Nouvelle adresse : a http://www.liberation-de-paris.gilles-primout.fr/

 

 

 

Jeudi 24 août : Matinée pluvieuse. Jusqu'à 13h00 rien du tout.

14h00 : Fusillade un peu partout dans le quartier de temps en temps.

15h05 : Rafales de mitraillettes à Saint Augustin. Nous voulons partir voir s'il y a des blessés. Mais Mr X... s'y oppose. Il y a des froussards, des gens qui pensent à ne pas se salir. Alors pourquoi fait-on une permanence si c'est pour ne pas sortir quand cela tire ?

15h15 : On nous demande de prendre du lait condensé au rez-de-chaussée. Arrivé en bas, il y a une ambulance qui demande le poste de secours le plus proche. Il ne sait pas où est la rue de Naples. Je saute sur le marchepied et hop ! Nous partons.

17h00 : Je pars à la morgue, installée salle Gaveau. Il y a six corps, tous recouverts d'un drap, sauf le sixième qui est non identifié, qui n'avait aucun papier et est horriblement mutilé. La tête fendue où on voit la cervelle et un grand trou dans le ventre. Pour en revenir au blessé de Saint Augustin, si l'ambulance ne s'était pas trouvée provisoirement là, le pauvre ! Il était plein de sang, ayant reçu une balle dans la fesse droite. Il aurait pu rester longtemps là.

un exemple de morgue improvisée, ici la Salle des Ingénieurs Civils, 19 rue Blanche

J'ai pu identifier quatre des six victimes dont parle Jean-Claude Touche :

- Marcel André, âgé de 43 ans, il sera enterré au cimetière de Pantin

- Roger Duval : né le 9 septembre 1907 à Neuilly sur Seine, membre de la France au Combat, adjudant des FFI

- André Juliard : 71 ans

- Barthélemy Verrando : 46 ans

Sinon on trouve dans le secteur les victimes suivantes :

- le dentiste retraité Poulet, tué d'une balle perdue en sortant du café de l'Etape, devant le lycée Chaptal

- le sergent des FFI André Lavielle, 35 ans, mortellement blessé devant l'école d'institutrices et transporté au poste de secours du 190 boulevard Péreire

- le sous-lieutenant des FFI Jean Haded Lescure, originaire de Cannes, mortellement atteint à l'entrée du passage Geoffroy Didelot, boulevard des Batignolles et transporté à l'hôpital Paul Marmottan

                    

 

17h50 : Grosse bagarre à Beaujon. L'ex-hôpital est attaqué par les Allemands avec des tanks.

19h00 : Grosse bagarre à l'Etoile et à l'hôtel Majestic. On entend des coups de feu dans le quartier.

20h00 : Deux gros incendies sont visibles par une très forte fumée dans la direction de l'Etoile, confirmés par de nombreuses voitures de pompiers.

22h00 : On entend toujours le canon des tanks dans la direction de l'Etoile et des Champ Elysées.

22h30 : De nombreuses fusées rouges et vertes montent dans le ciel. On entend violemment le canon. Quelqu'un qui habite place d'Italie nous téléphone que les Américains sont à la gare d'Austerlitz. Ils sont dans Paris depuis plusieurs jours. Que nous étions bourrés de bobards ! On nous dit "Ils sont à Versailles", ils n'y sont pas; "Ils sont à Clamart", ils n'y sont pas; on n'y comprend plus rien. Et maintenant quelqu'un nous annonce les avoir vus. Nous sommes dans une joie immense. Merci mon Dieu ! Merci, chère Sainte Vierge ! Vive la France !

