CHAPÏTRE XXVI
JE SUIS UN PEU FOU EN CE MOMENT
1979
Pour
illustrer ma pensée, j’ai déjà fait appel au monde de la peinture. On se
rappellera le diptyque que j’avais
bâti à la fin de 1975, pour résumer les deux années
qui venaient de s’écouler.
Années moins difficiles que les autres ! Il
s’agissait alors d’un diptyque haut en couleurs,-les évènements relatés
alors étant, à quelques exceptions près, des évènements
relativement heureux. Le diptyque que nous allons brosser maintenant ne comportera
que deux couleurs : le gris-blanc neutre, puis carrément le noir.
L’usage
et l’usure des jours.
Les
premiers jours de Janvier furent sans histoire. Notre tonus boitait cependant
un peu. Les Pange avaient
annoncé en effet au déjeuner de Noël qu’ils iraient
en Chine avec une délégation d’agriculteurs, dans le courant
de l’hiver.
Mon inquiétude personnelle devant la perspective de me trouver privé
d’appuis rapides fut ravivée par
l’arrivée d’une vague de grands froids, qui laissa
même une pellicule de neige non seulement sur La Glazière, mais aussi sur
les proches alentours.
Si je
parle exceptionnellement du temps qui régnait en ce début de 1979, c’est que
ces conséquences furent
déterminantes pour notre vie matérielle immédiate
et pour notre organisation future. En effet, lorsque Jehanne était arrivée, il
avait été décidé qu’elle se débrouillerait pour ses transports entre Châtelet
et Glazière. Vers 3
heures et demie ou 4 heures, elle prévenait
discrètement mon Père, pour qu’il veuille bien la ramener ;
ce qu’il faisait d’ailleurs avec joie. Les années
passant, elle préféra, je crois, demander ce service à Monsieur
Vidon, charcutier à la retraite qui, de ce fait, ne
manquait pas de temps. La neige, cet hiver-là fut si importante
en Seine-et-Marne, que pendant deux jours il ne fut
pas question d’y faire circuler aucun véhicule. Jehanne
téléphona à ma Mère pour l’en avertir.
Témérairement mon Père lui promit alors de passer la chercher. La
2 CV partit donc. Mais le temps d’un retour normal
fut largement dépassé. Soudain les Pompiers firent
irruption dans la Cour,- leur voiture « tous
temps » remorquant notre frêle esquif à la barre duquel était
installé mon Père, ayant à sa droite sa précieuse
passagère. Il expliqua que sur le chemin du retour la
2 CV avait dérapé et fait un vol plané dans les
champs. Le fermier et quelques rares passants avaient
alerter les Pompiers….Cet incident qui aurait pu être
plus sérieux fit encore baisser d’un cran l’appétit
de mon Père à conduire.
Ma Mère
avait gardé la nostalgie du temps où elle régentait une Basse-cour. Elle
conservait l’heureuse
image d’un troupeau d’oies blanches qui flottait
sur une mare touchant notre maison. Les accords de vente
de la ferme passés avec Monsieur Bédossa en 1972,
nous laissaient la jouissance de la cour la plus proche
de notre habitation. La-dite mare faisait partie de
cette cour. Il était donc facile d’y
remettre les animaux et
les plantes qui nous plairaient. Ma Mère fit donc
revivre son rêve d’élégance en installant près de la fenêtre
de la cuisine un mini-élevage d’oies. C’était en
1975.
Le
folklorique départ des successeurs des Tuhault nous rendit directement
responsables de l’approvisionne-
ment des trois bêtes : deux oies et un jars.
Ma Mère confia cette occupation à mon Père qui l’accepta volontiers..
Bien entendu, Jehanne était discrètement attentive
pour voir si les bassines étaient régulièrement garnies.
Malheureusement l’hiver fut rude, et
l’apprivoisement ne fut que hasardeusement prodigués. Ce fut fatal à
la presque totalité de l’élevage et à sa nouvelle
progéniture. Pour Mon Père ce fut un drame ; mais, à la
réflexion, je pense que ce ne fut pas mauvais. Les
mois et les années passant, et étant tels que nous avons
vécus, auraient à coup sûr empêché Jehanne de se
livrer à une distraction de cet ordre.
