huile sur toile, 92 x 73 cm
C'est un ami épisodique. Il ne vous encombre pas de sa présence, ne vous étouffe pas de ses exigences. Il est toujours ailleurs mais quel bonheur de le retrouver !
Il a parcouru l'Afrique, séjourné dans les îles du Pacifique, il connaît toute l'Amérique et de nombreux pays asiatiques. C'est l'homme aux semelles de vent, l'éternel voyageur, celui qu'on finirait par oublier s'il ne pensait pas à vous envoyer, des lettres constellées de timbres exotiques.
Parfois, il arrache quelques pages de son journal de bord pour vous en faire cadeau. Vous recevez un fouillis de notes, de photos et de dessins mêlés que vous montrez à vos proches. Ensemble, vous soupirez : "Se décidera-t-il à revenir nous éblouir ?"
Un beau matin, l'ami épisodique reparaît sans crier gare, les poches pleines de menus présents, la tête farcie de souvenirs à partager. Alors, c'est comme si le temps s'arrêtait. Il reprend la conversation là où vous l'aviez laissée, un ou deux ans plus tôt. Et s'il demande de vos nouvelles, vous êtes forcé de constater que vous n'avez pas vécu autant de choses que lui durant les mois écoulés.
Sitôt qu'il resurgit dans votre vie, c'est un jour de lenteur. Tout semble se figer au contact du héros, la mine resplendissante, les yeux vaguement cernés par la fatigue d'un long voyage.
Les hommes se disent : "Je ne suis qu'un misérable Don Quichotte face à mon ami. Qu'ai-je fait pendant qu'il était si loin ? Rien, absolument rien ! Je n'enfonce que des portes ouvertes. Mon quotidien est mou, sans reliefs... Ah, il doit bien rire de moi dès qu'il a le dos tourné".
Et les femmes de penser : "Dieu qu'il est fascinant ! A ses yeux, je suis certainement une bourgeoise timorée, une affreuse citadelle qui refuse l'inconnu, une pauvre reine vouée à l'échec. J'évolue dans un monde étriqué qu'il méprise plus que tout pour ainsi le fuir à la moindre occasion".
Les enfants l'écoutent, émerveillés. Vous pourriez leur raconter que l'ami épisodique s'est assis à califourchon sur le soleil couchant, ils ne rejetteraient pas cette affirmation saugrenue, tant ils idolâtrent cet homme tout droit sorti d'un récit d'aventures.
Et, tandis que chacun se renfrogne, honteux de se découvrir pétrifié dans un train-train si commun, l'ami épisodique est déjà reparti vers de mystérieuses contrées.
Momina Septembre 2004
