CHAPITRE V
POURTANT, IL NOUS A COMPRIS
1958
Pour
les gens de mon âge, les douze mois qui s’ouvrent marquèrent l’Histoire. Nous
fumes tentés
d’y voir la fin d’un siècle, - ou tout du moins la
fin d’une époque.- Le vrai après guerre économique allait
commencer.
Ayant
assister de loin à la seconde expérience du gaullisme, et ayant constaté la
profondeur de
l’empreinte laissée par le Général, peut-être
avais-je tendance à croire que tout cessait avec son
départ en avril 1969, au mois d’avril. J’observe
d’ailleurs que, du point de vue personnel et avec
le recul du temps, durant ces deux ou trois années
là je connus un nouvel éveil et une attention
plus grande aux choses d’intérêt général dans
lesquelles nous vivions.
La
présence de notre nouveau collaborateur fit aussi beaucoup pour me accepter notre nouveau
mode de vie campagnard. Eugène Chauvaut y réussit, presque malheureusement…
D’autre part, nous savions, ma Mère et moi, qu’approchait l’échéance
d’un nouveau scrutin municipal.
Tout deux nous poussions mon Père à ne pas se
représenter. Il était trop fatigué. Des querelles de village
firent sauter ses dernières résistances.
Est-ce à l’occasion d’une nos discussions que ma Mère me parla de la
mystique du pain. Producteur
de froment, notre vie nous associait à la Cène du
Seigneur et à la vie de son Eglise. L’idée me plut.
Un drame survint. Pour la première et
unique fois, La Glazière fut endeuillée par
un accident du travaille.
Guillaume Ornak était d’origine hongroise et vivait
en France depuis une trentaine d’années.
Vrai
spécialiste des chevaux, -Docteur comme toute la ferme l’appelait,- était notre
Maître d’Ecurie.
Un jour s’étant trop rapidement et maladroitement
installé sur le timon d’une machine attelée au tracteur
il bascula et roula sous le semoir automatique. Le
bruit du moteur couvrit tout et empêcha la manœuvre qui
l’aurait sauvé . Bien que rapidement
hospitalisé, il mourut dans les dix jours, d’une perforation intestinale.
Il fut
regretté de tous. Ce fut je crois, la première fois que La Glazière connut un
accident mortel durant
notre gestion. La mort projetait donc son ombre
froide sur l’entreprise dont nous aurions voulu qu’elle se
déroula joyeusement.
Malgré le
rayon de soleil de mon Premier Pèlerinage à Chartres, l’atmosphère s’en
ressentit. La désastreuse
moisson de cette année là, pire encore que celle de
1956, acheva de frapper cruellement les « Glaziérais ».
La dynamique présence de Deux stagiaires procurés
par Philippe du Vignault, (Michel Brosselin, et Philippe
Aubert), auxquels s’était naturellement joint
Jean-Claude Corne, mon compagnon d’été de cette année-là
n’empêcha pas l’été d’être orageux. La moisson
était une source de tension nerveuse pour mon Père. Dès
la fin de la campagne, son moral s’en ressentit.
Alors reparurent les larmes et un violent désir de se retrouver
à Paris. Mais pour cela, il fallait attendre la
période des fêtes, Philippe du Vignault avais promis de venir les
passer à la Glazière, pour permettre à son oncle de
se plonger sans souci dans le bruit de sa chère Ville.
Le seul
souvenir agréable reste donc le Pèlerinage de Chartres.
Une cousine, Nicole de la Soudière avait organisé
ma participation à cet événement. Les deux hommes
Maindreville connaissaient bien la si belle Vierge.
Ils la retrouvèrent encore plus éclatante et lumineuse.
Leur Prière fut soutenue par la dernière
bénédiction envoyée à la France par le Pape Pie XII.
Cela se passait le 18 Mai
1958.