Des 6 ou
7oies vivent au début janvier, il ne nous en resta plus qu’une. On la mangea….(
Mais nous fîmes
croire à mon Père que ce n’était qu’une volaille
achetée dans un magasin).. Lui dire la vérité aurait approfondi
son trouble. Ceci prouve l’attachement qu’il avait
fini par vouer à nos frères inférieurs, sans doute pour leur
caractère silencieux et éloigné de toutes contestation.
La ronde
des parents et amis continue de se défaire.
La
ronde des amis promis, et d’ailleurs trouvés en 1973, avait commencé de se
défaire dès 1974
avec le départ d’Anne et d’Emmanuel de Clavière,
suivi de près par Monique et François de Clerque en
juin 1976. Celui des Ahrenchiagues avait clôturé
cette première et provisoire, série d’adieux en 1977, de
façon que l’on sait.
Le
fait qu’il nous fallût user régulièrement des transports en ambulances nous
avaient attaché
également à certain chauffeurs de la Maison Ferry.
C’était notamment le cas de Joseph, dont le nom de
famille m’échappe. Travailleur, efficace, bavard à
ses heures, il assura les principaux départs et retours
maternels jusqu’au début 1979. A l’occasion d’un
petit trajet chez le dentiste à Veneux les Sablons, Joseph
nous annonça qu’il quittait son employeur pour
prendre la gérance d’une station-service en Vendée.
Il y eut naturellement échange d’adresses. Hélas
les décès de mes deux Parents et le déménagement
de La Glazière provoquèrent deux grandes Tourmentes qui emportèrent tout…
Ce
fut Jean-Pierre Louchart qui lui succéda, au volant des secourables CX Citroën.
C’était un grand garçon blond de « Ch’Nord » ? A l’époque où
nous l ‘avons connu il avait coiffé deux casquettes. D’abord, il
patrouillait la nuit des cars de Police
parisiens. D’autre part, il avait une bicoque dabs le quartier neuf du
Châtelet. Il y revenait dormir ( peu ) et
consacrait le reste de son temps à arrondir la fin du mois en
brancardant ou en jardinant pour ses voisins. Il
lui arrivait aussi de leur faire dans sa propre voiture
leur déplacements les plus nécessaires . Je
reviendrai sur cette activité le moment venu.
Cette
parenthèse refermée, il faut revenir à la ronde imaginée au début de ce
paragraphe.
Quatre danseurs vont en sortir définitivement dans le cours de l’année. ELLE, c’est à dire
la mort
va frapper trois membres de notre famille et un
ami.
C’est
au printemps que Thierry de Cugnac choisit de rejoindre sa Maman dans
l’Au-Delà ; elle
était décédée depuis 11 ans. Ma Mère donna à ce
malheureux départ un écho qui me glaça d’inquiétude.
Quelle serait à mon tour, ma propre réaction quand
sonnerait l’heure dont je pressentait la venue un jour ?
J’était tant attaché à ma Mère ! Ma Mère qui
me faisait littéralement vivre !
Il fallut une visite de l’Abbé Jeantet et beaucoup
de temps pour calmer cette panique. Mon inquiétude venait
des projets que ma Mère bâtissait pour mon avenir
un avenir de solitude, en Seine-et-Marne, et pire encore
Glazièraint.. Le Temps, qui est la plus belle création
de Dieu, comme le disait Monsieur le doyen Cambon1 effaça cette mauvaise projection.
Une
semaine après Pâques, semaine habituellement joyeuse, ne la fut pas pour nous.
Paris
nous avertit du décès de l’Oncle Jean de Dreuzy, 3ème
frère d’Oncle Pierre de Dreuzy, Maître de La
Turpinière et d’Oncle Jacques de Dreuzy,2 La mort de ce cousin germain de mon
Père, était due nous
dit-on à une congestion cérébrale. Ma Mère depuis
quelque temps maquillait pour mon Père ce genre
de nouvelle ;-pour ne pas creuser encore la
morosité de ses réflexions.
Ce ne fut que bien plus tard que j’appris la vérité
sur sa mort : il s’agissait d’un cancer.
