CHAPITRE XXVIII

LA  REGENCE

1981-1987



1981

 

                                    


     Les années, les jours, les heures qui s’étendront entre le décès de mes deux Parents n’offrent rien de

significatif. Au lieu d’un récit d’un détaillé semblable à celui qu’on a pu lire des années passés, je me bornerai

à peindre la galerie des quelques personnes rencontrés, ou que je n’ais fait qu’apercevoir.

       J’y ajouterai une analyse plus vraie, plus globale de nos  santés,- et du caractère et du comportement final de ma Mère. Pour ce qui me concerne,
mes horizons personnels vont se réduire,- j’ai envie de dire « se pétrifier ». Ils dépasseront rarement les limites de l’ancien bureau de mes Grands-parents 
une pièce de
3 mètres sur 3 qui me servait de chambre à coucher depuis  plus de 20 ans ( octobre 1956, exactement ).

S’y ajoutait la fameuse chambre-salon de ma Mère, où à partir de 1982, je pourrais rester allongé grâce

à un fauteuil « Everstyl », pour tenir en principe compagnie à notre Régente.

Voilà pourquoi cette chronique s’étendra sur plusieurs années confondues.

 

 

   L’irrégularité des soins assurés par la jeune infirmière Mauricienne entraînèrent une aggravation singulière du

« Bobo » remarqué par ma Mère le soir de Noël.. Il devint une escarre trocantérienne,- du nom d’une partie

extérieure du fémur, à la hauteur de la fesse droite. Il aurait été souhaitable de me mettre à l’hôpital régional

( 18 Km de la maison ). Dans le mauvais état physique et moral où nous étions tous deux ma  Mère et moi,        

elle obtint du Médecin de commencer à soigner cet ennui par des pansements à domicile.

   C’est ainsi que je pus entretenir des relations régulières et courtoises avec Mademoiselle Marie-Andrée

de Montbelle. Elle était déjà une vieille habituée de La Glazière ;- depuis les piqûres du ( vieux ) Calcibronate

demandées par l’état de mon Père, et les mesures de vitesse de sédimentation exigés par celui de ma Mère.

                                                                                                                                                      

   Pour ce qu me concerne l’affaire fut chaude et Marie-Andrée passa nos portes durant plus d’un an. ( Je

réclamai cette constance de décembre 1980 à fin février 1982 ). L’état de mon escarre variait au gré des

 variations de mon moral.

 

   Vers le mois d’août, en me pensant, elle fit une sorte de diagnostic :

                 

                 -Etant donné votre caractère nerveux et les variations que je constate, je pense que cette escarre

est due aux troubles que vous subissez depuis quelque temps. Il me semble qu’il faudrait vous méfier des ennuis

trop lourds qui pourraient survenir dans l’avenir.

 

   J’étais bien trop occupé à surmonter les souffrances du pansement.. Cette prédiction me passa un peu au dessus de la tête.
Ce n’est qu’en 1989,un an après  ma réinstallation à Paris, et après la mort de ma Mère1, qu’au cours d’une visite, Marie-Andrée s’expliqua plus complètement :                                                                     

 

-Il y a quelques années au moment de votre escarre, j’étais obligée de parler en code pour ne pas

vous effrayer, l’un et l’autre. Mais il est certain que les escarres sont votre façon personnelle de

traduire vos chagrins.

   D’autres prépareront un cancer parce qu’ils n’auront pas assez pleuré pour ce décontracter. Vous

et moi, d’ailleurs, étant donnée l’éducation que nous avons reçus, -qui a habitués à ne pas extérioriser

nos réactions, il est normal que nous ayons une réaction quelququ’onc. Vous, vous traduirez votre peine

par une réaction de cet ordre. Elle sera d’autant plus forte que votre peine restera cachée. Pensez toujours

à l’escarre.

   Vous voyez bien d’ailleurs vous-même que je suis dans le vrai. Ne venez-vous pas de me dire que voue

veniez d’en faire une à la suite de la mort de Madame de Maindreville ?

 
  Je devais par la suite vérifier encore la chose ;- Tante Marie-Anne, qui, s’était beaucoup occuper de moi,

au temps de ma folle jeunesse, mourut quelques jours après cette entretient. Et l’escarre suivit …

  

Cette conception des choses valait bien la peine d’être mentionnée. Quoiqu’il en soit, le Daquin et le Tripolidèx

 se firent concurrence sur ma table de chevet. ( Il faut noter que ce furent-là les deux seuls aides qui permirent

à notre amie de combattre et de vaincre finalement  cette escarre ).

