Contes, Mythologie
Les coulisses de la création
L'espace d'un instant
Rencontres avec un tableau



Gustave Doré, Andromède, 1869
huile sur toile, 257 x 173 cm


Andromède est la plus saisissante incarnation d'un ancien rêve qui sommeille en chaque femme. Etre attachée nue à un rocher, livrée en pâture à un serpent de mer, n'a certes rien d'enviable. Pourtant il suffit de lever les yeux pour distinguer aussitôt la silhouette du courageux Persée sur son destrier ailé. Imaginez donc. Vous êtes là, offerte au monstre terrifiant qui commence à vous lécher les orteils quand un prince étranger, un Grec à l'admirable profil, s'en vient vous délivrer, surgissant comme par magie du haut des cieux. Quelle petite fille n'a pas espéré cet instant ? Elevées aux histoires enchantées, nous avons toutes attendu notre Persée. Plus tard, comprenant que le Prince charmant n'existait pas davantage que le Père Noël, nous avons dû renoncer au séduisant héros. Son souvenir subsiste cependant, enfoui dans un tiroir qu'on a fermé à regret. Des nombreuses légendes de la mythologie, l'aventure de Persée et d'Andromède est celle qui se rapproche le plus de nos contes de fées, sa trame idéale se retrouve dans de multiples variantes inventées ou collectées par les frères Grimm et Perrault.

Le récit antique nous entraîne dans une lointaine contrée où un roi et une reine aiment tendrement leur fille exquise. Partout la reine se vante de sa douce progéniture, allant jusqu'à proclamer qu'elle et sa petite Andromède surpassent en beauté les Néréides, ces ravissantes nymphes des flots. Terriblement offensées, les filles de Nérée sautent sur leurs gracieux dauphins bleus et vont se plaindre à Poséidon que ces querelles de bonnes femmes intéressent assez peu. Seulement cinquante nymphes en colère, cela fait des vagues, aussi le dieu des mers préfère-t-il leur donner raison en envoyant un affreux serpent dévaster le pays de l'insolente reine. La bête vorace ne tarde pas à semer la terreur et les époux royaux finissent par aller consulter un oracle. La sentence tombe : "Il faut sacrifier Andromède au monstre pour apaiser les dieux".

Vous me direz que tout cela n'est pas très logique. L'innocente Andromède n'a pas ouvert la bouche. La seule véritable coupable, c'est son idiote de mère. Vous semblez oublier un détail qui a son importance : Andromède est la plus belle. Songez à Blanche-Neige qu'on veut trucider parce qu'elle fait de l'ombre à la Reine ou à cette pauvre Belle qu'on enferme dans le château de la Bête sans parler de Peau d'âne dont le minois inspire d'incestueux désirs. Dans l'univers du conte, la beauté représente souvent un danger, une menace qu'il faut écarter, une injustice qu'on cherche à punir.


 

Pendant ce temps, on vient d'attacher Andromède à son rocher et le monstre s'approche, la langue sifflante. C'est l'instant choisi par Persée pour faire son entrée. Conquis par les pieds menus de la vierge, l'arc lumineux que forme son dos jusqu'à ses cheveux d'algues et ses poignets menottés, le héros libère son trop plein de virile énergie dans un combat avec le serpent qu'il pulvérise, puis il délivre la belle et l'épouse sans tarder. Nos contes s'achèvent toujours ici, par cette phrase qui m'angoissait autrefois : "Ils vécurent longtemps heureux et eurent de nombreux enfants". Avant de sauver Andromède, Persée a affronté les Gorgones et vaincu l'horrible Méduse dont il garde la tête dans sa besace. Qui voudrait vivre des aventures aussi périlleuses si c'est pour finir cloué d'ennui au fond d'un palais avec une ribambelle d'enfants braillards et une princesse déformée par tant de maternités ?

Par chance, le mariage n'est pas une fin en soi chez les Anciens et la légende ne s'arrête pas là. Les noces de Persée sont d'ailleurs perturbées par l'arrivée d'un vieil oncle grincheux à qui Andromède était promise. Accompagné de son armée, il interrompt le banquet et réclame son dû. Persée brandit la tête de la Gorgone, pétrifiant sur-le-champ l'importun et ses acolytes. On l'aura compris, Persée est un garçon plein d'initiatives, à l'inverse de nos princes tueurs de dragons qui se contentent d'obéir aux ordres qu'on leur donne. Dénué de prétention, Persée s'offre même le luxe de paresser une année entière au pays d'Andromède au lieu de rentrer chez lui pour connaître la gloire en exhibant le trophée que renferme sa besace. La saine assurance du jeune homme s'explique sans peine par les conditions extraordinaires de sa naissance.


