CHAPITRE  XX


L'année sans but


1973
                                           

 

 

 

                Comment morceler ces semaines où tout se ressemblait :le vendredi au jeudi et les semaines aux

semaines ? Le temps des conversations, des lectures et de la réflexion était venu.                                      

 

   Et quand j’écris que ce temps a été consacré aux activités de l’esprit, il faut lire aurait pu.. Car deux soucis

   nous  hantèrent  successivement,- très différents l’un de l’autre – mais empêchant  liberté Intellectuelle totale.

 

Il s’agissait avant les années 1980, de déterminer l’endroit où mon Père serait le plus heureux,- à l’exception de

Paris. Puis lorsque mon Père nous eût malheureusement et discrètement laissés en tête à tête en novembre 1980,
de réfléchir à nouveau aux plans d’avenir qui pouvaient me concerner personnellement..- ceux qu’on

avait conçus ayant malencontreusement capotés. 

 

Qu’était  devenue la piste Lancereau ?

 

      Notre installation à la campagne était d’autant plus regrettable que nous venions finalement d’Acheter

rue du Docteur Lancereau, pour la bagatelle de 78 millions de Francs. Cette acquisition avait été décidée

précipitamment, après une visite faite par Chantal de Pange et mon Père. Or cette visite révéla l’inadaptation

du lieu aux problèmes que poseraient la fin de vie de nous trois.

 

      Nos amis percevaient bien la difficulté que rencontrerait chacun de nous trois à vivre alternativement à la

campagne et à Paris. Une existence campagnarde aurait réjoui ma Mère ; -Mais, moi, j’étais plus ouvert à une

vie sociable.

 

 Un certain vendredi d’octobre, Chantal de Pange fit un rapport détaillé à ma Mère sur ce qu’elle avait vu et

ce qu’il fallait en conclure. C’était apporter de l’eau au moulin maternelle ! En terminant, Madame de Pange

se proposa pour nous faire rencontrer une bonne partie de la Société du Département. Elle s’engagea d’autre

part à venir nous voir aussi souvent que nous le désirerions, cette proposition ne tomba pas dans les l’oreilles de

sourds.

 

   Avant de poursuivre, il faut noter à nouveau le profond dégoût de ma Mère pour toute solution citadine.
Elle  quelle était profondément provinciale. Et Paris lui inspira une particulière aversion. Aversion quoique tempérée

 par la raison,- et à partir de 1974-,ne disparaîtra jamais complètement et se fixera même définitivement en elle

à partir de 1981.

 

  En 1973, on décida de revendre l’appartement – tout en y laissant quelques plumes. Et cette négociation prit

de nouveau un an. Mais avant cet automne-là, il y eut deux saisons, dont un printemps précoce au cours duquel

Faine, ma Mère et moi nous nous creusâmes la tête pour faire sortir mon pauvre Père dans le jardin et contrebalancer
l’atmosphère renfermée dans laquelle il se complaisait,-au point de ne plus tolérer une fenêtre ouverte…
Et pour l’encourager à cet effort,  Faine nous raconta une aventure cocasse.

 

Elle se passe dans la famille Halévy et a pour acteurs Daniel et son fils Ludovic. Il furent des écrivains renommés

au début du siècle. Le Père publia « La République des Ducs », « La Fin des Notables » ; et de son fils, je connais
« L’Abbé Constantin » fleuron des bibliothèques de jeunes lecteurs.

   La famille Halévy possédait une maison agrémentée d’un jardin et d’une pelouse ,- dans les environs de

Paris. Ces deux Messieurs, malgré l’intérêt qu’ils portaient aux Lettres, s’obligeaient régulièrement à faire le

tour de la pelouse,- mais chacun dans un sens opposé. Naturellement, ils se croisaient et cérémonieusement

soulevait leur chapeau pour se saluer….