 

   Nous n’attendions pas Madeleine.

 

          Si j’ai parlé de variations dans ma santé, c’est que ma Mère ne put attendre les fantaisies de mes escarres

pour s’inquiéter d’un nouveau Ménage. Mes escarres s’en inquiétèrent aussi, car tout nouveau visage me troublait.
Fut-ce par le ménage Ringaud qui apparaîtra plus tard dans mon horizon, ou par Jehanne que Madeleine Lados fut amené à croiser notre route ?
Je ne sais plus..

 

   Dès son premier contact ma Mère conçut une vive antipathie pour cette femme d’origine polonaise. Madeleine

tout en étant fort dévouée, se croyait volontiers omnipotente. Elle se voulait dernier juge sur nombre de chose en particulier en matière de soins.
Elle donnait son avis. Tout haut. Cela agaçait fort ma chère Maman….

Nous ne nous appartenions plus.

D’autre part elle souffrait d’autres petits travers qui devaient tenir à son pays originel ; ainsi un Certain fantasque

dans l’esprit, ou son instabilité de penser.. Cela sauta aux yeux de ma Mère. Mais nécessité fait loi. Ma Mère fit

donc venir la Polonaise. Mais en attendant, tandis que nous vivions encore « entre Français », elle me dit souvent ses craintes de voir
Madeleine s’approcher d’elle. Il est vrai que le souvenir de notre unique Infirmier
nous habitait encore… Irremplaçable…

 

 

Son visage invisible et toujours présent rendit certainement les choses plus pénibles encore à ma Mère.  

  

   J’ai parlé du « ménage » de Madeleine. Ce n’est qu’un euphémisme…. Elle avait rencontré Francisco Lados,

fraîchement sorti des geôles espagnoles après notre dernière « engueulade » avec les Allemands.

 

Madeleine, quant à elle, arrivait d’une Pologne, pour longtemps encore stalinienne. Curieux couple en

vérité pour entourer une très vieille dame que son récent veuvage renvoyait très fortement vers la bourgeoisie

nationaliste dont elle était issue.

    Ce changement de ménage, aussi nécessaire que peu désiré, devait être officiel à partir du mois suivent ;-

Mars ou avril. Le souvenir exact  m’en échappe. Mais l’appréhension maternelle était si vive que ma Mère

prétendit la nouvelle arrivante encore trop fatiguée par son installation ; elle donna quelques jours supplémentaires à Madeleine ;
ce qui veut dire qu’elle se les accorda à elle-même.

 

   Il est vrai que pour nous la suite de l’hiver n’avait rien perdu de sa rudesse. Courageusement, dès le 15

Janvier, ma Mère avait voulut commencer un triste choix dans affaires de mon Père.

Si elle tint le coup, ce fut grâce aux différentes aides demandées à Paris. On ressentait tellement l’ambiance

dans laquelle ce tri allait nous plonger, elle et moi, que sur la requête des deux cousine, Droulers et Godest,

présentes ce jour-là, la poursuite de ce macabre travaille fut remis à plus tard. Tous-quatre, trouvions la chose

insupportable.

 

Quant à ma propre vie quotidienne, je ne sais comment la dépeindre. Je respirais. C’est tout. Madame François

d’Oince, charmante habituée de La Glazière et de son trio, craignit même que je n’attente à mes jours.. De

Poitiers où le ménage avait pris sa retraite, elle répercuta l’écho de cette inquiétude vers le groupe de nos

relations Seine et  Marnaise. Françoise Ahrenchiagues se fit plus tard l’interprète de tout le groupe pour me

répéter cet alarme et la crainte qu’on lui avait communiquer.

 

Installation d’une nouvelle lanterne magique.

 

          Ma Mère perçut-elle ce murmure mondain ? Y vit-elle un discret avertissement ? Elle insista très vivement

pour me faire accepter l’installation d’un Téléviseur aux dimensions de la petite chambre que j’allais occuper

dorénavant presque sans discontinuer. Je dus faire un très gros efforts pour accepter cet ultime cadeau maternelle ;
tant la nouvelle intruse si appréciée naguère, me paraissait aujourd’hui bruyante et indiscrète

troublant par sa jacasserie et ses sonorités diverses mon nouveau besoin de silence et de rêverie.

 

   Voyant mon peu d’enthousiasme, ma Mère fit appel à son argument familier :

 

   -Si vous ne le faîte pas pour vous, faîtes-le pour moi au moins. J’ai besoin de distractions.

