CHAPITRE XV
Un Couchant Européen
1968
La chronique de 1968 se présente comme un écheveau. Deux crépuscules vont se
chevauchant.
L’un national et bruyant, celui du Général De Gaulle, l’autre familial
et plus discret, celui de ma Grand’Mère allant vers le soir de
sa vie.
Le
1er Janvier de cette année fut, comme beaucoup d’autres, éclairé à
la Télévision par le sourire de
Brigitte Bardot,(Vedette nationale et Gaullienne, si il en fut). A nous, il n’apporta que
peu de lumière,-Tout
juste un réconfort amusé et sécurisant-. Le
moteur « France » tournait rond !1
Sur le plan
personnel, ne me reste, pour les deux hommes que nous étions, que le triste
souvenir de
longues séances de lecture. L’un de nous était dans
la salle à manger. L’autre tassé dans son fauteuil
club, cherchant à distraire ses yeux par la lecture
des « Mémoires » du Duc de Saint-Simon, mais surtout
attentif au moindre soupir venu de la chambre
voisine.
Célibataire, mon Père avait connu hélas de trop près autour de lui, le
déroulement de graves maladies, pour
ne pas s’inquiéter de l’évolution de celle qu’il
voyait suivre son cours dans la pièce voisine ;-quels qu’aient été
les démentis médicaux dont on le berçait. Et ces
douloureux souvenirs étaient encore ravivés par ce cancer tout
récent qui venait d’emporter Tante Thérèse
Thiébaut, -la Belle Sœur de Grand ‘ Mère.
Place éventuelle pour la monographie du ménage
Victor Thiébaut.(A prendre dans « Le Rail »).
Et voila
que la grippe vint se percher cet hiver à notre 3ème étage…Elle
atteignit en particulier ma Mère dont
la résistance générale était déjà très affaiblie.
La grippe est connue pour déranger tout diagnostic de polyarthrite.
Par ailleurs, nous trouvions dans la plus noire
obscurité médicale ; - le Docteur Sarasin étant parti sans avertir pour un
intéressant voyage en U.R.S.S.
C’est dans
cette atmosphère et dans le parfum d’étranges sirops, notement du
« Théralène », compliqués de
cachets, que débarqua l’aînée des Brus de Tante
Thérèse. Elle plaida pour que nous prenions conseil de l’amie
Faine.
Ma
Mère se montra réticente. Ni elle, ni Faine ne pourraient se déplacer, et ma
Mère connaissait trop
bien la réponse qui lui serait faite :
-« Madame, pour vous conseiller il faudrait
que je vous vois, je ne donne jamais de consultations par Téléphone ».
Une
fois encore, ce fut mon Père qui trouva la solution : il irait lui-même
à Fontaine le port pour exposer
la situation. Mais il faudrait pour cela fournir à
notre médecin un rapport aussi technique et détaillé que possible :
température, vitesse de sédimentation aussi puisque
c’est le baromètre de l’évolution de cette maladie. Certes
nous possédions déjà le principal des remèdes
appropriés, mais il nous manquait le manchon de tension,-et
d’avantage encore la personne habilités à s’en
servir. Mon Père donna encore une preuve de son dévouement.
Dès les premiers jours de sa maladie, et devant
l’éventualité d’un retour à Paris, ma Mère sachant qu’une Infirmière était
désormais indispensable au 2ème, près de Grand ‘ Mère. Elle avait
donc résolu de profiter de
cette présence pour soulager mon Père. Un excès de
soins ingrats ne manquerait pas d’encombrer son hiver.
Mon Père
protesta avec hauteur : il tenait absolument à assumer cet astreignant
service. Il assura même
Qu’il tiendrait pour offense personnelle toute
autre organisation que le serment fait
qu’il avait publiquement
En 1932,(jour de ses Noces), et qu’il avait très
certainement tenu à confirmer
tacitement confirmé en 1939, au dessus de mon berceau, aux heures graves
de ma naissance.
