Chapitre VIII


La Pente Accentuée


1961

 

 

 

 

   Si l’on veut comprendre parfaitement l’année en question, il faut se reporter quatre ans  auparavant ;

à la prise de fonction du Chef de Culture, Chauvaut. J’en ai déjà parlé ; c’était le 1 mars 1957.

 

Un mois à peine après son arrivée, le malheureux connaissait un ennui familial. Son gendre, Marcel

Lemitre, était atteint d’un léger point de tuberculose rénale ; il ne nécessitait pas d’hospitalisation, mais un traitement ambulatoire d’injections.

Toujours généreux, mon Père proposait à Chauvaut de s’installer avec son gendre la maison d’angle

un grand cube dont il fallait faire le tour pour entrer dans notre cour.

 

  La peur d’une visite des Services Sociaux empêchait Lemitre de travailler ;-du moins le disait-il …Un

Bébé fut néanmoins mis en route, aux portes de La Glazière. Ce désœuvrement général modifia les condition

de notre voisinage. Lemitre devint franchement collant. Il ne pouvait voir se former un groupe sans s’y introduire.

Cette indiscrétion indisposa très vite mon Père. La maladie évolua heureusement dans le bon sens : aussi mit-on

Lemitre sur un tracteur dès que son état de santé lui permit un effort. :-c’était vers la moisson 1959.

 

   Une distraction de mon Père lui fit oublier l’enveloppe mensuelle à laquelle Lemitrre avait droit comme tout

le monde. Au lieu d’en parler discrètement à son Beau-Père, il alerta les gens se l’Inspection du Travaille,(dont

il avait si peur naguère), ce qui valut à mon Père une visite exploratoire déplaisante de l’Administration concernée.  C’était en août 1960.

 

1J’en ai moins de regrets aujourd’hui. Les programmes d’alors correspondaient au goût de notre

adolescence.

      Sitôt ces Messieurs partis, mon Père appela Chauvaut et lui reprocha de ne pas avoir été plus simple et

plus direct. Il regretta devant lui le mouvement de générosité qu’il avait eu pour son Gendre. Puis il l’avertit

-« Je vous garde, mais si jamais j’apprends que Marcel, qui est maintenant à Melun, ou quelqu’un de sa famille

paraît ici, c’est Vous qui partirez ». Et la chose fut entendue ainsi. Chacun se le tint pour dit pendant environ

six mois ; d’août 1960 à février 1961. Mais j’appris pourtant un soir que Marie Chauvaut (femme du Chef de

 

Culture), n’avait pu résister à la solitude de l’hiver briard, et avait fait venir deux de ses petits-enfants pour

une journée de plein air. Mais mon Père survint sans avoir annoncer sa visite ; il les vit et décida de mettre

sa menace à exécution.(Je n’ai jamais rien sus des deux réactions d’Eugène Chauvaut , aux décisions de

mon Père). Ce dont je peut témoigner, c’est de son mécontentement à voir la 2 CV, de Chauvaut stationné

trop souvent après son départ, devant l’Epicerie-Buvette des Ecrennes. En tout cas je me souviens qu’il cessa

de travailler auprès de nous, le 1er Octobre 1961.

    Pourtant 1961 commença bien. L’hiver abandonnait précocement la partie. Je me rappelle un mois de mars

chaud ; on fut obligé de baisser les stores. (Ce qui m’étonna beaucoup car en mars on les gardaient encore

roulés au-dessus des fenêtres).

 C’est, je m’en souviens, au cours de ce même hiver que les nouveaux amis dont j’ai parlé, me prièrent poliment

Mais fermement de changer mes habitudes et mes amitiés religieuses ; ce fut après un café particulièrement difficile à oublier.

 Malgré quoi, je conserve une certaine image des soirés-télévision ; avec un jeune public assis sur le sol ou

Installé carrément sur mon lit de parade, dans la salle à manger du célèbre 28 avenue de Messine.                    

 

Henrique Fernadez Régina Arrochena et leurs amis Juan et sa femme à Fontainebleau.