       

   Une chose blanche entra donc dans ma chambre un beau jour. Je me promettais bien de ne la

regarder jamais en dehors des moments de tête à tête avec mon autre solitaire. Mais ce ne fut là

qu’un serment d’ivrogne. Le charme de la Télévision opéra une fois encore et plus d’une fois ; me

faisant rompre souvent cet engagement sans base. Je dois dire que ma Mère s’était montrée

prévoyante, étant donné le nombre d’heures et de moments que je devais passer seul dans petit

local. Toutefois, si j’ai reconnu 1la grande utilité de ce compagnon que j’avais accepté comme un

mariage de raison, il ne me procura pas d’engranger de grands souvenirs télévisuels : les mariages

princiers britanniques me parurent trop gais, trop luxueux, arrêté que j’étais aux mauvais souvenirs.

Ceux-ci ne disparaissaient que lentement ou même mal. S’y mêlait la terrible interrogation sur l’avenir

qu’on me dépeignait comme trop sédentaire. Enrobé de quelques bures monastiques seulement..

     Escortés par notre couple international et fixé devant un écran que je devais à la toute dernière

Possibilité, commerciale, de Monsieur d’Ayguevives1 , nous pûmes, ma Mère et moi, aborder

Vaille que vaille le printemps.     

 

Le Fameux Printemps 1981.

 

        J’avais atteint ma majorité légale en juin 1960 ;- juste à temps pour jeter dans l’urne le poids de faible

« Non » aux différents referendums voulus par le Général De Gaulle.

   

On avait voulu ainsi essayer de me faire participer aux consultations qui suivaient. Je pus prendre à deux ou tros

scrutins. Deux  ou trois seulement, car l’âge, la fatigue et la difficulté des transports amenèrent mon Père à préférer le système du vote par procuration.
C’est ainsi que de 1965 à 1967, ma Mère et moi, nous votâmes,
par l’entremise de la (PP) Police parisienne, puis des Gendarmes locaux
qui établissaient les justifications
demandées. Ceci fait, nous abandonnions nos Bulletins à mon Père pour qu’ils les laissent choir innocemment

dans l’urne.

         Pour les élections présidentielles de 1981, notre mandataire fut, on s’en dote, moins personnel et

particulier. Monsieur Blasset se proposa pour remplir les fonctions de votant. Nous avons tout lieu de penser

que Monsieur Blasset fut un votant fidèle… Il n’empêcha pas cependant l’Histoire de passer.

 

Dès qu’on connut les résultats, ma Mère abandonna totalement l’idée parisienne en me déclarant nettement :

 

-Si Chirac était passé, j’aurai encore pu essayer de trouver quelque chose de pas trop cher. Mais maintenant

les prix vont monter démesurément, on va retrouver les cortèges populaires dans les villes… Mieux vaut rester

ici en faisant le dos rond en attendant que ça passe.

 

Ce fut là son testament politique.

                                                                                                                                                                                           

   Elle vécut d’ailleurs assez pour voir se réaliser ses prédictions : la vie monta et les cortèges se succédèrent

dans les rues tout au long des sept années de ce premier Septennat. Ainsi se confirmaient ses vieilles

réminiscences de février 1934,- elle ne les avait jamais oubliées.                              

 

 

   Grâce à la Télévision que je tolérais déjà moins mal, j’assistai à l’installation du nouveau Président et à son

trajet à travers les tombes républicaines du Panthéon, jonchées par ses soins de pétales de roses. Sa campagne

électorale s’était placée sous leur signe.   J’ai d’ailleurs tort de rire de ce pèlerinage au pays des embaumés :

mon Ancêtre Victor Schelcher y avait sa place pour s’être fait devant le Sénat, en son temps, le champion de

l’anti-esclavagisme aux Antilles. Sur lui aussi tomba cette rosée de roses….

 

   Les observateurs parisiens, toujours irrévérencieux, notèrent que depuis cette fracassante prise de pouvoir

jusqu’au début de l’été, le temps ne cessa d’être gris, pluvieux et revêche. Ils en tirèrent de sombres pronostics

quant à l’avenir du nouveau mandat.1                                                                                                                                            

 

   Sur le plan familial, Hubert de Maindreville, filleul de mon Père et fils  de son second frères, Michel, vint

chercher le sabre de parade de notre Grand-Père et le yatagan que celui-ci avait rapporté du Tonkin au

temps de la première campagne de pacification à laquelle il avait pris part à la fin du XIXeme siècle.