Nous connûmes
d’autres moments de détente et de repos. Il serait bien ingrat de ne pas
évoquer le
souvenir du premier repas pris en compagnie de Mr
et Mme Charles de Pange. Ce moment nous
promettait
tant d’autres rencontres semblables, si remplies de
véritable affection. Elles devaient éclairer un avenir dont
je ne me préoccupais pas alors….Ce repas fut pris
sous les grands marronniers. C’était en Août 1958.
Mais j’anticipe !
Au
rang des bons souvenirs de ce printemps maussade, il faut ranger la rencontre
que nous fîmes (enfin)
de Monsieur Jean Chasteau de Balion. Ce vrai ami
habitant l’Ille Maurice, revenait de
Belgique où il avait conduit
son jeune fils Robert pour une cure qui devait être
longue. Cette visite fut pleine de chaleur humaine. Elle ne devait jamais
cesser d’unir mes parents à lui ; envers moi, cette union demeure vive et
solide. Bref, ce jour
fut tout illuminé du soleil de cette Ille Point de
départ naturelle de son voyage.
L’hiver précédent, 57-58, mon
Père avait été pris jusqu’à en être en
dévoré par ses obligations de Maire et
d’exploitant.. Il avait presque supplié ma Mère de
laisser seul à la ferme pour y faire face. Nous profitâmes donc
en duo, ma Mère et moi, du traditionnel séjour
parisien. Il avait limité à deux mois. Pour nous assister, nous fumes gratifiés
d’un couple bizarre :Elle, quinquagénaire, retraitée de la S.N.C.F. et
faisant office d’aide-soignante ; -Lui, jeune disciple de Vatel, monté à Paris pour y chercher
fortune. La saison fut pittoresque…
Ce tandem formé par nécessité et découvert dans les
Petites Annonces du Figaro, offrait-il toutes les qualités
désirables ? la question reste ouverte… Ma Mère,
et chacun des membres de notre trio, toléra plus qu’il
n’apprécia les services de cette bonne Mme
Poudevigne. Quant à moi, je profitai de ces semaines pour
vivre autonome, sur le plan personnel et
mental. L’expérience il est vraie, fut
courte : débuté le 2 Javier,
elle prit fin le 15 Mars. Ce brillant service
tourna court, mon Père qui réclamait notre présence, vint nous
chercher à cette date. Et nous nous trouvions donc à nouveau réunis…. Et de nouveau
attachés au piquet.
Nous
rentrâmes le Samedi avant les Rameaux. Ce qui me permit recueillir du chef de
culture le
dicton : « vent des Rameaux, vent de
l’année ».
Pendant
les Jours Saints, nous allâmes au théâtre, accompagner par Grand’Mère arrivée
depuis peu.
Nous vîmes « L’amour des quatre Colonels »
au Cercle François 1er de Fontainebleau,- spectacle monté
par Peter Ustinov.
Les Laval qui variaient leur aide, nous
fournissaient maintenant en jeunes bêtes sur pied. Il fallait
envisager leur transport. Je me rappelle avoir
passer le jours de Pâques sur la route,
dans la vieille
Peugeot, qui devait au retour servir de
bétaillère.
C ‘est ainsi que je vis St Quentin des Isles,
près de Bernay (Eure), dont le nom m’avait bercé dès
L’enfance. C’était le 6 avril, Jour de Pâques 1958.
Et dans ma
mémoire, deux groupes de souvenirs s’entremêlent, comme en une tresse. Il y a
celui
des évènements politiques ; et celui de notre
participation à Chartres.
Quinze jours après notre expédition normande, revenant d’un mariage avec
mon Père, nous apprenions
tous deux par la Radio qu’un cafetier Algérois, Léon Delbecq
avait à la
tête de quelques énervés, manifesté
devant les grilles du Gouvernement Général (ou GG
). Nous n’en tirâmes aucunes conclusion spéciale ; et avril
se termina sans autre émotion.
Mais ce fut une autre histoire à partir du mois de Mai. Le souvenir
politique que je conserve de ce moi
de Mai est d’avoir vu partir la IV ème République
au son de deux chansons : l’une d’Edith Piaf regrettant la
foule brutale et inconsciente, qui la séparait d’un
amant de rencontre,- l’autre de Jacques Brel penché sur
son cœur en train de le peindre et d’en peindre un
autre au vin blanc.
