Nouvelle adresse : a http://www.liberation-de-paris.gilles-primout.fr/

 

 

 

Dimanche 20 août 1944 : Arrivé à 7h00

7h40 : Téléphone pour prendre un blessé, 93 rue de Rome. Nous passons sur le boulevard des Batignolles. Devant la Croix-Rouge, cela tire sur la gauche. Une blessée aux yeux au 4ème étage. La conduisons à H.E.C, poste de secours rue de Tocqueville. On nous relève et on la descend au sas. Nous attendons que les premiers soins soient donnés pour reprendre le brancard. On va évacuer la blessée à l'hôpital Bichat. Il est 8h40. Sommes de retour au comité à 9h00.

9h55 : Quelques détonations, peut-être aux Batignolles où les Allemands ont installé des barricades. Rien de spécial. Quelques coups de feu.

12h30 : La bagarre reprend au carrefour Batignolles. Cela fait Drummm.

13h30 : Une mitrailleuse fait rage. Cela tape dur mais pas plus d'une minute.

13h35 : J'apprends que, depuis quelques temps, les FFI se sont emparés d'un char Tigre.

 

                             

Un char a bien été pris sur les Allemands par les FFI, mais il s'agit d'un Somua de fabrication française. Il est immédiatement marqué aux couleurs de la Résistance. Sur la photo de gauche nous reconnaissons, en chemise claire et accroché à la tourelle, Georges Dukson, le "Lion du 17ème". Lire l'épisode.

13h40 : Encore quelques coups de feu dont un assez près. En effet, il y a un camion citerne que les Allemands veulent emmener pour eux mais on leur tire dessus de la poste centrale de la rue de Berne et ils ne peuvent pas l'emmener.

14h50 : Grosse détonation.

15h00 : L'armistice est signé entre les FFI et les Allemands.

16h50 : Sommes place Villiers. Un camion plein d'Allemands en armes, qui ne veulent pas se laisser désarmer. Les FFI, munis d'une Citroën, armés de fusils et de mitraillettes, veulent tourner le camion. Le camion part, poussé par quelques Allemands, et enfin par son moteur. Il s'engage dans l'avenue de Villiers, suivi par une foule toujours plus intense qui hurle et qui trépigne. Les FFI lui font signe de se taire et nous demandent de les aider à la contenir; chose difficile, mais nous y arrivons. Les FFI ayant enfin fait comprendre aux Allemands qu'il fallait se rendre, ceux-ci comprennent et crient avec allégresse : "Fertig". Les FFI se tassent dans le camion; un de leurs chefs monte sur une auto, fait un speech à la foule et le camion part vers la mairie du 17ème. Nous décidons d'y aller.

17h30 : Feller, Lagneau, Leroux, Pecquet, Touche, nous partons à la mairie du 17ème.

17h40 : Arrivés tout près de la mairie, une foule énorme hurle de joie. Des drapeaux français, anglais. Des FFI font le service d'ordre; nous retrouvons Jacques Robert, qui entre dans la mairie et qui en ressort quelques instants après, deux grenades passées au ceinturon. Il nous crie d'aller en chercher. Nous entrons. J'étais un peu excité. Pour peu, s'il y en avait eu, j'en aurais pris. Heureusement ils n'avaient plus d'armes.

18h00 : Quelle rumeur ! Quel va-et-vient ! Quels hurlements ! Exclamations !

18h10 : La grande porte s'ouvre. Qui va entrer ? Je me le demande. Oh ! Ca alors ! C'est une femme conduite par deux FFI, la tête complètement rasée et une croix gammée noire sur le haut de la tête; une chemise blanche avec une croix gammée devant et derrière. Dans la rue plusieurs camions allemands gisent sur le bord du trottoir, calcinés, et les gens sautent dessus et crient.

