CHAPITRE XVI


LA  DAME  AUX YEUX FERMES


1969

 

 

 

   Les premières semaines de l’année furent dans le droit-fil des derniers jours de 1968. Pourquoi le cacher ?

1969 est une des années pénibles que j’ai à relater. A première vue, elle fut pavée de deuils importants,-quatre

ou cinq, si je compte bien. Parmi eux, il faux bien sûr distinguer le décès de Grand’ Mère. Il plaça sur notre route

une vraie chicane, que chacun dut négocier à sa manière. Ses effets ne s’apaisèrent qu’à mon installation rue

Lebouis.

 

 

Ephémérides

 

   Peu de temps après Pâques, la Tante Andrée Brocard, (mère des co-organisatrices du fameux Rallye-Auto de naguère, fit

un passage protocolaire au troisième. Ma Mère, pour un instant, indisponible me l’envoya. Pendant que

la visiteuse

                  

me fait profiter de son humour, le téléphone sonna. Aux réponses de ma Mère, je devinai le nom de la correspondante.
C’était Chantal de Pange, qui nous annonçait la triste nouvelle que redoutions tous :

le Départ sa jeune nièce Delphine de Fosseux, (10 ans), atteinte depuis 1966, d’un Cancer.

 

Toute la famille avait eu la gentillesse de la recommander à mes prières, quoiqu’il aurait fallut surtout

prier pour toute sa famille et secourir aussi délicatement que possible ceux qui traversaient ces moments

difficile. Mes oraisons ne plurent sans doute pas au Très-Haut puisque Delphine mourut le 23 avril, mardi

de Pâques ;-et cinq jours avant le dernier référendum gaullien qui devait le 27 avril. L’enterrement de Delphine

lui, était fixer samedi  26.

 

   Or, ce même 26 avril, la famille Jean Schelcher devait à Orgeval baptiser Hugo, le fils de Jean-René.

Ii fallait donc à la fois nous joindre à nos pauvres amis et partager la joie familiale.

   Le moral de mon Père n’était pas brillant.. Ma Mère et moi, nous craignons d’accroître son marasme

par le spectacle d’un enterrement, qui viendrait s’ajouter à tous nos soucis matériels si préjudiciable à son

malheureux tonus. Toute la famille eut recours à une ruse. On chargea l’I.D. du complément indispensable

à la réception d’après baptême. On recommanda à mon Père, le chauffeur, d’être scrupuleusement exact.

Pour plus de tranquillité, Tante Jacqueline Thiébaut avait accepté de nous accompagner. Il y eut, bien entendu

une halte devant l’église des funérailles. Mais mon Père, partit en reconnaissance, dut battre en retraite devant

la foule aussi nombreuse qu’affectueuse ; qui entourait la jeune « Reine Morte ». Nous ne vîmes donc rien de

la triste cérémonie ; et pourtant la journée entière me parut maussade ; -et le dirai-je, tout à fait consciemment

et volontairement , j’imitai Noé et me retirai dans mon Arche.          

 

   Je fus long, à me débarrasser du souvenir de cette mort de Delphine. Un jour de la semaine suivante

où nous déjeunions seuls, ma Mère et moi, je lui avouai être déjà las de cette année. Nous étions pourtant

au printemps, saison facile à vivre entre toutes. Mais nous vivions dans l’attente résigné des nouvelles

venues du 2ème étage, celui de Grand ‘ Mère. Et cette atmosphère répercutée à notre 3ème , alourdissait

singulièrement l’ambiance. A toutes ces raisons, personnelles ou familiales, il faut ajouter l’émotion

« nationale » ressentie par notre trio, devant les résultats du référendum le 27 avril 1969, au soir.

 

 

   Un départ qui fit grand bruit 

 

   Chez nous, il n’y eut rien d’extrêmement important. Mais un départ fit grand bruit. Celui du Général De Gaulle

qui abandonnait le Pouvoir.