23h00 : Nous entendons le canon assez fort. Est-ce l'Etoile ou les Allemands qui résistent ? Le courant est revenu. La TSF annonce "Les Américains (colonnes blindées) sont à l'Hôtel de Ville, les cloches de Notre Dame sonnent à toute volée; Paris pavoise quoiqu'il fasse nuit; les gens applaudissent dans la rue". Dans l'ouest, à Bois Colombes m'a-t-on dit, un gigantesque incendie élève dans la nuit une immense colonne de flammes. De très violentes détonations accompagnent cet incendie. C'est cela que je prenais pour le canon. Quelqu'un d'Asnières vient de me téléphoner. C'est effrayant là-bas. Les détonations et les flammes que l'on entend et que l'on voit.

En fait les Allemands font sauter les installations du Camp de la Folie à Nanterre (dépôt d'essence et de matériel).

23h10 : Des groupes de personnes circulent dans les rues en criant : "Victoire ! Victoire !" Des gens pavoisent déjà.

23h44 : La radio nous passe, après le reportage, la Marseillaise, la Marche Lorraine. Nous pleurons de joie. Les explosions continuent toujours. Du balcon, on entend dans tout Paris, les cloches qui sonnent à toute volée. Et ce n'est plus à la TSF. C'est en réalité. C'est émouvant. Nous rentrons rapidement car on tire à la mitraillette dans la rue. Les explosions n'arrêtent pas. Le ciel est toujours embrasé.

23h47 : Les explosions sont maintenant continues et extrêmement violentes. La radio nous annonce un nouveau poste émetteur. Pas de moyen de sortir et on entend toujours les cloches.

23h48 : La TSF nous signale qu'il ne faut pas laisser les fenêtres allumées comme on l'avait conseillé tout à l'heure. Les Allemands qui restent tirent dedans et pourraient faire de nombreux morts et blessés.

23h49 : On dit de ne pas trop circuler dans les 5ème et 6ème arrondissements, car cela pourrait gêner les mesures de nettoyage.

23h50 : On nous passe les hymnes nationaux alliés. La mairie du 11ème arrondissement est attaquée par les Allemands et demande du secours. On prévient les Français du quartier du Sénat que les Allemands veulent le faire sauter. Je crains le pire de la part des Allemands. Ils sont capables de tout. Et  ma grand-mère qui n'habite pas loin ! Mon Dieu ! Mon Dieu ! Protégez-nous. La bataille fait maintenant rage dans Paris. On entend le canon sans aucune interruption.

23h55 : La mairie du 11ème arrondissement, le 5ème et le 6ème arrondissements sont le centre de la bataille qui se déroule dans Paris actuellement. Toutes les minutes la TSF lance un appel pour que tous les FFI aillent secourir les vaillants défenseurs de la mairie du 11ème qui manquent de munitions. Pauvres malheureux, en pleine nuit ! Quels malheurs contiendra cette nuit. Elle seule, j'espère, car j'ai vu encore cet après midi des morts. C'est effroyable.

24h00 : TSF : on nous annonce que des pièces allemandes en batterie à Longchamp tirent sur Paris et que le 15ème arrondissement est bombardé, que des obus y tombent. Protégez Paris, Sainte Vierge !

 

Vendredi 25 août  Les troupes blindées du général Leclerc, 30 000 hommes, poussent en direction du pont de Sèvres. Ils demandent à ceux qui entrent par la porte d'Orléans de tâcher de les rejoindre.

0h15 : D'instant en instant, on attend le gros des forces américaines. On entend toujours les coups de canon extrêmement violents.

0h25 : Rien de nouveau. On dirait que le canon est moins violent.

0h30 : Le canon reprend de plus belle. Les vitres tremblent. Nous ne descendrons à la cave qu'à la dernière minute, à cause des nouvelles. Cette nuit a, mon Dieu, quelque chose de grandiose et d'unique. Le canon qui tonne, la fusillade dans la rue et les informations qui, tout le temps, nous renseignent.

0h40 : Renouvellement des consignes de prudence.

0h45 : On nous donne un reportage pris à 16h00, ce qui sur le moment était passionnant mais qui, maintenant, n'est pas intéressant.

