CHAPITRE XII

Une convalescence difficile

1965

                                                                                                                

                                              

Pour la dernière fois, et pour quelques années encore, trio se retrouvait dans la vie parisienne.

 

« Un état de santé sans convalescence véritable » : voila ce qu’il fallait dire en regardant l’existence de mon

père. Bien que rentré dans un cadre de vie infiniment plus sociable, la tristesse acquise là-bas, le porta à une

réflexion amère et stérile sur les différentes professions dans lesquelles il n’avait pu réussir ;et surtout vers prospection angoissé de l’avenir.

 

 Je le revois, et je l’entends encore mieux,- tassé dans un des grands fauteuils-club qui meublaient notre salon

de l’avenue de Messine ;-gémissant puis hurlant véritablement sa douleur….toujours la même « Comment allons-nous vivre » ! ce cri força souvent ma Mère, à interrompre un instant ses travaux philatéliques…. 

 

 Donner le détaille de ses appréhensions ne mènerait pas à grand-chose. Pourtant dans mon souvenir, cette

année demeure comme un temps de répit,- une sorte de tremplin avent de sauter dans l’époque où La Glazière

nous restant toute entière nous sera pleinement à charge.

Une diversion nous fut accordée : deux cousins Schelcher annoncèrent leurs fiançailles. Chantal avec François

de Saint Remy, et Marc avec Françoise Bailly. Chantal devait se marier dès le printemps, et Marc à l’automne.

Ces différentes noces plongèrent Grand’Mère dans la joie, mais également dans les affres de l’organisation des

réceptions. On pensa ouvrir La Glazière pour le mariage de Marc,-celui de Chantal devant avoir lieu chez ses

parents à Orgeval.1

 

La Bénédiction Nuptiale fut donnée à Chantal par l’Abbé Xavier de Taragon. A  divers titres beaucoup des

assistants le connaissaient. Ce mariage reste pour moi la seule manifestation intéressante d’un printemps

aussi morne que l’hiver qui l’avait précédé.

Pendant ces deux saisons, il fallut se réhabituer à la vie sédentaire,-et aussi à la vie quotidienne d’un Retraité

qui avait été jusqu’alors particulièrement actif.

 

 La réserve des amis Français étant épuisée, c’est l’Allemagne qui prit le relais de notre environnement.

Elle nous envoya Hans Ulrich Huppe, dit Ulli.

 

Hélas un retour en Allemagne cà se prépare aussi.( Hans-Ulrich Huppe et sa Fiat 5 ).Septembre 1965.

 

C’était un garçon de 20 ans ; il sut admirablement comprendre

la situation générale et secouer le marasme dans lequel chacun se trouvait. Que de parties de Scrabble, de

Mah-Jong et de Jacquet lui avons-nous réclamé cette année-là ! Et il sut être un partenaire discret et enjoué.

Il y eut du mérite car les angoisses paternelles bien que cédant du terrain,- pour cette fois,-n’en étaient que plus

vives et moins maîtrisés ; plus spectaculaire aussi. Il  interrompait nos parties par des « Jeannine ! Jeannine ! »

allant jusqu’à la suffocation.

  Malgré ces conditions difficiles, Ulli nous assura son affectueuse présence durent huit étés presque consécutifs.

Il préparait ses examens de Professeur de Lettres Françaises en Westphalie . Il n’interrompit cette série de séjours qu’en 1969-1970, pour soigner une Pleurésie. Mais il fit des apparitions pendant  les Trois premiers

étés de notre dernier-et terrible- séjour.   

Hans Ulrich Uppe et ses amis français à Jouy l'Abbeye. (Juillet-Août 1965)

  Voici comment étaient distribuées nos journées. La matinée était laissée libre à l’invité. Après le déjeuner :

travaux multiples tels que forestage dans le jardin, ou lectures  corrigées, et pour moi enrichissantes.

Je me souviens ainsi des « Contes » de Maupassant qu’il me fit à la vérité connaître. Je m’efforçais de lui

dévoiler les subtilités de notre langue. Cela se passait sur la margelle de l’étang, face à la maison. Ce grand

garçon charma tout le monde,-aussi bien Madame Schelcher qui se rappelait pourtant très exactement ce que

furent les rapports « historiques » entre nos deux peuples.

A partir du mois de septembre qu’elle vint passer auprès de nous, elle se joignit parfois aux jeux de société

que j’ai dits, et qui se déroulaient toujours après le goûter.

Il fallait quand même distraire notre ami. Faute de lui faire parcourir la France, nous l’emmenâmes souvent dans

la famille de ma Mère. Il nous accompagna donc plusieurs fois à Brou sur Chantereine. Il en aima le cadre, pour

sa beauté et les rencontres qu’il y fit.

