Contes, Mythologie
Les coulisses de la création
L'espace d'un instant
Rencontres avec un tableau



Raoul Hausmann, L'esprit de notre temps (Tête mécanique), vers 1920
assemblage, 32,5 x 21 x 20 cm


La petite tête de bois ressemble à n'importe qui. Elle se lève le matin, elle va travailler, elle essaie de se montrer dynamique, enthousiaste et serviable. Elle répond à son courrier, elle est toujours à l'heure à ses rendez-vous. Elle paie ses impôts sans rouspéter. Elle respecte les autres sans se laisser piétiner. Le soir, elle regarde le journal télévisé, affalée sur le canapé, elle se dit que ce n'est pas de faute si ça ne tourne pas rond mais elle ne peut s'empêcher de culpabiliser.

La petite tête de bois a souvent l'impression de n'être qu'un numéro au bas de la liste, un pion ridicule sur le vaste échiquier. Elle se sent inutile ou impuissante dans ce monde absurde qui la démoralise parfois.

Elle entend : "Vous devez d'abord remplir la feuille d'inscription et ne pas oublier de joindre les photocopies stipulées au verso. Nous vous remettrons ensuite un questionnaire rose accompagné d'un formulaire jaune et quand vous aurez complété ces documents, vous pourrez, munie de l'attestation bleue, accéder à..."

Elle apprend que : "Suite à une panne de notre système informatique, votre demande a été rejetée. Nous vous invitons à renouveler votre démarche..."

Ou encore : "Après un examen attentif de votre séduisant projet, nous sommes au regret de ne pouvoir donner une suite favorable..."

Alors, la petite tête de bois s'échappe dans un monde où elle ne se bat que contre elle-même. Un monde où elle cherche à s'étonner en faisant preuve d'ingéniosité pour contourner les obstacles, éviter les pièges du labyrinthe et résoudre l'énigme qui précipitera le sphinx au fond de l'abîme.

Un monde où l'imagination est une force et l'originalité, une forme de courage, car l'héroïsme n'a rien à voir avec un poitrail bardé de médailles. La véritable grandeur consiste à regarder en soi et à accepter ses fêlures, ses bizarreries et ses recoins obscurs. Ici, tout problème a une solution, tapie dans les méandres de l'esprit, chaque défaite comporte un enseignement et la moindre frustration devient source d'inspiration. C'est ainsi que la petite tête de bois peut survivre dans l'autre monde, celui où elle ressemble à n'importe qui.

 

Momina Décembre 2004

Voir aussi : ( Raoul Haussmann sur L'esprit de notre temps )