    Dix ans passés à l’Elysée avait quelque peu terni son aura ; 1968 et son escapade hors de France l’avaient

atteint. Les Français le voyaient, soutenir (avec un entêtement de vieillard), un projet de loi sur la Participation

et la Régionalisation. Ces projets n’entraient pas semble-t-il, dans le cadre des urgences du moment… 

Mené par son optimisme, le Général demanda donc un vote de confiance aux Français. On connaît la suite…

Le résultat le réinstalla à La Boisserie.

Le lendemain du référendum, ayant à parcourir Paris de l’Avenue de Messine à la Madeleine, je le trouvai calme

et serein.

 

   l’Eté 1969.

 

     L’Hôtel Schelcher respirait lui aussi la tranquillité. Cette immobilité nous incita au départ pour les premiers

de juillet. Et ce départ fut l’occasion d’une légère querelle entre mes Parents. Mon Père voulait m’arrêter au

second étage pour en saluer l’occupante. Ma Mère n’y tenait pas ; craignant de m’impressionner et disant que

Grand’Mère ne se souviendrait même pas de cette visite. Ce fut mon Père qui l’emporta.

Nous trouvâmes la vieille dame dans son vestibule, car on rangeait son boudoir habituel ; sa jambe droite était

allongée pour soulager un pied douloureux. Apprenant que nous partions, elle voulut nous avoir à déjeuner dès

notre prochain passage auprès d’elle.

Mon Père s’extasia de nouveau devant l’ordre parfait de ce vestibule et de tout l’appartement en général ; comparé au fouillis du nôtre,
qui le faisait plutôt penser à une bibliothèque en perpétuelle consultation.

C’est sur cette promesse d’un revoir rapide que je fis mes adieux à Grand ‘ Mère. Je ne les savais pas

définitifs. Je ne devais plus la revoir. Je venais d’avoir 30 ans.

 

Nos premiers jours à la campagne furent paisibles. A tout hasard, mon Père entama des rangements.

Ils nous conduisirent au 14 juillet et à son défilé. Celui-ci fut ouvert par une Prise d’Armes au cours de

laquelle le Général Massu reçut le Grand Cordon de la Légion d’Honneur, des mains de Georges Pompidou

nouvellement élu deuxième Président de la V ème République.

 

 

  Comme naguère,-quand en 55 l’Hôtel était moins vivant, la santé de Grand’Mère faiblissait. Son gendre

multipliait pourtant les visites à Paris, rien n’y fit,- à la mi-juillet, il nous rapporta des nouvelles franchement

mauvaises. Elle s’était disputée avec son infirmière, laquelle avait exigé des excuses que la malade avait

humblement faite. Ce n’était pas dans le caractère que nous lui connaissions.

A La Glazière, la vie continuait. Ma Mère avait téléphoné à Mimouche. Chantal de Pange avait décidé un

thé à la maison pour le 20. Il faut noter qu’une forte tempête avait dérangé nos fils téléphoniques à l’époque

 plantés en surface. Chantal et sa sœur, Isabelle, Mère de Delphine, vinrent  donc prendre le thé. Et je rappelle

que le récit des malheurs récents d’Isabelle étaient constamment interrompus par d’agaçantes sonneries

auxquelles nous ne pouvions rien ; les fils s’étaient noués aux branches des arbres qui remuaient sans cesse

au gré du vent. La pensée qu’un triste message pouvait chercher à nous joindre nous hantait depuis peu.

 

   Vendredi matin.

 

     Un habitant du Chatelet s’improvisa télégraphiste et nous apporta un  « petit bleu » ainsi libellé :

« Maman état critique – signé Jean ».

    C’était un pieux mensonge. Les dernières nouvelles rapportées de Paris par mon Père, révélait

justement un état alarmant.

J’avais été déjà habitué de bonne heure aux enterrement ; mais pas accoutumé au spectacle d’une

Chapelle Ardente. Mes parents, préférant me faire garder une image heureuse et exempte de la grimace

douloureuse que pouvait provoquer la mort, voulurent m’en éviter l’éventualité. Devinant la réalité que laissait

entendre le télégramme d’Oncle Jean, ils me confièrent à J.D. Piens, mon Monsieur de Compagnie du moment

et partirent en « reconnaissance ». Bien que je sois renseigné sur ce qu’il fallait penser des instants qu’ils vivaient

l’attente d’une certitude me parut longue. Jean-Daniel fit pourtant l’impossible pour me faire passer un après-midi

aussi normal qu’il soit. Je ne pouvait détacher mon esprit de La Glazière,1 et du changement radical qu’allait

entraîner ce décès, tant pour elle que pour nous.