Du côté familial, et de la même façon, en fin
d’août c’est ma Mère qui nous annonça le Départ de l’Oncle Franços
de
L’Estoilles. Il fut pour nous un merveilleux conseillé durant notre période
agricole. Pour moi je perdais un
Oncle pédagogue qui sut me faire prendre en
patience le temps de cette « importunité » agricole
J’entendis
chuchoter plus tard que sa mort était due à une leucémie, dont on m’a dit
qu’il était touché.
Vers
la fin d’avril, mon Père se mit à tousser et à éternuer à un rythme qui ne
permettait pas de
laisser passer la chose sans y prêter attention. Il
avait alors 77 ans et demie. Le médecin, d’un air soucieux1
confirma un gros rhume. Pour une raison de
commodité, ma Mère me fit transporter sur son lit pour deux jours
(et deux nuits). C’est là que j’entendis ma Mère
répondre sur le ton de circonstance à Madame Offerlé. Elle nous
annonçait le trépas de son mari. Il victime d’un
cancer provoqué sans doute par le médicament
pour le cœur (et
surtout ceux qui l’accompagnait ), qu’il avalait
depuis des années. Il s’était endormi à l’Hôpital Henri Mondor à
Créteil.
Nous
perdions avec lui un des amis et un témoins de nos dernières années
parisiennes. l’Histoire, la
Philosophie et les Langues perdaient en lui un
spécialiste des Civilisations archaïque et modernes.
Un détail amusant me revient à l’esprit du temps où
j’étais son élève. Monsieur Offerlé me donnait facilement
2 ou 3 heures de cours….Un jour où j’étais
distrait, il me dit avec son terrible accent :
-« Che fou ai fatiqué !
Comme je protestais avouant ma responsabilité
personnelle, il insista :
-Si si che fou ai fatiqué, che suis tésolé… !
Quel charmant professeur ce fut ; et j’y pense
seulement maintenant, quel soutient, et quel dérivatif pour ma Mère et pour moi
il eut été s’il avait vécu quelques années de plus…Mais on ne refait pas
l’histoire. Ce fut
aussi un vrai ami.
Il
n’y eut pas que nos deuils de famille ou d’amis pour marquer cette année 1979.
Nous n’aurons
garde d’oublier la disparition de Lord Louis
Mountbatten, dernier Vice-Roi des Indes Anglaises. Apparenté
à la Famille Royale. Il disparut victime d’une
bombe placé sur son yacht par les extrémistes Irlandais. Ses
obsèques solennelles furent retransmises par la
Télévision. Puis très vite l’oubli retomba…..
Dans
une autre partie de l’Europe et dans un tout ordre de société, ce fut aussi
Josip Broz, dit
Tito, qui disparut. Il avait été le premier à
lutter contre cette Mecque Rouge qu’était Moscou. C’était dans
les années 50. J’étais trop jeune alors pour me
souvenir des péripéties de cette lutte fratricide.
Sur
son lit de mort, Louis XIV conseilla à son Petit-Fils : « Ne m’imitez
pas dans le goût que
J’ai eut pour la guerre et pour les
bâtiments ».
Pour ce
qui est de la guerre, cela ne nous concernait guère ; nous ne la fîmes pas
– entre nous – de la fin
1978 aux premiers jours de 1980. Mais quant aux
bâtiments…. ! Après quelques temps d’expectative, ma
Mère avait cru trouver une solution acceptable pour
ébaucher les plans de la villa de Fontainebleau. Sans
doute dégoûtée de ses rêveries architecturales
qu’on lui avait présentées jusqu’alors, ma Mère fit confiance
cette fois-ci à un jeune métreur, Alain Parquet.
Pendant les deux années évoqués, il se pliera avec beaucoup
de bonne grâce à tous nos desiderata.
Il
vint donc avec une régularité quasi hebdomadaire ;-de novembre 1978 à
décembre 1979. A cette époque il put enfin boucler son projet. Après quoi, il
demanda un rendez-vous d’approbation à l’Architecte Départemental
Francis de Bergevain. Mais ce fut alors une autre
histoire…
C’est
dire que ces 12 mois de 1979, furent peut-être plus légers à porter. Ils furent
vécus plus légèrement, dans la « fièvre des bâtisseurs ». Mais
pourquoi avoir attendu 3 ans pour nous pencher sur le problème avec
réalisme ? Pourquoi avoir attendu que le poids
de l’âge devienne un handicap supplémentaire ? J’y vois deux
raisons :
D’abord nous trouvâmes chez le corps des
Architectes une raideur qui les empêcha souvent de se mettre
au niveau de nos moyens financier et de nos
handicaps. Les gens patentés que nous consultâmes virent
dans nos rêveries bellifontaines l’occasion d’un
exercice de style amusant à réaliser et pour lequel ils
n’épargnèrent rien, - mais dans l’irréel.
