CHAPITRE  VI

 

Une Fin Programmée

   1959

                                                                                

                   Comme ma Mère et moi nous le pressentions, nous allions avoir à faire face de nouveau

à une dépression chez mon Père. Peut-être paraîtra-t-il étonnant que ces états dépressifs se renouvelle-

ment si fréquemment chez lui, alors que les connaissances médicales permettaient maintenant de trouver

à ces états une solution médicalement acceptable.

   Ma Mère, en fait, redoutait toute thérapie  mentale trop profonde, exercée généralement sur un patient dont

on ne demandait pas le consentement. Elle craignait en particulier les cures de sommeil et n’avait qu’entendu

parler des électrochocs. Elle ne se confiait vraiment que dans les traitements médicamentaux .

   Pourtant il fallut se rendre à l’évidence, et sous la pression de la famille, je crois, on décida du principe d’un

examen général de santé. Il fut pratiqué à l’Hôpital Saint-Antoine dans le Service du professeur Kourilsky. Ou

 par un de ses collègues dont le nom m’échappe. Cet homme de l’art conclut des examens en déclarant :

-« Si vous enlevez à ce malade la cause de ses tourments, je vous rends un homme normal ». Et ceci dit

il le libéra…

             

              Cette libération intervint juste à temps pour permettre à mon Père de présenter aux Ecrennais son

successeur à la Mairie. C’était là le premier délestage que l’on pouvait autoriser à cet homme accablé par

les soucis et la fatigue. Ce candidat était Monsieur Jean Blasset. Il fut élu.

 

            Un fait est à remarquer. Jean Blasset dont les mandats couvrent sans discontinuer la période

1959-1983, se réclama toujours du nom de mon Père et obtint continuellement sa présence sur ses

listes.

 A partir de 1971, nous fîmes pression auprès de lui pour qu’il n’y figurât plus. Monsieur Blasset était

alors plus connu dans la région que ne l’était devenu mon Père. Mais rien n’y fit..

Or la mort de mon Père intervint  le 22 novembre 1980, -trois ans avant de nouvelles élections.

Monsieur Blasset s’y présenta sans ce « sponsorat » et pour la première fois l’équipe ne passa pas.

                L’âge et la politique nouvelle ont-ils été les seuls facteurs de cette défaite  ?

J’aime à panser que non, et qu’un certain « soutien moral » y manqua effectivement.   .

   

    Mais revenons à la campagne électorale de 1959, Monsieur Blasset la menait  supervisée depuis

Paris par mon Père qui y passait avec nous un hiver prolongé. Mais son mandat  aux Ecrennes   n’était pas achevé encore,-la ferme éternellement le rappelait. Mes parents firent donc de fréquents trajets vers La

Glazière, où même ils couchèrent de temps à autre.

    Ayant retrouvé depuis peu le ménage de Basque Espagnole qui nous aidait naguère,(Henique et Régna),

Fernandez , Père et Mère partaient rassurés me sachant heureux dans la Capitale. Et c’est au cours d’une

de ces absences que je fut amené à prendre ma première décision d’homme. Nous en étions à l’ultime

ligne droite avant le poteau électoral. Mes parents avaient décidé de passer huit jours là-bas. Quand ils

quittèrent Paris nos aides étaient légèrement grippés. Malgré ce contre-temps, nos voyageurs me

laissèrent aux bons soins des Fernandez. Leur grippe malheureusement empira. Fallait-il me maintenir

à Paris pour le week-end  ? C’était leur enlever un temps un temps de repos qui me semblait leur être

nécessaire. Une solution mûrissait en moi : rejoindre les campagnards. Mais il fallait convaincre ma Mère !

je baserais mon plaidoyer sur le fait que la santé de mon Père le rendait cette année particulièrement difficile

à entourer. Il avait besoin d ‘être servi. Il ne fallait donc pas risquer la santé de ceux dont il aurait  besoin au

retour. Mon transport pouvait se faire grâce à l’un de mes deux oncles qui votait aux Ecrennes depuis 1945.

Ma Grand’ Mère, chez qui je dînai ce soir-là me promit de cautionner cette idée auprès de sa fille. Elle ajouterait

même que cette solution lui paraissait être la bonne.

      Le second frère de ma Mère devait m’emmener le dimanche matin à la messe des Anciens de Saumur,

La Messe de la Cavalerie-Messe dite en la Chapelle de Saint –Louis-des Invalides, en présence du Général

Weygand. C’est ainsi que j’eus l’occasion d’apercevoir ce petit homme, par la taille, mais ce grand soldat.   

