Nouvelle adresse : a http://www.liberation-de-paris.gilles-primout.fr/

 

 

Soudain le Bourdon de Notre-Dame. Les cloches dans tout Paris se mettent en branle. Heure inoubliable. Impression de victoire et de libération. Dans le lointain on entend la Marseillaise que retransmet la B.B.C. Ce chant nous met les larmes aux yeux. Et, dans la cour presque déserte, le premier soldat français à l'aube de la fête de Saint-Louis, à deux pas de la Sainte Chapelle, au coeur de Paris, fait son entrée à la PP.

"Soldat Pirlian, 3ème Régiment, 2ème Division blindée".

Cela nous ne l'avons su que le lendemain !

Mlle Carlier-Besnar nous parlera de ces hommes harassés que l'on accueillit, fêta mais auxquels on négligea de donner à boire et à manger.

Ces cloches sonnant la délivrance nous remirent du baume dans le coeur et par elles, nous avons su qu'il se passait quelque chose de grand.

Krikor Pirlian, matricule 6703 chez les Français Libres, chauffeur du capitaine Raymond Dronne commandant la 9ème compagnie du 3ème RMT (voir article)

Krikor Pirlian reprendra sa profession de tailleur, à Nice, après la guerre.

 

23h30 : Montée à la crèche. Nous commençons à laver les bols et à nous occuper de distribuer le jus. Mauser dit qu'il y a déjà des tanks français devant l'Hôtel de Ville. Il vient d'aller caresser nos blindés, le veinard !

 

Le capitaine  Dronne a atteint l'Hôtel de Ville à 21h22, à la tête de son détachement composé de trois sections de sa 9ème compagnie du 3ème RMT,

de la 2ème section de la 2ème compagnie du 501ème RCC et de la 2ème section de la 3ème compagnie de combat du 13ème Bataillon de Génie

(voir détails)

 

0h30 : Quelques-unes vont se reposer au dortoir. Nuit calme. Sauf vers 1h30 où le clairon nous jette hors de nos matelas. Nous rassemblons en hâte nos affaires, prenons une couverture pour descendre à l'abri. C'est peut-être  une attaque aérienne, cette fois ! Mais heureusement, fausse alerte. Ce coup de clairon était destiné à rassembler certains éléments combattants pour repousser des infiltrations ennemies dans le métro. Nous pouvons nous rendormir tranquillement.

 

Vendredi 25 août : Fête de Saint Louis, Roi de France

7h00 : Lever. Nous avons l'impression, fréquente dirait Morel, de n'avoir pas eu notre compte de sommeil. Mais qu'importe !

 

 

8h00 : Petit déjeuner paisible. Il fait un temps radieux. Un gars posté aux fenêtres de la crèche crie soudain : "Les chars français !". Nous courons nous agripper aux grillages des fenêtres et apercevons enfin, nous aussi, le défilé tant attendu et espéré de nos chars. Nous ne pouvons pas nous lasser de cette vision toute neuve de notre cher Paris pavoisé. Cà et là, dans le ciel, de grosses colonnes de fumée noire montent. C'est du côté du Sénat que ça semble le plus sérieux. A Saint Séverin, on hisse les trois couleurs le long du clocher. Un clairon sonne et jette quelques notes bouleversantes.

 

 

8h30 : Dégringolade de toutes les AS mi-lavées, mi-restaurées qui dévalent ventre à terre la cour du 19 août et se ruent porte Notre-Dame devant laquelle passent, en un défilé ininterrompu, les blindés français à la Croix de Lorraine. Nous nous précipitons sur le Parvis lorsque la canonnade, les coups de feu, reprirent de plus belle. Moment de stupeur. La riposte ne tarde pas à venir. Nous regagnons la crèche où les fenêtres sont encore garnies de gens qui ont préféré voir le spectacle avec un peu de recul. Le tir vient, paraît-il, d'une maison derrière le square Saint Julien le Pauvre, de l'Observatoire de la Sorbonne et des tours de Notre-Dame. Nous nous retrouvons en pleine bagarre à nouveau. Les chars tirent tant et plus. Trois coups partent sur l'Observatoire dont nous apercevons le dôme vert de grisé. Les Français visent bien; ils font mouche trois fois de suite. La maison, îlot de résistance de la Milice, 5ème colonne, est en train de brûler. Les pompiers arrivent bientôt suivis des infirmiers de l'Hôtel Dieu, poussant devant eux leurs brancards blancs. Pendant ce temps-là les badauds parisiens font cercle avec une belle insouciance autour des chars immobilisés sur place. Le combat fait rage. Les ponts, les quais, se vident peu à peu puis la paix revient et le convoi motorisé français se remet en marche sous les acclamations.