Nous
étions restés trop longtemps réticents devant les dessins que nous avaient
pourtant soumis deux
Cabinets d’architectes très officiels. Des amis
avaient alors entrepris de nous aider dans nos efforts malheureux.
Ces généreux concours nous avaient conduits
jusqu’en 1977. Le départ des Ahrenchiiagues avait stoppé ce que
nous avions d’élan.
D’autre
part le recouvrement de la somme que nous devait Tournay donnait plus de
vigueur et sécurité
apparente à nos rêves sur papier.
Enfin, et c’est peut-être le plus important dans
nos variations de pierre, il y a l’état dans lequel ma Mère nous
trouvait, mon Père et moi, à chacun de ses retours.
Ces malheureuses ambiances l’amenèrent à réfléchir sur
ce qu’étaient nos tête à têtes en son absence.
Ma Mère
de nouveau absente.
Ces séances aussi amusantes qu’instructives devaient s’interrompre pour
la période des vacances. Celles de 1979 devaient n’être pas de tout repos pour
ma Mère. Elle était attendue à l’Hôpital Saint Louis.
Cette fois-ci, il s’agissait de l’opérer de la main
gauche.
Ce dernier départ dût avoir lieu dès le 16
août : je le pense du moins…En tout cas je me souviens du passage
de Monsieur de Pange venu dire « Au revoir..
et revenez-nous vite. » Puis c’est avec une égale fermeté que ma
Mère prépara ce nouveau déplacement. C’était le 4ème
en 18 mois !
Seule
innovation : une infirmière Rurale devait venir chaque jour pour toilette
quotidienne. Ma Mère pensait soulager
ainsi mon Père en lui procurant plus de liberté. Et c’est ainsi que dans le
cadre d’horaires de plus en
plus élastiques, Monique Tavier fit son entrée à La
Glazière ; -symbole des mauvais jours qui n’allaient pas tarder
à arriver.
Esprit d’observation de ma Mère.
« Revenez vite avait dit le Comte de Pange ». En fait de cette
absence de ma Mère, je n’ai gardé aucun souvenir. Elle revint de Saint Louis
huit jours après y être entrée ;-la tête et la bouche pleine d’anecdotes
et
d’histoires saisies sur le vif.
J’en revois 3, deux d’actualité touchant
l’opération de la main droite. Et l’autre plus vieille de quelques mois
Puisqu’elle se situe à Cochin, au cours du long
séjour qu’y fit ma Mère au début de 1978.
L’intervention,( à la main ), devait se pratiquer
sous annéstésie locale, sans doute à cause de l’âge du sujet.
Inconsciemment ma Mère se raidit quand l’aguille
pénétra dans la zone à opérer.
-« Oh non ! s’exclama le Docteur Liu, spécialiste de la chose, ce n’est
qu’une toute petite piqûre ! »
Puis le Professeur Sédel tailla et recousit ce
qu’il put à l’intérieur de la main de l’ancienne pianiste.
Autre incident dans un genre plus truculent.
Quelques jours plus tard, ma Mère dut se plier aux exigences
de la nature, elle entendit alors l’aide-soignante
très décontractée l’interroger :
-« Alors, Mémé ! on a finit de faire son
gros caca ? »
Je ne sus pas ce que répondit
« Mémé »…Sans doute trouva-t-elle çà pittoresque. La vie a de ces
drôleries…
Transportons-nous maintenant quelques mois en arrière ; le cadre a
également changer. A présent il s’agit
de Cochin durant le long bilan de santé, ordonné
par Roux, que ma Mère y subi de janvier à mars 1978.
L’Hôpital avait récemment pris des radios de ma
Mère. Le résultat de ces clichés mérita un mini cours
Donné par Ménkes à certains de ses élèves.
Connaissant la fragilité de ma Mère, ( et son peu de goût
pour les transports, même à l’hôpital), il eut
l’idée donner cette leçon, dans la chambre occupée par ma
Mère. Ce qui fut fait à l’aide d’un écran portatif.