Antonio Canova
Persée tenant la tête de Méduse
1804-1806



Un oracle avait prédit au roi d'Argos qu'il n'aurait jamais d'enfant mâle et que son petit-fils le tuerait. Afin d'empêcher l'accomplissement de cette prophétie, le roi décida de séquestrer son unique fille, Danaé, dans une tour d'airain. Mais Zeus qui voit tout - et particulièrement les jolies femmes - réussit à s'introduire dans la prison sous forme d'une pluie d'or. Quand le roi découvrit l'existence de Persée, fruit de cette averse divine, il mit la mère et son enfant dans un coffre qu'il jeta à la mer. Les naufragés furent recueillis par un pêcheur qui éduqua le jeune héros. Né de l'eau, livré aux flots, élevé au bord de la mer, tout, dans cette prédominance du thème aquatique, semblait annoncer que Persée croiserait un jour, un monstre marin.

Si l'on aime jouer avec les symboles, on ne s'étonnera pas non plus de rencontrer plusieurs fois le chiffre 3 dans l'aventure qui nous intéresse. Ce chiffre magique rythme la plupart de nos contes où trois fils tentent de relever le même défi quand ce ne sont pas trois épreuves à surmonter ou deux soeurs qui martyrisent la troisième. Au début de sa quête, Persée suit les conseils de sa bonne fée la déesse Athéna et se rend dans la grotte des trois Grées, ces vieillardes qui n'ont qu'un oeil et une dent qu'elles se passent à tour de rôle. Persée subtilise leurs biens précieux pour les forcer à lui révéler quelque secret. Puis des trois Gorgones, il décapite Méduse, la seule qui ne soit pas immortelle. En délivrant Andromède, Persée accomplit son troisième exploit.

Tandis que nous nous égarons à compter trois sur nos doigts, Andromède a donné naissance à son premier enfant, Persès, futur roi de Joppa. Le jeune papa, devinant certainement l'ennui d'une longue vie heureuse à la tête d'une famille nombreuse, se décide enfin à rentrer au pays. Il confie l'éducation de son rejeton à ses beaux-parents et emmène avec lui son épouse. J'insiste sur ce fait peu coutumier car le héros moyen s'encombre rarement de sa dulcinée lorsqu'il voyage. Que l'on songe à Ulysse qui abandonne sa Pénélope pendant près de vingt ans, à Héraclès qui a une femme dans chaque cité ou au vil Thésée qui "oublie" lors d'une escale, la bienveillante Ariane sans qui il n'aurait pas su ressortir du labyrinthe. Le noble Persée ne mange pas de ce pain-là. Il n'a pas risqué sa vie pour se défaire aussi vite de son Andromède.


Gustav Klimt, Danae, 1907-1908


L'arrivée du couple sur l'île de Sériphos, nous fait soudain quitter l'univers du conte pour basculer dans celui de la tragédie si chère aux Grecs. Persée découvre que sa mère a dû trouver refuge dans un temple pour fuir les assiduités du tyran Polydectès, le même homme qui a envoyé notre héros décapiter une Gorgone. Ni une, ni deux, Persée se rend chez le tyran qu'il transforme en statue de pierre avec toute sa cour. Il libère ensuite sa pauvre maman et place le pêcheur qui l'a élevé sur le trône de Sériphos. Il est temps désormais pour Persée de faire la paix avec son grand-père et de lui présenter sa charmante épouse.

Sur le chemin qui mène à Argos, Persée est invité à participer à des jeux donnés en mémoire d'un roi récemment décédé. Si le jeune homme manie fort bien le glaive et la tête de Gorgone, il est en revanche un piètre discobole. L'objet lancé par Persée frappe mortellement un des spectateurs et la prophétie se réalise. Persée vient de tuer le roi d'Argos, son vénérable grand-père. Nous n'aurons jamais droit à la scène des retrouvailles et de la réconciliation. Héritier du trône d'Argos, Persée hésite à succéder au roi dont il a involontairement causé la mort. Ce cas de conscience est tout à son honneur à une époque où peu d'hommes devaient s'embarrasser de tels scrupules. Persée échange donc le trône qui lui revient contre celui de Tirynthe qu'il gouvernera avec sagesse.

Andromède lui donnera plusieurs fils, l'un d'eux sera le grand-père d'Héraclès, et une seule fille, joliment nommée Gorgophoné, la tueuse de Gorgones. Après une longue vie bien remplie, Andromède et Persée seront placés au ciel sous forme de constellations, ainsi leur amour illuminera toujours, les nuits de ceux qui se souviennent.
 

Scène de palestre, vers 490 av. J.-C


Momina Janvier 2005

Voir aussi : Le Cycle de Persée (une aventure en huit tableaux)