      

 

 C’est donc à Paris que dans la nuit du 5 au 6 mars ; le téléphone sonna, nous réveillant

tous les trois. C’était l’Hôpital Léopold Bellan qui nous annonçait la mort d’Henrique. Nous étions la seule

famille de ce réfugié politique espagnol et nous nous devions d’assister, quatre plus tard, à son enterrement.

Sa compagne, Régina, nous attendait à l’Hôpital. Mon Père, mal habitué à ce quartier qu’il connaissait peu

erra longtemps, à la recherche d’un stationnement. A bout de patience, il choisit une place dans une petite

rue dont le nom m’échappe aujourd’hui. Mon Père descendit seul ;-A l’Hôpital, il ne s’agissait que d’une mise

en bière , suivie d’une Bénédiction à l’église de Montrouge, et de l’inhumation au cimetière de la même localité.

   Restée seule avec moi, ma Mère toujours curieuse examinait le quartier et le trouvait peu accueillant..

-« Mon Dieu ! que ce quartier est laid, s’exclama-t-elle. Je n’aimerais pas y habiter et je vous souhaite, mon Bonhomme, de ne jamais être forcé de vous y installer, quand nous n’aurons plus l’avenue de

Messine !… »

La petite rue, il me semble bien la connaître maintenant !

N’avait-elle pas un don de double vue et de « Madame Soleil » ?

(Après la mort de Franco, Régina, put faire rapatrier le Corps d’Henrique en Espagne, à Bilbao ? Je crois

où elle repose elle-même depuis 1990).   

               

  Mais il est temps de revenir à nos cauchemars. Du côté de la Maison carrée, comme nous l’appelions,

rien ne transpirait des intentions du ménage qui y habitait. Chauvaut parlait tranquillement de l’avenir, comme s’il

devait rentrer encore de nombreuses moissons. Il travaillait la Terre comme de coutume. La question se posait de savoir s’il avait bien compris.   .          

       

1 Ne fallait t’il pas profiter de toutes les occasions que m’offrait « La Vie Parisienne » ?                                                                                                     

                                                             

 

   De notre côté,les recherches marquaient le pas. Croyais-je, au canular. Cette incertitude porta sans doute

préjudice au choix qui fut fait. Quoi qu’il en soit, c’est encore l’Ingénieur Conseil Agricole qui tira le lapin du

chapeau sous la forme d’un parent éloigné. J’attendis l’arrivée du « Nouveau » avec un mélange de curiosité

et de crainte. Pourquoi la crainte ? Mon Père, bien que jeune d’esprit, restait encore trop renfermé et étranger

aux complexités des relations humaines qui marquent cette deuxième partie du XX ème siècle.

       Bref, je craignais ce changement. André Fremaux, en fin de compte, vint pour une prise de contact.

C’était un grand homme du Nord égaré, pour je ne sais quelle raison, en Normandie. Il y avait été propriétaire

d’une ferme, à Offet.  Son ancienne situation ne facilita pas le nouveau rôle qu’il allait devoir assumer. Cela le

rendit froid et très réservé à notre égard. Ces lignes sont écrites en 1991,soit trente ans après son entrée à La

 La Glazière et treize ans après sa mort.. Je ne pense pas que la tristesse de ce collaborateur ait beaucoup soutenu le moral de mon Père. Un séjour (forcé),dans les Stalags Nazies n’avait rien fait pour amélioré le peu

De joie de vivre d’André Fremaux. 

On dira : « A-t-il été honnête ? » je crois que oui, mais il a contribué certainement

a accroître la pente qui devait conduire notre trio à sortir de cette expérience agricole.

       Peut-être sa proche parenté avec Jean Daté, l’Ingénieur Agricole Conseil qui nous l’avait fourni, gêna-t-elle

mon Père dans sa gestion un peu fantaisiste ? Il se senti désormais presque surveillé. Par ailleurs, les Fremaux

étaient eux-mêmes parents d’un fils trisomique 21. Sans doute ne surent-ils pas faire la différence entre nos deux

handicaps. Les perspectives qu’ils ouvraient et le genre de vie que chacun permettait .