Mais le
médecin, lui fit-on remarquer, aurait besoin de voir relever des indices
significatifs qui pourraient échappe à l’attention de mon Père. Il lui fallut
donc accepter qu’une infirmière entrât chez nous. Il l’accepta
Mais à condition que ce soit qu’exceptionnellement
et pour une durée qui ne permette aucun engagement
de notre part.
La
consultation à Fontaine le Port eut donc bien lieu. Et mon Père en rapporta une
lettre. Perplexe, Faine
l’avait confiée à mon Père à l’intention du
Professeur Coste, Chef du Service de Rhumatologie à l’Hôpital
Cochin.
Monsieur
Coste, vint deux fois avenue de Messine,(il voulut tout savoir de la vie de
notre trio). Il tint
à m’apercevoir, lorsqu’il me vit couché dans la
salle à manger, je l’entendis murmurer :
-« Vous êtes très éprouvé ».
J’admirai silencieusement, que ce haut savant, qui
n’en était certainement plus à son 1er cas difficile put
encore trouver un commentaire « émue » à
dire.
Dès la
seconde fois, il tendit à ma Mère une main salvatrice, et par ce seul moyen la
fit sortir de ce
lit où elle se morfondait depuis bientôt 6 mois. Dès
qu’il fut parti, mon Père m’emmena notre malade
dans sa chambre : elle était assise dans ce
fameux fauteuil jaune ; dont j’ai déjà parlé.
Ces
évènements se déroulaient avec dans le lointain un bruit de canonnade. Les
Américains engagés dans
« leur » guerre du Viet- Nam, se
dépêtraient comme ils pouvaient de Da-Nang. Dans mon souvenir, il y eut
une évacuation retentissante, coûteuse mais réussis
de cette base américaine. De toutes façon les fêtes
du « Tet » de cette année-là restèrent
célèbres dans les annales militaires.
Ce
n’était pas encore-là le fameux Couchant dont je parlais.
Le Cas
Tournay.
Au milieux de tout cela d’autres ennuies personnelles vinrent se « coller » à notre trio. Au termes des accords passées, Daniel
Tournay devait nous payer les bêtes qu’il avait trouvés à l’engrais en entrant
à la ferme
en janvier 1965 ;-et cela par anuité assorties
d’un intérêt. Or l’argent ne rentrait pas. Certes les intérêts étaient versés,
mais les annuités se faisaient attendre.
Mes parents
auraient volontiers pardonné un léger retard. Mais mon Père avait eut vent par
ailleurs du goût
de Tournay pour tout les sports ;- il
affectionnait en particulier la vitesse,-et par conséquent les voitures qui la
procurent…. Mes parents pensèrent lui faire signer
une reconnaissance de dette. Mais la solution n’était pas
sans risques dont le recul du temps a estompé les
détails dans mon souvenir.
Le bail, me
semble-t-il avait été fait au nom de ma Grand ‘ Mère, seule propriétaire et seule
signataire. Se
posait donc un problème fiscal dès lors qu’on
l’assortissait d’un acte au bénéfice de personnes dont les noms
ne figuraient pas au bail. Mon Père, au moins, le crut.
L’état
cardiaque de Tournay et une jambe cassée sur les pistes enneigés, nous firent
franchir un pas qui nous
paraissait quasi obligatoire. Cette reconnaissance
bien que rédigée « dans la foulée » c'est-à-dire au printemps
et même signée par Monsieur Tournay dès notre
arrivée à La Glazière, ne prit effet
qu’à la fin de l’année. Il y manqua longtemps le paraphe de sa femme. L’acte en
question donnait encore exactement dix ans au récalcitrant fermier….
Il me
paraît intéressant pour la petite histoire de noter que ce document fut passé
par-devant Maître Lucien
Delafon, en son Etude de la rue Marx Dormoy. Il avait été le condisciple de ma Mère sur la poudreuse de Megève.
On
s’amusera aussi de savoir que Maître Delafon était également le Notaire de la
chanteuse de variété :
Dalida.
Le fameux printemps….et sa célèbre Chienlit !
