Chapitre XXXI

La dernière course de fond

1984

                                                                                 



     Pour mon Père, il y eut 1978 : piste d’élan vers sa mort. Ma Mère allait vivre aussi, à son tours de

durs moments qui allaient la préparer à cette échéance qu’il lui fallait connaître.

        Effectivement, ce fut en 1984 que ma Mère commença à livrer ce même combat son époux avait

mener à ses côtés. Pour elle, la lutte se mena au milieu des réalités les plus matérielles mais elles furent

aussi déstabilisantes que celles qu’avaient affrontées mon Père.

 

   Depuis le mois de janvier, Ghislaine Carruel se plaignait de douleurs lombaires. Il est vrai que, de robuste

carrure, elle avait pris l’habitude de me redresser sur mes oreillers. L’effort  était notoire.. Sa fatigue persistant,

elle se résolu à voir le Docteur Roux. Au début, il crut à un état passager dû aux cinq maternités heureuses

qu’avait connues la jeune femme. Mais la douleurs s’installa durablement. Roux, signa donc le premier des

arrêts de travaille qui allait se succédé d’avril à juillet au moins ! Ghislaine quitta son travaille le 30 mars.

 

   Il faut bien évoquer la partie la moins claire de nos rapports avec ceux qui demeuraient officiellement nos

Gardiens. Si la jeune femme cessait de nous servir, elle n’en cessait pas moins, avec toute sa famille, d’occuper

le logement de fonction.   Cela constituait une famille de cinq enfants et  deux Parents.. Le nombre des occupants rendait
difficiles la récupération rapide des locaux..     

 

  Le Docteur Roux signa pour Ghislaine une longue série d’arrêts de travaille. Ghislaine abusa-t’elle de cette

situation relativement confortable ? Je n’oserais le dire. Oncle de Dreuzy qui, déjà à cette époque, s’occupa

du dossier, me dit plus tard que les questions de douleurs dorsales sont parmi les plus épineuses. Il avait siégé

aux Prud’Hommes, et savait qu’il était ardu de tirer juridiquement au clair ce genre de choses.

 

Un Précipice Général.

 

      On imagine sans peine le précipice que cette nouvelle défection ouvrait sous les pieds de ma Mère. Elle

y descendit avec tout le courage. qu’on lui connais. – A la date où je rédige ces Mémoires, je mesure encore

mieux tous les risques imprévisibles qu’elle allait devoir affronter. C’est pourquoi j’ose affirmer qu’elle livra cette

année-là un combat quasi-désespéré,-« le dos à la mer » comme disent les militaires.

 

Qu’on en juge.

 

  La fatigue de la maladie, les soucis et l’âge avaient rendus les levers de ma Mère progressivement  plus tardifs.

Dans les années 80, elle ne quittait plus sont lit que vers 15 heures, - réclamant pour le faire le dernier appui que

Jehanne pouvait lui procurer avant de nous quitter. Et ce même était demandé à la Gardienne du moment pendant les week-ends.

 

Une fois assise, ma Mère pouvait ranger ou déplacer quelques papiers et profiter du reste de la journée sans

autrement se soucier du repas du soir,  car il était réchauffé et servit par la Gardienne. C’était une de ses

prérogatives.  A cause de l’accident du travail subi par Ghislaine Carruel, ma Mère se trouva privée de

cette aide. Celle-ci lui était pourtant bien nécessaire aux premières apparitions de sa lassitude.

  .                    

   Je ne crains pas de le dire : j’ai assister du 1er avril au 15 octobre à un véritable miracle. Ma  Mère deux

fois handicapée s’acharnait non seulement à réchauffé le dîner, mais à le rouler, soir après soir, près de mon

lit où elle  me le faisait prendre, tout en partageant avec moi bien entendu. Or  le trajet de la cuisine à ma

chambre représentait une bonne moitié de la longueur du bâtiment ; et la table roulante légère aux mains

de Jehanne était lourde aux pauvres mains douloureuses de ma Mère.

 

    Et que dire des soins plus délicats qui nécessitait plus d’intimité ! Pour les plus importants d’entre eux nous

vîmes,  pour notre crainte, reparaître les Membres du Foyer d’handicapés de Blandy ! La période d’urgence se

prolongeant, on nous envoya une jeune fille qui, à peine entrée demandait à ressortir pour…fumer, - sous peine

d’avoir une crise. Ma Mère, cette fois-ci prit peur.  En effet , la jeune fille ayant fumé une herbe qui venait de bien

plus loin que la Provence, retraversa le hall dans un état proche de l’égarement ;-toute heureuse de retrouver la

voiture qui la ramènerait à son Centre. Il fallut finir la journée cahin-caha. Aussi , pour la suite, ma Mère dut-elle

trouver divers prétextes pour tenir à distance le Groupe ! Elle commençait d’ailleurs à, moins s’entendre avec les

responsables de cette Communauté à la fois Médico-Laîque  et Médico-Religieuse.