La propriété nous incombait ou allait nous incomber plus totalement. Très naïvement, je m’en réjouissait,
(ayant été « nourri »dès l’enfance par ce refrain d’envie). Mesurant mal ce que l’avenir se chargerait bien de m’inculquer :
le poids de la responsabilité que cela supposait.

   Après le dîner, toujours pris en tête à tête, je me souviens des quelques pas faits sur la route,-à la rencontre

hypothétique de la célèbre I.D. 21, « familiale ». Mais la tentative demeura vaine. Ce ne fut que beaucoup plus

que m’arriva, par mes parents enfin revenus, la nouvelle du Départ de Madame Schelcher.2

 

 En m’endormant, je pensais avec effroi que rien ne s’opposait à la mort de mes propres parents. J’avais fait

de celle de ma Grand ‘Mère l’étape préalable vers cet évènement qui se produirait mathématiquement un jour.

Il ouvrait pour moi sur un gouffre….Je terminai cette effrayante réflexion en me soumettant au Seigneur.

   

 

   Une simple Bronchite. ..

 

        Dès le lendemain, ma Mère me donna les détails qu’elle avait pu recueillir sur ce triste évènement.

Quelqu’un avait laissé une fenêtre trop longtemps ouverte. Le vent léger d’un soir de juillet s’était infiltré

jusqu’à la vieille dame. Et en avait attaqué les poumons. Son très grand âge, presque 93 ans , n’avait pu

résister à cet assaut pernicieux. 

  Parmi les impondérables qui, selon ma Mère avaient pesé sur la fin de mon Aïeule figurait la décision

annoncée par son vieux personnel de ne pas reprendre leur place à ses côtés à la prochaine rentrée. 

Grand’Mère perçut-t-elle le danger qui planait sur elle ? Son état de santé en fut-ll affecté ? Autant de

questions posées….  

 

        Ce récit fut achevé par l’énoncé du programme des prochains jours.

Après avoir fait les courses nécessaires faites à Fontainebleau : tenue stricte, cravate noir, etc.. Nous devions gagner Paris,
le lendemain dimanche dans l’après-midi. Un rapide dîner était prévu rue Galilée ;-et la cérémonie

fixée au lundi matin à 8 heures. On espérait éviter la trop grande chaleur qui commençait à régner et caractérisa

tout cet été-là. Le programme devait s’achever par un déjeuner familial chez Oncle Jean, quelques heures après

l’inhumation.

 

Le ménage Rémi s’était excuser pour ce déjeuner. L’Oncle Rémi se sentait bizarrement fatigué depuis quelques

jours  Il avait dû n’assister qu’aux obsèques, et ensuite rentrer chez lui pour s’allonger, selon la prescription de son médecin particulier.   

    Tuhault, le Garde, qui assistait également aux obsèques, nous dits plus tard avoir été choqué par l’attitude d’un employé du Cimetière Montmartre.
Il troubla Oncle Rémi alors qu’il remerciait sa mère dans une prière

muette, pour l’aide qu’elle lui avait apportée pendant et après sa Captivité. Cet employé lui rappela que d’autres

« locataires » attendaient d’être logés.

   

    Vers la mi-journée, nous nous retrouvions chez les Jean pour un sympathique déjeuner, familial tout émaillé

de souvenirs sentimentaux. Petit détails amusants : tous les Messieurs, la chaleur aidant, tombèrent la veste.

Les cinq dames portaient des robes sombres mais légères.

Chantal de Saint Remy, à côté de qui j’étais placé, me dit avoir vu notre Grand’Mère sur son lit de mort, et l’avoir

trouvée reposée, sinon belle.            

