CHAPITRE XIV

LA TRAITRESSE

1967

                 

Présentation

 

                    L’image qui me reste de 1967 est celle d’un fleuve calme, dans son premier cours

tout  au moins. L’hiver parisien m’avait permis d’assister aux ultimes grandes réunions présidés par

Grand ‘ Mère. Elle avait préféré les goûters, plus courts et de préparations plus simple, aux solennels

dîners d’antan.

Depuis l’éclatement du groupe Saulieu d’Orgeval, quelques uns de ses membres étaient restés en relation

avec nous. Il en était ainsi d’Alain Dumênil qui avait entre autre passé avec moi l’été 1962. Ce jeune homme

était fils d’un Officier tué au cours d’une des deux guerre,1 et d’une Française résistante aux Nazis. Habitué

 très tôt à se débrouiller seul, il cherchait cette année-là un toit pour abriter ses multiples tentatives professionnelles. Grand’Mère avait donc été sollicitée par ma Mère, pour lui louer une de ses petites chambres.

C’est ainsi qu’il m’entoura un hiver durant,(Il contribua également à ma remise en selle, après les coups durs

de 1966). Il partageait son temps entre l’Aviation Civile, comme Rampant, et plus tard la maison d’édition

« Opéra- Mundi ».Etant par ailleurs Chevalier-servent d’une jeune Hollandaise, il eut la gentillesse de nous

l’amener au 3ème. Ils organisèrent pour moi, pour le printemps, avec la complicité de mon Père, un Rallye des

Frontières, qui devaient nous conduire en Hollande, en partant de Paris. Nous devions passer par la Belgique

traverser l’Allemagne et revenir en France par la suisse.  Hélas, un contretemps municipale empêcha ce projet

international de se réaliser.

De concert avec tout cela, mon initiation à l’hébreu prenait sa vitesse de croisière, présidée par un Papyrus

offert par Monsieur Offerlé à ma Mère en cadeau de fin d’année. En 1966. Il trônait sur la cheminée de notre

salle de classe-salle à manger. Il fut je crois, emporté beaucoup plus tard, au vent de nos aventures briardes.

 

  Le Masque

 

           Au mois d’avril un mystérieux invité arriva au Petit-Palais :Toutankhamon, et avec lui son époque.

Ayant pu me rendre trois fois à  son exposition par gourmandise intellectuelle, j’eus la joie un peu amère

d’y accompagner ma Mère, peu avent la clôture générale. Je dis : un peu amère, car se fut sa dernière

sortie de « non souffrante ». Je la revois appuyée sur ses cannes, marchant à hauteur de ma voiture,

poussé par l’éternel Ulli. Elle négligea l’accessoire pour consacrer sa totale admiration à l’ultime chambre

de la Pyramide,  reconstituée. Y irradiaient l’Or et le Lapis de son masque à l’étrange sourire. Ce bain de

culture fut pris vers la fin d’août 1967. Et sur la route qui nous ramenait en Seine-et-Marne, chacun tirait

silencieusement ses conclusions,-devant ce visage mystérieux. Suis-je ridicule ? Mais il me semble frappant

d’avoir rencontré à ce moment-là ce masque interrogateur. L’impression que donnaient ces yeux de voir

au-delà du Temps était-elle une illusion ? Elle me poursuit encore aujourd’hui ;-me demandant s’ils

apercevaient ce qui nous attendaient…

 

 On comprendra aussi pourquoi je m’attarde sur cette manifestation. C’était la première fois, et ce

fut aussi la dernière,-que je faisait à ma Mère les honneurs d’une exposition. J’avais beaucoup

insister pour qu’elle vint là me donner une sorte d’exeat de la culture et du bon goût..

Et la vielle amateur d’Archéologie et d’Art Ancien me fut, je crois, reconnaissante de l’avoir ainsi

entraînée au Petit Palais. 

 

Ensuite nous entrâmes dans la toute dernière période où ma Mère et sa propre se trouvèrent ensembles en bonne santé.

 

Attardons-nous encore un peu à l’époque heureuse. Le souvenir que je vais maintenant évoquer se place

exactement au Jour de Pâques.