La
foule dont s’inspirait sans doute les manifestants d’Alger, força les
Métropolitains à se refaire une
République, repeinte au vin blanc. Mais trêve de
plaisanteries, La France s’offrait une petite révolution qui
amenait au Pouvoir le Général De Gaulle. Il devait
y rester dix ans.
Le
tumulte environnant et croissant, n’empêchait pas notre trio de préparer mon 1er
Pèlerinage à Chartres
et de vivre dans sa lumière.
Le
lancement effectif des opérations eut
lieu le fameux 13 Mai. –Un mardi,- Rendez-Vous nous était
donnés à l’Institut Catholique ; il fallait
traverser un Paris qui était encombré d’Agents presque aussi nombreux
que les promeneurs ;-et cela dans une voiture
qui avait perdu en route sa plaque minéralogique avant. Les
esprits étaient ailleurs…. Grâce à l’habileté du
chauffeur, nous arrivâmes à temps Nicole et moi.
Après un
« Carrefour d’organisation, les futurs pèlerins devaient se rendre à pied
de la Catho à la Basilique
de Montmartre où les attendait la messe de
véritable lancement de cet événement religieux. Tout au long du
parcours, je m’étonnais de traverser une ville en
soit disant en ébullition
révolutionnaire…. Peut-être s’était-elle
calmée au cours de la soirée……
J’étais
sans doute frappé par les dernières nouvelles d’un Alger bruyant et d’un Paris
où un Gouvernement
éphémère s’exposait (pour ne pas dire se
condensait) en posant de nouveau la Question de Confiance qui serait
refusé par Alger. Tout cela donnait lieu au Palais
Bourbon à un vacarme digne des grands jours.
Le
lendemain, mercredi 14, nous prenions, mon Père et moi, un petit déjeuner
accompagné par une allocution du Président René Coty, exhortant les
« Généraux félons » à rentrer dans la légalité.
Ce message-radio fut certes écouté outre
Méditerranée.
Mais nous savons qu’il ne fut pas entendu, pour le
plus grand bien de la Nation.
Ferme et Mairie réclamaient mon Père. Nous quittâmes tout de même Paris,
un peu inquiets. Nous ne
supposions pas que pu être affirmative la réponse
du grand ermite retiré des affaires depuis plusieurs années.
Pourtant elle
fut affirmative et ce fut pour le plus grand bien de la France.
Quels
beaux sujets de méditations et de Prière à déposer aux pieds de la
Vierge !
Le Pèlerinage, prévu pour les 17 et 18, approchait. Les rares heures
disponibles avant le départ, furent
consacrés aux ultimes préparatifs de cette
« première ».
Une amie, Jacqueline Mercadier,
co-organisatrice de ma participation, nous avait demandé
de l’emmener en voiture jusqu’au château
d’Esclimont où devait avoir lieu la Veillée-étape du samedi 17 au
soir.
De la
journée du Dimanche, je ne retiendrai que la messe. Elle fut vécue si j’ose
dire avec une piété renouvelée ; -et aussi avec un rapide et parfait
décrochage des problèmes environnants. En veut-on un
exemple ? Il avait été décidé qu’à la sortie
de la messe, une halte serait aménagée pour moi chez Monsieur
Lorin, Maître-Verrier de la Cathédrale,(Amis
personnel de Jacqueline Mercadier). Son épouse, tout en nous servant un
rafraîchissement, nous tint au courant des développements des affaires
publiques. Elle nous apprit
Même le « oui » nuancé du
Général-il devait donné son accord au cours d’une Conférence de Presse le
lendemain
19. Or, durant une fraction de seconde, je ne réalisai pas de quel
Général il s’agissait !
heureusement, en un clin d’œil tout me revint.