 

   D’autre part, ce voisinage de table, n’était-il pas un clin d’œil lancer à la jeune génération. J’avoues avoir

commencer à découvrir ma cousine,  ce jour-là. Le mode d’éducation en est probablement la cause.

 

   J’aimerais revenir une dernière fois, sur la messe de funérailles. Elle était dite par Monsieur le Chanoine

Marguier, Curé de Brou. Il célébrait là une messe d’adieu personnel à la famille, car il devait être déchargé

de tout Ministères en septembre suivant. Il était devenu le véritable Aumônier des deux Familles Thiébaut

et Schelcher.  Au nombres des cérémonies qu’il avait animées ou présidées, il faut compter le mariage de

mes Parents à son arrivée à Brou en septembre 1932 . Ses mains me baptisèrent en octobre 1941. Sa

présence fut également demandée par mes Grands-Parents pour solenniser leur Noces d’Or en décembre

1947. Deux mois et demi après, il disait les prières de Réquième pour mon Grand-Père ; etc.…      

 

   Ma Grand’ Mère le réclama toujours auprès d’elle pour ses derniers instants. Il avait une manière

spécialement douce d’accompagner les partants. J’ignore si ma Grand ‘ Mère eut cette chance. Ils

étaient tous deux âgés. Leur dernière rencontre eut donc sans doute lieu au pied de l’Autel de la Vierge

en l’église Saint Augustin le 24 Juillet 1969.

        Monsieur le curé s’adressa donc sans doute pour la dernière fois à Grand ‘ Mère.

Son cercueil était recouvert d’un drap violet, que l’on avait agrémenté d’un chemin de Lyliums

et d’Arums. Il évoqua sa grande honnêteté intellectuelle. Méditant moi-même sue ce spectacle sévère

je réalisait soudain la gravité de la nouvelle situation.

Le cadre de mon enfance puis de mon adolescence allait disparaître avec celle qui en avait été le centre

lorsque les portes du cimetière se seraient  refermées. Qu’allions-nous  devenir ? La fragilité paternelle m’étais

trop connue pour que je ne craigne pas l’avenir.

« A quoi bon se hérisser devant l’inévitable, pensai-je en sortant de l’église ! » Bien qu’attendu le coup était rude.

 

   Au moment de rentrer à La Glazière, c’est avec une émotion particulière que nous avons salué les vieux

serviteurs. Ils étaient de véritables amis. Et pour la première fois nous ne les retrouverions pas à la rentrée !

Ils allaient pourtant tout ranger comme si « Madame » et eux-même devaient revenir, -et avec un amour de

vrai propriétaire. François Duprat,(arbitrairement rebaptisé Henri, après les fIançailles de mes parents) et Louise

Calis ont-ils rejoints aujourd’hui leur maîtresse mais ce ne fut exactement que 10 et 12 ans après elle,-en 1979,1

Pour Henri et 1981, pour Calis. me semble-t’il. En fait, je ne sus jamais de façon certaine la date du décès de cette
très vieille femme de confiance. Ma Mère m’assura avoir vu son faire part de décès, dans « Le Figaro »

(Abonnement offert par les Oncles). D’après mon souvenir ce faire part daterait de Février 1981. Déjà sensibilisé

par le récent deuil de mon Père, ma Mère m’épargnât autant qu’elle le pu la lecture d’avis semblables.

Un dernier souvenir qui marque le passage de Calis auprès de nous :

   Ce fut elle qui passa une main respectueuse sur le visage de Grand’Mère lorsque le moment fut venu. Elle

en fit ainsi la Dame aux yeux fermés2.    

 

     L’été s’étire.

Sur le chemin du retour j’écoute mes parents parler du passé, et évoquer la disparue. Il y eut certes quelques

nuages entre eux. Mais je gage qu’à ce moment cruciale, ma Mère ressentit un pincement au cœur, comme une

sorte de fracture. Le mot est à la mode, comme je l’avait ressentit moi-même le matin pendant la messe d’enterrement..
Au de ce retour évocateur, mon Père rappela à ma Mère qu’il garderait un souvenir ému de

l’accueil chaleureux et compréhensif que lui avait fait Grand’Mère, sur le quai de la gare de Vichy lors  de sa

démobilisation au lendemain du désastreux mois de juin 1940.