Pour
la dernière fois, (en ce jour de Pâques 1968), nous nous retrouvions quatre aux
pieds de Notre-Dame
de Paris pour lui présenter nos Prières et nos
vœux. Michel d’Orgeval tenait la place de ma Mère et Simon Harvey était également
des nôtres. Mais l’absence de Monseigneur Veuillot qui venait de mourir, le
changement
des dates scolaires britanniques feront qu’à partir
de l’année suivante, Simon n’assistera plus avec nous à la messe de Pâques.
L’aide se faisant plus rare, mon Père hésitera désormais à se lancer seul avec
moi dans la
cohue de ce Dimanche un peu particulier.
A
l’extérieur de la Cathédrale, Paris, déjà en février, frémissait. Deux mois
plus tôt, un journaliste du Journal
Télévisé de 20 heures, nous avait annoncé une
montée de fièvre au Campus de Nanterre. Mais préoccupés des
affaires que j’ai dites, ni mon Père ni moi n’y
avions prêté attention. Pourtant dès le
départ de nos deux hôtes1 le
mardi de Pâques, la rue commença à s’animer.
Fut-ce
une chance ou une malchance que d’habiter le 8ème, quartier
protégé ? Je ne sais, Toujours est-il que
les évènements de mai 68 m’apparaissent plus
compacts et moins propres pour moi à un récit détaillé, que ne
l’avait été le printemps du Régime, vieux d’il y a
10 ans….
En 58, les évènements, allaient, quoiqu’on voulut y
faire « dans le sens de l’Histoire » ils reçurent l’aval des
« Seniors ».
Les évènements de 68, au contraire frènnnerent
singulièrement la « machine » bousculant les habitudes de la
génération
supérieure. Ainsi en fut-il tout du moins au 28
Avenue de Messine.
Il se
trouva que les deux chefs du Gouvernement fussent en voyage officiel, l’un en
Afghanistan l’autre en
Roumanie. Il y eut sur le terrain derrière eux, la
manifestation d’un ras le bol avec saturation du Pouvoir
Personnel…C’est ce qui parut le plus clairement aux
yeux de tous.
On peut
cependant retenir que de la fin avril aux tout premiers jours de juillet, (y
compris les jours d’Elections
qui furent organisées à la suite), Paris fut divisé
en deux parties, inégales : Les
bruyants noctambules et les rares casaniers dont nous étions, au sommeil
troublé par les ébats pétaradants des premiers.
Que revendiquaient-ils ? un autre enseignement,- plus
libre ;- et surtout la fin des contraintes. Bref : il fallait
changer. La gent syndicale se joignit à la jungle
politique pour abattre le grand arbre de l’Elysée. Tout ceci
aboutit à une grève peu à peu générale. Les
Transports furent les premiers touchés, ce qui ne gêna guère les
habitants du 28. Puis ce furent les boueux qui
s’embourbèrent ; c’était plus incommodant. Enfin, ce fut le tour
de la Télévision, vraie fille du régime
gaulliste ! Nous comprimes que ce déroulait quelque chose de grave. La
rue pendant ce temps-là rougeoyait presque. Des
rares images émises par la « lucarne cathodique » en « service
minimum », je me rappelle celle d’un pauvre Préfet de Police
s’interrogeant sur ce qu’il allait faire pour
ses troupes moralement désarmées et affolées.1
Et pour
voir ces images, encore fallait-il que la Télévision fonctionne ; ce qui
était irrégulier. Georges Pompidou
alors Premier Ministre, requit l’Armée pour
nettoyer Paris. Les petits gars du Train s’en virent charger. Il fallut aussi
assurer à la Télévision un service minimum, on en chargea les Transmissions.
Au troisième étage de l’Avenue de Messine, c’était
tragique. Mon Père, impressionné par cette révolution
s’ajoutant à celle de Vatican II, déclarait à qui
voulait l’entendre que « tout foutait le camp ». Il était aidé en
cela par le Professeur Offerlé.
Dernier coup du sort, les pompistes se mirent de la
partie,-retenant sur place le vacanciers de cette Pentecôte-là.
