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Martial Raysse,
Peinture à haute tension, 1965
huile et peinture fluorescente,
construction-collage, 162,5 x 97,5 cm
Il l'appelle "ma belle, ma cruelle, mon irréelle". Il a des
centaines de photos d'elle sur ses murs, dans ses tiroirs, jusque sous
son oreiller, dans le moindre repli de ses draps. Et il les triture, il
les torture, il la capture et la défigure. Vraiment, c'est la
dernière des ordures. Inlassablement, il redessine ses yeux
d'Egyptienne, son nez d'Italienne, son menton portugais, ses cheveux
thaïlandais et ses joues tziganes. Elle est sa gitane, sa
réclame, son âme et souvent son drame. Il la cache sous le
fard jaune, il la souille de rouille, il met du bleu, du noir, du
violet, il l'abîme mais elle le bat. Il peut vider tous ses tubes
sur son merveilleux visage, elle sera toujours là, invincible,
insubmersible, vibrante et captivante.
Il ouvre la fenêtre. Il prend une bonne bolée d'air. Il
descend un verre de vin ordinaire et grignote un morceau de pain. Il
donne une pichenette à la miette tombée par
mégarde sur sa manouche, sa farouche, celle qui sait si bien
éveiller son désir louche. Pourtant, elle n'est qu'une
icône de pacotille, une fausse princesse sur papier glacé.
Conscient de sa faiblesse, il mendie cependant ses caresses, d'un
regard fébrile, inquiet. Mais il ne voit que son propre reflet
dans ses yeux noirs, si noirs. Peu à peu, il tombe dans leur
ombre. Il lui faudrait une torche, une ampoule, un néon.
N'importe quoi ferait l'affaire. Oui, de la lumière ! Nom de
Dieu, une intense lumière ! Il touche sa bouche de boudeuse, de
capricieuse, d'adorable emmerdeuse... Et il se résigne. Elle est
sa passion, sa déraison, la somme de toutes ses pulsions,
peut-être sa plus grande émotion, son imagination, son
illumination. Certes, il s'use dans ce délire obsessionnel, il
s'épuise à ses prunelles, il se vide, sans repère
ni guide, à part elle, la fautive, la fictive. Elle vit en lui,
au-delà de lui. Elle est sa reine, sa souveraine, celle qu'il
aime, son bonheur et son irrémédiable erreur.
Momina
Mai 2004
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