   La rude éducation que ma Mère avait reçue répugnait à un trop grand étalage de ses sentiments. Pour elle

comme pour mon Père, la mort faisait des incidents de parcours.

 

  L’âge avancé de Grand’Mère autorisa ma Mère à porter un deuil moins strict. Il se composait d’une robe blanche
et d’un col-châle en Faye noire. J’ai déjà dit  qu’elle bénéficia d’un répit de sa maladie qui couvrit

La période 1959-1971. Il lui permit de rester à coudre au jardin. Pourtant, ce ne fut sans pester contre loyer

« D'Ecobuages »3 campagnard. Un vent impertinent déposant souvent une escarbille sur la blancheur de la

robe estivale maternelle.

 

 

Toujours « Elle ».

 

    Une fois encore la célèbre faux va tournoyer et s’abattre sur un membre de notre paysage amicale. Madame

André Mennesson nous quitta à la fin d’Août. C’est au cours d’une des dernières visites à Brou que nous l’apprîmes.

Ce décès se produisit au milieu d’un été somme toute plus calme que je ne l’aurait cru. Il permit à ma Mère

Comme à Tante Denise de laisser s’apaiser leur premier désarroi.  

 

   Suite du Journal d’été.

 

 

  Depuis longtemps, je réfléchissait sur la période de notre vie familiale que j’ai décrite. Je la voyais tout ensemble plus catastrophique
et en même temps plus calme, la maison nous étant entièrement dévolue.

       Une chose est sûr. Une inquiétude plus grande s’était insinuée dans l’esprit de mon Père. Il fallait y

parer . Avent de recourir aux moyens classiques, on décida de tenter une cure de distraction.
C’est ainsI que le nouveau parc Zoologique de Thoiry nous vit arpenter les allées en compagnie de Peggy Aubé et de

son dernier fils Richard.( 8 ans). La visite fut intéressante, et nous la conseillâmes ensuite aux Pange.

 

Avent de quitter Paris en juillet, Monsieur Offerlé s’était proposé pour nous recevoir à « Prie »

(Brie Comte Robert) dans sa résidence secondaire. Il voulait montrer à son ami François son ancien

cabinet de consultation, peu à peu devenu un fourre-tout instrumental. Notre trio, heureusement au complet

y découvrit une Epinette, une flutte, un violoncelle et nombre de partitions d’orgue qui lui appartenait rue

Saint-Jacques.

  Cet éclectisme dans les occupations professionnelles et les loisirs rappela à ma Mère cet autre Alsacien

qu’avait été mon Grand-Père..              

  

              Parmi les visites de condoléances, l’une mérite une mention particulière. Celle de l’Abbé Bernard Marteau, curé de Blandy les Tours,
dont la pauvre soutane apparaissait immanquablement lorsqu’il avait
à vendre un billet de je ne sais quelle tombola.

Le cher homme nous avait pris en particulière affection depuis qu’il avait découvert notre lien de Parenté

Avec l’Abbé Jean de Maindreville,- qui fut je crois, son camarade de promotion et celui de l’Abbé Jeantet

à Issy les Moulineaux en 1940.

Habité par une Foi certaine mais peu apaisante, on nous conta sur lui l’histoire suivante : afin d’éviter à

ses ouailles le sort des Cucugnanais, il avait disposé non loin de son confessionnal, cette brutale vérité :

« Ici, point de menteur ». Son sombre mysticisme avait quelque peu détérioré l’atmosphère religieuse de

Blandy. On savait à l’évêché où l’on espérait plus que la patiente bonté d’un successeur. Diplomatiquement

Mgr Debray et Mgr Kuhn préférèrent laisser ce trop bon berger là où il était, plutôt que de contaminer une

autre communauté chrétienne…

Le Père Bernard Marteau nous fit là sa dernière visite. Il devait trouver la mort quatre ans plus tard, en 1973

sur une route de Seine et Marne, renversé de son éternelle Moto-Bécanne . On peut dire qu’il n’avait que

mépris pour nos graves états humains, proférant que là le juste châtiment de Dieu.    

