LA PROBLEMATIQUE DU MUSEE
Le concept de musée apparaît en Chine
au 2ème siècle avant notre ère. Elle est
fondée sur l 'idée de conservation succédant
à un déplacement de l'objet. Au 18ème siècle
se développe l'idée d'organisation de la collection,
et au 20ème siècle se forge l'idée d'un
espace symbolique pour penser le musée.
I. 2ème siècle
avant notre ère: DEPLACEMENT ET CONSERVATION
Musée et conservation
Souvent confondues, les notions de conservation et de musée
n' impliquent cependant pas un rapport identique à l'objet.
En effet, dans le cas du musée, le processus de conservation
de l'objet n'advient qu'après un premier acte fondateur
caractéristique qui est une opération de déplacement
de l'objet, qu'on sépare de l'environnement dans lequel
il a été créé. C'est ce déplacement
et ce détachement de l'objet qui induisent un mode de
conservation spécifique qui n'appartient qu'au musée.
La conservation de l'objet caractérise l'homme dès
l'origine et le différencie de l'animal. Si l'utilisation
d' objets ou même, dans une certaine mesure, la création
d'outils ne les différencie pas, l'homme est le seul être
à conserver ses outils au lieu de les jeter. C'est la
conservation des prototypes d'outils qui, permet, grâce
à la réalisation d'une collection de variantes,
la comparaison entre les différentes versions successives
et l'évaluation des améliorations. Cette comparaison
rendue possible par la conservation, donne la possibilité
à l'homme de perfectionner sa technique en sélectionnant
les versions d'outils les plus adéquates. La conservation
est un facteur essentiel de l'évolution et du progrès.
Une autre motivation de la conservation des objets est le désir
de prolonger sa vie dans un au-delà. L'objet, qui participe
au maintien de la puissance de son possesseur initial, accompagne
son maître dans un supposé au-delà dont la
tombe est le lieu de départ et donc le lieu de rassemblement
des objets. Tout objet porteur d'une puissance naturelle, acquiert
également un statut sacré. Même vétuste
ou abîmé, il ne saurait être simplement détruit.
Traité comme une personne, il donne lieu à un rituel
de conservation et de vénération. Cependant, sa
perte est souvent inévitable, et il est alors remplacé
par des substituts. C'est pour la réalisation de ce substitut
que l'artiste entre en scène . Enterrés comme les
rouleaux de la Thora et les images religieuses et prolongés
dans leur copie, ou conservés et restaurés dans
la Grèce et le christianisme, les objets sacrés
liés à la religion maintiennent éternellement
leur puissance.
Mais cette vénération de l'objet sacré est
contrée par les manifestations de vol et de pillage qui,
niant toute puissance intérieure de l'objet, s'en saisissent
tel quel et le détournent de sa fonction première.
Ce déni du caractère sacré de l'objet a
nécessité la création des charges de gardiens
de tombe pour prévenir le pillage, comme les inspecteurs
des tombes royales en Egypte, ou les hiéropes dans les
temples grecs. Mais ces gardiens du temple n'ont pas seulement
une fonction de police. Ils sont là pour gérer
et conserver les objets sacrés, Ils inventorient, réparent
ou réforment les objets (certains par recyclage, refonte
du métal). Si les profanations des tombes ou le pillage
des temples se soldent souvent par la destruction de l'objet
en tant que forme par l'appropriation de son matériau
(fonte du métal), elles suscitent, lorsque l'objet n'est
pas détruit, une action positive de neutralisation du
sacré dans l'objet et de déplacement de sens et
d'usage. Le pillage de guerre est en effet souvent suivie d'une
phase de conservation. Ramenés comme trophées,
les objets dérobés dans des pays éloignés
lors de campagnes militaires acquièrent une neutralité
de fait puisque les religions et les politiques qui étaient
à l'origine de leur création sont tout à
fait étrangères au monde qui les héberge
désormais. Par leur caractère étranger à
leur culture d'adoption, leur statut est modifié. Avant,
objets de crainte et de vénération, ils sont maintenant
objets d'observation et de contemplation. L'homme qui les côtoie
change lui aussi de fonction. De prêtre ou fidèle,
redevable à l'objet d'un culte, il devient un conservateur
libre qui peut, maintenant, grâce à la liberté
que lui confère la distance qui le sépare d'une
culture étrangère, se consacrer dans un esprit
pré-scientifique à l'étude des objets de
cette collection hétérogène.
