CHAPITRE  XXXII

 

L’IMMOBILE

 

1985

 

 

 

                                                                                                                                                                                                   

Immobile, rien ne l’est parfaitement. Il y eut donc là comme ailleurs une insensible évolution.

 

Etat de ma Mère.

 

   Malgré son passage à Saint Louis en août 1979, ma Mère, depuis deux ans environ, me disait ressentir

des picotements électriques dans les mains ; analogue à un courant électrique continu. ( Mauvaise sensation

qu’elle semblait avoir acquise ,- depuis - son séjour à Saint-Louis ).
Mon étonnement n’avait d’égal que mon pessimisme. Le Professeur Mènkès, sans doute bien avisé, conseilla

une investigation, effectué de nouveau à Saint Louis et peut-être accompagnée d’une légère intervention ! Une

 telle éventualité et surtout une nouvelle absence de ma Mère soulevaient une montagne de problèmes !

       

         A l’éventualité d’une nouvelle et cruelle découverte, s’ajoutait chez ma Mère l’angoisse de me laisser

seul aux mains de gens qu’elle n’appréciait décidément pas. Ce nouveau malaise durait depuis l’automne 82 ;

ma Mère avait retourné dans sa tête toutes les possibilités pou lui permettre une courte absence, toute en me

soustrayant comme autrefois à l’influence néfaste qu’elle prêtait au Service.

    

       Toujours Secourable Tante Kine.                                                                                     

                                                                                    

                   Ce fut Tante Kine qui accepta de rompre avec son récent veuvage pour venir relever le flambeau

Maternelle, auprès de son neveu l’Ermite à peu endormi. La chose fut montée aussi vite sue pensée et ma Mère

put reprendre le chemin de Saint Louis, avec une tranquillité d’esprit certaine, - et une joie toujours renouvelée de

se retrouver savants parisien.                                                                                                                                      

 

   Pendant deux matinées Tante Kine et moi, nous évoquâmes des souvenirs de famille en regardant des photos.

Mon éphémère compagne me laissant faire après le déjeuner la sieste rituelle.                                                           

 

  Ma Mère n’avait accepté  cette nouvelle intervention chirurgicale que sur la promesse qu’on ne la  garderait pas

plus de 48 heures. Effectivement, ce temps étant écoulé, elle revint de Saint Louis ; - mais insatisfaite, nerveuse,

déçus, fermée peu enthousiasmée par le résultat obtenue. D’ailleurs dans la suite, ce genre d’intervention ne se

révélera guère plus probant . Ma Mère pestait en particulier contre le fait d’avoir été « traitée » par un élève :

fut-ce le premier de ceux du Grand Professeur. Celui-ci était d’ailleurs, sans doute, trop absorbé par la fracture

de la main d’un grand skieur….

 

     Pour ma Mère, la défiance jouant, une étonnante et rapide pointe de  fièvre se manifesta, quoique

généralement son équilibre fut excellent dans ce domaine. Je pense que l’épuisement de son état général

y contribua.                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                    

   Tout ceci nous avait conduits jusqu’à la veille du week-end. Le souvenir me reste d’un poisson de vendredi,

tristement absorbé par les deux Belles-Sœurs qui ne faisaient que se croiser : l’une rentrant de Paris et l’autre

y retournant pour y retrouver ses petits-enfants.

      Tante kine nous quitta en hâte,- soucieuse de ne pas faire attendre le chauffeur complaisant qui avec sa

voiture assurerait cette exceptionnelle correspondance entre un train découvert par miracle en cette mi-journée,

et notre îlot. Tante kine s’en alla désolée de n’avoir pu apporter cette fois à la récente hospitalisée les paroles

de réconfort : les siennes lui parurent si faibles1    

 

     Pour en finir,- au moins provisoirement – avec l’état de santé de ma Mère, j’ajouterai que c’est vers ces

Mois-là que s’installèrent définitivement les malaises digestifs qui handicaperont encore davantage sa fin

Elle s’habitua d’ailleurs tellement à ces malaises hebdomadaire que leur disparitions – deux fois, je crois,

dans le courant de l’année suivante, la surprendront et iront jusqu’à  l’inquiéter !

 

   Les drames de l’année 1985.

 

   Après ce qui s’était passé en mars, notre petite actualité fut aussi calme et plate qu’un

lac suisse ! Ce calme ne sera troublé que par l’annonce de la mort d’une amie : Madame

Jeantet quittait ce monde – ne manquant son centenaire que de quelques jours. Ma Mère

découpa le faire part et le serra dans un Evangéliaire que m’avait donner autrefois l’Abbé

Jeantet. Il me suit toujours.   

 

   L’atmosphère générale paraissait être au calme. Et pourtant ….. !