18h30 : Un homme vient dire : Mon concierge est collaborateur, venez l'arrêter. Réponse : Trois hommes pour aller arrêter le concierge du tant de la rue X .. Cette atmosphère me dégoûte; c'est celle de la basse vengeance. Feller, Pecquet s'en vont. Je reste avec Lagneau.

18h55 : Je m'en vais, moi aussi, en emportant un carburateur que j'ai trouvé là.

19h15 : Suis au comité.

19h17 : Deux FFI, en moto, viennent au coin de la rue de la Bienfaisance et de la rue de Vienne pour arrêter un collaborateur. Ils l'emmènent sur la moto; un des FFI est armé d'une mitraillette.

20h30 : Je rentre.

22h00 : Une immense colonne de fumée monte dans l'ouest, accompagnée de nombreuses explosions qui illuminent le ciel. Cela dure jusqu'à 23h55.

Au cours de mes recherches, j'ai relevé dans le quartier ce jour-là :

Gérard Kast : âgé de 17ans, mesurant 1m60, cheveux bruns coupés en brosse, vêtu d'un pantalon de ski, d'une chemise de couleur bleue et d'une canadienne beige, disparaît dans le secteur Batignolles/Clichy. Son père, fabricant joaillier, domicilié 8 rue Tronchet dans le 8ème, fera paraître un avis de recherches dans la presse le 17 septembre 1944.

Robert Desmonnet : 32 ans, FFI mortellement blessé devant l'école d'institutrices, 10 rue de Boursault. Il est transporté à l'hôpital Bichat.

Roger Salomez : 40 ans, FFI mortellement blessé 77 rue des Dames. Il est transporté à l'hôpital Bichat.

Simone Collet, épouse Jaffray : 28 ans, domiciliée rue Lamarck dans le 18ème, agent de liaison de l'état-major FTP, mortellement blessée 18 rue Jacquemont. Elle est transportée à l'hôpital Bichat.

Maurice Decrocq : 61 ans, tué 9, rue de Turin.

           

 

Jean-Claude Touche n'a rien écrit à la date du lundi 21 août

J'ai relevé dans le quartier ce jour-là :

André Calmel : équipier de premiers secours du 17ème secteur de la Défense passive, tué 53, rue des Dames

                                                 

Mardi 22 août : Arrivée au comité à 8h30

10h00 : Un convoi de dix camions allemands descend la rue du Rocher. Attention ! Non, pas de casse.

11h35 : Partons annexe mairie. Rien de spécial.

13h00 : La rue est barrée en bas de chez nous au pont des Batignolles, rue Boursault, à Chaptal, rue de Rome. La mitrailleuse donne très violemment. On entend même fortement les grosses détonations du canon, probablement celui d'un tank ou d'un auto-canon.

13h15 : Cela barde toujours.

16h30 : Quelques détonations. Les gens se cachent dans la rue. Jusqu'à 20h30 rien.

20h30 : Je rentre chez moi.

21h00 : On entend le canon, ou celui du front, ou celui de la Cité. Car l'Hôtel de Ville et la Préfecture de la Seine, tous deux occupés par les FFI, sont très violemment attaqués (il faut comprendre la Préfecture de Police). Grosse bagarre rue de Rome, rue de Constantinople, rue du Rocher, au pistolet, au fusil, à la mitraillette. Cela tape dur. Une personne est blessée à son balcon. Mr Rossigneux me dit que c'est une bataille de chars que l'on entend au loin. La bagarre est finie. On a vu nettement une balle traçante passer devant chez nous. Les gros coups sourds de canon se sont rapprochés. Chaque fois qu'ils tirent, les fenêtres et les portes tremblent. On me dit que c'est du côté de la porte de Saint Cloud.

22h00 : Plus rien.

22h03 : Les détonations reprennent, nous pensons que ce sont les forces américaines qui viennent à la rescousse des FFI.

22h20 : Grosse détonation sourde, suivie d'un roulement.

23h00 : Bagarre rue d'Edimbourg jusqu'à 23h20.