 

   Une prise de distance importante.

    

   Dès la sortie de l’église des funérailles, ma Mère avait prévu avec les Oncles, qu’une Messe serait célébrée

aux Ecrennes, pour le repos de Grand’Mère. Elle y étais naturellement très connue.

Envisagée pour le dernier dimanche avent la chasse, cette messe réunit un petit noyau de famille ;-notamment

les trois fermiers que Grand’Mère avait eus comme exploitants : Mon Père pour La Glazière, Monsieur Giraud

pour la Miroderie, ainsi que la veuve de Monsieur Tope qui avait eu la Boulaye, dernière des trois fermes achetées par
mon Grand-Père en Seine et Marne.

 

    Si ce dimanche de septembre reste gravé dans ma mémoire, c’est pour deux raisons.

 

   La première est celle que j’ai longuement exposée dans les pages précédentes. Il en existe aussi une autre :

cette messe marque notre adieu familial à Saint Laurent des Ecrennes. Les horaires des messes, l’âge et la fatigue apparaissant
chez mon Père ne nous permettra plus de fréquenter cette église. En outre, et plus gravement, mon Père de plus en plus dérouté par
les décisions nouvelles du Concile, se détournera de plus
en plus violemment des secours qu’aurai pu lui apporter la Foi Catholique.

 

   Vers midi un petit groupe de parents, les Saint Remy, nous rejoignit. Ceux-ci me firent alors goûter mon premier Kir….     

L’après-midi fut consacré à l’organisation de l’avenir, et au mesures qu’il fallait prendre pour les partages.

Grand’Mère n’avait laissé à ma connaissance aucun testament- à l’exception des immeubles déjà attribués.

    On fit venir Tuhault dans les grandes pièces carlées pour l’avertir officiellement de la fin cette sorte de chasse

la prochaine Fermeture. Ma Mère lui proposa de reprendre sa liberté ou de rester avec nous. Tuhault opta pour

la deuxième.1  Ma Mère,  alors demanda quelque temps pour réfléchir au moyen d’organiser des chasses moins

onéreuses que celles qui allaient se terminer.

 Mon Père succomba à la tentation de reprendre un permis- ce qu’il n’avait plus fait depuis 1960. Il le fit après avoir hésité,
car il savait quel dimanches cela nous promettait. Mais, Oncle Rémi et moi, nous insistâmes pour

qu’il participe à la dernière saison de ce sport qu’il avait beaucoup aimé et pratiqué, à La Glazière comme ailleurs.

 

  Au moment où ces souvenirs sont écrits,- en décembre 1991,2 soit  22 ans après, cette journée m’apparaît aussi

comme un jour de lancement. – le lancement de ma vie d’homme. Effectivement aucun de mes deux parents ne

devait survivre plus de 20 ans à sa Belle-Mère d’abord pour mon Père et à sa Mère ensuite pour la mienne. 

11 ans seulement ! séparaient encore mon Père de l’année de son décès ;- et 18 ans pour ma Mère.

 

   Ce dimanche s’acheva paisiblement sur la promesse faite par les Saint Remy de passer le week-end

de la Toussaint avec nous à La Glazière. Ils avaient prolongé tard et chaleureusement leur visite.

   Les jours qui nous séparaient de ce Revoir furent occupés par des démarches administratives

notamment nous fîmes une visite à Monsieur Poisson, géomètre-expert, au chatelet . Il fut avec la

tribu Charpentier, la première des figures professionnelles que j’ai vues sur la propriété.

La Première des Deux Toussaints Célèbres.

   Avent d’expliquer ce que fut  à mes yeux cet important week-end de Toussaint, j’aimerais saluer Jouy l’Abbaye

qui nous vit à ce moment-là pour la dernière fois passer en trio.

   Le nom de Jouy s’était inscrit dans notre vocabulaire familial, à l’occasion du mariage de Monique, la fille aînée

mon Oncle Michel de Maindreville, second frère de mon Père. En 1952, Monique épousait Christian Droulers
dont Jouy était le fief familial campagnard. C’était l’ancienne résidence secondaire des Abbés Bénédictins de Paris.
Elle nous accueillit de plus en plus souvent et de façon charmante entre 1955 et 1969. Ceci dura jusqu’au

moment où mon Père cessa de conduire, au début de 1970.