Ce le jour de la Pentecôte. Ces armes était tombés dans la part de mon Père à la mort de ma Grand’Mère

maternelle le jour du Vendredi Saint 1929. Dès notre deuil, ma Mère avait pensé que souvenirs glorieux

seraient mieux à leur place chez Hubert. Il était le chef de Famille depuis la mort de notre cousin Jean

Michel tombé en Baie d’Along, comme il a été raconté ici en son temps.

 

Le Loup gris et l’homme en blanc.

 

      Cette rencontre familiale se déroulait sur un fond de scène d’émoi international. Quelques jours auparavant

des coups de feu avaient mis fin aux acclamations et aux Prières qui entouraient ordinairement les bains de

foules du Saint Père Place Saint Pierre. On avait tiré sur le Pape…. !

  Ce fut Madeleine Lados qui toute effrayée nous apporta la nouvelle ! Le Souverain Pontife n’était-il pas son

compatriote ! Quant à moi, étant encore une fois sous l’empire de tranquillisants intensifs, ma réaction intellectuelle fut à peu près nulle.

C’est pourquoi 12 ans après1 après, lors de relecture des lignes1, je n’évoque pas sans quelques incertitudes

les hypothèses policières qui furent échafaudées. On parla d’un attentat politique commandité par l K.G.B..

soviétique qui aurait armé le bras d’un déséquilibré yougoslave qu’on disait membre d’une secte, « les Loups

gris ». Il s’appelait Ali Akça, je crois, - et l’orthographe de son nom n’est que phonétique…

Ce qui demeurait certain, c’est que le Pape n’était que blessé,- dans la région stomacale et au bras. Il fut

transporté tout de suite à la Clinique Giannelli où paraît-il, une chambre et un bloc opératoire étaient toujours

prêts pour de telles éventualités.

 

  Jean-Paul II pardonna immédiatement à son agresseur dirigé sur la prison centrale de Rome. Il devait être

condamné à la prison à vie. .

 

    Le Pape fut long à se remettre et l’été des chrétiens fut attentif à ses nombreux bulletins de santé.
Naturellement ses Médecins ordonnèrent une interruption prolongée des célèbres voyages qui étaient la

marque de son pontificat.. Il ne reprirent, je crois, qu’en 1982.

  .

   Les premiers Italiens à le revoir furent les habitants de Castel Gandolfo qui, vers le 15 août virent une ombre

se profiler derrière la fenêtre principale de la Résidence d’été des Souverains Pontifes. L’attentat dut avoir lieu

aux alentours du 13 mai 1981, - à en croire les Journaux et l’anniversaire du drame qu’ils commémorent le

13 mai.    

 

L’été 1981 des Maindreville.

 

    En France l’été arrivait. Il fut politiquement et pompeusement ouvert par une soirée somptueuse à Versailles.

François Mitterrand recevait à peu près tous les Chefs d’Etat pour une concertation international, - économique,

Je crois. Le titre d’une pièce de théâtre ancienne remonta à la mémoire des humoristes : « Le Congrès s’amuse ». Ce fut une mine d’articles joyeux.

 

    A la Télévision, la retransmission qu’on nous en accorda fut mauvaise, - si mauvaise que je tentais de m’endormir. Je n’y parvins pas.
- Je ne sais quelle illustre Contre Alto poussa de vigoureux contre-ut e
remerciements d’un décoration dont on l’avait gratifiée.
Sans doute le nouveau Pouvoir s’offrit-il une récréation.

J’ai tout à fait oublié le nom de l’élue… Qu’elle m’excuse… Ma Mère se montra septique quant à cette opération

Elle fit aussi quelques commentaires sur la durée du mandat octroyer par les Français à Mitterrand, sur ce dernier sujet, elle se trompa du tout au tout !   

 

    Ceci étant, l’été des Maindreville ressembla en tout point aux Six autres qui devaient suivre c’est  à  dire

qu’il s’étira avec monotonie.

 Pourtant il s’ouvrit sur un deuil qui fut ressenti par le Caton tout entier. Il s’agit du décès de Raoul Duffieux.                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                         

Mon Grand-Père maternel avait remarqué ce jeune Compagnon et avait facilité son installation professionnelle

en le faisant travailler d’arrache-pied à La Glazière dès que la famille s’y installa.

Il lui avait commander en particulier le revêtement de boiserie intérieur des deux grandes salles dont nos visiteurs

et amis, conservent  le souvenir.

   Raoul Duffieux fut l’occasion pour moi d’un de mes tout premier souvenirs gais et émerveillés de Seine et Marne.

J’étais tout jeune lors de notre première installation, (temporaire parce que uniquement estivale jusqu’en 1953, inclus ).

comme tout enfant j’avais l’œil aigu. Comment, me demandai-je, un menuisier peut-il travailler avec deux doigts en moins !