 

J'ai relevé dans le quartier ce jour-là :

Pierre Radigue : 72 ans, tué 8, rue de Petrograd

 

Mercredi 23 août : Grosses détonations intermittentes à 3h00 du matin. C'est comme un roulement, comme des chapelets de bombes, mais il n'y a aucun avion. C'est tellement violent que toutes les vitres du quartier tremblent, ainsi que la maison et les portes intérieures. On voit également de grandes lueurs entre l'Opéra et Saint Sulpice, au loin.

7h15 : Bagarre dans la rue de Rome jusqu'à 7h25.

8h00 : On entend assez fortement le canon

8h45 : Le canon tonne très violemment, les vitres tremblent encore assez fort.

9h00 : Nous partons en tournée; c'est le Grand Palais qui a été attaqué au tank; nous y arrivons. Cela tire toujours. Gare !

10h00 : Le Grand Palais flambe; il y a des FFI dedans. Tout brûle et les Allemands ne veulent laisser personne sortir. Vingt-deux FFI se rendent; de nombreuses personnes restent encore dans le Grand Palais et c'est un énorme brasier. Les Allemands arrivent. Nous sortons. Ils nous tirent dedans et nous manquent.

11h30 : Le Grand Palais flambe dur. Quelques blessés restent dedans. On ne pourra les sortir que quand les autres se seront rendus. Nous repartons au comité. Tout autour du Grand Palais cela se bagarre dur. Place de la Concorde, avenue des Champs Elysées, sur les quais, près du boulevard Saint Germain, au pont de la Concorde. Je ne crois pas que la verrière tombe mais tout l'intérieur de l'aile droite est complètement en flammes. Des flammes immenses montent dans l'intérieur et traversent par endroits la verrière. On entend les rugissements des fauves qui se mêlent aux ronflements des flammes. On craint que quelques FFI ne soient morts dedans. Peu après, de longues flammes sortent par la voûte centrale. Quel incendie. On entend des explosions à l'intérieur. Des munitions sans doute.

lire l'épisode de l'attaque du Grand Palais

13h20 : Le tank, qui stationnait ce matin place Villiers pendant la bagarre, est attaqué par les FFI rue de Rome. Il s'énerve et tire, ce qui fait un de ces pétards ! Je crois qu'il va esquinter quelques maisons. Nos vitres vont certainement descendre car il tire avec toutes ses mitrailleuses et son canon. Le tank est devant Chaptal et tire en direction de la rue Boursault. Le tank se tourne un peu vers le garage Citroën. Il y en a un deuxième derrière lui. Ils tirent tous les deux avec toutes leurs mitrailleuses, sans arrêt. Pour un peu ils tireraient dans la rue de Rome.

13h40 : Le char s'en va; s'installe place Villiers, juste dans le prolongement de la rue de Constantinople. On tire en bas de chez nous. S'il s'en aperçoit, il va venir sur nous et alors je ne donne pas cher de nos murs.

13h40 : Le char s'en va; s'installe boulevard Malesherbes. Des grenadiers allemands le suivent à pas de loup. On n'entend plus rien.

14h30 : On entend fortement le canon du front.

15h15 : La bataille reprend boulevard des Batignolles. Il y a maintenant trois tanks : un qui prend la rue de Constantinople en enfilade, le second et le troisième prennent la rue de Rome et le boulevard des Batignolles en enfilade.

15h16 : Un obus arrive en plein milieu de la rue de Constantinople.

15h21 : Un obus éclate boulevard des Batignolles, au coin de la rue Chaptal. Quelle fumée ! Vingt-deux Allemands ont été tués. Pour les FFI, je ne sais pas. Nous, nous avons ramassé deux personnes, rue de la Bienfaisance, blessées légèrement.

15h24 : On entend toujours le canon au loin.

15h25 : Les tanks se taisent.

15h25 : Le Grand Palais, dit-on brûle toujours.