 

   C’était la belle saison pour le sport. En Belgique, un match de football devait opposer la Belgique à

Glasgow. Ceci n’éveillait pas de passion particulière chez ma Mère ni chez moi. Hélas, le lendemain

les journaux nous apprirent que les houligans c’est à dire les casseurs de l’Angleterre, venait d’inscrire

dans l’Histoire du sport l’une des moins belles pages de passion pour leur sport favori. Beaucoup

devaient malheureusement s’écrire par la suite. C’était une première…Le Stade du Hetzel fut le

théâtre d’incidents de la plus grande violence. Plusieurs tribunes s’effondrèrent entraînant dans

la mort de nombreux spectateurs. Ce drame provoqua non seulement un blâme universel contre

l’Angleterre, mais surtout son exclusion de toute rencontre sportive durant plusieurs années. Cette

mesure ne devait être levée qu’en 1999, ou 1990.    .      .

 

 La série des malheurs publics ne s’arrêta pas là. Malgré les émotions du Hetzel les Français

partirent tout de même en vacances. Pour beaucoup le souvenir de ces incidents si nouveaux

pour eux, seraient leur dernier souvenir. Les voyageurs d’une petite ligne ferroviaire du Sud-Est

travestissement d’abord sans encombre Flojac,  petite ville inoffensive et probablement gaie et

insouciante. Elle allait devenir le lieu d’un cauchemar. Que se passa-t-il ? assoupissement du

responsable intérimaire ? Il reste qu’une collision se produisit, suivie d’un déraillement. Cette

catastrophe qui fit de nombreuses victimes nous toucha particulièrement. Parmi les victimes

se trouva un de mes petits cousins, Charles de Chergé. Son histoire vaut d’être contée.

Transporté à l’Hôpital Purpan de Toulouse dans un coma profond, il demeura dans ce coma durant

de longs mois. Au premiers signes de réveil l’Aumônier de l’établissement passa afin d’être rassuré

sur l’état de Charles. Il lui dit :


-Fais ton signe de Croix !

 

A quoi le grand accidenté obéit. Ce fut lentement peut-être,- mais il obtempéra. Le plus gros  du danger

était donc passé. Charles maintenant marche et s’est marié,(à l’heure où sont relus ces lignes).
Mais qui ne conserverait dans mémoire une pareil aventure !

 

La Cinquième décennie de Jehanne . La ronde achève de se défaire.

 

      Au milieu de ce tintamarre une nouvelle passa inaperçue : la mort de Hergé, le Père de Tintin…. Avec une

centaine de personnages, il avait enchanté notre jeunesse. Pourtant, ma Mère m’avait tout abonnement à la

revue qui portait le nom de ce Héros….1 Elle tolérait une rapide présence des albums…mais en regardant

de loin…et d’un œil de censeur…

 

    Peu après, en juillet, nous célébrâmes le cinquantième anniversaire ( civil ) de Jehanne. Dans l’intimité et

la discrétion. Elle était arrivée de Pologne à l’âge de 2 ans.2 La Pologne lui avait légué le penchant que tous

le monde connaît. Les nombreuses activités que lui demandait ma Mère exigeait qu’elle se rafraîchisse .

Ma Mère observait non sans finesse :

 

-Elle est moins efficace qu’hier !

 

sans doute, mais qui’pouvais-t-ont ? Jehanne était la seule personne qui accepta d’en faire autant

dans des conditions devenues difficiles.

 

   Le ménage Lebret annonça son départ à la retraite, pour leur Propriété de famille, Les Gués proche

d’Orléans. Avec eux, s’éloigna l’avant-dernier maillon de la chaîne formée par les Ahrenchiagues en

1973. Cela faisait 12 ans déjà ! Les Lebret nous quittèrent pour prendre leur vacances, avant de s’installer

dans leur retraite à la rentrée 1985.


Une restauration sert mon souvenir

En dépit des engament pris par Bernard Cochelin, ma Mère pensait toujours voir  une Communauté

Religieuse ( féminine ) s’installer à La Glazière. Il fut même longtemps question de celle des Lions de Juda.

Consciente de la vétusté des bâtiments – et en particulier de ceux qui abritaient notre propre existence, -

elle entreprit des travaux dont chacun lui montrait l’urgence.

     

    Ce fut d’abord le dallage de son « cabinet » du petit Vestiaire. Il réclamait un successeur. Cela se fit

sans attirer de ma part une attention particulière. Ensuite ce fut Claude Boussicot, plombier, fumiste et

couvreur de la région, qui dut lui faire un déplorable tableau d’une toiture de la cour de ferme qui nous

restait, que la rénovation en fut décidée. Ma Mère se lança donc dans cette entreprise digne de Tonneau

des Danaïdes. Du fond de ma torpeur, j’en fut grandement étonné, car je croyais ces toitures déjà refaites

par ma Grand’Mère. Ne m’avait-elle pas dit, un jour de l’été 1961, avoir terminé la dernière restauration

qu’il lui fut possible d’exécuter.