Il lui manquait l’index et le majeur. Je n’en croyais pas mes yeux et je me lassais pas de le regarder travailler ! d’autant plus que,
raconta-t-on, il avait perdu ses doigts dans un pressoir
à pommes en fabriquant de la « goutte ». Cela sentait le gouffre….
J’étais tout yeux et toute admiration, pour
l’une et l’autre particularité de cet homme exceptionnel à mes yeux… 

  

    Sa famille nous accompagna moralement non seulement durant ma toute petite enfance, mais aussi pendant

Les premières années de ma vie d’homme. Elle comptait ses enfants Jean-Pierre et Alain. Ce dernier était de

deux ans mon aîné. Il était venu au monde avec une tumeur sur la colonne vertébrale qui aéantissait chez lui

tout contrôle personnel. Il dominait comme il pouvait ce handicap qu’on avait tenté à plusieurs reprises d’atténuer

 chirurgicalement. Il avait à peu près maîtrisé la motricité de ses jambes et se déplaçait à l’aide de bâtons et d’appareils de marche.
On me le donna souvent – de loin – en exemple.

 

Le menuisier mourut en juillet 1981 ; on le savait cardiaque depuis des années. Ma Mère profita d’un déplacement
à Veneux les Sablons où elle achevait un long traitement dentaire, pour présenter ses

condoléances à Madame Duffieux. Celle-ci toujours habité par le sens des autres s’inquiéta beaucoup,

paraît-il, de ma réaction à notre propre deuil. Ma Mère très émue de cette délicatesse dut lui répondre

que j’assumais ( c’est le terme consacré ) cette épreuve qui nous était maintenant commune à Alain et

à moi.

    Ma Mère promit sans doute à Madame Duffieux de venir prendre de ses nouvelles, mais les soucis et

la nécessité d’être exacte l’empêchèrent , je crois, de réaliser ce vœux.

 

En quittant la cour où s’élevait l’atelier du défunt, ma Mère ne supposait pas que ce petit groupe occuperait

de tout près nos pensées lorsque nous quitterions pour toujours La Glazière. En effet, à la fin février 1987,

Jehanne nous annonça que les voisins du Châtelet en Brie, étaient dans la plus grande inquiétude pour les

yeux de Jean-Pierre. Au cours de l’année et après bien des adresses, j’appris qu’une tumeur au cerveau

s’était installée chez Jean-Pierre. Dès lors il n’y avait plus qu’à attendre la malheureuse conclusion de

cette maladie. Son évolution et l’issue fatale me furent communiquées par un coup de téléphone de

Jehanne, - en 1989, quelques mois après mon installation à Paris.

Si je me suis attarder sur la vie des Duffieux, c’est que le parallèle entre nos deux histoires me frappa.            

 

 J’ai dit combien Duffieux s’était attaché à La Glazière par le travail qu’il y avait réalisé. C’était un premier

lien. Chaque jours je voyais ses boiseries. Mais en outre la similitude de nos cas médicaux m’avait fait

sentir davantage ce qu’était leur douleur et les problèmes humains qui s’ensuivaient. Enfin la proximité

dans le temps des deux deuils qui atteignirent nos deux foyers acheva de nous rapprocher. Sans doute

les Duffieux connurent-ils aussi l’enveloppement des années de brouillard qui marqua pour moi les années

qui suivirent.                                                                                                                          

 

J’enverrai mes vœux par téléphone à Madame Duffieux en 1991, mais ne trouvai au bout du fil qu’une

vieille dame ( elle était contemporaine de ma Mère ) bloquée sur le souvenir de son fils aîné, mort depuis

quelques années. Quant à Alain, son frère, il avait du quitter sa maison et entrer à Combes la Ville (possession

de l’arcuippelle A..P.F. ). D’après les renseignements recceuillts il n’aurait pas dépasser 1991. je n’osais pas

renouveler mon appel à Madame Duffieux sachant sa difficulté à marcher j’ai voulut un déplacement auprès

de son appareil1.       . 

 

La Régente se porte bien.

 

      A  propos de Madame Duffieux, j’ai évoqué les trajets que ma Mère devait accomplir en ambulance pour

aller à Veneux les Sablons. Elle devait y subir un très vaste et très astreignant traitement dentaire. En effet,

en 1976, le Docteur Cagna avait décelé une Polycarie, qui devait, à mon sens, être en liaison avec sa

Polyarthrite. A moins qu’elle ne provint médicaments forts et pris avec régularité depuis une dizaine d’années.