 

   Cette histoire fit sourire notre marcheur mais sans le convertir. Pendant une dizaine de jours il suivit l’ordonnance
amicalement donnée. Je le revois encore, vêtu d’un pantalon de flanelle gris souris et d’un tricot

marron à gros boutons de métal blanc. Ainsi accoutré, il sortait vers 5 heures pour faire sa « corvée » dans

l’allée qui mène à la pièce d’eau. Il rebroussait chemin, déjà fatigué par ce court trajet, fait sur une allée encore

bien entretenue. Ne possédant pas de « chapeau » comme les Halévy, je ne pouvais tenir le rôle que tenait

Ludovic Halévy auprès de son Père.

 

Plus sérieusement dit, l’état musculaire de mon Père était si affaiblis qu’il eût été criminel de lui demander

l’ effort supplémentaire de me pousser durant son exercice.

 

 

   Au court de cet hiver, ma Mère et moi nous observâmes trois crises,  au moins aux moments les plus

douloureux : une à l’automne 72, l’autre avant Pâques, et la troisième au mois de mai. Ce nouvel épisode

détermina d’ailleurs ma Mère à demander par téléphone au Professeur Marteau l’interruption du traitement

au Lithium.

 

Mais j’anticipe quelque peu.

 

  Lancement de la « Piste aux Confidences ».

 

       Connaissant la nature collante de terre de Brie, et pour faciliter les désastreuses promenades paternelles

ma Mère eut l’idée de faire lancer un chemin de ciment pour relier le perron du jardin au mur du bassin qui terminait

notre espace vert.

       .

       Il va s’en dire que ce voie baptisée « Chemin des confidences » ou « Voie des Soupirs » conçue pour

mon Père, me fut aussi ouverte, ainsi qu’aux visiteurs et autres habitués qui voudraient bien m’y accompagner.

Hélas, l’état de mon Père le rendit fort exclusif. Le temps passant, il toléra de plus en plus mal  qu’on le quitta

pour se retirer à l’écart de lui. Pourtant,  dans l’esprit de ma Mère, cette piste était destinée à servir aux membres

les plus reclus de la maison.

 

   Le percement de cette voie « Jeannine » s’effectua en deux temps : en mars et en octobre. A la réflexion

Je constate qu’elle ne servit qu’à 15 ou 20 % de ses possibilités. A cela deux explications : la majorité de nos

visiteurs était (déjà à cette époque), trop fatigués pour repartir – ou bien ils  voulaient rester le plus longtemps

possible avec le Maître de maison, sachant que toute sortie sans lui, lui était désagréable.
Mon Père décourageait d’ailleurs tout projet de promenade en groupe ; il y opposait un refus généralement las, et

exprimait le désir ardent de garder ses visiteurs à l’intérieur, « à l’abri du vent » plaidait-t’il…

..

   Pour en finir avec cette piste, je dirai que la mort de mon Père, puis les nombreux accrocs de nos santés

ou de séjours rendirent bientôt anachronique ce moyen d’évasion que ma Mère avait pensé sain et utile.

La piste continua et continue-t’elle sans doute à s’étendre  devant la maison , depuis sa création en 1973

jusqu’à maintenant. Elle ne fut utiliser que pour les confessions religieuses, qui comme chacun le sait ne

demandent ni Publicité ni divulgation.

 

       Exotisme à la Cuisine.

 

 

   De quoi et comment était organisé notre vie matérielle ? nous demandra-t’on.

   

   Eh bien voici.

 

Dès notre arrivée estivale, on nous avait proposé un couple de Marocains. Après  avoir rapidement

réfléchi à cette éventualité, ma Mère accepta. On travailla à l’organisation de la traversée des merveilles

attendues. Et je dis merveilles, car cette perspective nous plongeait dans l’euphorie et l’espoir….

Un soir de janvier 1973, nous vîmes entrer dans le salon ceux que nous attendions avec tant d’impatience. 

 

J’ignore ce que fut la réaction de ma Mère. Quant à moi, je crus les voir sortir du Moyen-Age. La femme

portait leurs deux lourdes valises. Lui, il n’était encombré que des deux gabardines qu’il portait sur le bras

avec un air très simplement avantageux…..

                                                                                                                   

 L’euphorie tomba,- et l’espoir prit le même chemin…

 

   On s’aperçut vite des graves difficultés inadaptation de Minah et Ghablis (prononcer Rablis),  qui gens de soleil

.échouaient dans un pays à température plus septentrionale. De plus ils avait crus, avec raison  d’ailleurs,
être embauchés pour vivre à Paris ; or tout devait nous fixer de plus en plus complètement à la  campagne.