15h30 : Les tanks (deux tanks) sont toujours place Villiers, leurs canons tournés vers la rue de Constantinople. S'ils tirent nous sommes fichus.

15h35 : Le tank tire un coup de canon sur sa droite. Il est toujours là.

15h50 : De grosses formations d'avions nous survolent. D.C.A. très violente. Il en reste donc encore ?

16h00 : Les tanks tirent toujours très violemment de la place Villiers sur le boulevard des Batignolles et la rue Boursault. Quel pétard.

17h00 : Très, très violente D.C.A. Formidables détonations et la bataille des Batignolles continue. Quel pétard ! On se croirait au front. Les avions ronronnent, les mitrailleuses donnent, le canon tonne.

 

1 : la pharmacie Bailly devant laquelle a été tué le jeune Jean Perrin 2 : le domicile de Jean-Claude Touche 54, rue de Constantinople
3 : le collège Chaptal 4 : la Mairie du 17ème
5 : l'école d'institutrices devant laquelle a été tué Robert Desmonnet 6 : le poste de secours de la rue de Naples
7 : emplacement des tanks allemands 8 : rue des Dames où a été tué Roger Salomez
9 : rue Jacquemont où a été tuée Simone Jaffray 10 : rue de Turin où a été tué Maurice Decrocq

 

17h14 : Coup de canon de tank qui fait un bruit formidable. Encore les mitrailleuses. Le tank n'est plus place de Villiers mais il tape toujours dur. On voit des gens qui se faufilent sur les toits. Malgré cela, on entend toujours le canon au loin. Certainement celui du front.

17h15 : Une rafale de mitraillette éclate tout à coup juste en bas de chez nous. Tout à l'heure, nous allons recevoir un coup de quelque chose dans la maison.

17h36 : Le char tire toujours quelques coups; on se bat dans la rue à la mitraillette.

18h00 : Une voiture gît au milieu de la rue de Constantinople. Un incendie s'est déclaré boulevard des Batignolles. On emmène un blessé rue de Naples. Des C.R.F. que je ne connais pas. (C.R.F. = Croix-Rouge française)

19h35 : Tout est calme. Je fais une ronde dans le quartier. La place Villiers, côté Batignolles, est très touchée. A peu près toutes les vitres sont descendues. Un trou d'obus sur la chaussée qui est jonchée de morceaux de corniches ou de plâtras. Devant le magasin Uni Monceau, trois camions allemands gisent, brûlés, sur la chaussée. Un flambe encore. Les pompiers essaient de l'éteindre. C'était l'incendie de tout à l'heure. Un autre camion gît, vide et pneus crevés dans la rue Larribe. Un autre est les quatre fers en l'air, au beau milieu de la rue de Constantinople. Le boulevard des Batignolles est comme dévasté par un ouragan.

19h40 : On entend, en roulement continu, le canon dans le lointain et, du côté de Villiers, les détonations des tanks.

20h00 : Du côté de l'Opéra, assez loin, une grosse et lourde colonne de fumée. Sans doute des réservoirs d'essence. Un artificier, que Mr Rossigneux a vu, lui a dit que l'explosion de cette nuit est, non pas due au canon, mais à l'explosion d'une réserve de V1, l'arme secrète allemande, l'avion sans pilote et renfermant une charge d'explosifs très puissante. C'est sans doute à cause de cela que les explosions étaient si violentes, car d'après les lueurs et les coups, ces explosions étaient à au moins 25 kilomètres.

21h00 : On n'entend plus rien du tout. Le silence est étonnant. On n'y était plus habitué. De temps en temps, on entend un coup de feu dans le quartier.

21h20 : Un roulement ininterrompu de détonations au loin pendant une minute et vingt secondes. Cela continue. On entend le canon sans arrêt. C'est formidable.

21h21 : Les FFI prennent position de combat, boulevard des Batignolles. Nuit calme.

suite