 Ulli n’oublia jamais ses amis Maindreville. Ils les revit une dernière fois au complet, avec Gertrude, sa jeune

Femme qu’il nous présenta à la fin de juillet 1974.

 

  L’été à La Glazière avait été trop dur à mon Père, pour que l’on puisse envisager d’y donner des réjouissances

nuptiales pour le mariage de Marc. C’est ce que ma Mère expliqua longuement à l’Oncle Rémi ; elle lui proposa de prendre l’avenue de Messine pour y donner le lunch de mariage. Elle argua du fait que l’avenue était depuis

plus longtemps la Maison Familiale ; -depuis 1921. La Glazière n’avait abrité que peu de réunions. Oncle Rémi

se laissa convaincre. Le mariage et son déjeuner eurent donc lieu à Paris, le 15 Octobre 1965.

Et les Oncles en profitèrent pour faire photographier en grand détail le vieil hôtel, remis en état pour la cérémonie.

 

 

Photos av de Messine 1965

 

  A la fin de septembre, nous étaient parvenues de mauvaises nouvelles de l’Oncle Jacques Révoil. Il avait été

opéré d’un soi-disant calcul au rein. Son état ne cessait d’empirer. Mon Père pensa un moment renoncer à assister aux fêtes du mariage pour courir aux côtés de Tante Mone. Il fallut que Tante Marie-Anne prenne raison  de ma parenté avec le marié, pour le convaincre de n’en rien faire.  (Grand ‘ Mère fini elle aussi par payer de sa

santé les émotions de ce mariage. Elle nous « offrit » une assez forte alerte quelque jours avent ces noces. Le

médecin consulté en toute hâte l’autorisa néanmoins à présider le lunch). C’est dire combien nous étions préoccupés pendant ces fêtes de mariage. Ce ne fut que 15 Jours plus tard, que la mauvaise nouvelle nous

parvint de Marseille. C’est pendant la messe des Morts à laquelle mes parents étaient allés, que le téléphone

sonna pour nous apprendre que pour mon Oncle tout était fini. C’était le 2 novembre 1965.

 

  Pour clôturer cette année, il me reste à signaler un fait qui me parait important ; mon Père commanda la

dernière voiture qu’il conduirait jamais, une I.D. 21. De son côté, ma Mère réclama une voiture qu’elle puisse

conduire, du  moins le pensait-elle. Mais l’inclinaison du volant l’en empêcha. Malgré tout, cette 2 CV servit

dans d’autre occasions,-et entre toutes les mains de bonne volonté. Elle fut même pendant 6 ans le dernier

pont entre la civilisation et nous.

 

Ainsi s’achevait 1965, la morne, la triste, la décevante. Pour finir, rentrant à Paris, je fus surpris de l’atmosphère d’activité de la Capital. Je ne pouvais y participer ; et elle n’autorisait plus les longues visites,-telles que je les avait connues autrefois. D’autre part ; l’incertitude qui planait sur notre futur s’imposait à moi, et durant tout l’hiver

M’empêcha de fixer mon attention quelque livres que se soit. Ce plaisir ne reviendrait que plus tard,-à notre retour au calme forcé de La Glazière.

Ce manque de goût alla de pair avec une légère perte de mémoire. J’attribuais cet ennui à la tension nerveuse

subie pendant l’été précédent ; et il me fallut bien l’accepter comme peut-être définitif.

J’en souffris. Avent 1964, il me suffisait d’entendre une Variété à la Radio pour m’en souvenir ; cela me devint

dorénavant presque impossible.

 

Au nombre des inquiétudes de mon Père, il fallait compter l’inexactitude du Fermier à s’acquitter de ses échéances relatives au cheptel. En 1968, nous saurons nous en souvenir.

   

 Si les Neufs ans de bail avaient été dures pour nous, ma Grand’ Mère eut sa part de souci. Je crois

 pouvoir dire qu’elle fut heureuse de voir sa proche famille exploiter cette terre. Sans doute éprouva-t-elle

une certaine humeur de nous voir renoncer ;-du moins sut-elle dominer cette réaction secrète.

Avec l’émotion de ces Deux mariages, son état de santé devint plus fragile et fut pour nous une source de

soucis. Et ce fut l’une des raisons qui nous poussa à préférer l’Avenue de Messine à La Glazière pour les

réceptions du mariage de Marc.

 

   Cette fois 1965 est bien fini. 1966 approche, plus nerveuse et plus contrastée.



1 Il ne faut oublier non-plus le passage en France de « Djinn »Buckner, dont ce fut la dernière apparition auprès des Maindreville. Je ne l’ai pas revue depuis 1965. 


Ce n'est plus tellement drôle soutenez-moi encore je vous prie.