Durant cette discussion, le Professeur remarqua et tout
le monde avec lui, une jeune élève trop occupée à
le regarder lui, au détriment du sujet scientifique aujourd’hui
en observation. Il s’interrompit et fit cette
remarque à la admirative :
-« Ce n’est pas moi qu’il faut regarder,
Mademoiselle, mais la radio de la malade » !
comme pour l’histoire précédente ma Mère ne me
conta jamais la fin de cet épisode ;-qu’elle ne connut pas.
Sans doute la jeune femme avait-elle quelques raisons
d’être distraite et admirative, car l’ayant aperçus deux
fois Avenue de Messine, je le trouvais fort
élégant.
On
excusera les fantaisies de la chronologie, dans ces souvenirs : ceux des
jours passés et ceux des jours
a venir. J’étais on se le rappelle, sous
tranquillisants depuis 1978 ;- et ils étaient puissants. A partir de ce moments, je vis donc ceux qui
m’entouraient s’agiter comme derrière une glace ; sans parvenir à retenir
ni à « bloquer » aucune de leur
expressions verbales. Sauf dans quelques cas très ponctuels. Les dates
aussi se mélangèrent dans ma tête.
Et
pourtant, si enchevêtrés qu’ils se présentent les souvenirs abordent. Mon
Temesta me permettra d’être
le témoin muet d’événement qu’à un jour près, je
peux certifier exacts ! Je m’efforcerai de réduire le désordre
de leur apparition dans ma mémoire.
Madame Tavier fut la deuxième infirmière Rurale à apparaître dans mon
horizon. Elle devait partager
la tâche avec Mademoiselle de Montbelle que j’ai
déjà citée en son temps. Ensuite, elle la remplacera tout à
fait à partir de 1986. Elle sera alors amené à
juger et à penser les premières plaies qui surviendront aux
jambes de ma Mère.
Ultime
échappée des hommes de La Glazière vers Boissette.
Pour
la dernière fois, mon père et moi – son bonhomme – à sa droite ( la place du
mort dans les accidents…)
nous nous embarquâmes dans la 2 CV. Nous allions
voir Pierre et Madeleine de Chevront Villette, et faire
connaissance avec leur nouvelle installation. Mais
la conduite était devenue si aléatoire pour mon Père, qu’on
avait décidé de relayer à Mimouche, chez les Pange. Mon Père devait prendre place
dans leur voiture. Leur
fils Melchior devait suivre ( en 2 CV, et avec moi
) pour la dernière partie du trajet. C’est dans cet équipage
que nous sommes entrés dans le parc du 2 Rue Paul
Gilon, à la porte d’une vaste maison crépie de blanc
et couverte de tuiles de couleur bleue encre à
stylo…Le salon était vaste et bien meublé,- conçu par ses amis
et pour eux. Ils savaient manifester dans la
perfection leur prévenance et leur affection à leur amis.1
En
rentrent à La Glazière, j’ignorais que je venais de faire mon dernier voyage
dans cette
voiture et avec ce chauffeur . Malgré sa lassitude
qui grandissait avec les années, j’atteste que je n’ai
jamais eu peur avec lui. Quand au véhicule, il
devait passer dans peu de mois aux mains de Dominique
de Maindreville qui allait l’em0mener à Paris et
l’y garder pour faire les allers et retours vers nous dans
les années 80. Mais en attendant que cela se
réalise, la fidèle petite voiture attendit à La Glazière et aucun
des Gardiens que nous devions avoir ne touchera son
volant.
Premières
graves dans l’esprit de ma Mère.
Si en
d’autres occasions j’ai pu faire état chez ma Mère d’un certain esprit
d’observation, il n’était plus
de saison de rire lorsqu’elle nous revint. Elle me
confia ses inquiétudes et ses craintes lors de son retour
définitif à
la maison. Cela se passa dans ma chambre bien connue de nos visiteurs.
Perplexe, elle me dit :
-« Je suis ennuyée de l’état de santé de votre
Papa.1 Il n’entend plus du tout ce qu’on lui
dit et il a l’air
spécialement fatigué, cette fois-ci, je suis bien
soucieuse »
Venant
d’elle et sur le ton où il était rendu, ce son de cloche m’inquiéta. Ma Mère
n’était pas femme à
s’affoler aisément. Depuis 20 ou 30 ans mon Père
l’avait habitué à des états psychiques inégaux. Je voulus
en savoir plus :
-Quoi ? une nouvelle dépression ?