Enfin accaparés par les gros soucis qui étaient les nôtres, nous étions incapables de leur apprendre le français

de façon satisfaisante.                                                                                 

 

Il y eut pire. Ma Mère découvrit avec consternation que, même dans leur propre langue, ils étaient analphabètes.

Mohammed demanda donc un jour :

 

-« Si ti veux bien aider pour écrire à famille… ».

 

     Ma Mère d’abord , puis Chantal de Pange ensuite, durent se transformer en écrivains publics pour rédiger

et structurer leurs lettres, qu’ils dictaient dans un français très approximatif.

    Le couple était mal assorti : elle plutôt grande, le visage noir éternellement encadré du fameux foulard,
paraissait la plus décidée. Lui, que ma Mère appelait toujours Rhablis, alors que s’était son nom de famille

était plus petit. Son prénom était Mohammed. Faut-il l’avouer, il me faisait penser à un jeune singe. Son visage

était toujours animé de grimaces. Il avait en outre une démarche bizarre les jambes écartées et fléchies,-sans

doute pour avoir fait trop usage des ânes de son Maroc. Le plus frappant était son dos qui restait durablement

arqué après chaque effort.

                Nos habitudes aussi les déconcertaient. Il fallut que notre trio de « Roumis » traverse un interminable

Ramadan, pendant lequel ces « Chiens de Chrétiens » s’obstinaient à manger aux heures où Minah avait « de

par Dieu » ordre de ne rien faire. Heureusement Ghislaine, la femme du Garde, remettait horloges et appétits

à une heure moins barbaresque.

                                                                                       

En conclusion, je dirais que ce ménage d’Infidèles, nous rendit service pendant un an ;mais il rendit encore

plus aride notre contact avec le « Plat pays » de Brie. Et j’ajouterais aussi qu’à cette époque moins qu’à toute

autre, nous n’étions propres à servir de banc d’essai, pour les originalités des bonnes volontés qui nous entouraient.

 

Vue d’ensemble.

 

    Le décor géographique est, je crois, planté maintenant.. Le bilan de nos santés, éclairci. Quant aux acteurs à
une ou deux apparition ou disparition  près, ils se nomment. : Ahrenchiagues, Droulers, Chevront-Vilette et Pange.

Ces quatre ménages formeront la « Garde Prétorienne » et ils seront les hôtes habituels de nos repas à La

Glazière. Une mention spéciale sera réservée aux Aubé. Ils formeront « l’aile marchante » - pour ne pas dire

l’aile volante –de l’équipe, tant ils hésiteront peu à m’emmener chaque fois que possible dans de mémorables

équipées.

 

   Il n’y a plus qu’à frapper les trois coups, pour voir se dérouler ces importantes dernières scènes qui conduiront

à la mort de mes Parents.

 

Les Symboles Dispersés.

 

                A peine les Marocains, comme nous les appelions étaient-ils entrés dans notre vie, qu’on me

signala-discrètement pour ne pas m’attrister-la fin de l’Hôtel Schelcher.

 

            Depuis quelques jours, Ma Mère s’était entendue avec l’Agence Citroën de Melun, pour qu’elle se

charge de l’I.D. restée depuis trois ans enfermée et inutilisée dans une des remises de la maison. Une grue

vint la chercher. C’était la dernière coquetterie de mon Père. Avec l’I.D. 21 disparaissait le premier des symboles.

C’était le dernier signe de vitalité, de jeunesse et de confiance en soi de mon Père.

La voiture fut remorquée directement chez Porta, le concessionnaire de Melun. Ces trois ans d’inactivité l’avait

paraît-il transformée en véritable épave. On demanda à Tuhault de passer au garage, récupérer quelques objets

laissés par mon Père dans la boite à gants. Ainsi, l’I.D. disparut-elle de nos préoccupations, mais pas de nos

mémoires.