  Nous avions depuis longtemps l’habitude de célébrer la Résurrection du Seigneur à Notre Dame de Paris ;-  

et nous y emmenions généralement l’ami de passage de l’année ;cette année il s’agissait d’un Anglais, Simon

Harvey. Une fois de plus donc, et selon la tradition, mon Père nous déposa ma Mère, et moi devant le Portail

du Jugement Dernier. Quoique il soit de son thème, c’était le plus pratique. Au sortir de la voiture, nous tombâmes littéralement dans les bras d’un type assez carré, qui ordonna à mon Père d’aller se garer pendant qu’il s’occuperait de « Monsieur ». Il portait une gabardine mastic et sa ceinture

semblait curieusement gonflée…Il me prit personnellement en main et nous bataillâmes pour atteindre le

transept.. Ma Mère qui marchait (encore) à côté de lui observa :

-« Il y a l’air d’y avoir beaucoup de passage dans la Cathédrale aujourd’hui ! »

-« Oui, Madame. Ces Messieurs, ne sont pas très organisateurs ».

       Toutes ces paroles étaient échangées bon train car la gabardine autant que la carrure ne trompaient personne et nous ouvraient instantanément les plus larges voies.

Ma Mère, toujours imaginative, fut convaincue que nous avions eu à faire à un Officier de Police caché dans

la foule et pris de pitié pour nous.2

    Après la messe, nous retrouvâmes, tout trois, chez « Paul », un petit restaurant de la Place Dauphine pour

y déguster un Agneau Pascal et en plaisantant sur notre rencontre. Plus sérieusement Simon dit à ma Mère

qu’il s’était joint à nous très spécialement, en ce Jour de Pâques, pour entendre le tout nouveau Cardinal

Veuillot dont il aimait les homélies très profondes.

 

   Simon Harvey était aussi attiré en France par la Bibliothèque Nationale ou il consultait et rassemblait

les éléments de la thèse qu’il préparait. Son titre était « Le Parvenu au 18ème siècle ». Ce travail lui assurerait

sous peu, une chaire de Professeur spécialiste de Littérature Française au « Christ-Collège » de Cambridge.

Il y occupait ses matinées, mais presque tous ses après-midi m’étaient consacrés.

C’est ainsi qu’il me faisait découvrir les derniers films sortis.

 

Un de ces jours-là, dans un cinéma du Boulevard des Italiens, nous entrâmes de singulière façon.

La caissière dit à Simon :

-Monsieur est bien un blessé de la guerre d’Algérie, n’est-ce pas ?

Sans sourciller, Simon répondit

-Oui bien entendu.

Et me prenant dans ses bras comme de coutume, nous entrâmes sans autres forme de procès.

   Attendant la projection du  « Docteur Jivago », on nous remit des enveloppes-surprises. Je

trouvai dans la mienne une invitation pour le Théâtre des « Deux Anne».

 Nous avons pu y applaudir Henri Tisot dans ses dernières imitations du Général De Gaulle.

Ma Mère, décidément en forme, accompagna ses trois hommes.

 

  Mais n’ai-je pas trop demandé cette année-là à ses pauvres forces ?

 

Les Pays du Champ de Bataille.

 

  Un printemps bien occupé, comme on l’a vu, avaient éloigné nos esprits des graves soucis internationaux.

La surprise fut donc totale, dans notre foyer, quand le 6 Juin, la Radio du matin annonça la guerre

Israëlo-Egyptienne. Les soutiens moraux et verbaux furent d’autant plus vite affichés que la Télévision

pour la première fois, suivait les combats sur le terrain. Elle nous faisait ainsi participer à des situations

sans rapport avec l’éducation que nous avions reçue. Le soir même, le Président De Gaulle mettait

l’embargo, au nom du pays, sur les livraisons d’armes à destination des « Pays du champ de bataille » (sic).

  Il serait présomptueux, encore aujourd’hui, de tirer la moindre conclusion de l’évolution de l’opération

militaire de 1967. Ce fut une guerre-éclaire : elle dura 6 jours et conduisit Israël aux rives du Canal de Suez.

Tout ce que l’on remarqua ce fut la revanche morale et territoriale obtenue par Israël. Le Mur des Lamentations

restait dans domaine propre.

 

Un souvenir sonore est lié pour moi à cet évènement. Traversant  Paris en voiture pour aller chercher Marjolaine

la belle d’Alain, j’entendis les klaxons scander un tempo inconnu. Alain me le traduisit : Is-raël-vain-cra !