 Il passa en revue un détachement de jeunes Aspirants-Officiers, dont il reçut naturellement les respectueux

hommages. Ma modeste qualité de neveu du Trésorier des Anciens de Saumur me valut donc d’assister à cette messe. Celle-ci étant dite, un rapide déjeuner nous réunit, Marc Schelcher, un de ses amis Eric Paillard, et

moi, avenue de Messine. Puis on s’engouffra dans la voiture d’Oncle Jean. Grand’ Mère étant installée

devant. Et fouette cocher ! En  route pour la Seine-et-Marne !

 

  L’accueil y fut plus frisquet que je ne m’’y attendais. Ma Mère ne comprenait vraiment pas pourquoi je

voulais changer de résidence alors que nous devions nous retrouver si peu de temps après le mardi…

Grand ‘Mère dut encore plaider, dire que ce n’était pas un caprice de ma part, témoigner qu’elle

Trouvait l’idée bonne et pourquoi elle se rangeait à mon avis.   Devant ces deux entêtements ma Mère céda.. En grognant. Je passais ainsi deux jours à la Glazière, desquels je dirai qu’ils furent grognons. Ma « désobéissance » eut du à être oublier.
   Au retour à Paris nous retrouvâmes nos deux Espagnoles suffisamment guéris pour reprendre

leur service. Enrique continuait bien à tousser…Mais il fumait tant .  A la réflexion je me demande

si cette grippe n’était un lointain avertissement de la longue et douloureuse maladie qui devait 

l’emporter Dix-huit mois plus tard.     

Au retour  survint un petit incident. La prise de cric s’émietta. Nous étions donc dans l’impossibilité

de faire face à tout nouvel incident du genre changement de  pneus.  Notre carrosse tombait en ruine.

Ce nouvel avatar décida mon Père a changer de voiture, tout en restant fidèles à la marque du Lion,-

Un emblème sur la route ! Notre vénérable antiquité accusait  200.000 Kms au compteur ; et encore

celui-ci était-il bloqué depuis longtemps par l’usure.

  Avec elle je n’avais que de bons souvenirs ;-exception faite du raid sur Fontainebleau nécessité par

Mon opération d’appendicite. Pourtant il fallait rompre…Cela se réalisa le Vendredi Saint  27 Mars

De nouveau à Fontainebleau, Melun ne possèdent à l’époque de représentant Peugeot. Pour la

Première fois depuis longtemps nous devions passer le Week-End de Pâques à Paris, notre chef 

de famille ne se décident toujours pas à aller s’attacher à son rocher. Un rocher qui n’avait rien

lui, de mythologique !

                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                               

    Le « Chartres » de cette année là  nous surprit dans la Capitale, ce que ma fois, je préférais.   

          Il me semble bien que pour  ce dimanche le chauffeur avait changé.

L’Abbé Jeantet se souvient-il de notre course à travers la Beauce à la poursuite d’une caravane partie

depuis les aurores blafardes et que nous trouvâmes  au lieu-dit « Le Moulin de la Folie ».De la cérémonie

je dirai qu’elle me parut plus classique  et moins somptueuse que celle de l’an passé. Les soucis que

j’apportais devant la Cathédrale me poursuivaient peut-être et me dominaient, sans doute j’us que dans

la nef.

    Ces soucis se firent de plus en plus pressants après mai. Et je fis de nouveau appel à l’Abbé Jeantet

pour venir les partager.

 

  L’état de mon Père n’évoluant guère, de nombreuses et très sérieuses rencontres se tinrent autour de nous

pour tâcher de remédier à la situation.  J’ai en mémoire deux de ces réunions. On y voit Monsieur Jean Datée

ingénieur agronome, mon Oncle François de l’Estoilles et Pierre de Laval, tous deux exploitants agricoles. C’était

un 7 avril. Ils s’acharnaient tous avec mes Parents à trouver une solution satisfaisante à notre problème ; mais

ils butaient tous sur le handicap des neuf ans léguer par Albert Banier à sa femme, dont j’ai déjà expliquer plus

haut le principe. De cette réunion, (dont je manquais les trois quarts : on m’avait envoyer déjeuner en ville, il

ressortait  de cet entretien un profond dégoût de La Glazière en particulier et de l’Agriculture en générale).   

hautement proclamer par mon Père. L’urgence exiger par l’état de mon Père poussa un des assistants, à

proposer un de ses ami, Monsieur Cadeau, brillant second de la Sucrerie de Nassandre, dans le Nord.

Nos interlocuteurs espéraient qu’étant aussi  bon technicien Agricole que légiste terrien, Monsieur Cadeau

pourraient éventuellement tendre un rideau de fumée entre nous et Madame Banier.1

Il fut effectivement  à La Glazière pendant un week-end de printemps probablement en mai.