     Une brusque évolution favorable de l’état de santé de notre chauffeur, lui permit d’envisager l’achat du

modèle suivant de la gamme : un Breack  G.S. Cela entretenait son ardeur,-partiellement et progressivement

revenue. J’encourageait ce rêve et la présence d’un véhicule à La Glazière permettrait peut-être ces contacts

avec Paris dont nous manquions tant tous les deux depuis longtemps. L’affaire pétrolière de l’automne 19731

devait heureusement mettre un terme à ces rêveries automobiles et routières. Très sportivement, mon Père

renonça à ce dernier luxe auquel nous avions tous les deux pensé. D’ailleurs : lui-même en avait-il vraiment

envie ? Bien que suspendu, le traitement au Lithium, dont nous auront à reparler, avait laissé des traces chez

lui. Plus cruelle et plus profonde encore devait être notre séparation d’avec l’avenue de Messine.
Ce fut le deuxième symbole dispersé.

 

 L’Avenue de Messine avait été, je crois, pour mes Parents, synonyme de joie : celle de la jeunesse de leur

ménage. Elle avait été donc le cadre d’une certaine insouciance. Pourtant elle avait été aussi le cadre de

leur première épreuve : la mort d’un premier bébé en mars 1935. Puis ma naissance avait suivi en juin 1939.
Pour moi, la coupure définitive avec cet appartement signifiait sa sortie de mon existence. L’installation

en Seine et Marne était la brutale mise en œuvre de ce à quoi on me préparait doucement depuis juin 1954 :

mon entrée dans la vie d’adulte. 

 

  Pourquoi avoir choisi ce titre « Les symboles dispersés » ? J’ai préféré le mot « dispersion ». à celui de

« destruction » la dispersion sous entent en effet la notion de « momentané » ;  Peut-être ce que ce souvenir

signifiait pourrait-il être un jour reconstruit ? 1

  

Le déchirement était pourtant profond et déchirant. Dans ma pensée ces deux témoins de ma première jeunesse

 

pour l’un, et mon adolescence pour l’autre, étaient emportés au gré d’un mauvais vent de la Vie.

 

Suspension tentée du Lithium.

 

    Nous sommes en mars 1973. Le Docteur Lemue, dentiste parisien auquel mon Père était fidèle, découvrit

une dent de sagesse qu’il fallait enlever.

    Toujours par téléphone, ma Mère le mit au courant de l’état de santé de son client, semblable à du somnambulisme.
Cette petite intervention fut préparée quasi-militairement, avec tout le luxe de précautions

que la chose requérait. Le patient devait trouver un lit chez sa sœur Jacqueline Résal, tante Kine. Il devrait

y passer une ou deux nuits, selon ce qu’exigerait sa fatigue. En outre, tante Kine ne viendrait chercher son hôte que
quelques heures après l’intervention. Le Docteur Lemue préférait voir son opéré se reposer un certain temps

après son passage sur le fatal fauteuil. Comme pour les miennes, l’intervention devait avoir lieu au cabinet même du praticien.
J’ajouterai que la présence du ménage Marocain permettrait à mon Père de nous laisser en tête à tête, ma Mère et moi, à La Glazière.
La nervosité était omniprésente…  La mienne se manifesta sous la forme d’un bouton de printemps situé dans le dos,
à la hauteur de l’omoplate

gauche, et dont on craignit qu’il ne devint un abcès. Faine m’en débarrassa à l’aide d’un scalpel qu’elle avait

toujours dans sa trousse, en cas d’urgence. Ce petit inconvénient m’obligea à garder la chambre durant les

deux ou trois jours d’absence de mon Père. Et cela me permit de suivre les travaux de la première partie de

la création de notre piste. Cet alitement limita du même coup le risque des hasardeux transports marocains

que ma Mère me faisait toujours redouter Mon Père revint de son escapade parisienne dans moins bon état
que nous ne l’avions espéré. La plaie
nouvellement ouverte fut longue à cicatriser,- occasionnant longtemps
chez  lui de grands soubresauts
douloureux à voir et à entendre. Une de ces manifestation se plaça à la fin de
la Messe Pascale,- au
début de mai, la célébration de ce Jour Saint se situant fort tard cette année-là.