 

       Mais, il faut revenir à Chauvaut..Il serait injuste de ne pas faire mention de sa dernière récolte ;-moisson

tranquille et surtout sèche. Rentrée de style familiale qui nécessita de multiples points de stockage.

Un soir de juillet , la Radio nous appris la brusque disparition d’Hemingway.

  

  Un autre souvenir touchant cet été-là me visite. Ma Grand ‘ Mère profitant de cet « été de grâce », engagea et

mena à bien, des travaux de couverture sur un des bâtiments de la ferme dont la toiture avait particulièrement

vieillis. Un jour après le café nous restâmes un moment en tête à tête, la vieille dame et moi. Evoquant le chantier

dont on entendait le bruit, elle me dit :

-« Ce sont les derniers travaux que fait pour vous, vous vous chargerez des suivants. ».Après cours instants de

réflexion elle ajouta :

-« D’ailleurs qui fera d’autres travaux Vous ne pourrez pas faire tout ce que je fait. Un jour il faudra se séparer de

La Glazière, parce que ça rend ton Père malade, et puis ce n’est pas un endroit pour toi mon pauvre vieux ! Ce

doit être mourrant d’ennuie l’Hiver. J’avais fait çà pour ton Père, mais çà n’a pas marcher ». Si effectivement , on

parlait souvent d’abandonner la ferme, c’était la première fois, (et cela pour de très longues années), que j’entendais quelqu’un envisager l’abandon du domaine dans son ensemble.

  Je ne pus qu’admirer la courageuse clairvoyance de mon aïeul qui envisageait aussi froidement la

destinée de La Glazière,  auquel elle demeurait très attaché en souvenir de mon Grand-Père, qui la

lui avait offerte.  

 

      Quelques mois auparavant,-vers la fin Mars, c’est Robert d’Orgeval,  alors employé au Ministère

des Finances, que nous devions cette abondance de blé récolté. A mon Père qui s’inquiétait devant lui

de l’étendue des terres laissées sans culture à l’automne, il avait répondu :

-« Faites beaucoup de blé. Je vous assure qu’il sera vendu ».         

Le conseil fut suivi et nous couvrîmes de blé la surface des terres disponibles. La Météo aidant, cet essai lancer

D’un appartement de Paris connut une heureuse fin.

      

  Derniers Moments d’Insouciances.

         Les travaux de saison étant achevés et heureusement achevés, de rapide vacances nous furent  une fois

encore offertes près de Moulins. Le premier mariage Résal nous appela tous à Chaumes,- à 18 Kilomètres

d’Autun. Deux voitures furent nécessaires. Et ce fut à ces noces que fut prise la photo de mon Père buvant

le champagne du bonheur avec sa sœur ;-Tante Jacqueline, dite Tante Kine, mère de la très jeune mariée.                                                                                                                                                                                                                             

 


 

   C’était en septembre 1961. Le lendemain nous gagnâmes Riom,- ou plutôt sa banlieue. Au château de

Davayat où les Saulieu nous permirent de passer 36 heures. Au retour, par la « Colminière », nous profitâmes

de l’accueil de l’Oncle Pierre Bureau de l’Isle, un autre cousin de mon Père, avec lequel nous envoyâmes un peu

d’humour à Paris,  par une carte postale approprié à la situation politique de l’époque.

     Et pour finir, c’est La Glazière, monolithique et quotidienne, symbole pour nous de labeur.

                  Les Maîtres sont de retour. Le 1er Octobre, un Dimanche, est le jour du fameux changement….

Pour laisser tranquilles Chauvaut vient seul nous faire ses adieux.(Aucun de nous-trois ne le verra plus

physiquement). L’automne et ses froids ne se prêtant plus à une quelconque activité, je me consacre à la

lecture.        

 

 Un jour où je menait la Croisade sous la bannière de René Grousset, dans son  « Le Temps des Croisades », je fus ramené aux réalités de notre temps par un coup de téléphone. L’Oncle Résal nous

annonçait la mort de l’Oncle Paul du Vigneault,(Capitaine de Vassaux (h), qui avait épousé Jehanne de

Maindreville, dernière sœur de mon Père. Il avait succombé à la rupture d’une grosse veine, dans la région

de l’estomac. Il avait 57 ans.