Et Israël vainquit.

  Quelque jours après cette victoire géographique et matérielle du Peuple de la Bible, nous nous réinstallâmes

à la Glazière pour y recevoir, pour la dernière fois, Madame Schelcher.

 

Le Maçon Pharmacien.

 

  Une tornade de printemps avait cassé du bois dans le jardin, réclamant la présence d’un jardinier supplémentaire. Ce jardinier fut mon Père. En arpentant le jardin, ce  « bénévole » s’aperçut du piètre

état du mur de la pièce d’eau qui terminait notre « rendez-vous de chasse ». Il demanda alors à ses neveux

Résal une rapide initiation à la maçonnerie. C’était vers jours-là que ma Mère et moi, nous nous sommes

Installer à la maison. Ma Mère eut alors tout loisir de contempler son époux, debout au fond du bassin                

heureusement à sec, et rafistolant comme il pouvait les pierres disjointes de cet ancien ornement de

notre domaine. Ce fut aussi une attraction et un nouveau but de promenade pour nos visiteurs et les

habitants du village, que d’aller voir Monsieur de Maindreville en cuissardes vert bouteille et en Bleu

de Chauffe.

      L’été devenait pour ma Mère une source d’appréhensions de plus en plus importantes. La

présence de ma Grand ‘ Mère en était la cause. L’état général de la fille se satisfaisait mal de

l’autorité, - naturelle-, de la Mère. Celle-ci malgré un régime très strict allait partout fouillait tout.

Il fallait donc dissimuler les quelques médicaments qui permettaient à Grand ‘ Mère de vivre le

moins mal possible.

Je me rappelle que  cachets et gouttes terminèrent leur séjour dans une certaine cave à liqueur

qui ne pouvait attirer les soupçons de la malade. Cette Pharmacie d’un nouveau genre trônait

sur un buffet, dans le vestibule, côté jardin. Et mon Père avait été promu Gardien du « Trésor ».

Cela nous conduisait à quelques exercices de Haute Ecole.

 

      Restaurant Amical.

           Pour célébrer l’arriver d’un nouveau berceau à Mimouche, nous avions décidé d’emmener

ces bons amis sur les bords du Loing au « Chaland qui passe ».

Par un curieux concours de circonstances, les Pelletrau se joignirent à nous. Ne pouvant y transporter

Grand ‘ Mère, nous avions demander à la fidèle Ghislaine, la femme du Garde-Chasse, de veiller sur

Madame. Et deux tablées au moins se trouvèrent joyeusement réunies près de Moret.

    Que l’on ne s’y trompe pas. Nous n’avions pas chaque soir de pareilles sorties. Cet essai avait été

tenté pour expérimenté la chose ; -pour le dimanche par exemple. Ce dimanche ! Malgré sa grande

énergie, qui n’avait d’égale que sa piété, Grand ‘ Mère devait souvent renoncer à nous accompagner

à l’église, quelque fois au tout dernier moment.

 

   D’une manière générale et malgré tous nos soins, que nous voulions aussi attentifs que possible la

vieille dame allait mal. Nous inquiétions de brusques craintes de la solitude qui la saisissaient ; jointes

à de mauvaises appréhensions, presque neurologiques au sujet de sa santé. Nous fîmes venir le médecin.

C’était la remplacente du Docteur Faine, une jeune femme. Elle n’était pas habitué à ce genre de patient.

Elle se récria ! Il était insensé de voir une personne accoutumée au confort parisien, exposée ici à tout les

courants d’air qu’un séjour à la campagne laissait prévoir ! Pour laisser une trace de son passage et justifier

sa venue, elle ordonna quelques grammes de « Lucidrille ». L’impertinente fut exécuté, par un sec :

« -Je ne suis pas folle, et je suis ici chez moi. Je fait ce que je veux.. On ne m’a jamais parlé sur ce

   ton ! Jeannine ! raccompagne » le Docteur ! »

    

 

Et l’on vit Jeannine cannant comme elle pouvait raccompagner « l’outrecuidante » jusqu’à la grille.

J’assistais de loin au départ..(Elle s’appelait Allais).