 

  A partir du 15 mai, j’eux devant les yeux l’angoissante perspective d’un voyage au Portugal de nos amis Pange,-
nos particuliers et principaux soutiens au court de  ces derniers mois.

 

  Nous vivions ma Mère et moi, avec quelqu’un dont le comportement nous troublait. Le somnenbulisme

évoqué plus haut s’accusait,- accompagné d’errances et de rêves dont il nous racontait les extravagances.

 Parfois il se croyait à Paris et notamment avenue de Messine. Il rêvait de rendez-vous imaginaires avec son

  frère André qu’il savait maintenant gravement atteint.. Bouleversé par cette attitude que je ne comprends pas

  et, qui m’effraie j’avoue avoir eu la cruelle franchise de lui rappeler en quel endroit il se trouvait atteint.

   

    Sa patience était devenue très mince. Un jour où j’étais invité à Mimouche, il réussit à m’habiller à moitié

puis fatigué par l’effort, il me posa soudain sur le fauteuil roulant . Ma Mère le décida à accepter l’aide du Garde

pour effectuer le transport du fauteuil à la 2 C.V.(On devait ajuster la chemise et mettre la veste in Extremis, en

présence du deuxième porteur). Il tarda ; brusquement, ne pouvant plus attendre il voulut me porter lui-même,

j’étais en bras de chemise. Je réussis à me dégager assez brusquement. Toute la journée en fut assombrie.

 

Devant de tels comportements qui n’avaient cesser depuis octobre, ma Mère commençait à se poser des

questions .

Elle rejeta d’emblée l’idée de Sénilité précoce,-son époux avait  72 ans,-quoique cette pensée resta

continuellement présente à mon esprit. Restait alors à incriminer l’effet des médicaments, en particulier

du Lithium. Dans un premier temps, elle chercha à faire par le Docteur Faine. De ma chambre j’entendis

notre amie répondre :      

 

-« Vous ne me ferez jamais dire, Madame, que le Lithium est mauvais médicament. Qu’il ne convienne pas

à votre mari…A mon avis il y a autre chose… »1

.                 

Et les choses en restèrent là.

 

   Nous restions donc, ma Mère surtout, devant une interrogation, et posée par une bouche autorisée :autre chose.. qu’était-ce ?
Depuis la Messe Pascale que j’ai dite, la question était incontournable. Et à partir de ce

jour, la situation empira jusqu’à la Pentecôte. Oui, j’avoue que c’est avec inquiétude que je les Pange s’éloigner

pour leur voyage au Portugal. Ils nous avaient particulièrement aidé cet hiver. Si jamais une décision importante

s’imposait, -une hospitalisation par exemple ma Mère serait seule.  nous nous trouverions seuls. Ou plus

exactement, ma Mère serait seule. En effet les deux familles étaient trop éloignées kilométriquement,  trop

dispersées, et en tout cas trop peu au fait des complications de notre vie. Elles ne pourraient nous aider efficacement,
- malgré leur bonnes volonté qui étaient totale. Quant au Garde Tuhault, il était certes très

fidèle, mais très émotif et surtout resté très terriens.


Les amis des Pange auxquels ils nous avaient sûrement recommandés étaient, trop  nouveaux dans notre amitié
pour que nous puissions leur faire partager le plus profond de nos tracas. D’ailleurs, ma Mère, toujours

sourcilleuse sur le chapitre de l’indépendance, aurait-elle oser déranger tout ce monde ? rien n’est moins sûr.

 

   Toujours est-il qu’affolée par la tournure que prenaient les évènements elle téléphona à la Salpetrière afin

d’avoir l’avis du Professeur Marteau. Sa plaidoirie-réqusitoire fut sans doute brillante. Et c’est tout à l’honneur

de ce grand homme de science que de revenir sur son ordonnance, sur le simple rapport alarmant d’un parent

de son client. Il conseilla donc de ramener progressivement les doses à zéro. En effet, de repas en repas, heure

habituelle des gélules, on vit mon Père se détendre et rester plus dispos. Certes il dormait encore, mais il avait

alors un sommeil relativement calme. Eveillé, sa conduite était redevenue assez normale.