 

   Dans mon souvenir, ce spécialiste travailla assez bien pour faire de cet été la dernière période des rendez-vous

Imposés à ma Mère.

   Me voyant blessé de la façon que l’on sait par la mort de mon Père, et encore trop choqué, et pour m’éviter

les troubles de ces déplacements répétés, ma Mère remit Sine Die tout autre traitement,- même du simple

entretien le plus élémentaire.

Quant à mes propres dents, le Docteur Lemue, de Paris, prévit sans doute la chose. En tout cas, il me

dévitalisa toute la mâchoire.

 

En somme, ma Mère se porta assez bien tout au long de 1981 ;- abstraction faite d’une poussée de polyarthrite.

Celle-ci coïncida avec la fatigue de l’arrivée du nouveau ménage de Gardiens, qui ne fut pas simple. Il en résulta

la nervosité que j’ai décrite.

De mon coté mon désarroi se traduisit non seulement par une apathie d’autant plus tenace que rien ne pouvait

la combattre2 . L’escarre me maintenant allongé.. D’autres ennuis très gênants et douloureux à certains moments

de la journée, - en particulier lors des toilettes. Mais grâce aux remèdes de Jehanne, ils disparurent au bout d’une quinzaine de jours..    

 

   Le Troubadour et l’Homme d’Etat.

 

         Ainsi, à travers accalmies et tempêtes, ma Mère et moi nous abordâmes l’automne.  Madeleine, décidément notre gazetière,
arriva un soir toute essoufflée en nous annonçant la mort de Georges Brassens.

Il me sembla que je perdais un ami ; mais ma Mère en intellectuelle d’avant-guerre qu’elle était, peu habituée

à cette littérature moderne minimisa l’événement et le proclama au premier passage à l’écran du poète disparu.

Le défunt affectait de pas croire à grand-chose, ma Mère ne savait sur quels critères asseoir son jugement et

baser son éloge funèbre.

 

-Ah oui… Brassens est mort. Oh, il ne croyait pas à grand-chose, il était assez matérialiste et terre à terre.

  
Ce jugement m’atteignit et il me fallut une dizaine d’années pour me désintoxiquer et prendre conscience

avec regret de la mort d’un Poète.     

 

   Il en alla de même, je crois, pour le second deuil internationale de cet automne 1981.

                Il s’agissait cette fois de la mort d’Anouar el Sadate, deuxième Raïs d’Egypte, abattu par

un commando de soldats au cours d’une revue militaire qu’il présidait au milieu de tout le Corps Diplomatique

et de Délégués étrangers.

      Cette mort était considérable. El Sadate avait succédé à Gamal Abdel Nasser, bruyant nationalisateur du

Canal de Suez , grand perdent de la guerre des Six jours gagnée par l’Etat d’Israël. Malgré cette humiliation,

Anouar el Sadate s’était fait le champion de la paix et avait même fait une visite officielle en Israël où il avait

été avait reçu solennellement par la Knesset, le Parlement hébreu. Il avait d’ailleurs reçu pour ses efforts le

Prix Nobel de la Paix.

Les Médias, les Journaux, la Radio, la Télévision eurent beau célébrer cet Homme de la Paix, ce ne fut pour

ma Mère qu’un incident mêler à tout ceux qui entouraient sa fin de vie.

 

On avait bien tiré sur le Pape, pourquoi pas sur un Homme d’Etat….?

Eloigné depuis trop longtemps des milieux intellectuels, ma Mère ne pouvait mesurer équitablement l’importance

mondiale de l’événement.

 

Que penser de cette indifférence si éloignée de sa curiosité de jadis ?

 

Il est certain que la commotion de la mort de mon Père et les multiples soucis qui en étaient découlés firent

qu’elle fut et sera de plus en plus absorbée par son petit monde. Elle s’éloigna de ces problèmes du Monde

auxquels elle m’avait pourtant d’abord initié.

   

Elle ne réagit pas différemment au moment de la grande crise polonaise de décembre 1981.

 

Comment oublier ce que furent ses pensées, à mon sujet, lorsqu’elle me vit dans la Chapelle de La

Turpinière aux côtés de ce cercueil qui nous y avaient amenés ; - et dans ce sanctuaire riche de notre

passé familiale.  Elle s’y promit certainement de consacrer le temps qui lui restait à vivre et dont elle mesurait

la brièveté probable, à se consacrer presque exclusivement à pourvoir aux embarras qui me guettaient.1   
En fait, elle fit désormais tout pour adoucir ces dernières années qu’il nous était accordé de vivre

ensemble. Pour cela, elle écarta de son horizon tout ce qui ne se rapportait à ce fils dont elle avait

maintenant la charge ; - toute seule – depuis ce novembre déchirant.