 

   Est-il besoin de dire dans quel état d’émotion revint ma Mère. J’était sous les marronniers intérieurs

du portail. A la réflexion timidement émise qu’il était bien triste de vieillir, le gendre (de passage pour

rejoindre la maison), répondit en hurlant que la vieillesse était un châtiment du Ciel ;- qu’il souhaitait

en être exempté, si c’était possible. J’écoutais et regardais d’un œil à la fois anxieux, désolé et interrogateur.

 

  Madame Schelcher, en vieille habituée du monde qu’elle était, eut encore la joie de présider un déjeuner

de chasse. L’ouverture faite, elle devait regagner Orgeval. Je la revois toujours debout (au moment du départ)

dans  ma chambre qui fut son bureau, contemplant le jardin. Elle me fit remarquer combien Bon Papa avait bien

pensé tout cela. Elle regarda le jardin, et fit ce commentaire comme si elle avait déjà le pressentiment  de le voir

pour la dernière fois. Cette impression m’est restée…Indéfinissable et que la suite des jours, rendra émouvante.    

 Que se passa-t-il à Orgeval ? Sans doute la fatigue de tout ces changements qu’avait prévue le Docteur Allais                                                                                          

 se fit-elle sentir. Toujours est-il ramener précipitamment avenue de Messine. Bientôt nous fit savoir qu’une

importante paresse rénale s’était installée. Oncle Jean en fut  tellement inquiet qu’il profita de ce coup de téléphone pour insister auprès de ma Mère, afin qu’elle vint à Paris, si elle voulait revoir ma Grand ‘Mère une

fois encore. Après avoir longtemps parlé de sa fatigue personnelle, ma Mère se laissa convaincre. Mes Parents

me laissèrent donc un certain mardi après-midi, pour un saut avenue de Messine.

A leur retour, nous dînâmes tout trois, sans qu’il me rapporte des nouvelles extraordinaires.

Ce n’est qu’en m’en attendant le sommeil que j’entendis ma donner à mon Père un vrai commentaire sur leur « raid » parisien :

-« Entre les deux, de Maman et moi, c’est moi qui suis la plus fatigué »  Il faudra se souvenir bientôt de cette

phrase désabusée.                                                      

 

    Quoiqu’il en soit on mit une Infirmière es Qualité auprès de ma Grand ‘ Mère.

 

Le calme fleuve que nous évoquions devenait plus tumultueux. Mais la violence des « rapides » était-elle pour

autant prévisible ?     

 

Les Rapides

 

     Nous y fumes  jetés brusquement, sans que rien ne les prédise et sans qu’ils soient évitables. Nous nous trouvâmes sans remède plongés dans l’atmosphère où nous devrions vivre durant plus de vingt ans, à plus

d’un titre.

Tout d’abord, un certain dimanche de septembre, mon Père en descendant trouva son épouse dans un état de

souffrance anormal. Elle demanda à voir la Doctoresse – revenue-, sans attendre le lundi.

Le Docteur Faine arriva peu après. Puis ayant examiné la nouvelle malade, elle conclut à une Polyarthrite.

A mon Père qui l’interrogeait., elle répondit :

-« Tout ce que je peux vous dire, Monsieur, c’est que c’est une maladie emmerdante, mais qu’elle n’est pas

mortelle ».

Et ce fut la première visite d’une série que j’appellerais :

« Le Docteur Faine et son temps ».

 

/  Le Docteur Faine et Son Temps

 

  Je n’ai jamais eu la curiosité indiscrète de questionner la Doctoresse ni sur sa famille, ni sur sa vie d’étudiante.

Tout ce qu’on va lire n’est donc qu’ emprunté à ce que me dit ma Mère, ou à ce qu’elle laissa échapper devant

moi, ce qui fut rare.

 

 Le Docteur N. FAINE ancienne Interne des Hôpitaux de Paris recevra…etc.tel était son papier à en-tête.

Elle était la fille d’un architecte agnostique, elle fut élevée dans la plus grande liberté intellectuelle. Ayant

achevé son cycle secondaire, elle choisit de faire ses études de médecine. Une grave atteinte de tuberculose

rénale les lui fit faire allongés sur un lit à Berck. Durant les dix années qui précédaient la guerre, elle travailla

également la philosophie et apprécia particulièrement Simone Weil. Plus tard elle se convertit au Catholicisme.