 

   Situé à une trentaine de kilomètres de notre propre home, la proximité de Jouy l’Abbaye facilita les rencontres.

Je me souviens de cette fin d’après-midi 1969, où mon Père évoqua devant sa nièce, à propos de Grand’Mère, la

triste condition des vieillards au 20eme. Au retour, nous traversons la foret, de Jouy toute parée de feuillages d’or.
Cela me rappel les mois de septembre familiaux où l’automne commençait à poindre du nez…Demain Chantal de Saint Rémy arrive.
Je n’ais d’elle qu’un souvenir de petite fille à La Glazière. Comment est-elle
maintenant qu’elle jeune femme et mère de famille ?

dont voici la charmante hotesse:Mme Christian

Droulers

 

 

 

'Avenue d'accès à,un lieu idylique et familial Jouy l'Anrye;

 

 

 

V

Le Pigonnier qui en fait aussi le charme extérieur(.Photos prises en 1963 par ma Mère)..

  

 

 

Deux Jolis Mots de Deux Femmes Charmantes.

 

   Ce chapitre a été sévère, austère et plein de profondeur. Eclairons-le par une anecdote dont un enfant

est le prétexte, et qui fut l’occasion de deux réflexions amusantes.

   Chantal de Saint Rémy arriva avec Albane et Marie-Hortense vers le 29 octobre. L’après-midi se passa

normalement sauf pour Marie-Hortense, 14 mois, qui souffrait d’une bronchite. Pour des raisons de commodités

 ma Mère avait installé ses nièces toutes générations confondues, dans l’ancien appartement de mes Grands-

Parents dans l’aile à laquelle on accède par six marches. Cet ensemble comportait deux chambres séparées

par un cabinet de toilette commun.    

  Chantal, après avoir fait dîner ses filles, les coucha toutes deux, avent notre propre repas, dans la triste chambre Empire de mon Grand-Père.
Nous prenions nos repas dans l’office contigu à la cuisine,- à l’opposé
des chambres des Saint Rémy. La jeune Albane, 3 Ans,
sans doute inquiète du silence et de la solitude où elle
se croyait, ne laissa guère sa mère dîner en paix ; - c’était grave en soi,
mais elle réveillait Marie-Hortense, qui
malade ne se rendormait pas facilement. Sa Mère, après avoir traversé trois ou
quatre fois les deux grandes pièces et enfilé au moins deux couloirs pour calmer l’éplorée avec patience,
finit par lui promettre quelque caresses sur le derrière,(appelé vulgairement, fessée), la prochaine fois où elle devrait se déranger.
Elle revint
dans la salle bleue en annonçant ce programme.

Elle chercha longtemps comment me faire assister à l’exécution, ce qui aurait un effet encore plus certain sur ma

filleule. Elle tergiversait tout haut :fallait-il exposer la bruyante fille au froid de novembre, dans le long trajet de sa

chambre à cette salle bleue,-et ceci pour donner une solennité spectaculaire à la punition ?….

 

-« J’ai quand même peur qu’elle n’attrape froid, conclut l’apprentie marâtre…. »

Et ma Mère, effrayée du spectacle projeté, renchérit :

« -Il faut surtout qu’elle n’ait pas froid ». 

Il fut donc tacitement décidé que la punition n’aurait pas la publicité primitivement imaginé.

Quant à moi, je pensais à part moi, que la coupable, en proie à l’effroi, désespérée devant le sort inexorable qui l’attendait,
ne manquerait pas d’en retarder l’échéance par agitation qui combattrait efficacement le froid si redouté.
Quoi qu’il en soit de nouveaux cris nous parvinrent. Chantal  s’excusa de ne pouvoir m’emmener

jeter le poids de ma présence dans ce châtiment à cause des six fameuses marches. Elle partit donc seule

exécuter la sentence.[1]

Revenue un moment après, ma cousine termina le repas ;- en silence ;- dans le calme le plus funèbre….