 

 1 M.Cadeau était je crois à la recherche d’une autre situation.

 

 

             L’Esprit de Pentecôte ne nous incita pas à revenir en Brie. Et c’est au cours du mois de juin que mes

parents m’abandonnèrent une longue semaine à Paris. Ils allaient chercher réconfort  en lointaine Province, dans

le Bourbonnais, chez mon Oncle François de Lestoilles.  Cette visite consultative ne donna pas plus de résultat

que les autres. Et je me gardais bien cette fois de déranger leur projets. Vers la fin du mois, je croisais Monsieur

Ancelin dont ma Mère avait demandé également l’avis. Il annonça sa visite en Seine et Marne pour cet été. Le

Printemps s’acheva sur cet espoir. 

 

Un de mes amis : Jean-Claude Brisset, qui savait mon désir d’aliment intellectuel me présenta le Centre

Richelieu. Son fondateur était le Chanoine Maxime Charles et il comptait parmi ses adjoints l’abbé Lustiger.

                  Les rencontres eurent lieu à Brétigny, au cours de ce que le Père Charles appelait pompeuseusement

« Le Concile » . Il n’y eut aucune entente entre lui et moi. Son caractère de chef de groupe me heurta quelque

peu.

  Pour éviter une trop grande fatigue, ma participation se limita aux dix jours proposés, du  28 Juin au 13 Juillet

1959. Je  revenait coucher tout les soirs à Paris, il fallait donc  chaque soirs revenir sur la Capitale, où des jours de repos m’étaient ménagés.

 

                    Est-ce pendant un de ces loisirs que Tante Germaine de Saulieu monta jusqu’à notre troisième ?

M’ayant interrogé, elle s’effraya de mon ordinaire solitude. Elle s’engagea à faire venir ses petits-enfants autant

qu’ils le pourraient. Absorbé par Brétigny, je ne prêtais qu’un intérêt poli à cette promesse. Quelque temps passèrent  puis un beau samedi deux jeunes filles arrivèrent, (après coup de téléphone, bien entendu), les

bras chargés de disques. Il s’agissait d’Anne de Saulieu et de sa meilleure ami, Isabelle d’Orgeval. De ce

jour commença une amitié et une attention que seuls leurs mariages allaient distendre, et en rendre les

manifestations moins fréquentes.    

                  

 J’ai déjà dit que Paris nous retenait. Le « Pavillon » allait  être encore abandonné. Au cours d’un repas infiniment pénible, ma Mère entreprit de combattre le goût trop impérieux de mon Père pour la vie de Paris.

Elle arguât du fait que sa propre santé exigeait un certain temps d’aération à la campagne. Elle obtint finalement

gain de cause devant un interlocuteur affolé à la pensée de devoir revernir à ce cadre campagnard qui lui était

 devenu odieux

 

            A partir de ce moment le sentiment du devoir remplaça dans le cœur de mon Père celui de l’attachement

à notre domaine que j’avais connu en lui.

    C’est sans doute au moment du départ pour cet exil estival, que mon Père fit à notre amie « Djinn », des adieux d’une froideur qui me surpris.

Cette jeune amie Ecossaise était venue passer l’hiver 1958-1959, à Paris. Cet hiver-là pour elle aussi fut mouvementé.1

                       

     Mais pour le moment l’été s’ouvrait démesurément long  devant notre trio. ..d’autant plus que le soleil nous

prodigua pour la première fois ses rayons sans compter ; cela depuis trois ans. Cela rendit encore plus méritoire

l’effort de mon Père. Quant à ma Mère, sa santé lui permit d’entrer dans le jeu et d’être la compagne de nombreux déplacements qui semblaient nécessaires à mon Père.

 

    L’inquiétude nous mit aussi sur la route de Brou sur Chantereine où l’Oncle Victor, le frère de Grand ‘ Mère

Avait du mal à se débarrasser d’un abcès externe à la tête. Naturellement, ce vieux Monsieur eut droit à un

affectueux et important défilé de la famille, notamment de sa  « jeune sœur » 2 que  18 mois d’intervalle séparaient

de lui. C’est au cours d’une de ces visites que laissant à l’écart le reste de la famille, elle put commenter pour

moi le sérieux de la situation. C’était de sa part un aveu clair et  bouleversant de perplexité.

 

   Mes Oncles Schelcher eux aussi furent alarmés par l’état de santé de leur Beau-Frère. Ils nous rappelèrent

leur ami Pierre de Carini,- celui-là même qui nous avait si judicieusement conseillés dans le choix de notre

nouveau matériel, il y avait de cela dix-huit mois.