 

 La rapidité avec laquelle elle prit sa décision de rupture peut paraître un peu précipitée. Mais l’incident de la fumeuse
n’était pas le premier du genre. Il y avait eu la Marie-Christine, entiché de Claude Nogaro, qui s’était

un jour trouvée mal devant ma Mère pour des raisons sentimentales qui lui étaient propres….

 

C’était bien couper mais s’aurions nous recoudre ?

 

 

      Ces deux incidents se situèrent vers la mi-août 84. Mais, depuis le 1er avril exactement, notre solitude n’avait

cessé de devenir préoccupante. Et c’est également vers ces jours-là que ma mémoire- pourtant estompée

 enregistra les premières visites régulières de l’Oncle Jacques de Dreuzy. Il venait tantôt accompagné de sa

Sœur , Tante Monique, tantôt escorté par tante Geneviève. Il fallait voir comment  récupérer le logement

toujours occupé par la Gardienne. Elle était toujours officiellement « malade » - intentionnellement je mets

des guillemets, car ma Mère ne croyait plus guère à la véracité de la chose, depuis que Jehanne lui avait

rapporté avoir vu la célèbre CX  emportant  quotidiennement   propriétaire vers une destination inconnue.

Une conclusion , peut-être un peu hâtive, s’imposa à ma Mère :

 

-Elle doit avoir trouvé du travaille ailleurs.

 

 La réaction de ma Mère me semble épidermique et quelque peu invraisemblable. On peut très bien avoir

rendez-vous le même jour de la semaine chez un Médecin, et cela durant plusieurs semaine de suite….

A moins que des coups de téléphones demandant des « renseignements » n’aient prouvé l’exactitude du

soupçon.

   .

  En bref, ma Mère ne pouvait plus supporter ce voisinage, qu’il soit physique ou supposé, comme ce fut

le cas pendant les premières semaines de cet été.     

Cet état de nerf ou cet état de guerre avec les Carruel ,-s’ajoutant à l’exclusion des « Blandynois » nous avaient

conduits au 15 août exactement. La journée s’était trouvée égayée par la présence de Mademoiselle de

Montbelle, qui avait partagé notre repas, rehaussé par la Maîtresse de Maison d’une pâtisserie acheté au

Village.

Rendus à notre solitude, l’après-midi n’avait rien apporté de plus que les autres jours.  Si j’ insiste sur ce

détail c’est que le soir, Pierre Sabagh nous offrit à la Télévision, dans sa série « Au théâtre ce soir ».

« Le Sexe Faible » (d’Edouard Bourdet). Or dans la pièce on peut entendre cet échange entre une vieille

Comtesse et Antoine ( indispensable ) Maître d’autel :

-Morne soirée Antoine morne soirée !

 

A quoi Antoine bien stylé répond :


-Toute à fait ; Madame la Comtesse, tout à fait.

    

J’ignore les réflexions qu’inspira ce dialogue à ma Mètre, quand à moi, je le plagiai immédiatement , en

songeant :

 

-Préoccupant mois d’août, préoccupant mois d’août.

 

   Celui que nous vivions abattais tous les atouts que nous croyons avoir en main. Il ne nous laissait à peine

de quoi respirer. Pourtant une petite éclaircie ne s’annonçait-elle pas ? Le matin, Marie-André n’avait-elle

pas proposer de nous amener Simone Dada, aide soignante qui habitait les Eceennes. C’était une « jeune 

fille prolongée », et son activité était épuisante,- elle fut somme toute efficace. Elle assura l’essentiel  de nos

repas du soir de la mi-août au 20 septembre ; - c’est-à-dire jusqu’à l’arrivée de Guy et de Marlène Gavoit

 .  

   Nos Derniers Vrais Gardiens.

 

           En écrivant ce sous-titre, j’hésite : dois-je dire « Gardiens » avec en arrière-pensée surveillante ou

dois-je  écrire « Compagnon » ? Compagnons:, ils ne le furent guère, Marlène se transformant vite pour ma

Mère en véritable « Tourmenteur », au sens que donnait à ce mot la Prévôté de Paris pour ses Bourreaux.

.

   Avec l’arrivée de ce ménage, nous entrons, ma Mère et moi ; dans la partie plus obscure et incertaine de

Notre tête à tête.    

 

Soyons clair. Ma Mère, quelques mois avant sa mort, donna les signes de troubles croisant de la mémoire.

C’était un fait certain.  Mais il paraît certain qu’une atmosphère domestique plus sereine et plus apaisée

aurait peut-être ralenti cette évolution, et lui aurait épargné cet ennui supplémentaire.

 

   Epuisée par six mois d’efforts accomplis dans la solitude, ma Mère n’eut sans doute plus le courage ni

force d’expliquer aux nouveaux arrivants notre façon de vivre. Cette fois la chance parut nous abandonner.1

Ce ménage avait été déniché plutôt que trouvé, dans le Nord, par le ménage de Noël et de Bernadette Ringot.
De toute évidence ils n’avaient aucune expérience des soins qu’ils auraient à donner. Ils étaient

seuls et vivaient pour eux-même….
Il ne nous fallut pas 15 jours pour découvrir les deux  défauts     principaux de Marlène :  son irrégularité

et une grande dissimulation. Nous allions nous y heurter sans cesse.