  

   En entendent le bruit des travaux – commandé par ma Mère, -le souvenir déjà ancien des mots de

 Grand’ Mère me revint :

 

-Se sont les derniers travaux que je fais pour vous, après se  sera à vous de vous en charger .Mais

le coût de la vie est si élevé et son évolution si rapide que vous ne pourrez pas faire ce que je faits.

On sera obligé de se séparer de la maison. Pour ton Père à qui ça ne réussit pas, et puis en suite

Mon pauvre vieux. Cela doit être mourrant l’hiver.

 

        La vision était claire. Par élégance, Grand ‘ Mère ne pouvait préciser que techniquement il

était impossible de me mettre un tel fardeau sur les épaules. Elle invoqua donc l’état où se trouveraient

les générations futures. Ce n’était pas manquer de clairvoyance.

      Cette conversation avait pour cadre  le Salon de La Glazière, - et plus précisément sous la Tapisserie

aux personnages XVIIIeme siècle, qui orna pendant un temps un des murs de mon studio parisien. Je revois

encore Grand ‘ Mère, assise sur un canapé également de tapisseries dont le cannage servit de champ de

manœuvre aux grtfes du jeune Grisby.

 

  A vrai dire lors des travaux entrepris par ma Mère, je n’avais le souvenir de ces phrases prophétiques.

Il ne me revint qu’en 1993, au moment où je fixe ces souvenirs.

 

Ce fut aussi le temps des scandales.

 

      A l’extérieure de notre petit monde, un fait plus gros qu’une noix va enfler jusqu’à compromettre le Pouvoir

et le succès des Elections prévues pour le printemps 1986. Il s’agit  de l’affaire du RainbowWarior  Il mélangea

tout. L’arme atomique, la couverture d’un amour simulé agrémenté de tourisme et la Sainte Ecologie si chère

aux gens de l’époque. Le mélange devint explosif et tourna à l’incident diplomatique et engagea le Gouvernement.
L’Histoire officielle tenta d’élaborer une explication confuse, car il ne pouvait dire la vérIté.

 

.   Ensuite un incident se produisit à la Faculté de Médecine de Poitiers.. On l’accusa d’avoir négligé un récent

opéré et de l’avoir laissé mourir sur la table d’opération. D’où de longues procédures qui ne firent pas le renom

de la Médecine. D’ailleurs ce genre de procès devint presque une mode…

 

.    Le tableau général de l’année, pour les deux campagnards, ne serait pas complet si l’on ne parlait pas du

dernier passage de l’Abbé Jeantet à La Glazière. Il eut lieu le 15 décembre. Notre ami malheureusement pris

dans quelque embouteillages de la sortie de Paris, arriva plus que tard que prévu. Malgré cette présence

Jehanne vint trop ponctuellement,( peut-être ), me chercher pour remettre le locataire dans chambre. L’Abbé

eut beau supplié, plagiant même un haut personnage du XVIII e implorant le Citoyen Bourreau : « Encore un

moment M. le bourreau ». Hélas notre « bourreau » domestique » ne fut pas plus compréhensif que son

national devancier. Je dut réintégrer mes « quartiers ».   

 

« J’entendis » donc la Messe - du Pape VI, depuis ma chambre. La Communion me fut apporter dans la nuit

déjà presque tombé. Je ne distinguais que l’aube blanche et la main de l’ami…Et entrevoir l’autre clarté.

 

                Je ne devais revoir cette et l’Hostie que 18 mois plus tard, en mars 1987, dans une chambre d’Hôpital.

A ces deux rencontres avec la Grâce, je donnais deux sens distincts D’abord ce fut un encouragement, ainsi

qu’un Envoi ; étant l’avenir qui m’attendais. Ensuite je les vis comme un signe voulu par Dieu dans
ces circonstances particulières, dont chacune avait son Sens.

 

Conclusion pour 1985.

 

        Pour la maison, cette année que j’ai intitulée « l’immobile » se termine dans la tranquillité – au moins

sur les plans matériel et physique.

 

  Ma Mère songe peut-être déjà à se débarrasser de l’irritant ménage Gavoit. Questions d’ordre social et

courriers multiples occuperont la presque totalité de l’année à venir.

 

   Dans la fausse clarté de cette année à venir se profile une usine atomique….Elle porte le nom de

Tchernobyl………………..


1 A ma connaissance ces quelques moments furent l’occasion pour les deux Belles-sœur de se voir pour la

dernière fois.

1 Elle préféra m’abonner à « Paris Match ».J’y gagnais à coup sûr d’avoir une fenêtre ouverte sur une

actualité toujours intéressante : Le Couronnement d’un nouveau Monarque en Angleterre, ou tel ou tel

d’un personnage National. Etc.

.   

2 Jehanne mourra, victime d’un cancer, en 1992. Son décès me privera d’une source de souvenirs appréciable.

1 D’après l’Abbé Jeantet qui m’avait déjà raconter La Vraie histoire ce joli mot serait de Madame du Barry..

 

Oui il y eut silence et immobilité comme avant un bond...