Vers le 1er
juin, ce fut le triomphe des transistors,- l’écran étant toujours noir. On entendit
la « Voix de Londres »
annoncer que si le Peuple voulait, elle resterait
au pouvoir ; et des élections étaient prévues. Le Général avait
« fuit » Paris, et son vacarme. Il resta
absent 48 heures. Un meeting monstre s’organisa sur les Champs-Élysées
on lui savait gré d’avoir vaincus une passagère,
fatigue et d’être revenu à Paris.
Tels furent pour moi les principaux moments de ce
mai 68 qui devait rester fameux pour les gens de ma génération.
La Sève
de 68.
J’ai déjà parlé des mariages de Marc avec
Françoise, et de celui de Chantal Schelcher avec François
de Saint Rémy. Le frère aînée de celle-ci profita
du désordre causé par les évènements pour se fiancer…
Ce fut pour nos parents l’occasion d’ouvrir encore
une fois l’Hôtel à leur relations. Ce fut,
je crois, l’avant
dernière fois que je pénétrait dans ces pièces de
réception et dans le décor que j’avais toujours connu.
On y vit, paraît-il, une vielle et très respectable
Dame, appuyée sur son accompagnatrice donner par son
passage son assentiment à ces noces. On lui
présentera en avril suivant Hugo, son unique arrière-petit-fils
né de cette union.
Les groupes qui s’entrecroisaient, parlait beaucoup
des évènements. Et même dans un coin de la pièce
on se fixait rendez-vous sur une barricade de la
rue Gay-Lussac…un comble !
En
juillet Jean-René épousera en Espagne sa fiancée : Nativitad Rodondo,
fille du papetier officiel du
Régime Franco.
Et mes yeux tombent continuellement sur la « robette» flamboyante
d’une des invitée.(habitué
du 11 Rue Murillo).
Allons ! jetons un ultime regard sur cette
fête, la dernière donnée sous le toit de Madame Schelcher, et sous son
Regard. Partons pour La Glazière, afin de calmer
les appréhensions des Maindreville.
Le
Printemps de Prague.
Nous
arrivons en Seine et Marne pour découvrir la vérité sur le mal de Ghislaine1, un cancer des vertèbres.
Le fidèle Tuhault est très abattu. Ma Mère allant
mieux, il nous demande de nous déplacer jusqu’au corps de
bâtiment qu’ils occupent, pour leur parler de la
Famille et en particulier de Madame. Ghislaine nous accueille
entre deux cannes, elle aussi.
Une seconde
déconvenue nous attendais,-tout aussi sensible et dont nous n’avions peut-être
pas mesuré la
portée. En effet, je suis passé un peu vite sur la
peine que nous fit la mort de Madame Victor Thiébaut, Tante
Thérèse. Avec elle nous perdions non seulement une
affection familiale véritable mais les clefs d’inépuisable
et sures bibliothèques.
Nous avions deux sources de lectures. L’Oncle
Victor occupant la Mairie de Brou après la Grande Guerre, avait
Créée une Bibliothèque Municipale pour les
habitants et notamment pour les cheminots de l’importante gare de
triage de Vaire-Torcy situé non loin de Brou. En
second lieu, cette Bibliothèque générale était relayée par celle
du château. L’une et l’autre procurait à chacun le
livre dont il avait envie. J’ajouterais que ces lectures offraient
bien des facilités financières.
Le décès de Tante Thérèse obligea ma Mère à aviser.
Là encore on consulta la Doctoresse qui recommanda
« Le Livre de Poche ». (Si nous avions
demander son avis au Docteur Faine, en matière de m Lectures c’est
que nous connaissions sa sûreté de jugement au
sujet de la « Chose Ecrite ». N’avait-elle pas eut comme voisins
à Fontaine le Port : Hubert Beuve-Méry,
Fondateur du « Monde » et Arthur Koestler, Auteur du « Zéro
et L’Infini » ?
Très
accessible comme prix et bien fournie en titres. Mes Parents commencèrent par
suivre ce judicieux conseil. (Je découvris ainsi « Koenismarck »), et
fit une exploration plus approfondie des « Mémoires d’Outre
Tombe ». Malheureusement une lecture trop
ardue du « Troisième Cercle », nous dégoûta pour longtemps
de cette collection.
