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George Grosz,
Le Malade d'amour (Der Liebeskranke), 1916
huile sur toile, 99,7 x 76,5 cm
Dans un port du nord, au fond d'un café, un marin pleure
à l'intérieur, les traits déformés par un
faux sourire. Un homme au crâne rasé qui rêve
d'enfouir sa peine entre les seins d'une fille facile. Il se fait tard.
L'endroit est désert. Alors, il boit. Seul. Verre après
verre, les perspectives se métamorphosent. La table se retourne,
la Lune entre dans le café avec les maisons voisines et les
arbres empotés.
Même ivre mort, il n'arrive pas à oublier qu'il a mal,
anéanti par un chagrin d'amour propre. Il est plus bas que
terre. Humilié à en crever. Parti guerroyer sur les
flots, il a retrouvé sa fiancée, enceinte d'un autre. Un
vulgaire déserteur ou un quelconque reformé, peu importe.
Un type sans vergogne, resté à l'abri des bombes dans le
seul but de lui dérober celle qui était supposée
l'attendre. A tout prendre, désormais, il préfère
encore se battre. En permission, il ne sait que vomir son amertume.
Ce soir, il a mis son beau costume de dandy pour aller s'ennuyer au
théâtre. Il s'est endormi au milieu du premier acte. Il a
traîné son dégoût dans les rues et ses pas
l'ont mené devant la porte du bar. Comme d'habitude. Il boit
trop. Il se le répète à chaque gorgée et se
ressert à nouveau avant de s'écrouler sous la table. Son
petit chien l'aidera en chemin. Il le guidera, l'air de ne pas y
toucher. Il collera son museau froid sur les jambes incertaines de son
maître qui lui écrasera les pattes. Ils forment un
sacré duo, lui et son cabot.
Debout, tout va tanguer autour de lui. Mais il aime ce mal de mer qui
lui occupe le corps plutôt que l'esprit. C'est reposant. Il jette
un billet sur la table et se lève. Le pistolet cogne contre sa
poitrine. Il pèse lourd dans sa poche. Il le sent à
chaque battement de son coeur blessé. Courage. Un pied devant
l'autre jusqu'à son lit. Un pied puis l'autre dans la nuit. Et
demain, avec un peu de chance, les pieds devant, ce sera fini.
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