Le dessert pris, ma Mère nous dit :

 

-« Les petits enfants, j’ai encore un mot à dire à la cuisinière. Chantal, tu prends ton Martialou et installer

vous devant la Télévision. Je vous rejoints tout de suite ».

Exprimai-je la crainte de tomber un jour entre les mains d’un aussi redoutable bourreau ? Chantal, en me

poussant vers le salon me rassura en chuchotant à l’oreille :

-« De toutes façon, je ne suis pas près de recommencer, Fesser, çà fait trop mal aux  mains » …

Je fut rassuré, mais je vis dorénavant la jeune maman entrer dans le clan des Tortionnaires domestiques

et parentaux.         

 

Redevenons Sérieux.

 

   La mort ne respecta pas ce temps de rencontre familial. Elle frappa Jean Aubé. Père et beau-père d’Hubert et Peggy,
Grand-Père du jeune Richard dont j’ai déjà parlé. Mes parents profitèrent de la présence de Chantal pour

aller à l’enterrement.

 

Après quoi les valises hivernales. Le départ des Saint-Rémy marqua pour nous aussi le moment de rejoindre la

Ville. Je retrouvai un Hôtel morne, silencieux, impersonnel et froid. Toute vie en semblait retirée. Il ne restait pour

l’animer que les services : Postes et Poubelles. La concierge élément actif du rez de chaussé, que l’on conserva

encore, pratiquait la couture en chambre ; son activité à l’étage imparti en fut réduite.

Ma Mère en arrivant, fit tomber par mégarde une de ses cannes. Elle la repêcha avec le bout arrondi de l’autre

elle avait sa technique- et observa qu’il n’y avait personne au dessous pour remarquer le bruit de cette chute.

-            

 

   Les cours d’hébreu étant suffisamment sur les rails, nous dérivâmes vers l’Allemand ,- langue dont certains points
de grammaire correspond avec celle du Peuple Elu. Ayant testé son élève durant trois ans, Monsieur

Offerlé jugeait peut-être plus adéquat de mêler aux études archaïques un peu de modernité 
Et c’est avec beaucoup de ses encouragements que nous nous étions lancés dans la traduction de  « Tôten Tanz ».

Macabre poème de Frédéric Schiller.

 

 

   L’année ne se termina pas sans nous faire regretter une autre figure : celle de mon Oncle Robert de

Larminat, beau frère de mon Père. Il figure sur la photo de mariage, prise en 1961, troisième personnage

en train de sabler le Champagne.

 

  Après ce décès, l’année n’allait plus rien offrir de très significatif.

Pour la branche Schelcher, de longs partages commençaient. Tout un vol d’arbitres ès Arts planait au dessus du

28. Les Maindreville  allait le quitter sans que la distribution des souvenirs soit arrivés .à leur termes. 


1 Qui n’étais pas encore « notre Glazière », et ne méritait encore pas le terme méprisant de « cette Glazière dont tout les gens sensés l’ont affublée plus tard.

2         Dans mon souvenir le décès de ma Grand’Mère, se confond avec la date des premiers pas de l’homme sur la lune

1 François Duprat « Henri » était auprès de me Grands-parents depuis Octobre 1931.

2 Calis, veuve d’un chauffeur « de grande remise »,fut remarquer par ma Grand’Mère, pour son habileté de

couturière. Elle entra définitivement avenue de Messine en 1935.

3 Terme technique agricole pour la destruction par le feu des chaumes restant de la dernière moisson.

1 Ce qui constitue la première partie de la mystérieuse attitude que Tuhault aura envers nous par la suite.

2 Informatisés en 2003.

[1] Il sera intéressant de noter que c’est pour cette même raison d’inaccessibilité que ma Mère due prendre l’héroïque

décision de nous séparés prématurément de mon Père, en le faisant hospitaliser à Paris. Elle craignait en effet

de ne pouvoir le secourir efficacement en cas de grave malaises, ou au cour de ses déplacement incompréhensibles.  

 

Encore un peu de temps parisien...