien !

"On les attend pour demain" nous dit-il

Espérons-le. Il y a longtemps que nous ne nous posons plus de question à ce sujet. Deux jeunes gars exaltés, armés jusqu'aux dents, nous croisent. Il y a de tout dans cette PP en ce moment. Nous tombons de sommeil et de fatigue ce soir.

 

 

Jeudi 24 août

7h30 : Nuit à peu près calme. Nous sommes arrivées à dormir toute la nuit malgré le va et vient et les bruits de pas. Celles ayant assuré le service de café une partie de la nuit ont eu beaucoup de mal à cause d'une panne d'électricité. Elles ont l'air "claqué" ce matin. Chaleur folle à la crèche. Odeur de tabac et de pieds non lavés.

 

8h00 : Mauser, venu nous rejoindre au réfectoire, met en boîte quelques unes. Delaville est baptisée "la môme girafe", ça lui va bien. Pouillet "la môme biberon" ou "la môme tétine"; ça ne semble pas la réjouir d'avoir l'air aussi ... jeune.

 

9h00 : Service de café aux retardataires. Cohue et chaleur. Arrivages incessants de bols et petites cuillers à laver et essuyer. Quand on pense que Andraud aurait voulu des soucoupes pour chacun !

Pendant une accalmie Laurent descend quelques bols de café chaud sucré aux tireurs postés aux fenêtres des escaliers donnant sur la Seine. Ils ont passé la nuit à leur poste sans couvertures, chemises ouvertes. Ce breuvage chaud est le bienvenu. Laurent hérite de quelques cigarettes pour la peine.

9h45 : Essais de téléphone. Chacun s'enferme dans un bureau, une cabine, au P.C, pour tenter une fois de plus d'avoir l'automatique. C'est très curieux qu'en un pareil moment (préfecture en état de siège) on puisse téléphoner à l'extérieur aussi librement. Au Service social de la PP, on use et abuse largement de cette possibilité. Il y aurait un poème à faire sur les invraisemblables coups de téléphone des unes et des autres.

Morel reçoit un coup de fil d'un inspecteur qui cherche à savoir ce qui se passe à la PP, si ses collègues sont là, s'il y a du danger ... Morel l'accueille fraîchement.

"Mais oui Monsieur, tous ceux qui font leur devoir sont là et V'lan !

 

10h00 : Gasnier et Laurent rangent le poste de secours, transfèrent les brancards de l'interne et de l'AS de service dans le bureau de l'Amiral ... et y découvrent par hasard un stock de pralines, chocolats et gâteaux qui les laissent rêveuses.

Grosse attaque sous la pluie. Un gardien de Gentilly nous raconte qu'il est allé, avec d'autres gardiens, jusqu'aux forts de Montrouge, Bicêtre, chercher des caisses de munitions. Ils les ont ramenées depuis Denfert Rochereau par les souterrains du métro jusqu'à la PP. Longue marche sans lumière, en suivant les rails, avec les caisses très lourdes. Ces gardiens armés tombèrent plusieurs fois en route et arrivèrent  à la Cité morts de fatigue après cette marche exténuante.

11h00 : Les Alliés seraient à Sceaux ce jour, paraît-il. Des gardiens viennent demander farines et lait condensé pour leur bébé; nous jugeons utile d'établir une permanence sociale, comme en temps normal, pour répondre à toutes ces demandes. Nous établissons fiches et donnons satisfaction à tous ceux qui viennent.

 

 

11h30 : Communications longues et animées des A.S; chacune au téléphone interprète à sa manière les évènements intérieurs : "On" a fait des prisonniers !!!

Andraud turbine dur, elle fait la tournée de ses fournisseurs avant l'arrivée de ceux qu'on attend toujours sans savoir où ils se trouvent. Quelle douche écossaise. Régime de bobards, faux bruits, ordres et contre-ordres. Ca use les nerfs et la patience. Tout le monde parle sans savoir. C'est exaspérant à la fin.

Andraud apporte de bonnes bouteilles. C'est une fille précieuse. En voilà une qui se préoccupe de la question boisson. Heureusement que Laurent n'est pas chargée du ravitaillement car nous arroserions le repas avec de l'eau claire, à tous les coups, c'est sûr.

 

12h30 : Déjeuner plutôt excité comme c'est curieux ! "Singe", tomates (encore des tomates, dit l'une d'entre nous), pois cassés, crème au chocolat, pinard et ... vins fins. Le matériel s'améliore nettement grâce au sergent marocain.

Ce dernier donne un paquet de cigarettes "Week-end" pour les Assistantes Sociales. Nous fumons religieusement notre première "Week-end". Décidément, il se passe quelque chose cette fois. La vie est belle.

A l'issue du repas on parle de choses sérieuses. Distribution des rôles : estafettes, chargées du matériel, de la permanence sociale, Croix-Rouge, ravitaillement, ménage, équipes de nuit.

14h00 : Péchard et Laurent inaugurent leur rôle d'estafettes et se rendent à leur P.C, ex-bureau de Mr F. D. Que de marches à gravir en perspective ! On voit flotter, derrière la fontaine Saint-Michel, le drapeau américain.
 

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