-Non il y a autre chose…
Quelqu’un l’appela sans doute et elle dut
s’arrêter.
Mais dès
l’après-midi j’eus l’occasion de toucher du doigt la chose. Nous prenions le
thé ordinairement vers
Cinq heures. Pour épargner à ma Mère des positions
et des gestes fatigants, mon Père mettait l’eau à chauffer
dans une vieille casserole. Il la brancha à la tête
du grand lit. Quelques secondes plus tard à peine déjà il
s’impatienta :
-
Alors ! ce thé ! ça vient ?
-
Mais François, vous venez de mettre l’eau à
chauffer. Il faut attendre qu’elle boue. Après vous
Verserez l’eau chaude sur
le thé et nous pourrons le boire…
-Oui, c’est
vrai….Excusez-moi…Je suis un peu fou en ce moment…Ca ne va pas….
Et cela avec un joli geste de la main, comme pour
signifier que çà n’allait pas mais que cela ne durerait pas
et il refit ce geste jusqu’il puisse boire. Plus
tard ce fut l’heure de son coucher. Il souhaita l’avancer exagérément…
Devant une telle situation, ma Mère profita d’un
passage du Docteur Roux pour lui dire son anxiété…
Dans le Pêle-mêle de ces « photos »
je revois une conversation à quatre au cours de laquelle Roux
signa une ordonnance destiné à mon Père. Du
Rivotril, je crois….Il essaya de plaisanter pour
ragaillardir les assistants. Je l’entendis tout de
même murmurer :
-J’ai tout de même ma petite idée.
-Qui est ? demandai-je ?
Mais il se leva sans répondre directement.
-De toute façon il faut attendre le résultat du
traitement que j’ai ordonné à votre Papa. Et là dessus il nous
quitta déjà enveloppé par les brumes de cet octobre
1979.
Suivent quelques souvenirs un peu enchevêtrés dans
ma mémoire. J’y revois pourtant le Lunch
de mariage d’Anne Aubé et de Cyril Alibert. J’y fut
amené par Bruno, le frère de la Mariée. Je n’y fit qu’une
brève apparition, car mon Père, si fatigué qu’il
fut tenait à me coucher lui-même, je ne pouvais m’attarder.
Je partis sur le spectacle d’un jeune génération
qui se préparait à une nuit de danse, sous un tente ;-pour
se délasser d’une journée très protocolaire.
Un peu
de Politique Générale.
En
repassant dans ma mémoire le film de ces deux années 79 et 80, les faits se
sont succédés à un
rythme si fourni, si dense, si précipité que je
regrette de ne pas en avoir tenu un journal régulier. Voici
pourtant quelques-uns de ces évènements tels que ma
mon souvenir me les restitue.
Il faut
d’abord savoir qu’au début de la retraite de mes Parents, en Seine et Marne nos
amis Pange
nous avait offert de partager avec eux la
gestion de notre compte en banque au Crédit Agricole.
Le ménage Pange s’acquittait de cette
surveillance avec une discrète efficacité. Leur gestion fut
calme et sage.
Or j’ai déjà raconté qu’au début de 1979 une
délégation d’exploitants agricoles français se rendit en
Chine. L’occasion était trop belle et
Charles et Chantal de Pange eurent bien raison de la saisir au vol.
Ils s’absentèrent donc quelques semaines.
Très précautionneusement, ils rendirent à ma Mère les quelques
papiers qu’ils détenaient. Puis ils
s’envolèrent. Les tristes évènements du printemps joints aux soucis de
l’été empêchèrent ma Mère de les leur
remettre jamais.
Dès ce départ, ma Mère se trouva confrontée
tout ensemble à un bouquets d’évènements historiques, de
sollicitations personnelles brochant sur la
toile de fond que constituait la santé de mon Père de plus en
plus préoccupante.
Au dehors, le vieil Iran,(l’ancienne Perce
),deux fois millénaire donnait la fièvre au monde entier.