 

 

9h30 : Nous filons sur le Parvis pour serrer la main des Français. Drôle d'effet de se retrouver dans la rue après six jours de vie à l'intérieur de la PP. Nous sommes en délire comme la foule à laquelle nous nous mêlons; nous hurlons "Vive la France"; enthousiasme fou devant ce défilé de chars baptisés de grand crûs français. 10h00 : A peine revenues dans la cour, nous voyons arriver un "jaune" (*) que l'on vient de surprendre en train de tirer sur les chars français. La foule de FFI houleuse le lynche à demi. Scène pénible dont on est le spectateur involontaire. On se demande à chaque coup si la victime en sortira vivante.

(*) J'ai pu lire à plusieurs reprises que des asiatiques avaient été capturés parmi les tireurs des toits. Etaient-ce des soldats de l'Armée Vlassov ?

 

 

10h15 : Le haut-parleur mugit : "Allo ! Allo ! On demande des volontaires pour nettoyer les tours de Notre-Dame d'où l'on vient de tirer sur les Français".

Nous apprenons plus tard que l'infirmière belge qui nous a rendu divers services, a été arrêtée pour avoir dit : "Ne tirez pas sur Notre-Dame, les Allemands l'ont épargnée".

Une preuve de plus qu'il faut se taire à bloc et garder son sang-froid en toute circonstance.

Pouillet et Laurent partent en mission pour divers services : tabac, vins fins, apéritif. Car c'est un grand jour aujourd'hui. Le ravitaillement de la PP est décidément de mieux en mieux organisé. Nous n'arrivons pas à regretter le mess et ses fayots. A l'apéro, Laurent présente le "bon" pour trois ou quatre bouteilles signé par Mlle Carlier-Besnar. Le responsable lui dit, en fronçant les sourcils :

"Vous êtes plus de quatre AS ?"

"Bien sûr ! Nous sommes vingt-deux !"

"Alors, pas d'hésitation, vous avez droit à vingt-deux bouteilles"

Sans commentaire ! Une preuve de plus qu'on est à la caserne. Remontée au service, suant et soufflant sous notre charge. Nous avons beaucoup de mal à ramener le tout à bon port. Nos précieuses denrées intéressent les gars. Il y a bon nombre d'amateurs le long des couloirs et escaliers.

 

11h00 : Laurent au PC reçoit un bien curieux coup de téléphone. Quelqu'un demande s'il y a moyen d'obtenir des cartes pour voir en priorité le défilé aux Champs Elysées. Laurent croit rêver d'entendre cela. Il y a des gens qui ne se rendent vraiment pas compte de la situation présente. Au bout du fil l'interlocutrice s'anime, s'agite ... veut que Laurent aille chercher Mlle Carlier-Besnar, désirant absolument être présentée personnellement au général de Gaulle tantôt. A première vue, on croirait que c'est une échappée de Charenton qui téléphone ainsi. N'est-ce pas ? Encore une qui a la folie des grandeurs. Enfin, passons ! Elle nous fait penser à (censuré) à laquelle elle ressemble comme une soeur.

 

11h30 : Petit stage aux fenêtres de la crèche pour voir l'incessant défilé des chars recouverts presque tous d'étoffe rose et jaune (signe phosphorescent la nuit pour l'aviation alliée).

Nous découvrons de nouveaux drapeaux sur Saint Etienne du Mont, Polytechnique (enfin !) et la Tour Eiffel. Grande joie.

De l'autre côté du quai, paisiblement, une queue de gens attend l'ouverture d'une boutique d'alimentation. Tous les habitants de la Cité semblent dans la rue. Quelle foule endimanchée et tricolore partout. De temps en temps on entend des coups de feu, crépitements. La PP arbore les drapeaux français et alliés.

Une jeune fille en costume alsacien passe, nous chantons à tue tête : "Fiers enfants de la Lorraine"

Des avions passent lentement au-dessus de la Cité.

En rejoignant le PC nous apercevons l'ex-préfet de police gardé à vue dans ses appartements. Il nous salue.

Des chasseurs défilent en escadrille dans le ciel bleu azur.

Raymond Dronne, dans ses "Carnets de retour" précise que Jeanne Borchert était strasbourgeoise. On la voit ici saluant l'équipage du sherman Champaubert de la 2ème compagnie du 501ème RCC.

Cet équipage sera décimé le 2 octobre 1944 à Anglemont : Renou, Norcy, Jouhet et Thomas seront tués; seul le chef de char Triolet en réchappera.

 

 

suite