   A cause de ses attaches familiales juives, elle avait tout à redouter des Nazis. Elle eut la courageuse fierté

de rester seul Chef de Service présent à l’Hôpital des Enfants Malades lors de l’entrée à Paris en juin  des

« Touristes de l’An Quarante ». A la fin du conflit, elle adopta deux frères orphelins des bombardements de

Nantes. Elle en fit autant en 1951, pour une petite fille, que son beau métier avait amené à soigner.

 

  C’est vers 1945, que ma Mère cherchant un avis médical, découvrit son nom et appela pour la première

fois le « 45 à Fontaine le Port ». Je fus ensuite tenu de composer ce numéro une fois par semaine au moins,

durant le séjour que je fis à Paris à l’automne 1962.

 

  Mais, c’est à 1949 que remontent mes premières relations avec elle. Une griffure de chat en fut l’occasion

car elle s’infecta. Ceci nous fit découvrir la Pénicilline. C’était alors une nouveauté et on en attendait tous les

bienfaits,-sans savoir exactement lesquels.

Ne faisant que modérément confiance à cette Pénicilline nouvelle, Faine avait prévu d’ouvrir chirurgicalement

ce bobo. Elle fit mûrir son patient en lui administrant  27 de ses piqûres,(dans les jambes, car  les autres parties

du corps étaient trop maigres et ne pouvaient servir). Cette chimie eut un résultat si foudroyant et si complet que

le jour venu de la ponction, Faine, ne put tirer une seule goutte de ce liquide qu’elle aurait aimée analyser, dans

la crainte d’une septicémie.

 

 Il faudra attendre ensuite cinq ans pour retrouver le Docteur Faine ; et ce fut encore une fois à mon chevet

à l’occasion de cette appendicite que j’ai déjà racontée. Mais entre temps, elle sut entourer ma croissance

au moral comme au physique,- et mon accession à la vie d’homme. Je dois beaucoup à l’exemple de son

énergie,-à son sens de l’humour et à sa grande culture qui compléta heureusement celle de mes parents.

Elle devait nous accompagner jusqu’en décembre 1975, où étant la victime indirecte d’un terrible accident

Intervenu dans sa proche famille. Elle quitta la médecine pour se consacrer à entourer son petit-fils que cet

accident avait priver de sa Mère.1

 

  De caractère fort humble, elle ne se reposait par sur son seul diagnostic ; elle réclamait toujours l’avis de

ses confères et de ses maîtres qui l’avaient guidée et accompagnée ,-lui faisant obtenir ses titres et lui procurant

sa notoriété. Aussi ses avis furent-ils écoutés avec attention lorsqu’il fallut choisir le chirurgien qui s’occuperait

des hanches de ma Mère. Ce fut elle qui préconisa les frères Judet ;-ils étaient seuls à leur époque à tenter

des méthodes opératoires nouvelles. Je me demande d’ailleurs si Robert Judet n’avait pas été son compagnon

d’études. Ce fut lui qui mit au point l’intervention dont bénéficia ma Mère.

 

  J’ai parlé de l’humour dont faisait preuve notre amie. Quelques jours après le constat de Polyarthrite de

ma Mère, je l’interrogeai : « Mais enfin Docteur, qu’est que c’est que cette Polyarthrite ? »

-« Si vous me dites ce que c’est je vous fait un cours » !!! me répondit-elle.  

 

   Je mis cette réponse qui était un aveu sur le compte d’un éloignement trop prolongé des milieux scientifiques

parisiens,-sur un manque d’information après tout bien pardonnable…

Mais une fois rentré à Paris, je posai la même question au Docteur Sarasin. Celui-ci assurait l’intérim entre Faine

et le spécialiste qui allait bientôt se charger du cas. Sa réponse fut à peine différente et tout aussi prudente :

-« Ne nous poussez pas dans nos retranchement » …

   

    Comment un profane oserait-il dire mieux ? Tout au plus pourra-t-il exposer au plus près comment les choses

furent ressenties par la malade et son entourage. La maladie est très douloureuse ;-on nous l’affirma non mortelle. Elle sembla, moins dans le cas présent et à son stade actuel, de caractère circulatoire et osseux.

Semblant s’apparenter aux maladies rhumatismales.

