Licorne La licorne -article sur la Licorne dans le Dictionnaire
des symboles, chez Bouquins, édition Robert Laffont)
La licorne médiéval est le symbole de puissance,
qu'exprime essentiellement la corne, mais aussi de faste et de pureté.
Nous retrouvons ces vertus dans la Chine ancienne, où
la licorne est l'emblème royal et symbolise les vertus royales.
Lorsque celles-ci se manifestent, la licorne apparaît : ainsi sous
le règne de Chouen. C'est, par excellence, l'animal de bon augure.
Toutefois, la licorne concourt à la justice royale, en frappant
les coupables de sa corne. La licorne combat aussi contre le soleil et
l'éclipse ; elle les dévore.
La danse de la licorne est une réjouissance fort prisée
en Extrême-Orient, à la fête de la mi-automne. Mais
la licorne paraît n'être alors qu'une variante du dragon, autre
symbole royal, mais surtout maître de la pluie. La lutte contre le
soleil, qui est responsable des sécheresses calamiteuses, pourrait
expliquer ce rapprochement. Comme le dragon, la licorne a pu prendre naissance
dans la contemplation des nuages, aux formes innombrables, mais toujours
annonciateurs de la pluie fertilisante.
La licorne symbolise aussi, avec sa corne unique au milieu
du front, flèche spirituelle, rayon solaire, épée
de Dieu, la révélation divine, la pénétration
du divin dans la créature. Elle représente dans l'iconographie
chrétienne la Vierge fécondée par l'Esprit saint.
Cette corne unique peut symboliser une étape sur la voie de la différenciation
: de la création biologique (sexualité) au développement
psychique (unité a-sexuelle) et à la sublimation sexuelle.
Cette corne unique a été comparé à une verge
frontale, à un phallus psychique : le symbole de la fécondité
spirituelle. Aussi est-elle, en même temps, le symbole de la virginité
physique. Des alchimistes voyaient dans la licorne une image de l'hermaphrodite
; il semble que ce soit un contresens : au lieu de réunir la double
sexualité, la licorne transcende la sexualité. Elle était
devenue au Moyen Age le symbole de l'incarnation du Verbe de Dieu dans
le sein de la Vierge Marie.
Bertrand d'Astorg dans le Mythe de la dame à la licorne
(Paris 1963) a renouvelé l'interprétation du symbole, en
la rattachant aux conceptions médiévales de l'amour courtois.
Il décrit d'abord sa vision de poète : C'était une
licorne blanche, de la même taille que mon cheval, mais d'une foulée
plus longue et plus légère. Sa crinière soyeuse volait
sur son front ; le mouvement faisait courir sur son pelage des frissons
brillants et flotter sa queue épaisse. Tout son corps exhalait une
lumière cendrée ; des étincelles jaillissaient parfois
de ses sabots. Elle galopait comme pour porter haut la corne terrible où
des nervures nacrées s'enroulaient en torsades régulières.
Puis il voit dans la licorne le type des grandes amoureuses, décidées
à refuser l'accomplissement de l'amour qu'elles inspirent et qu'elles
partagent. La licorne est douée du mystérieux pouvoir de
déceler l'impur, voire même la moindre menace d'altération
dans l'éclat du diamant : lui est connaturelle toute matière
en son intégrité. De tels êtres renoncent à
l'amour par fidélité à l'amour et pour sauver d'un
dépérissement inéluctable (Yves Berger). Meure l'amour,
pour que vive l'amour. Ici, s'opposent la lyrique du renoncement à
la lyrique de la possession, la survivance de la jeune fille à la
révélation de la femme. Le mythe de la licorne est celui
de la fascination que la pureté continue à exercer sur les
coeurs les plus corrompus.
P.H. Simon a parfaitement synthétisé la valeur
du symbole : Qu'elle soit, par le symbole de sa corne qui sépare
les eaux polluées, détecte les poisons et ne peut être
touchée impunément que par une vierge, l'emblème d'une
pureté agissante, ou que, chassée et invincible, elle ne
puisse être capturée que par la ruse d'une jeune fille qui
l'endort d'un parfum d'un lait virginal, toujours la licorne évoque
l'idée d'une sublimation miraculeuse de la vie charnelle et d'une
force surnaturelle qui émane de ce qui est pur.