 Peut-être décontenancé par les nouvelles propositions qu’on lui faisait, mon Père s’était discrètement retiré..

Ma Mère s’inquiéta à tel point qu’elle mobilisa la maisonnée,(occupé en septembre par les cousins Jean

Schelcher), il fallait retrouver Oncle François…

Ma Mère et moi craignons en effet que le désespoir ne lui fasse commettre cet acte irréparable dont il agitait

la menace lorsque les soucis le submergeaient. Ce jour-là heureusement son absence était dû à des tâches

nécessaires dans lesquels il ne pouvait être remplacé. Nous respirâmes…

  

1 « Djinn » fera peut-être l’objet d’un Ecrit spécial.

 

2 Il est intéressant de noter que ma Grand’Mère ,ma Grand Tante Geneviève de Dreuzy et le Pape Pie XII

Avaient le même âge ils étaient tout trois de 1876. 

 

     Les conclusions de Pierre de Carini furent simples : une plus grande rigueur dans la gestion et la

présence aux côtés de mon Père d’un Haut Commis. Il devait aider mon Père à garder haut le nom

des Maindreville dont mon Père voulait ne plus être que le Fanion.

En 1959, comme chaque année la chasse ouvrit le premier dimanche de  septembre et une réunion au

sommet eut lieu le jour de cette ouverture.

 

  Quelque temps auparavant nous avions vu avec stupéfaction revenir  de vacances nos Basques

que nous croyons à Irun ou ils était partis fin Août . Leur passages un soir après dîner fut bref.

J’étais en train de m’endormir. Je n’appris donc que le lendemain la gravité de leur apparition.

Il s’agissait de ramener Henrique devant des médecins parisiens,(ayant été bannis à vie par  le

Pouvoir en place, à Madrid, il ne pouvait espérer aucun secours de la médecine de son pays d’origine).

 Il fallait examiner sa gorge : elle commençait à inquiéter. Très rapidement nous devions

apprendre qu’il s’agissait d’un cancer de la langue ou de la gorge.

 

  Ce fut pour nous une nouvelle cause de soucis :-mais cela devint aussi un nouveau prétexte

  pour justifier une installation à Paris, que l’état de mon Père cette fois réclamait…Dans les

 semaines qui suivirent, une visite de mes parents à Monsieur Daté fut un soulagement pour

mon Père ::étant donné la sécheresse de l’été et la météo honnête de l’automne, il nous était

possible de regagner définitivement la Capitale, vers le 20 octobre. 

 

 Depuis quelque temps je surveillais les progrès de la Télévision. Ma Mère n’en voulait pas…

Pourtant devant la situation créée par nos diverses maladies, son opposition devint moins

Inflexible.  Aussi profitant de nos dernières semaines à proximité de Fontainebleau, nous

rendîmes visite à Monsieur Richard d’Ayguevives, vieil ami de la famille dans sa petite

échoppe de la rue du coq gris. Nous lui commandâmes notre premier Téléviseur. Il nous

sera livré à Paris le 13 novembre de  cette même année.

    Rentrés je l’ai dit, à Paris à la fin d’octobre, la Messe de la Toussaint me laissa un

 souvenir profond. Elle était célébrée par le Cardinal Maurice Feltin, dans sa Cathédrale

(Notre-Dame). Ce fut la première de ces grandes fêtes qui nous fit adopter Notre-Dame

comme chapelle particulière.

                                                                            

    Nous nous acheminions ainsi vers la fin de la dernière des années cinquante. Cette

année avait été celle de la Grande Instabilité, des décisions ébauchés et des projets

déçus.

En voici un exemple. Un matin en venant dans ma chambre pour s’occuper de moi

Ma Mère me dit goguenarde :  « Qui est-ce qui va être content ? Votre Père est allé

Voir oncle Jean pour lui dire qu’il renonçait à exploiter la ferme ! »

     La joie fut de courte durée. Les Oncles se heurtaient eux-mêmes à l’éternel et

Incontournable verrou des neuf ans péremptoires, nous restions enfermés ;-condamnés

à devoir continuer…en cherchant une issue à cette mauvaise route qu’un enthousiasme

naïf avait fait prendre à mes Parents en entraînant après eux les membres de la famille 

qui le désirent peut-être moins.

 

   Ai-je dit qu’au début de l’été j’avais atteint mes vingt ans ?

 

           Avec 1959, finissaient les années d’enthousiasme. Les années soixante allaient être

faites de quête. Puis dans la dernière partie de la décennie, d’une veille douloureuse et usante

 sur tout les plans.                                                          

 

PRENEZ DONC UNE BONNE DECISION...CELLE DE ME SUIVRE ENCORE ?