  L’utilisation de cannes recourbées autorisant la marche, fit que la maladie se porta principalement sur les

articulations, les extrémités et les membres supérieurs. La Faculté nous dit ne pouvoir agir sur la  souffrance

que grâce à des contrôles réguliers de la vitesse de sédimentation ;-et à l’aide d’one médication lourde et rigoureuse. Pour ma Mère, il semble que l’hidrocortensyl fit quelque effet ; or on le sait, il n’est pas sans danger.   

 

Le Curieux automne 1967

 

  Une ultime accalmie s’était à vrai dire présentée avant l’effervescence dans laquelle nous  avaient  plongés

les états de Grand ‘ Mère et de ma Mère. Elle nous permit à mon Père et à moi, d’entrevoir une dernière fois

le sourire de Tante Monne, en séjour à Chaumes, près d’Autun1 chez les Résal.

Les évènements relatés nous prirent suffisamment à l’improviste pour que n’ayons le temps de rien décommander.

 

 Des tomates pour des radis

 

   Ayant suivi depuis Paris les travaux printanier de mon Père à La Glazière, ma Mère en avait conclu ;sans doute

un peu hâtivement , que son Epoux, avait de nouveau besoin d’activité, dans un cadre naturelle. Elle avait donc

pensé à un modeste essai d’horticulture. Par le milieux hollandais qu’Alain Dumesnil nous avait fait connaître, elle s’était renseignée sur les débouchés qu’offraient cet odorant moyen d’apport financier éventuel.

 

Mais les études de marché renvoyées par les Bataves furent loin d’être encourageants. Cela n’aurait rapporté,

si nous avions persistés, que du 1% par an…

De plus pour une telle culture et un tel rendement, il était question de changer de terre à chaque plantaison !

Bref de nouveau le Bagne…. !

 

Sans attendre les résultats hollandais, ma Mère avait pris contact avec Monsieur Patenôtre, Sénateur de

l’Aisne . Il dirigeait près de Saint Quentin, une exploitation de ce genre, qui pouvait nous servir de modèle.

 Pour meilleur information, il aurait fallu que nous nous rendions tous trois sur place pour nous documenter

auprès du Sénateur-Exploitant. Pour les raisons évidentes que nous avons dites, ma Mère ne pouvait nous

accompagner. Ce furent-donc les Pange qui le firent.. A cette occasion d’ailleurs, Chantal nous annonça la

naissance d’un garçon prénommer, Evrard, chez sa troisième sœur Isabelle de Fosseux.

 

  Le son de cloche recueilli las-bas ne fut pas plus dynamisant que celui qui nous était venu des Pays-Bas.

Monsieur Patenôtre nous confia même sa lassitude de poursuivre cette exploitation. Il l’avait entreprise

dans la décennie 1950-60,-et avec  profit. Mais il l’abandonnerait maintenant sans regret, si il lui arrivait

la chance d’être sinistré…Faut-il voir là une preuve supplémentaire de la hausse du coût  de la vie ?

Pourtant il se reconnaissait favorisé, grâce à la ferme que son fils exploitait jouxtant ses cultures

maraîchères. Elles lui procuraient à bon compte le fumier nécessaire à la venue des tomates et des

salades sous serre,-qui nous avait nous-même tentés, à une époque.

 

Mais ma Mère quand à elle, n’avait pas envisagé une culture maraîchère. Tout au plus songeait-elle à

quelques glaïeuls, comme le préconisaient nos amis hollandais.

Dans la voiture qui nous amenait à Mimouche et à La Glazière, je déclarai tout net :

-« Cela me semble injouable ».

 

Mes compagnons m’approuvèrent,  surtout Monsieur de Pange, assis à côté d’un cageot de tomates offert

par la famille Patenôtre,-cadeau odorant que nous partageâmes sans retard.

 

 Mais hélas c’est un parfum de Pharmacie qui devait remplacer celui des hypothétiques fleurs dont nous avions

Rêvé.

 

En écrivant ces derniers mots, je pense à ma Mère qui avait été la véritable instigatrice du Projet .Elle y  vu

non seulement un centre d’intérêt pour son époux, mais aussi un remède   éventuel problèmes pécuniaires

de l’époque.