                                                                             

   Cela conduisait à des situations désagréables. Ainsi étant privé de secours de 21 heures à 8 heures du

matin, ma Mère demandait à la Gardienne Aide Soignante une exactitude toute particulière en ce qui me

concernait. Les médicaments que je devais prendre demandaient une exigeante libération. La chose était

calculée pour 8 h 30 . Or il me fallait parfois attendre dans la plus grande gêne les tout premiers secours,

jusqu’à 9 h. Et lorsque ma Mère en faisait la remarque, on lui répondait que le réveil n’avait pas sonné…

C’est possible de temps à autre, mais pas trop régulièrement.

Vers la fin de cette expérience, il arriva qu’on entendit le bruit bien identifiable de la casse. Mais c’était

toujours le vent qui s’en prenait au service de table, - mal assurer…

 

   Les Ringot qui nous avaient présenter ces gardiens durent souvent joue les conciliateurs entre les

parties concernées. Ils mériteront , d’ailleurs, quelques lignes plus loin. En particulier,  il faudra signaler

les services signalés qu’ils devaient nous rendre durant les toutes dernières heures que ma Mère et moi

devions passer dans la Propriété.

 

   Tels étaient nos soucis quotidiens. Mais autour de nous, la vie suivait son cours. Deux marquèrent cette

fin d’année 1984. L’un touchait tout un peuple, et l’autre, quoique d’essence tout à fait privée, excita la

passion populaire Française.        

   La Planète regrettera Madame Indhira Ga,ndhi, assassinée comme son illustre prédécesseur le

Mahatma Gandhi. Mais la France quand à elle s’émut de la disparition du petit Grégory Villemin,

retrouvé noyé et ligoté dans les eaux de la Vologne ;1  Ce nœud de vipère familial devait refaire

surface durant des années.  L’affaire fit autant de bruit que l’ancienne affaire Dominici, et

l’assassinat mystérieux de toute une famille anglaise, sur les bords de la Durance. Le village

de Lurs, en devint célèbre.(Cela se déroula sur la période 1952-1954 ).

 

     A l’époque qui nous occupe pour l’instant, - c’est à dire 1984,-c’est la Pologne qui retint l’attention des

spécialistes En effet l’assassinat du Père Popielusko mêla les passions politiques et l’indignation générale.

Aumônier d’Etudiants à Varsovie, on repêcha son corps dans la Vistule, abominablement défigurer par les

violences de quatre officiers de la Police du K. G. B.. Soviétique. Il fut canonisé sur le champ par le monde

entier.    

  L’achèvement dans la continuité.

 

      En Seine et Marne, notre « Maison dans la Prairie » vivait ses vingt derniers mois d’activité brûlante.

L’arrivée des Gavois avait marqué un tournant dans notre existence. Quant à mes souvenirs personnelles

ils vont se faire de plus en plus flous – peut-être inexacts,- comme si la pharmacie ingérée tentait un ultime

effort pour me terrasser tout à fait.

 

   Si je ne cédai pas, je n’en pénétrai pas moins, à partir de 1984, dans un massif nuage noir. Ces brumes

m’interdisaient de jeter un regard cohérent sur l’avenir. Les années passées au fond de cette campagne,

l’absence de toute autre solution possible, entretenue par ma Mère, l’évocation que l’on faisait de l’an 2000

de plus en plus proche commençait à aiguiser en moi une certaine peur. Allais-je vivre ce grand changement

qu’on nous annonçait formidable au fond de ce trou briard ?

   

   D’autre part à ses réactions petites ou grandes, je percevais chez ma Mère le regret d’avoir fait un pas de

clerc en s’affublant du ménage Gavois. Son handicap physique et mental était certain. Guy Gavois étais complètement mou,
dépourvu de toute réaction. Lorsqu’une fois de plus il fallut opérer un  changement
on trouva dans leurs logement  21 bouteilles de Rhum.
Ils les avaient sans doute vidées à deux pour se
consoler de ce handicap paralysant.

   Mais qu’aurait-il fallut faire ? Après la recherche, sa découverte avait parut un demi succès. Ma Mère

découvrit le danger qu’il y avait à s’exposer à des rencontres hasardeuses. Quoiqu’il en soit, la tension

avait monté entre les habitants de La Glazière, sans avoir eu le temps de marquer les étapes que Dominique

avait analysés dans les occasions précédentes.

   Il faudra 2 ans et demi et tout le fatras des formalités sociales du Code du Travaille, pour que nous réussissions

à nous en débarrasser dans les règles.
   

Ainsi se terminait cette année à laquelle j’ai donner un titre sportif. Dans cette course de fond dans

laquelle ma Mère fut contrainte de se jeter et j’ose dire le relais se prit mal.

L’année qui venait allait être l’immobile. 

 


1 Ma Mère me le signala après quinze jours seulement de cohabitation « Je ne sais pas si on pourra faire grand-chose de ou avec la nouvelle gardienne ». Ce qui équivalait à une Déclaration de Guerre officieuse. 

1 Petit affluent du Cher, me semble-t-il ?


Devant le courage d'une Mère on ne peut que s'incliner.