 

Pourtant elle conservera une attention intacte aux choses religieuses et sera passionnée par les articles consacrés par
le Père René Laurentin aux récentes apparitions de la Sainte Vierge en Yougoslavie, de 1981 à 1989, si je ne me trompe.

 

   Battez-vous Polonais… !

 

                « Battez-vous,  Polonais Battez-vous, !  et le monde libre continuera de danser en comptant les

coups » ! Tels était, - où à peu près,- l’exhortation désenchantée qui terminait une des chroniques du Figaro

en cette veille de Noël 1981.

     De fait quelques jours auparavant avait eu lieu en Pologne une secousse politique majeure. Ce mouvement

eut pour effet principal d’amener au Pouvoir le Général Jaruzelski, et d’entendre parler pour la première fois du

Cardinal Josef Glemp, nommer Primat de Pologne en remplacement du vénérable Cardinal Vychinski décédé en

1980, quelque semaines avant mon Père.

 

   Cette insurrection ne fut qu’une ride dans le glacis soviétique. Il ne m’en reste que peu, de souvenir directes

à l’exception des deux échos radiophoniques que voici :    

L’évocation par la Presse des longues voitures noires de la Police glissant sur le pavé mouillé pour aller arrêter

de nuit comme il se doit – les contestataires. Le mouvement était parti des Chantiers Navals Lénine de Gdansk

sous l’impulsion de Lech Walesa qui réclamait la pluralité syndicale. La révolte fit tache d’huile et  s’étendit à tout

le pays, et Varsovie, entraînant la chute du Président Gomulka.

mon second souvenir est celui du grand élan d’entraide, notamment en France. Des camions furent mobilisés

et emportèrent des couvertures et des denrées alimentaires pour soulager la misère des Polonais. Ces convois

auxquels la Belgique s’était associée durèrent jusqu’en 1986 –où tout du moins c’est cette année-là que j’entendis parler d’un convoi,
qui fut peut-être le dernier à partir de l’Esplanade des Invalide à destination
de Varsovie.

 

          L’attention fut monopolisée par « Les Resto du Cœur » ;- affaire purement intérieure à la France,

lancée par le fantaisiste Michel Colluchi, dit Coluche.

 

   En 1981, j’ étais sous traitement antidépresseur et calmant. Peut-être ai-je laisser échapper l’Important

du mouvement populaire Polonais.

Ecrivant ces souvenirs en 1993, 13 ans après la du Cardinal Vychinski, je me demande si c’est à son souvenir

que l’un des Squares du 14eme à Paris, a reçu le nom de Franz-joseph Vychinski.

 

Notre « Affaire Polonaise »

 

          Si les détails de la crise Polonaise ont échapper à ma mémoire, les difficultés qui la marquèrent

dans notre vie quotidienne restent devant mes yeux.   

      

           La relative tranquillité que notre Madeleine s’était créée à La Glazière, lui avait fait envisager dès septembre un séjour dans
sa Pologne natale pour la fin de l’année. Elle savait retrouver là-bas une vieille
Mère approchant je crois, les 80 ans.
Notre gardienne s’accrocha à ce rêve durant tout l’automne,- nous
plongeant dans une grande perplexité.

.

                Décembre arriva, et son célèbre 18 entraîna, comme on le pense une courte fermeture des frontières.

La pauvre, déçue, chercha à se rassurer en nous expliquant qu’elle avait déjà réussi à franchir quant même 

sa chère frontière dans des conditions aussi difficiles dès après la mort du « petits père des peuples », Joseph

Staline. Elle avouait tout de Même avoir fait le voyage plus ou moins en fraude, au printemps 1953.

   Ne voulant pas nous laisser dans un embarras supplémentaire, elle renonça pour cette fois à l’expédition.

Mais ce n’était qu’un renoncement provisoire et elle promit d’utiliser alors les moyens légaux.

Malheureusement pour elle le nouveau Gouvernement interdit tout accès à la Mère-Patrie ;- bien stupidement

à mon sens.

          Le duo des solitaires de Seine et  Marne passa des fêtes de fin d’années ni chair ni poisson, comme on

le dit. Nous ne savions si nous devions nous réjouir de l’intransigeance des Douanes ou souhaiter la réouverture

de la frontière. Elle aurait apaisé l’Europe et paraissait souhaitable, mais elle ne faciliterait pas notre tous

les jours.          