Le
retour se fit en tête à tête. Il fut pénible. Mon Père avait refusé, par
discrétion, l’hospitalité du
Château d’Esclimont. Il avait donc mal dormi,-dans
la voiture, la tête appuyée sur le volant. Le retour
De Chartres à La Glazière s’en ressentit.
Mon
conducteur me demandait à tout instants de le tenir éveillé. Il faut avouer que
très éprouvé moi-même
par l’arrivée à Chartres, j’eus bien du mal à tenir mon emploi de co-pilote. Le passage à
niveau de Fontaine le
port formait le dernier obstacle naturel. Il était
fermé à cette heure tardive et nous fit littéralement jurer !
Ce
Pèlerinage et la visite des Pange dont j’ai parler plus haut, marquent les
derniers moments de vraies détente que le deuxième trimestre nous offrit.
Il
suffisait d’un peu d’imagination pour participer aux « noces » du
Général De Gaulle, avec le peuple
d’Alger retransmis par la Radio, le 4 juin. L’été
pour la France fut d’espoir. Pour nous il fut professionnellement désolant.
« Il cherche fortune tout autour du Manoir ».
.-
Un matériel plus adapté à l’exploitation ne pouvait
lutter contre une météo affligeante….Philippe du Vignault
mandé dès mai, arriva escorté de deux camarades. Il
pallia ainsi au manque de personnel momentané. A la
charge des travaux, il ajouta celle d’égayer nos
repas, principalement les dîners. Tous essayaient de couvrir
par leurs rires la foudre qui cognait presque
quotidiennement à nos carreaux sans y être invitée. Elle s’accompagnaient de
trombes d’eau.
La
municipalité n’offrait guère de diversion à mon pauvre Père. Une histoire
d’amour entre un fermier et
L’institutrice choqua les sentiments religieux trop
austères de Madame Deaussy. Sans preuves aucune
Elle réussit à faire déplacer la jeune femme.
Photo de mon Père répétant son dernier discours &
le prononcent
Par
réaction à cette histoire, mon Père commença à s’éloigner des Saints Autels.
Pour en finir avec
cette pénible affaire, Madame Deaussy s’attira par son attitude trop sévère en
août 1958 l’hostilité du
village. Elle n’y pu tenir longtemps et vendit sa
ferme en Octobre 1960 à la Société allemande Wolf, dont
le gérant pour la France s’appelait Guy Bédossa.
C’était à ma connaissance, leurs première acquisition
en Seine-et-Marne.
L’heureux
résultat du referendum proposé aux Français par le Général marqua la fin
véritable de l’été.
L’automne lui succéda, d’autant plus noir qu’il vit
la mort du Pape Pie XII que de loin on m’avait donné
Comme exemple à suivre. Le bon Pape Jean XXIII lui
succéda. Pontife intelligent et actif, mais à la spiritualité
plus cachée qui motiva moins la mienne.
Sa Sainteté
le Pape Pie XII.(Mars 1939 - Octobre 1958)
Et nous voici
au bout de l’anné e.
A quoi bon évoquer les fêtes et les rencontres
familiales et mondaines qui les accompagnent ! Mieux
vaut faire un premier bilan de ces trois années
d’effort que nous avons vécues.
Eprouvés par une nouvelle année de tension nerveuse et d’émotions
diverses, mes parents
éprouvèrent à coup sûr un sentiment de lassitude.
(j’en suis encore l’affirmatif témoin). Au cours d’un dîner
quotidien j’entendis pour la première fois montant des lèvres les mots d’Echec Total
de l’expérience agricole
tentée. Cette fugitive idée, allait devenir une
certitude durant l’année qui allait s’ouvrir..
La
ferme s’était révélée particulièrement revêche durant ces douze dernier mois.
Quant à
la gestion de la Mairie, mon Père découvrait qu’il est parfois amer de d’une collectivité sociale.
L’enthousiasme avait cédé. Pour la seconde fois mon
Père fléchissait et son tempérament réclamait à
Nouveau un cadre de vie plus luxueux et un régime
de vie plus calme..
Après
le brouhaha revenons à notre petite histoire