Sur de nombreuses oeuvres d'art, sculptées ou peintes,
figurent deux licornes affrontées, qui semblent se livrer un farouche
combat. On y verrait l'image d'un violent conflit intérieur entre
les deux valeurs que symbolise la licorne : sauvegarde de la virginité
(la corne unique levée vers le ciel), fécondité (sens
phallique de la corne). L'enfantement sans la défloration, tel pourrait
être le désir, contradictoire sur le plan charnel, qui s'exprime
par l'image des licornes affrontées. Le conflit n'est surmonté,
la licorne n'est féconde et apaisée, qu'au niveau des relations
spirituelles.
Dans la sixième et dernière tapisserie de la
célèbre série du musée de Cluny, intitulée
La Dame à la Licorne, la jeune femme, qui se dépouille de
ses bijoux, est sur le point d'être absorbée par la tente,
symbole de la présence divine et de la Vacuité. L'inscription
qui surmonte la tente, A mon seul désir, signifie que le désir
de la créature se confond avec celui de la volonté qui la
dirige. Dans la mesure où notre existence est un jeu divin, notre
part devient libre et active, lorsque nous nous identifions au marionnettiste
qui nous crée et nous dirige. Alors, le soi se dissout pour faire
place au grand Soi, sous la tente cosmique reliée à l'étoile
polaire. La Dame, par sa grâce et sa sagesse (Sophia-Shakti-Shekinah,
c'est-à-dire : celle qui est sous la tente) autant que par sa pureté,
pacifie les animaux antagonistes du Grand Oeuvre : le lion qui symbolise
le soufre, et la licorne, le mercure. Souvent, la Dame est assimilée
au Sel philosophal. Elle est très proche de la parèdre d'Hevajra
dont le nom signifie celle qui est sans ego. La corne dressée de
la licorne, qui symbolise la fécondation spirituelle et qui capte
le flux de l'énergie universelle, est en accord avec le symbolisme
axial de la tente, prolongé par une pointe avec le symbolisme des
deux lances, de la coiffure de la Dame et de sa suivante, surmontées
d'une aigrette, et des arbres qui célèbrent les noces mystiques
de l'Orient et de l'Occident (le chêne et le houx répondant
à l'oranger et à l'arbre à pain). Les armoiries, de
gueules à bande d'azur chargée de trois croissants montants
d'argent suggèrent que ces tapisseries ont pu être commandées
par le prince Djem, fils infortuné de Mahomet II, le conquérant
de Constantinople. L'idéal de ce Prince, longtemps captif dans la
Creuse où furent retrouvées ces oeuvres, ne consistait-il
pas à réunir la Croix et le Croissant? L'île ovale
qui supporte la scène est découpée comme un lotus,
symbole de l'épanouissement spirituel. Quant au petit singe assis
devant la Dame, il désigne l'alchimiste en personne, le «singe
de nature» veillant sur sa maîtresse, qui peut être assimilée
à la Matéria Prima.
La licorne figure dans maintes planches de traités
d'alchimiques (Lombardi, Lambsprinck, Mylius, etc.). Cette bête fabuleuse
d'origine orientale, liée au troisième oeil et à l'accès
au Nirvana, au retour au centre et à l'Unité, était
toute destinée à désigner aux hermétistes occidentaux
le chemin vers l'or philosophal -vers la transmutation intérieur
qui s'effectue lorsque l'andorgyne primordial est reconstitué. En
Chine, le nom de la licorne, Ki lin, signifie aussi yin-yang.
Conte extrait
du livre «La Forêt, mythes et légendes», de Franck
Jouve et Marcel Laverdet, chez Hachette Jeunesse. Enchantements à Brocéliande
(conte de Bretagne)
Par une claire matinée de printemps, deux chevaliers
chevauchant paisiblement en bordure d'une forêt quand des cris de
femmes jaillirent du fond des bois. Claris et Laris tournèrent bride
et s'engagèrent dans le chemin creux d'où partaient maintenant
des plaintes déchirantes. Mais ils avaient beau avancer, les sanglots
venaient toujours d'aussi loin, comme si on cherchait à les entraîner
plus avant...
Dressé au milieu du sentier, un arbre mort leur barra
la route ; les ronces étaient si hautes de part et d'autre qu'il
durent descendre de cheval et poursuivre leur route en passant par la fourche
de l'arbre noir comme le démon. A la seconde où ils posèrent
le pied de l'autre côté, la forêt se noya dans un épais
brouillard bleuté où planaient des ombres étranges...
Retenant leur souffle, Claris et Laris tirèrent leur épée.
-«Ne nous faites pas de mal, gémit une voix
dans la brume.»
Au même instant, la cime des bouleaux argentés
qui les encerclaient s'enflamma. A la lumière de ces torches géantes,
ils distinguèrent eux femmes adossées à une dolmen.
