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Lucio Fontana,
Concetto spaziale, Attesa, 1966
acrylique sur toile, 73,8 x 60,5 cm
Attesa... Attente.
Une bouche rouge. Des lèvres qui s'entrouvrent à
l'approche du baiser. Ourlées de promesses ou prêtes
à livrer le plus terrible des secrets. Des lèvres
mystérieuses. Troublantes. Dessinées au scalpel. Une
brèche inquiétante. Noire comme l'incertitude. L'oeil s'y
faufile. Timide. Puis la tête, les épaules, le corps
entier.
Remonter le tunnel qui mène à l'origine. Se reposer
à l'abri du nid. Lentement, puiser de nouvelles forces. Trouver
le courage de tout recommencer sans rien effacer. Bailler. Se dire
qu'il faudra bien affronter le monde du dehors, un jour ou l'autre.
Soupirer. Blotti sous le duvet rouge, s'échapper dans le sommeil.
Attesa... L'attente.
Armé d'un burin, le peintre creuse des bucchi dans la toile, des
perforations qu'il fouille de son autre main, gantée de blanc.
Il se fait archéologue, sculpteur, explorateur. Il ouvre la
surface en spirales qu'il aime appeler "constellations". Il avance
méthodiquement, par mouvements circulaires, enroulés sur
eux-mêmes comme des escargots. Ses déchirures donnent
naissance à un monde paisible, onirique. Composé de creux
et de reliefs qui révèlent ombre et lumière.
Tenace, le peintre cherche sans cesse à repousser les limites du
cadre. Il veut s'envoler, partir à la conquête de
l'espace, là où le mot "fin" n'a plus de sens.
Dans un coin de l'atelier, un monochrome le regarde. Uni de haut en
bas. Terne et plat. Le peintre s'en approche, un cutter caché
dans le dos. Il se concentre. Ses traits se figent. Et soudain, la lame
fend la toile. L'entaille est nette, parfaite, bien qu'issue d'une
impulsion. Tagli ou l'art de mutiler sans détruire. Inventer des
passages, des chemins extraordinaires, des fissures vers le futur, qui
permettent de voir au même instant l'envers et l'endroit de la
toile. Le peintre sourit, étourdi. Grisé par le vertige
de l'ubiquité.
Attesa... Une attente.
Un coeur à nu qui palpite, s'emballe et se tait. En percevoir
les signaux subtils. Se réjouir de ce qu'on devine. Choisir de
ne rien brusquer. Derrière toute attente, une espérance.
Un vide à combler. Une frontière entre deux états
d'âme où l'imagination vagabonde. S'étirer sur le
duvet rouge. Réfléchir un peu. Pas trop. S'offrir le luxe
de prendre son temps.
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