A quelqu’époque qu’arriva ce voyage, il nous jetterait dans l’embarras. L’organisation prise par ma Mère

Etait fondée sur  une présence constante des Gardiens et d’infirmiers, ou d’Aides diverse chargés de nous

escortés à toute heure.

 

Sans doute ce fut là une des erreurs de la fin de vie de ma Mère, que d’avoir accepté trop hâtivement un mode de vie qui nous mit
dans une totale dépendance, - dans cette campagne…La présence quasi-ininterrompue des

Tuhault avait endormi chez ma Mère le sens des réalités. Il est vrai qu’en 1980 l’urgence nous talonnait. Il fallait

pourvoir au confort et à la tranquillité de mon Père. Ces soucis l’empêchèrent à coup sûr d’avoir une conscience

exacte de la politique nouvelle qui montait.. Elle crut peut-être encore à une victoire de la Droite aux Elections,

victoire, qui lui ouvrirait à nouveau les portes de la Capitale ?…

 

Les choses étant devenues ce qu’elle furent, elle « travailla au coup par coup ». Elle espéra vaguement de

chacun des remplaçants qui se succédèrent, je ne sais quelle pitié devant notre abandon et la précarité de

notre état.  Toute déception dans domaine alourdissait inévitablement nos rapports avec eux,-et l’atmosphère

générale de la maison.

 

Le voilà donc ce livre…                         

    

      Au cours de cet automne où alternèrent crainte et apaisement, Oncle Pierre de Dreuzy vint nous voir

officiellement, c’était pour donner une apparence élégante à notre « appartement » de Sologne. L’affaire

étant  réglée, il s’entretint avec ma Mère de l’actualité. Par ce beau soir déjà tombé d’automne, il lui apprit

que depuis janvier 1981, Valéry Giscard d’Estaing savait que s’il se représentait, il connaîtrait un échec. Et

que ce fut par bravade ou par panache qu’il tenta le sort. On connaît la suite…

 

    Puis l’heure étant venue de reprendre la route, réunis dans ma chambre pour les adieux, ma Mère fit

admirer la double rangée de reliures de l’Encyclopédie, serrés dans la Bibliothèque qui fut le Couronnement

du Chef-d’œuvre de Duffieux.

  Devant l’admiration de la bibliophile qu’était ma Mère, on entendit ce nouveau retraité du  Service Politique

prononcer ce jugement :

 

-Le voilà donc ce livre qui a fait tant de mal…

 

-C’est vrai convint ma Mère, un peu gêné de ce petit accès d’orgueil de simple propriétaire.

 

Et c’est sur ce jugement philosophique et désabusé de mon oncle Pierre  que s’acheva 1981.

 

Conclusion provisoire.

 

                    Que dire de ces douze mois ?

      Ils furent plus riches qu’ils ne le parurent d’abord ;-peut-être à cause du résultat des élections. Les 24 mois

suivants seront pour nous des mois de lenteur et de monotonie.

 

 Et c’est une complaisance du Destin que d’avoir ainsi ralenti ses horloges durant les deux années qui vont

suivre. Hélas, il ne pouvait retenir plus longtemps ses machineries. Elle se mettront à tourner, doucement

d’abord, puis de plus en plus vite à partir de 1984, et se jetèrent dans leur pleine vitesse vers 1987.

 

Changeons de domaine. On peut dire que ma Mère supporta en apparence sans trop de difficultés les trois

premières années de son veuvage – c’est à dire en 1981, 1982, et 1983. Mais en 1984, un traquenard allait

lui être tendu.  L ’organisation qu’elle avait voulu elle même, se refermera sur elle comme un piège.

Les effets en furent immédiats sous la forme d’une fatigue générale qu’elle dominera….En surface

Mais qui ne sera pas étrangère à son décès trois ans après cette malheureuse année.     

   



1 En Mai 1987.

 

1 Il prendra sa retraite progressivement au cours de la très prochaine année 1981.

 

 

 

1 Effectivement ces Oracles avaient raisons. Mais se n’est qu’à la lin de son second mandat que François Mitterrand connaîtra les plus dures épreuves au sein de son cabinet d’abord, sur le plan personnelle ensuite. 

 

1 Date de la rédaction du Brouillon de ces mémoires. C’est à dire entre 1990 et 1994.

1 On ne m’a rien dit sur elle depuis 1999.

2 Aucun changement d’atmosphère ni de cadre n’était possible.

 

1 Elle me confirma elle-même résolution la nuit suivante au cours d’un épisode intime pour lequel elle pu me secourir. 


Après avoir laisser passer l'Histoire reprenons notre récit