0h50 : Le général Leclerc est entré par le pont de Sèvres. Entrée dans Paris des forces américaines blindées (le gros est à Bagneux)

En fait le sous-groupement Massu stationne devant le pont de Sèvres. Il a l'ordre d'attendre le lever du jour pour entrer dans Paris et se diriger vers la place de l'Etoile. Seul l'élément du capitaine Dronne est entré dans Paris par le sud et a pris position devant l'Hôtel de Ville. Quant au général Leclerc il se trouve à son PC divisionnaire, à Antony.

1h00 : On entend toujours le canon, l'écho de la bataille.

1h01 : On nous dit que les Allemands se cachent dans les maisons et qu'il faut tâcher de les réduire si on peut. Si cela arrive, je ferai mon possible.

1h05 : On nous retransmet la Marseillaise, chantée par les FFI. Ce n'est pas très juste, ni en mesure, mais c'est émouvant. On nous lit un poème de Victor Hugo.

1h15 : On nous passe des marches militaires.

1h30 : La mitrailleuse tape dur, se rajoutant au canon. Informations reçues par téléphone et transmises par la TSF.

1h45 : Le Lord Maire de Londres a adressé un télégramme aux Parisiens. Sous toutes réserves, lieux de combats à 0h30 : Ecole Militaire, Sénat, Clichy, Banlieue Ouest, Pantin, Banlieue Nord Ouest où l'on observe des obus et des balles traçantes et trois grands incendies. Le gros des troupes françaises et américaines bivouaquent près de la porte d'Orléans. Fin d'émission. On entend le canon fort, mais de temps en temps et moins violemment que cette nuit. Ô surprise ! En ouvrant la fenêtre, tout est pavoisé !

10h00 : Je serre la main à un lieutenant français, car rue d'Anjou, deux automitrailleuses françaises stationnent là. Les rues sont magnifiques, entièrement pavoisées aux couleurs françaises, américaines et anglaises. Rue de Rome, une corde partant du 54 au 61, supporte un grand drapeau tricolore avec l'inscription "Welcome".

11h00 : Les combats font rage aux ponts que les Allemands tiennent presque tous. Les tanks et les mitrailleuses américaines attaquent à fond. Les Allemands se sont retranchés à l'hôtel Majestic, avenue Kléber et au Bois de Boulogne.

12h30 : La mitrailleuse et le canon font rage aux Invalides. Je vois très bien la bataille du clocher de Saint Augustin.

14h00 : Des forces blindées alliées attaquent le Majestic.

14h30 : Un coup de téléphone me prévient que l'hôtel brûle. D'ailleurs je vois très bien de chez moi la fumée. Il y a également un incendie vers la Concorde.

15h00 : On n'entend plus le canon, mais quelqu'un tirant de temps en temps, ces jours-ci, d'une maison du quartier. Un groupe de cinquante FFI arrive pour découvrir et arrêter ce personnage dangereux. C'est une véritable chasse à l'homme. Les FFI apparaissent au balcon d'une maison, d'une autre. C'est pittoresque. De temps à autres, un coup de feu claque.

15h15 : On se bat toujours au Sénat. Les tanks alliés attaquent....

Là s'arrêtent les notes de Jean-Claude. Madame Firmin Touche, qui a fait paraître le carnet de son fils "Mon fils Jean-Claude" librairie Bloud et Gay, ajoute :

Je n'ai pas voulu interrompre ces notes, mais je puis ajouter quelques souvenirs sur les deux dernières journées. Le jeudi 24 août, dans l'après midi, notre carrefour étant cerné, et la présence des Tigres rendant toute sortie dangereuse, Jean-Claude, sur mon ordre, était resté à la maison. Nous étions excédés par le vacarme de la mitraille. Il passa un coup de téléphone à Mr l'abbé Michel, curé de Saint Louis d'Antin, lui demandant de venir faire une partie de cartes à la maison.

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