Le
dimanche 30 juin 1968, eut lieu le second tour des élections Législatives
prévus par le Général, sur
le fond de tumulte que l’on sait. Ce fut un
raz-de-marée en faveur du Gaullisme, encore vivifié par
le Maître en personne.
Mon été
s’annonçait bien escorté. La plus jeune sœur de Chantal de Pange, Sonia, parla
des habitants de
La Glazière à un de ses amis. Jean d’Onies de
Vales. Il faisait, je crois, l’Ecole du journalisme. Très éveillé aux
choses du Livre, il correspondait aux goûts de
notre trio.
Originaire
de l’Hérault, Jean avait la particularité d’être le fils d’un ménage de
religion mixte. Ses frères et lui-même
étaient catholique comme leur Père ;ses sœurs avaient suivaient Madame d’Onies au Temple.
Je le
revois encore du côté jardin aidant ma Mère à corriger une correspondance
familiale, dans laquelle il se
plongeait, avec autant d’intérêt que d’entrain.
Cette correspondance entre Monsieur de Saint Vincent et sa femme, fut le
dernier travaille dactylographié de ma Mère.
Quoique très « raisonnable » , il avait
été presque automatiquement versé dans un Bataillon Disciplinaire lors
de son incorporation. Et cela pour avoir fait
simplement partie d’une des Universités qui avaient vécu un printemps assez
grognon à l’égard du Pouvoir…
Cela ne lui avait pas donné un amour très vif
pour…l’Armée. Il nous arriva
littéralement empaqueté à destination
de la Villa « Chanteclair ».Cette Villa
était la résidence secondaire de Madame Mollie. Son Petit-fils Marc s’en
retrouva propriétaire en Août 1989. Il la revendit peu après. Jean commença par
mieux connaître « Chanteclair »
que La Glazière, dont était pourtant l’invité
privilégié et choisi. Chanteclair était à Houlgate, ce qui était loin…..
Sur le
chemin du retour, nous arriva une historiette amusante. Mon Père, traversant
Bailleul où son frère
Aîné André avait une maison, pensa lui faire une
surprise en venant le voir. Une fois engagés dans l’allée
nous croisons un peloton de jeunes coureurs. Mon
Père en héla et lui dit :
-Petit, va dire à ton Grand-Père que son frère est
là et qu’il voudrait le voir.
Sans très bien comprendre, le gamin y va à tire
d’aile, en criant :
-Grand-Père ! Grand-Père !il y a dans
l’allée un Monsieur qui veut vous voir et qui prétend être votre frère !
Sans
dissiper l’équivoque, les deux vieux Messieurs tombent dans les bras l’un de
l’autre devant les enfants stupéfaits leur grand-père ait un frère plus jeune.
Leur surprise venait de ce que mon Père leur dit être « le plus
Jeune frère de Grand-Père ». C’est le sourire
aux lèvres que nous revînmes à La Glazière pour y vivre la fin du
mois de juillet.
Durant
notre séjour à Houlgate, La Grande Histoire avait tourné. Georges Pompidou
était plus ou moins démis
et Maurice Couve de Murville lui succédait avec
mission de payer les pots cassés ainsi
que de d’assurer l’avenir.
Son temps de gouvernement était placé sous le signe
de la tristesse. Le traditionnel défilé du 14 juillet s’étira sous des trombes
d’eau qui transpercèrent l’uniforme du Général-Président. Et c’est ainsi que
s’acheva juillet
dans une atmosphère méridionalement familiale. Au
dehors, on entendait beaucoup discuter les gens d’Europe
Centrale, depuis qu’un zéphir de liberté semblait
rafraîchir la Tchécoslovaquie. Bien
éphémère sensation…
Et nous
voici prêts à vivre l’Août de Prague. Nous le traverserons escorté de
l’inséparable et bienfaisant
Ullie, flanqué d’un camarade : Richard Wöyke.
Ces jeunes Allemands étaient bien faits pour suivre avec nous
ces graves instants qui allaient nous montrer ce
que l’Union Soviétique réservait à l’Europe libre….