Les Ayatollahs conduisaient leur fidèles à
de bien curieux pèlerinages. Leur buts n’étaient pas la
Mecque et leur objets n’était de piété. Ils
se ruaient sur les bâtiments officiels des villes principales
pour s’en assurer le contrôle. Le Palais
Impérial était le premier visé, bien entendu. Le Monarque
qui y régnait et qui venait de recevoir le
monde entier1 pour célébrer un
millénaire de sa Maison
mourrait en exil. Il était recueilli par
l’Egyptien Anouar el Sadate : l’un des plus prestigieux Chefs
d’Etat de l’époque. Peut-être anticipé-je
sur le temps en parlant de son exil et de sa mort. Le Chah
Mohamed Riza Pahlavi ne disparaîtra en
fait qu’au cours de l’année 1980. Mais dès l’automne 1979
la rumeur de son destin retentit dans le
brouhaha international.
Par ailleurs, au Pakistan, le bruits des
bottes soviétiques accompagna une horrible guerre bactériologue
sous le couvert d’une
banale opération de police.
Aux Etats-Unis, une
campagne électorale se préparait, mais son bruit emplissait déjà la presse
internationale…
Un vent de défaite et de
panique avait soufflé sur l’opinion Américaine à propos de la captivité des
otages
de leur ambassade à Téhéran. Le Président
Carter avait lancer une opération aéroportée improvisée pour
libérer. Le fiasco avait été total et le
prestige international de la suprématie militaire américaine sérieusement
entamé. L’événement avait scellé le destin
politique de Jimmy Carter.
En France les choses étaient à peine
meilleurs. Paris prenait des allures de Chicago politique
Avec deux mystérieuses
disparitions. Le coup de balai policier qui s’ensuivit tourna au scandale
publique et général. On
tomba dans le crapuleux.
Un jour d’octobre, on trouva le corps de
Robert Boullin, ancien Ministre (du Général De Gaulle )
auprès de sa voiture
personnelle, le corps à demi immergé dans les Etangs du Bois de Neuilly.
Appelé aussi les Etangs
de Hollande L’enquête de police ne conclût pas on se demande pourquoi :
suicide ? assassinat ? Et pour quelle raison ;-on avança une
banale histoire immobilière sur la Riviera… On sentit
la police paralysée. Par
qui ?… Règlement de compte entre
partis politique ? Peut-être. La classe politique
ne gagna rien à cette
ambiguïté.
Aucun doute par contre ne plana sur la mort
de Jean Foyer, abattu près de sa voiture alors qu’il rentrait à
son domicile pour dîner.
Le meurtre était évident, mais qui était le commendataire du « contrat » ?
Le hasard sans la nécessité.
Ma Mère redoutait les mouvements de
masse, qu’ils soient dirigés ou prétendument spontanés, Et la
Même phobie s’appliquait
aux foules étrangères comme aux foules françaises. Ils créaient un sentiment
d’insécurité devant
l’avenir autant que pour le présent. Ma
Mère y était sensible. Autrefois elle avait penser
trouver dans La Glazière
un havre géographique qu’elle imaginait inviolable. Maintenant devant
l’effervescence
universelle, elle
s’inquiéta. Et la mort de son époux devait accroître encore son besoin de
sécurité.
A la protection locale elle voulut ajouter
la protection financière.. Pouvait-elle la trouver dans les placements
Boursiers ? Elle
n’avait pas confiance dans l’Action papier. Elle entendit donc parler de ce
métal dont
Un peuple ancien s’était
fait un veau.. Sans aller jusqu’à l’idolâtrie, ma Mère se prit donc à rêver
d’or….
Sa simple expérience de
fille d’agent de change ne lui avait-elle pas savoir qu’en cas de crise l’or
monte ?
Je ne me souviens plus
des origines de l’affaire. En tout cas, je revois avec netteté l’arrivée de
l’acquisition.
Elle fut effectuée juste
à temps pour que mon Père la connut et la retint.. La Grande Histoire dira si
l’on eu
tort ou raison. La
tempête s’étant calmée, il semble qu’il y eut précipitation exagérée. Enfin
cela apaisa au
moins quelque peu
l’angoisse de mon Père, toujours préoccupé de lendemains qu’il prévoyait
sombres.