 

         Et maintenant, faisons un petit retour en arrière. Afin de me faire lire avec plaisir, ma Mère sortit

un jour de ses trésors du temps de son adolescence, un petit livre de nouvelles évoquant le temps de

l’Empire. Il s’appelait « La Légende de l’Aigle ». Un de ces courts récits avait un titre énigmatique :

ELLE… Il s’agissait du rêve des grognards qui se croyaient appelés à mourir. Un squelette les

avertissait de le suivre,- c’était à la veille de chacune des grandes batailles napoléoniennes.

Cette nouvelle, je l’avoue, me fassiinait ; -compte tenu de ce qu’on m’avait enseigné sur la

vraie mort et la Vie Eternelle. ELLE ,  c’était la Mort.

      Au centre de nos évènements familiaux, son titre avait un sens étrange. Désormais, ELLE

allait nous frapper. La mort de l’Oncle du Vigneault n’était que le début d’une série qui allait être

longue. Elle s’étendre d’Octobre 1961 à Novembre 1987. Avec une régularité quasi annuelle, elle

allait faucher toute la génération aînée des Maindreville et nombres de ses alliés. Cette régularité

avait quelque chose d’effrayant ;-et frappa intellectuelement certaines relations des Disparus concernés.

( Ma Grand ‘ Mère, était à l’époque, le vivant exemple de cet étonnement). En 1964, et en 1987, la mort

frappa, trois fois.  …

   La notion de Paix Chrétienne devant le mystère de la mort ne m’était pas encore familière. Il me fallait

la découvrir. L’annonce brutalement et quasi régulièrement répétée de ces deuils avait comme premier

effet de m’atteindre à « l’épiderme familial ». Je songeais d’abord aux trous ouverts par ces drames dans

les appuis de notre trio.

 Mon Père avait tellement besoin de conseils et d’appuis….Et j’y aussi souffrais par prémonition ; un jour

il me faudrait assumer deux disparitions. Et elles ouvraient sur une absence rien ne pourrait ni ne saurait

me préparer. C’était le vertige de l’avenir. Mes parents avaient une vie de fatigue et d’activité qui les

exposaient davantage et qui, dans mon cas était bien plus préoccupante. A l’autre bout de la chaîne

je voyais la façon presque immobile avec laquelle un grand vieillard s’avançait vers sa fin……

 

                L’année s’achevait donc dans une morne grisaille, -malgré le fugitif sourire de Tante Simone Révoil,

dire Tante Monne, que l’on ne dérangeait de son Marseille que pour de pénibles occasions. C’était la sœur aînée

de mon Père, née Simone de Maindreville.

 

 Enfin, trop occupé par la mise au courant du nouveau chef de culture, mon Père nous de passer les fêtes

De fêtes de Noël avec lui à La Glazière.  

    Je les y passais pour la première fois dans la mélancolie que l’on imagine loin de cette Famille ;-au sens le

plus large du terme, qui venait de subir un coup si rude.

 

                    J’ai titré ce chapitre « Une Catastrophe ». Peut-être était-exagéré. L’Evènement professionnel  qui

s’était passé à La Glazière, n’avait guère qu’accentué le déclin de nos espérances, dans cette aventure. 

   Il mériterait mieux le titre de «  La Pente Accentuée ».

 

     Après ces quelques années de réflexions, en 2003,1, J’ignore si mes Parents avaient  conserver leurs illusions de me faire reprendre la ferme. Mais par le principal évènement relaté dans ce chapitre, ils venaient

De Jouer et de perdre un des Atouts, qui me faisait « tenir le coup » à La Glazière. Ni Monsieur Fremaux, ni moi

N’aurions accepter de travailler ensemble. J’aurais mal supporter son « mutisme professionnel », et s’il l’avait fait

Etait-t-il prêt à entendre les conseils enregistrer par ma jeune expérience et hérité de son prédécesseur.          

                                 

1.Date à laquelle j’ai relus ces notes.

 

Cette fois ne riez pas c'est sérieux!