Le musée comme collection systématique d'objets
désacralisés, naît au 2ème siècle
avant notre ère sous plusieurs formes, en Chine, en Egypte
et en Grèce. L'ouverture des sépultures d'images
en Chine signe la résurrection de l'objet qui passe de
la tombe au musée, inaugurant la pratique des fouilles
motivées par la curiosité et non le gain. Ce transfert
des objets est effectué sciemment en Chine, à l'époque
Han (206 av. J.-C.-220 apr. J.-C.), les empereurs feront entreprendre
pour la première fois des fouilles systématiques
pour déterrer les bronzes rituels des époques passées,
Chang et Tchéou. Cette exhumation n'était pas considérée
comme un sacrilège ou une profanation, mais au contraire,
comme une marque de respect des ancêtres dont on admirait
à distance l'uvre. Elle signe la singularité du
musée, dont la valeur est réalisée grâce
à un déplacement des uvres de leur lieu et de leur
fonction d'origine. Même si l'Orient conserve ses uvres
dans des édifices religieux, comme le Shôsôin
du monastère de Todaiji de Nara près de Kyoto,
édifié en bois au 8ème siècle et
plusieurs fois reconstruit, ce plus vieux musée du monde
recueille les trésors de l'empereur Shomu (8ème
siècle) et non pas des uvres religieuses conçues
spécialement pour servir dans un lieu de culte auquel
elles sont assignées. L'acte d'exhumation des uvres inaugure
une longue pratique de fouilles motivée par la vénération
des chinois pour leurs ancêtres, la soif de découverte
des Antiquités des hommes de la Renaissance et finalement
l'attitude scientifique de l'homme moderne systématisée
en archéologie au 19ème siècle.
En Occident, l'idée de musée comme lieu de conservation
d'objets culturels de valeur naît au 2ème siècle
avant notre ère à Alexandrie avec Ptolémée.
Ce " Mouséion " était un cénacle,
salle de colloque où les savants prenaient leur repas
ensemble. C'est donc avant tout une communauté d'érudits
vouée à l'étude des textes et l'observation
de la nature qui quittent l'Agora, la place publique, pour rechercher
désormais le savoir à l'ombre des plus hautes institutions
de l'Etat qui assure leur subsistance et met à leur disposition
un complexe d'instruments de travail: bibliothèque, jardins
botanique et zoologique, observatoire astronomique, laboratoire
d'anatomie. Ce n'est pas l'objet qui est au centre du Mouséion,
c'est l'Académie. Satellisé, l'objet est simplement
mis à la disposition du collège de savants. La
possession d'articles rares ou exemplaires provenant d'horizons
temporels et spatiaux divers permet de poser des actes intellectuels
de comparaison, de classement, d'étude de leur fonctionnement
en vue d'une amélioration ou d'une inspiration pour d'autres
créations. Par les spécialistes divers qui s'y
côtoient, mathématiciens, astronomes, géographes,
philologues, poètes, le Mouséion antique est l'ancêtre
de l'Académie des arts et des sciences. Le mot de "
Musée " prend ses racines dans l'Académie
de Platon, une communauté à la recherche du vrai,
vouant un culte aux Muses, filles de Zeus et de la Mnémosyne,
la mémoire. Les " mosaïques ", que Byzance
reprendra à son compte pour l'art chrétien et qui
sont en partie à l'origine de l'icône, portent ce
nom parce qu'elles décoraient anciennement les grottes
servant pour le culte des Muses.
A l'époque hellénistique, les marchands et courtiers
facilitaient déjà les échanges d'uvres d'art.
Les Attale (Pergame, 2ème siècle) avaient constitué
une collection de sculptures de différentes époques.
Les collections de bienfaiteurs se développent à
l'époque romaine. Exposées dans les thermes ou
sous les portiques, elles ont un caractère de musée
public. Le "musée des trophées" est né
avec l'époque romaine qui conservait le butin de ses pillages.
L'engouement pour l'art ainsi regroupé poussait les romains
à acheter des originaux semblables ou à se faire
fabriquer des copies de chefs d'uvres (peintures, sculptures,
vases, bijoux, tissus, etc..) de l'art grec. Le musée
de mécènes existe depuis l'Antiquité.
La muséographie est naissante au 18ème siècle.
Le premier traité sur la science de l'organisation d'un
musée (choix des locaux, manière de classer et
de conserver) date de 1727 . Le premier musée moderne,
le musée ashmoléen de Londres est né au
début du 18ème siècle de la conjonction
des efforts de collection de personnes privées (John Tradescant
et son légataire Elias Ashmole) et d'une institution,
l'Université d'Oxford. Avec sa donation, Ashmole ne s'était
pas contenté de céder un ensemble à l'Etat,
il avait posé ses conditions sur la manière dont
les objets devaient être exposés en demandant la
création d'un bâtiment spécial destiné
à les abriter. Rompant avec l'ancienne culture de la curiosité,
sous l'impulsion du collectionneur visant une association avec
l'institution, le musée devenait la forme organisée
de l'expérience sensible comme source de la connaissance.
Cette réorganisation de la présentation devait
rejaillir au cours du siècle sur le mode d'exposition
des oeuvres d'art.
|