   

   Que pensez donc du Lithium ? La Faculté avait été deux fois interrogée : Faine avait fait la réponse

que l’on sait et le Professeur s’était montré septique. Ils n’avaient jamais cru à la seule responsabilité

du produit. Ils soupçonnaient un assaut prématuré de sénilité- favorisé par l’âge de mon Père, les soucis

qui l’avaient assailli et l’ambiance dans laquelle il avait vécu.

 

   De fait, l’amélioration de la santé paternelle que nous avions tous saluée avec grande joie, s’émietta rapidement.
A partir de 1974, le mal changea,- ne permettant qu’à une seule préoccupation d’occuper

l’attention de mon Père. Le temps passant je cois bien être d’accord avec ce que laissaient entendre

les Médecins. Ce calment ouvrit bel et bien la porte à un vieillissement accéléré de l’état de mon Père.

Il perdit, par exemple, son goût et son bel art de la conduite automobile Plus gravement, les années passant

il perdit peu à peu le sens de son existence.

 

   Sept ans plus tard, le nom du Professeur Marteau devait revenir dans nos conversations entre Mère et

fils ; ce devait être de façon plus grave et plus émouvante et plus définitive.

 

L’énergie de ma Mère.

 

      La Polyarthrite de ma Mère s’était faite plus discrète depuis l’hiver. Depuis l’hiver 1972. Je la voyais avec

joie s’activer, du fond de son fauteuil. Elle m’incitait ;-et m’incitera toujours, à sortir, en compagnie de tel ou tel.

Il y eut mon premier dîner chez les Pange ! Il y eut les innombrables réunions organisés pour moi par les Aubé

qui se chargèrent pour une grande part d’égayer ma solitude campagnarde. Ceci occupa ce pénible premier hiver

et aussi quelques autres.

 

  Au nombres de ces « Party », il faut compter durant l’hiver 73, la journée aux environs de Chambord et qui

eut pour rendez-vous final le Château-Gentilaumière de la famille Fougeron grande amie des Aubé et des Pierre

de Dreuzy. 

 
   Ce fut Pierre Fougeront, leur fils aîné, qui fut notre Maître de Cour ce soir-là. C’était en mars 1973.

 

        Nous leur rendîmes la politesse, à eux et à leur groupe, avec nos pauvres moyens, en les invitant entre

Ascension et Pentecôte, à un méchoui. La festivité bien entendu supervisée par les Aubé. Malgré les sourires

affichés pour les photos, jamais la situation des Maindreville n’avait été plus difficile qu’en ce Dimanche soir.

 

   Je sus plus tard, par Chantal de Pange qui partait le lendemain en voyage, qu’elle avait fait en quelque sorte

ses Adieux définitifs à mon Père,- tant il était mal.

 

  Un rayon de soleil éclaira, comme on sait, notre printemps et l’été qui suivit. Ma Mère me poussa de nouveau à

sortir pour assister au Baptême de Damien Aubé,- premier petit fils d’Hubert et de Peggy. Ce fut une nouvelle et

charmante réunion à laquelle ils voulurent m’associer. On put admirer le sourire du jeune Chrétien à la ferme de

l’Ermitage, près de Villeneuve le Comte, entre Maux et Lagny ; - à une trentaine de kilomètres de La Glazière.

Ce fut pour le 15 août.

 

  On s’étonnera peut-être de voir qu’il ait fallu l’encouragement tenace de ma Mère pour que je participe à ces

heureuses rencontres, qui émailleront le séjour sous les arbres. Le poids des soucis quotidiens dans lesquels

je laissais la maison en quittant mes Parents, me masquait le dépaysement  voulu par mes amis.
Je ne démordrai jamais de cette obsession ; et lorsque mon Père ira mieux, je partagerai sa propre obsession :

celle de l’avenir.

 

   Que tous ces amis soient remerciés d’avoir pourtant tenté l’impossible. Mais les charges qui pesaient étaient

en même temps sur moi étaient trop lourdes. Je voudrais leur adresser mes humbles et amicales excuses.
Pouvaient-ils gommer mes soucis autant qu’ils l’espéraient peut-être ? Qu’ils sachent en tout cas que leur

efforts et leur accueil restent pour moi un très agréable souvenir. Je le partage donc avec celui de mes Parents

 
Fin d’été et automne à La Glazière.