Depuis le
printemps, les journalistes et quelques autres, avaient eu les yeux et les
oreilles attirés par des bruits
de contestation semblable à ceux de Paris, mais
ceux-ci venaient de Prague. La France occupée par les évènements déjà relatés,
n’y prêta pas toute l’attention qu’ils méritaient. On limogeait quelques
Officiers rouges
là-bas, - mais cela n’empêcha pas Daniel Cohn
Bendit de faire sursauter les rares dormeurs de ce printemps
1968.
Dès la
fin de juillet, Bernard Volker, journaliste de la Télévision et par conséquent
compagnon de nos dîner
nous parlait d’une entrevue de la dernière chance
entre Léonid Brejnev et Alexandre Dubcek le récent dirigeant
de la nouvelle Tchécoslovaquie. On n’osait pas croire à une libéralisation…
Et en effet, le 21 août tout commençait à rentrer dans l’ordre soviétique.
L’U.R.S.S. forte de l’expérience qu’elle avait acquise des effets
de l’épouvante, dès 1956, avait de nouveau posé sa
patte sur la « colonie Tchèque », par l’intermédiaire de ses
lourdes divisions blindés.
Les
Praguois suscitèrent notre admiration par leur façon de résister. Ils
retrouvèrent en effet le vieux procédé
des messages codés chers à nos Maquisards
(… « la cheminé tire mal – deux
fois »). Et tout cela dura jusqu’à
un sinistre coup de sirène. Il réclamait une minute
de silence et annonçait au à l’Europe libre la fin de cette tentative
d’affranchissement. Je connus alors un
court moment d’émotion, car cet affreux mugissement me
rappelait cette privation de liberté que j’avais
peu ou prou connue sous la poigne allemande durant la dernière
guerre.
Le cher Ulli fut avec ma Mère le seul et
compréhensif témoin de mes larmes. Ulli et Vöke avaient été placés par
l’Histoire à un carrefour du monde. Ils n’en
menaient pas large non plus. Berlin avait connu aussi une pareil répression en
1946, je crois…
Les
quatre heures de cette affreuse matinée furent employées à doter nos deux
jeunes compagnons d’un transistor. Peu après, dans avant-dernière Conférence de
Presse, le Général De Gaulle fut questionné sur
l’attitude du Pays devant l’U.R.S.S et la situation
née du 21 août. Il répondit sagement que la France était trop
faible pour s’attaquer à l’un des deux Grands, mais
que bien entendu, elle regrettait toute manifestation d’hégémonie, d’où qu’elle
vienne.
Le départ
d’Ulli me laissa en tête à tête avec Wöke. Il ambitionnait la Représentation
Diplomatique Militaire
et s’y préparait en faisant moult lectures, sur le
tissu social des pays qu’il traversait. C’est ainsi que j’eux sous
les yeux une plaquette de la Collection « J’ai lu » sur le Front
Populaire, vu par René Raimond.
Retour à une Histoire Plus Simple.
A partir de septembre, les bonheurs familiaux,-et
aussi les soucis-, se succédèrent et m’empêchèrent de goûter
pleinement les dernières heures que ce jeune Berlinois
passa près de moi.
Au nombre
des heures heureuse, il faut compter les Baptême de deux arrière-petites-filles
de Grand ‘ Mère :
Stéphanie, chez Marc et Marie Hortense chez
Chantal,(le 15 Août). Toute deux furent baptisés à huit jours d’intervalle
pendant ce même été. J’assistais aux deux goûters, escorté par mon Père ;
ses réactions et ses
désirs exprimés avec désordres. On comprendra que
nous étions à la veille d’une nouvelle tempête au sein
de notre
trio. Et celle-là devait secouer presque jusqu’à sa fin notre chef de groupe.
Deux
réunions aussi chaleureuses que parfaitement réglés incitaient de plus en plus
mon Père à désirer
retrouver Paris et la Civilisation. A ce rêve plein
de lumière se joignait dans l’esprit de mon Père, le devoir qu’il
se faisait d’entourer Grand ‘ Mère. A chacun des passages qu’il faisait auprès
d’elle, elle déplorait qu’ils fussent
si courts et si précipités. Il devra attendre
jusqu’au 20 novembre, 1968, pour voir exaucer et ses désirs.
