Contes, Mythologie
Les coulisses de la création
L'espace d'un instant
Rencontres avec un tableau
 

  Joan Miro, Sans Titre, 1925
huile sur toile, 130 x 97 cm
 
 
Il devait être minuit. Des invités s'en allaient. Certains riaient et bavardaient, d'autres s'embrassaient sur le perron. Je m'étais perdue dans les allées du parc où un amoureux venait de m'éconduire. J'avais fumé toutes mes cigarettes et brûlé par mégarde, la robe de location que je portais pour ce bal masqué. J'avais pleuré, pas pour le déguisement abîmé, mais pour l'imbécile qui m'avait dit des mots bien cruels. Les joues noires de rimmel, je regagnais la villa.

Il me fallait dans l'ordre : un fumeur pour me dépanner et un automobiliste pour me raccompagner. Je vous ai vu assis sur les marches. Pour être honnête, j'ai d'abord noté que vous teniez une cigarette entre vos doigts gantés de bleu. Vous aviez posé sur votre genou, un masque blanc qui semblait vous fasciner. Je vous ai dérangé dans votre méditation. Vous m'avez offert la dernière cigarette de votre paquet. L'allumette a dessiné une flamme jaune entre nous. J'ai découvert vos traits. Vous m'avez fait penser à un prince italien. A cause de vos yeux sombres, de vos lèvres pâles, de votre costume ? Je ne sais plus pourquoi cette image m'est venue à l'esprit.

Nous avons fumé sans mot dire, les invités s'éparpillant gaiement autour de nous. Leur joie me peinait. C'était injuste qu'il y eût encore des gens heureux. J'ai senti de nouvelles larmes sur le point de déborder. Je ne les ai pas retenues. Vous avez ôté l'un de vos gants et m'avez caressé les cheveux, simplement. Vous pensiez sans doute que j'avais le vin triste. Une femme rousse est apparue derrière nous. Elle vous a dit qu'il était temps de saluer nos hôtes. Vous l'avez suivie à l'intérieur de la villa, abandonnant sur les marches, un gant et votre masque. Je les ai ramassés pour vous les rendre mais vous aviez déjà disparu. A cet instant, un feu d'artifice a éclaté dans le parc. J'ai contemplé le spectacle, les yeux toujours humides.

Quand je suis rentrée chez moi, j'ai posé sur un plateau en bois, votre gant bleu, votre masque blanc, le souvenir des étincelles dans le ciel, le bout orange de votre cigarette et la flamme qui avait surgi entre nos deux visages baignés d'ombres. Le tableau était curieux. Je n'ai pas su quel titre lui donner.

 

Momina Novembre 2003

Voir aussi : ( Fondation Joan Miro )