Aujourd’hui, quelque 25
ans plus tard, ( date de la mise à jour de ces notes ) les conseils sont
diamétralement
opposés les temps ont
changés et l’on presse les investisseurs de changer de placement et de préférer
la redoutable Action
papier….
Qui croire ? le
hasard ou la nécessité ?
Des fêtes inquiètes..
Il étais temps de revenir à notre projet
de construction et d’y mettre la dernière main.
Des voix s’élevaient
autour de nous pour nous faire entendre que la Loi prévue par Giscard et qui nous était
opposé était
incontournable. Nous n’en eûmes cure. Le nez penché sur le papier réglé, nous
préparions le
projet qui devait être
soumis à l’Architecte en Chef Départemental, afin d’avoir son
approbation ;- malgré
tous les interdits. Un
rendez-vous entre homme du « bâtiment » devait donc avoir lieu à
Fontainebleau
vers le 15 décembre pour
la remise officielle des plans, tirés je ne sais pourquoi à quatre
exemplaires..
Mon père marchant de plus en plus mal, ne
raidissant pas assez les jambes,- et pour lui éviter la fatigue
Me porter souvent, ma
Mère m’avait offert, pour la journée l’hospitalité Et je passais mes journées étendu
sur son lit. Ainsi je
pouvais participer encore un tant peu à notre vie familiale et mondaine.
Ainsi se présentèrent les Fêtes de Fin
d’années 1979. Elles étaient pour moi entachées d’inquiétudes.
D’abord il y avait la
réunion entre Monsieur Parquet et l’Architecte, qui s’était terminer par un NON
murmuré
mais inattaquable.
Ensuite il y avait la santé de mon Père ; elle m’inquiétait cette fois-ci
sérieusement : que
je soit installé sur le
lit de ma Mère montrait bien à quel point il s’était affaiblis. Vraiment je ne
voyait pas venir
l’An nouveau avec
plaisir. J’étais rempli d’inquiétudes et d’anxiétés. Sans en être sûr encore,
je pressentait que
l’année à venir serait
pénible, dure et pesante.
Réussirons-nous à mener à bien notre
construction citadine ? Nous installerions-nous enfin ? L’état de mon
Père le
permettrait-il ? Le pessimisme cette fois affiché par ma Mère était
dépourvu d’imagination et révélateur.
Elle avait une expérience
sociale et humaine qui me manquaient. Et puis, elle le connaissait si
bien ! son mari
depuis 47 ans. Depuis
1932, l’année de leur Mariage.
Quand à moi, que pourrai-je faire pour
l’aider ? Moi le continuel alité… La question tournait dans mon esprit.
Elle me reviendrait un an
plus tard ; aux minutes cruciales et déchirantes de La Turpinière… .
1979, fut une année tampon plutôt que
transitoire. En effet, transition suppose un changement complet.
Ma mère passait de plus en plus par dessus
l’avis de mon Père tout en lui demandant respectueusement
son avis.. Il est pourtant remarquable que
lorsque cet avis lui manquera ses erreurs seront de plus en plus
évidentes je n’ose pas dire grossières…C’est
bien dire l’influence équilibrante qu’exerçait sur elle son mari.
Non vraiment, je fus pas tenté de crier Vive
l’An Neuf. Au contraire je souhaitais retenir les dernières heures
1979, comme une garantie
contre celles de 1980, que je pressentais chargées d’ennuis voire de peines à
être
vécues.
1 Un des trois prêtres portant ce Titre que nous ayons connus en Seine-et-Marne. Le Doyen Cambon s’occupa du
doyenné de 1954 à1960.
2 Qui sera mon guide, lors de mon retour à Paris en 1988.
1 Cette allure du Médecin, et son pessimisme me mirent particulièrement en alerte.
1 Je note avec étonnement et stupeur, que cette visite fut la seule que mon Père et moi effectueront à Boissette.
Les évènements qui vont suivre, en sont les seuls responsables.
1 Les Maindreville ont toujours eut l’habitude de dire « Vous » aux petits enfant, pour les habituer à être
respectueux avec les grandes personnes qu’ils rencontres. Avec le temps cette interpellation cesse. En ce
qui me concerne ce vousoiement demeura jusqu’à la mort de mes Parents.
.
1 En 1967. Ce
qui n’était pas si vieux : une douzaine d’année plus tôt !
Recueillons-nous
pour une fois soyons sérieux.