Contes, Mythologie
Les coulisses de la création
L'espace d'un instant
Rencontres avec un tableau

 
  Jean Arp, Tableau i, vers 1920
collage, 20,6 x 16,6 cm


Il disait : "Tu es irrésistible" avec des i rouges qui auraient plu à Rimbaud, i du "rire des lèvres belles", de l'envie et du désir. Le temps s'égrainait, insouciant, entre sourires et soupirs de plaisir. Il aimait son insolence quand elle se moquait de ses incertitudes. Ils improvisaient au jour le jour, elle indécente, lui indécis. Ils s'inventaient une histoire improbable, imaginant des sentiers inexplorés, bordés d'intentions inavouables. Ils étaient incroyablement unis, inspirés l'un par l'autre, inséparables et pourtant...

Il a dit : "Tu es très indépendante". Elle a senti un reproche implicite dans son intonation et le i rouge peu à peu s'est obscurci. Refusant de voir l'inévitable, elle a tu ses inquiétudes. Il s'est isolé, il a réfléchi. Elle savait se contenter de petits bonheurs immédiats. Pas lui. Il visait plus haut, plus loin, mais il ignorait où ces chemins inventés pouvaient bien les mener. Il trouvait cela insupportable. Elle s'impatientait, incapable de décrypter ses silences. Elle l'interrogeait. Il se figeait dans une inertie intrigante. Il n'osait pas encore mettre les points sur les i et le temps s'égrainait, infesté d'intuitions négatives et d'idées inexprimées.

Il dit : "Tu es incorrigible. Tu vis trop dans l'instant. On ne construit rien. Tu ne penses qu'à t'amuser". Elle regarde au-dehors. La nuit est tombée si vite. La fenêtre ressemble à un grand carré noir qui lui renvoie son image. Il insiste : "Nous sommes incompatibles, j'en ai bien peur. Nous deux, ça me paraît impossible. C'est ainsi". Comme si elle n'était pas assez intelligente pour comprendre, il ajoute : "C'est fini". Elle se tourne vers lui et demande, impassible : "Bien, on s'est tout dit ?". Il hoche la tête et s'en va, la laissant sur un sentiment d'inachevé et pourtant...

 


Momina Décembre 2004