  Comme nous, elle songeait aux surprises que nous réservait l’avenir. Serraient-elles heureuse ou non ? Elle

avait eut un discret entretien avec son frère Rémi au printemps. Elle avait donc appris qu’il n’y aurait jamais rien

de trop…Il fallait tout le savoir-faire des deux frères pour cacher à leur Mère l’état exact de sa fortune. La vieille

dame n’avait jamais vécu que dans un certain « Art de Vivre ». Il était impensable de la précipiter dans ses vieux

jours dans les soucis et les incertitudes d’une ère nouvelle. La difficulté était donc de la préserver le plus longtemps possible  cet « Art de vivre », et ses illusions.  Ce fut ce que conclurent, le frère et la sœur au

terme de leur conversation de la mi-juin. Alors naquit dans l’esprit de ma Mère cette espérance de fleurs

qui ne prendrait jamais aucune forme, heureusement ou malheureusement.

 

Septembre 67,un week-end" La Vigerie" La Glazière,façade côté jardin.

  A l’automne, c’est avec une « crainte renseigné » que mes parents et moi, suivîmes les péripéties de la

maladie de Grand ‘ Mère ;  ce devait être la dernière.

Ces sombres jours allaient se poursuivre durant 18 mois.

    

Ce dernier trimestre nous vit, mon Père et moi, jetés aux quatre vents. Oncle Rémi venait d’acheter une nouvelle

propriété, grâce au produit de la vente du rendez-vous de Montgeron. Tante Marie-Anne avait demandé l’aide de

mon Père pour le transport de certains objets dans la grande voiture.                                                    

 

  Bien que sévèrement touchée par une atteinte cérébrale, Grand’Mère entendit parler de notre prochain retour à

Paris. Dans un moment de lucidité, elle invita gendre et petit-fils à déjeuner. Elle voulait nous soulager dans le feu de la réinstallation. Pourtant son état, quoique meilleur, ne lui permettait pas de participer au repas. Quelle

émotion ce fut pour moi de ne pas trouver la Maîtresse de Maison à sa place et la table ancestrale dressée pour

nous deux seuls. Ce fut sans doute le moment où j’entrevis la gravité de ce qui allait arriver.

  Après le repas, nous passâmes au 2ème étage où nous fumes accueillis par Mademoiselle Ayer, Infirmière Diplômée des Hôpitaux de Paris. Elle devait être l’une des deux « blouses blanches » qui allaient se succéder

En 1968 et 1969. Elle étaient appelées à prodiguer à Grand’Mère les soins que (Calice), la femme de chambre

N’était pas apte à donner. Tout le monde dans la famille était informé de la situation.

 

  Quelle était notre vie au 3ème ? Penchons-nous sur le lit de ma Mère. Elle ne croyait pas à une longue

maladie pour Grand ‘ Mère. Elle avait demander au Docteur Sarasin, médecin traitant de Grand ‘ Mère,

de débrouiller avec elle-même l’écheveau de sa Polyarthrite si compliqué. Le Docteur Sarasin s’était destiné

à une branche de la médecine, la Gérontologie,-il était je l’ai dit, aussi prudent que l’amie Faine, et admira la

perspicacité des ordonnances qu’elle avait établies. Il se borna à prolonger le traitement qu’elle avait préconiser

du fond de sa campagne, et n’y apporta aucun changement notable.

Devant mon Père, cependant, il regretta seulement la proximité géographique des deux malades. Il attribuait

en partit l’état de ma Mère à l’inquiétude que lui donnait ce que malgré tout, elle entendait dire de l’auguste

malade nonagénaire.

 Nous étions d’ailleurs d’accord pour dire que le premier épisode de cette Polyarthrite était dû, en partie du moins

à ce qu’elle imaginait de ce qui se passait au second étage…

1967, s’achevait pour nous dans une morne attente.

Pourtant, le matin de Noël, un coup de téléphone nous apprit qu’une étoile taquine était apparue dans le firmament des chers amis Pange, -avec naissance de Stella, la bien nommée….


1 Guerre contre l’Allemagne Hitlérienne ou coloniale, (en indochinne).

 

1 Je pense qu’il voulait parler des Chanoines membres (de droit du « Chapitre » d’une Cathédrale).

2 Je serais assez de son avis à voir l’autorité avec laquelle il conseilla à mon Père d’aller se garer.

1 Pour ce qui nous concerne, il manque exactement douze ans à son « ministère » auprès de nous.

1 Elle avait prévenue toute sa famille qu’à partir de l’An prochain, elle bougerai plus de sa Provence.


l'Histoire qui va passer...