 

    C’est probablement dans seconde quinzaine d’août que Madame Jean Blasset quitta ce monde. Elle était

la femme du Maire des Ecrennes .

Mon Père, en temps que Conseiller Municipal, tint avec ses collègues à entourer leur chef de file aujourd’hui dans la peine.
Il revint de la cérémonie pour trouver Oncle Pierre et Tante Marie-Thérèse de Dreuzy en notre

compagnie au salon.  Ils avaient sans doute appris les meilleures nouvelles de mon Père, et voulaient juger

par eux-même des bruits qui leur en étaient parvenus. Je crois pouvoir dire qu’ils furent surpris en trouvant

leur « Kiki » déjà aminci et frétillant comme ils l’avaient toujours connu.  Mon Père portait le costume bleu

foncé à petits pois gris, que nous appelions « costume caviar ». Ce qui prouve chez lui une recherche retrouvé

d’élégance.

 

        Le ménage Pierre repartit rassuré.

 

  Il faut noter aussi l’apparition plus régulière à notre table de Christian Droulers, à la retraite depuis juin. Il

occupera ses loisirs à faire monter les habitants de Chenoise, et les amateurs de tout poils ou les visiteurs

1de week-end.  Cette chaleureuse présence assurée commencera à donner des idées à ma Mère pour mon

avenir . Mais ce ne sera qu’à partir de 1978 qu’on en parlera sérieusement.

 

   Mais nous voilà aux portes de l’automne ;- et avec lui arrivent les premiers froids. Ils forcent  ma Mère

à rester de plus en plus allongée.  Nul doute que la grande activité imposé par nos « Perles marocaines »

et les préoccupations familiales n’aient eut une grande part dans le nouvel accès de rhumatisme, dont recommença
à souffrire.

 

   A mon avis, ce ne sera qu’une fois, sept ans plus tard, qu’elle retrouvera la possibilité d’action que je

lui ai connue pendant l’hiver 72-73. C’est donc depuis son lit qu’elle pensera et organisera le transport,

l’arrivée et le rangement des meubles de Paris,- trop longtemps laissés au Garde-Meuble.     

Ce déménagement ancra plus en elle l’idée d’une installation campagnarde. D’où aussi un certain

tassement de sa volonté de changement.1   Et pourtant ce désir existait bien en elle, puis qu’aussitôt  revendu 
l’appartement de la rue du Docteur Lancereau, on nous proposa une maison, rue Saint Merri à Fontainebleau,
et qu’elle accueillit cette proposition

.  



1 Provoquée par la Guerre du Qipour.

1 Par l’écriture par exemple.

 

 

1 Dans cet « Il y a autre chose » La Doctoresse ne voulait-elle pas indiqué à ma Mère qu’elle avait diagnostiquer

les douloureuses prémices de la mort de mon Père ? Mais le Secret professionnel et son amitié pour nous                                 

 l’empêchèrent de livrer à ma Mère sa pensée intégrale.

 

Notre triste mine de visiteur n’aida pas à la conclusion du marché ; - qui finalement ne se fit pas. C’était en novembre.

Depuis ma toute petite enfance il était de coutume que mon Père téléphona à  Marseille le 31 décembre pour

présenter ses vœux à sa sœur aînée, Tante Mone. Pour la première fois, et aussi je crois la dernière, parti de La Glazière.
Ensuite ce ne fut plus possible à cause de l’état de santé de mon Père. Cet appel parti

de La Glazière surprit « ma bonne Monne », très émue de nous savoir si isolés de « la chère famille ».     

 

J’avais titré ce chapitre « L’année sans but ». Peut-être pourtant en avait-ce été que restaurer l’état de

santé de notre chef de famille,- même si espoirs que nous  avions pu entretenir n’eussent été que de

faible durée.

 

   Avec «  L’avenir est à Dieu », la grande Histoire va venir influencer ce récit anecdotique .  


Chut encore une fois laissons passer l'Histoire.