De cet
après-midi à Orgeval, je garde le souvenir certain corsage de teinte clair, en
soie blanche ou crème
qu’arborait Chantal, récente Mère du Bébé.
Ayant
entendu l’aveu de solitude émis par son Oncle François, elle décida une
prochaine journée des Saint
Rémy à La Glazière ;-pour présenter selon ses
propres paroles « la jeune fille à Tante Jeannine », rendez-vous
fut pris pour le lendemain même.
La
secousse avait été trop forte pour mon Père. Il avait combattu pendant
l’été tous ces miasmes rapportés
de la
Capitale par une dépense physique excessive et démesurée. Il s’agissait du
jardin. Il voulait l’entretenir
« Manu Silvestri »1
, c'est-à-dire sans l’aide d’aucun
moyen moderne.
Comme
tous les Français j’attache de l’importance à 1968,-mais pas pour les mêmes
raisons.
J’avais 29
ans, et je me trouvais de nouveau devant un homme aux choix trop
flexibles ; prompt aux
décisions irréfléchies. Il avait suffi que je lui
demande de penser à mon avenir et à la solitude qui serait
la mienne, pour qu’il change d’avis à propos de ces
réunions familiales auxquelles il était peu enclin, et
qu’il décide d’y participer.
La solitude en effet devenait de plus en plus
menaçante. La mort continuait à nous survoler de très bas.
En plein mois d’août, ma cousin
germaine :Madame Henry de Cugnac, née Bernadette de Larminat, nous
avait quittés laissant un mari et quatre enfants, petits ou en trop bas âge pour
comprendre et supporter le
malheur qui les atteignait. Le spectacle du Colonel
de Cugnac, tenant par la main ses deux aînés, des jumeaux
de 12 ans, pour les conduire vers la dernière
absoute, n’était pas fait pour réconforter mon propre Père.
Ensuite
dans les premiers jours de septembre, le journal nous apprit le décès de
Monsieur Jacques
Lozouay, frère de Madame Pellettrau déjà aperçue ici.
Il était aussi un des dignitaires à part entière des
chasses à Tir donnés par mes Oncles sur la
propriété. La visite éploré sous une pluie battante, du ménage
Pelletreau, reste pour moi un des souvenir de ce
début d’automne.
Puis un accident de taxi, stupide comme ils le sont
tous, va priver la Seine et Marne de Madame Sommier.
Nous fumes tout un petit groupe à la regretter. Son départ par exemple ferme un beau livre d’histoire.
Pour nous c'est un beau livre d'Histoire qui se referme.
Quelques heures plus tard faisant des courses, mon
Père tirera prétexte auprès de ma Mère de ma solitude
prolongée à La Glazière ce matin-là, pour échapper
au passage devant la chapelle ardente dressé à Vaux
le Vicomte. Ce qui était l’indice chez lui d’une bien vive lassitude mentale.
11 Novembre
1968 . La France encore commotionnée de ses secousses de mai a décidé
de se doper le moral
en célébrant le 60ème anniversaire de sa
belle victoire de jadis. Elle organise donc un défilé monstre, dit « des
Nations », commémorant la parade triomphale de
1919.
Nous
sommes mon Père et moi, agglutinés devant la Télévision. Le ménage des Pange
nous y surprend
Ils voulaient « distraire Monsieur de
Maindreville ». Monsieur de Pange a sous le bras un volume
De L’Illustration » ;-Collection que j’ai
bien connu pour ma part, dans la salle-biblothéque du 1er,
Avenue de Messine. Ce tome est naturellement
consacré à la Victoire dont on célèbre aujourd’hui
le souvenir. Pendant que ma Mère le feuillette avec
ces Messieurs, Chantal et moi nous nous entre-
tenons des différents états de santé de nos deux
familles.
Quelle charmante façon d’aider à boucler les
valises, en vue du retour à Paris !