-«Dame, ne craignez rien de nous. Dites plutôt
ce que vous faites en pareil lieu et pourquoi vous menez si grand deuil.»
-«Messires, sachez que je suis Brunehout et que ma
soeur a nom Brimholz. Nous nous lamentons pour avoir laissé échapper
l'épervier de l'Orgueilleux des Sylves. Il nous tuera si nous ne
rattrapons pas l'oiseau...»
-«Il n'est au monde plus savant Enchanteur, expliqua
Brimeholz. Cette forêt est son fief et s'il lui plaît qu'il
y fasse nuit à midi, il n'a qu'un signe à faire. C'était
pure folie de pénétrer en ces lieux où vous courez
si grand péril!»
-«Nenni, dames. Il n'est pire folie pour des chevaliers
que ne de pas prêter assistance à des femmes en détresse.»
Un battement d'ailes déchira le silence alentour.
L'épervier se posa sur la haute table du dolmen, fixant Claris et
Laris de ses yeux perçant comme pour les défier de venir
le chercher. A peine eurent-ils grimpé sur la pierre qu'il partit
en fumée tandis qu'un double éclat de rire montait jusqu'à
eux...
-«Ah, l'Orgueilleux des Sylves ne vous glace pas d'effroi?
Voyez pourtant quel cruel destin il vous réserve en ces bois!»
Du haut du dolmen, ils aperçurent un chevalier fuyant
sur son destrier, une flèche fichée en travers de la gorge.
Pâlissant, Laris se reconnut sous les traits livides du mourant...
Puis un cercueil passa et il entendirent en frissonnant un choeur qui pleurait
le trépas du preux Claris...
Quand le convoi funèbre se fut évanoui dans
la forêt, ils sautèrent à bas du dolmen. Ils étaient
seuls, perdus. Les arbres-flambeaux s'étaient éteints, on
n'y voyait pas à quatre pas. Surmontant leur épouvante, les
deux amis errèrent des heures sans retrouver leur chemin. Où
qu'ils aillent, ils revenaient toujours à leur point de départ.
Enfin, à un embranchement où ils étaient déjà
passés maintes fois, la brume se dissipa pour laisser paraître
une fontaine. Assise sur son bord, une Dame blanche se mirait dans l'eau,
sa main caressant une licorne. Les chevaliers s'approchèrent d'elle
comme de leur dernier espoir.
-«Qui que vous soyez, au nom de Dieu, apprenez-nous
où nous sommes», dit Claris.
L'apparition tourna vers eux un visage lumineux.
-«Sires, vous êtes en Brocéliande,
La riche forêt fière et grande.
Céans est le manoir aux Fées
Qui vont par étranges contrées.
Toujours céans, demeurerez,
Jamais plus d'ici ne sortirez.
-«Dites-vous le vrai?», s'écria Laris.
«Pour rien au monde je ne voudrais être retenu ici où
rôde notre mort!»
-«Le chemin qui vous égara en Brocéliande
et le Sentier Sans Retour. En traversant l'arbre mort, vous êtes
entrés en Féerie. Cette forêt est ainsi close que nul
n'en peut sortir s'il n'est Fée ou s'il ne connaît les Pierres
Assoiffées...»
Elle s'interrompit brusquement parce qu'un loup gigantesque
avait bondi dans la clairière.
L'épée haute, Claris fit un rempart de son
corps à la Fée tandis que Laris sauvait la licorne d'une
mort horrible. La scène n'avait duré qu'un éclair.
En s'enfonçant dans l'ombre, le loup jeta aux chevaliers un regard
de défi où ils reconnurent l'âme orgueilleuse de l'Enchanteur.
Agenouillée devant sa licorne, la Dame blanche leva
vers eux des yeux éperdus de reconnaissance.
-«Pour l'amour de vous, messires, Madoine la fée
vous dira le secret des Pierres Assoiffées.»
Elle les précéda jusqu'à un saule pleureur
emprisonné entre quatre menhirs.
-«Quand les pierres levées auront tourné
trois fois, elles iront boire à la fontaine. Courez droit sur le
saule, c'est l'unique issue...»
A peine avait-elle parlé que l'angélus sonna
dans le lointain. Les menhirs assoiffés tournèrent lentement
sur eux-mêmes puis se mirent en marche! A l'instant où Claris
et Laris passèrent sous le feuillage du saule, la lumière
du jour revint. Ils étaient là où les attendaient
leurs chevaux! Derrière eux se tenait l'arbre fourchu qui semblait
grimacer de colère en les voyant échapper aux sortilèges
de Brocéliande.