On
trouvera peut-être que tout cela fait beaucoup de cercueils et que pareille
promenade au milieux d’eux
est bien lugubre…Leur nombre permet de deviner quel
était notre état d’esprit en cette fin d’un année tumultueuse au début et si
triste en sa fin. Ces divers évènements ne nous avait pas portés à l’optimisme.
J’avais
quitté un Paris politiquement tiède après les ardeurs de mai, et se reposant
dans le farniente.
Je le
retrouve de nouveau agité, Pressé, sans doute préoccupé,-par cette activité-de
faire oublier son
« caprice » printanier. Et pourtant on
devinait peut-être autre chose.
Au 28
Avenue de Messine, l’accueil fait tout oublier par sa chaleur :
-« Enfin ! on va entendre du bruit au
dessus ! »
Nous dit Grand ‘ Mère.
Coup de Projecteur .
Il est
temps maintenant de tirer la leçon de cette année d’agitation nationale et
européenne.
En France le charivari parisien à gravement lézardé
le socle de la statue du Général.1 Elle ne
tient
debout que par le souvenir de la crainte qu’on
avait conçues durant les 24 heures où il avait fui
Paris en direction de l’Allemagne. A cela
s’ajoutent des bruits inquiétants de dévaluation dont
François-Xavier Ortolli,(nouveau ministre des
Finances), rebat les oreilles des Français. Cela
n’apaise pas le trouble paternel.
Sur le plan international, la Tchécoslovaquie
provoqua bien un élan de compassion international du
monde libre. Mai connaissant d’expérience le poids
et le manque de souplesse du monde soviétique
l’Ouest baissa bien vite les bras.
Le
sacrifice par le feu du jeune Jan Palach, jeune étudient Tchèque, émut
passagèrement le monde
occidental. Il voulait alerter tout le monde
occidental. Mais son sacrifice fut vain. Le monde occidental
retourna vite au confort de sa liberté et se
détourna de ces flammes inutiles. Il était omnubilé par le
conflit du Vietnam dans lequel s’enlisait
l’Amérique. Qui serait le vainqueur ?
En 1968, la France évoquait son Indochine.
Elle suivait le combat mené par l’Amérique. Elle avait le
sentiment qu’on nous l’avait volée. Les
Etats-Unis voulaient-ils le libérer ou nous y remplacer ? Tout
ambigu. Le
Congrès américain vota une intensification de l’action militaire ; mais
une action diplomatique
intense se développa Avenue Kléber entre le Docteur
Kissinger, Secrétaire d’Etat Américain, et Mr Le
Duc Tôt, délégué du Viet-Minh
J’ai déjà parler au début du chapitre de la
Bataille de Da Nang, qui ouvrit l’année et fut malgré les pertes
subies un Dien- Bien- Phu réussi.
Ayant évoqué la situation international, revenons à
l’Hôtel Schelcher Nous nous
installons un peu tous, cet hiver-là,
dans une atmosphère de siège médicale, face à la maladie de notre Aïeule, dont
la survie trompait
toutes les prévisions. Eut égard à ma vulnérabilité,
mes parents espacèrent mes visites au second étage.
1 Comme par hasard et selon mon souvenir ce fut la fois que la Télévision fit appèle à B.B, er à son sourire
fluorescent, pour nous aider à ouvrir les Paquets Etrennes. Mais cela est une autre histoire.
1 Michel d’Orgeval, en vacances de Pâques « extraordinaire » avait gentiment décider de nous les consacrer.
1 Ce Préfet de Police, aujourd’hui si perplexe. Ne le fut pas toujours Ne s’appelait-il pas Maurice Papon ?
1 Depuis l’automne 67,Gislaine se plaignait de douleurs au dos .Elle furent scientiquement soupçonnées par un
ami médecin, qui participait à la chasse avec Marc Schelcher.
1 Par mesure d’économie on avait du renoncer définitivement aux services de René David, chargé du jardin-potager depuis 1950.
1 Ce fut un bien triste Couchant pour le vieil officier ,jadis couvert de la gloire qu’il avait si justement mérité.